Power lines and traffic lights down in Ottawa after severe storm
Crédit d'image: PaulMcKinnon

Emporté par le vent: le réseau électrique à la merci d’une discordance d’intérêts

Réflexions de l’économiste principal Dave Sawyer sur la tempête de la fin de semaine dernière.

Samedi dernier, une tempête d’une grande violence a secoué tout l’Ontario et frappé de plein fouet le Québec. Peu après les cinq minutes qu’a duré ce cataclysme, je me suis rendu dans l’ouest d’Ottawa, puis plus au sud. Sur mon trajet de 50 kilomètres, j’ai vu des arbres et des lignes électriques qui jonchaient le sol partout. Absolument partout. En comparaison, j’ai été frappé de voir que les bâtiments, eux, n’avaient pas été trop endommagés. La tempête n’avait peut-être pas été si terrible, me suis-je dit.

C’est en voyant la véritable ampleur des dégâts sur les médias sociaux que j’ai pris conscience de l’étendue des destructions qu’avait subies le réseau électrique. Des centaines de milliers de personnes étaient privées d’électricité en Ontario et au Québec et le resteraient pendant plusieurs jours. Des écoles et des entreprises étaient obligées de fermer, ce qui engendrerait des coûts considérables, qui s’ajouteraient à l’anxiété déjà ressentie par beaucoup à cause de la pandémie. Alors que les stations-service restaient dans le noir et que l’essence commençait à manquer en raison de la ruée à la pompe, la sécurité énergétique est soudainement devenue un sujet de préoccupation.

La situation m’est alors parue limpide : tant que nous n’aurions pas rendu nos réseaux électriques plus résilients et enfoui nos lignes hors de portée des branches d’arbre, les pannes de courant se répéteraient – et souvent.

Notre sécurité énergétique est menacée

À l’Institut climatique du Canada, nous réfléchissons beaucoup aux coûts des changements climatiques, notamment aux répercussions qu’auront des tempêtes plus fréquentes et plus intenses sur la résilience des réseaux électriques. Voyons pourquoi notre sécurité énergétique ne fera que s’affaiblir tant que nous n’aurons pas changé le cours des choses et investi dans le renforcement de notre infrastructure électrique :

  1. Les catastrophes météorologiques sont de plus en plus fréquentes, intenses et coûteuses. Dans notre rapport La pointe de l’iceberg : composer avec les coûts connus et inconnus des changements climatiques au Canada, nous avons analysé deux ensembles de données historiques sur les catastrophes météorologiques au Canada. Ce que nous avons découvert est troublant. Au cours des 26 années précédant 2009, il y a eu 128 catastrophes de ce type, soit cinq par an, pour un coût moyen par tempête de 1,2 million de dollars. Dans les 11 années suivant 2010, on dénombre 118 tempêtes, soit 10 par an, pour un coût moyen par tempête de 5 millions de dollars. Le nombre de tempêtes par an a donc plus que doublé, et les coûts, quadruplé. La fréquence des grosses tempêtes, comme celle ayant provoqué les récentes inondations en Colombie-Britannique en novembre 2021, s’est multipliée par 2,6, et le coût moyen de chacune d’elles a plus que doublé. Les tempêtes sont donc plus fréquentes et plus intenses, et les plus destructrices d’entre elles font de plus en plus de ravages.
  2. Les réseaux de transport et de distribution d’électricité sont extrêmement vulnérables aux changements climatiques. Dans notre rapport Submergés : les coûts des changements climatiques pour l’infrastructure au Canada, nous avons réalisé une analyse géographique explicite des risques que pourrait entraîner l’augmentation des températures et des précipitations pour le réseau canadien de transport et de distribution d’électricité. Nous en avons conclu que les changements climatiques nuiront tant à la quantité d’électricité produite pour les ménages et les entreprises du pays qu’à la fiabilité du réseau. Aujourd’hui, nous estimons que les coûts des changements climatiques pour le réseau électrique du Canada augmentent de 1,5 milliard de dollars chaque année… et devraient gonfler de plusieurs milliards de dollars d’ici la moitié du siècle et dans les années qui suivront. Comme ces chiffres ne tiennent pas compte des dégâts causés par les tempêtes, il va sans dire que les dégâts et les coûts totaux seront bien plus importants encore.
  3. La résilience, c’est rentable. Dans notre publication Renforcer la résilience des réseaux électriques canadiens pour un avenir carboneutre, nous avertissons que notre incapacité à bâtir des réseaux de transport et de distribution d’électricité résilients risque d’augmenter la vulnérabilité des infrastructures électriques, le coût global des réseaux et le nombre d’interruptions pour les ménages et les entreprises, et au bout du compte, de mettre en péril la transition du Canada vers la carboneutralité.

La discordance d’intérêts : un obstacle à la résilience

En quoi est-ce donc si compliqué de renforcer les réseaux électriques? Pour le dire simplement, il y a un gouffre entre les avantages que tirerait l’entreprise de distribution d’électricité chargée de renforcer les réseaux électriques et ceux que tirerait la société tout entière d’une infrastructure électrique plus résiliente. Cette discordance d’intérêts – c’est-à-dire le fait qu’une partie doit assumer les coûts sans retirer l’ensemble des avantages de l’autre partie – aboutit au dangereux manque de préparation actuel de l’infrastructure électrique face au réchauffement climatique.

Voyons cela de plus près.

Les entreprises de distribution chargées de renforcer les réseaux électriques fonctionnent selon un modèle fondé sur le coût du service et n’opteront pour un autre modèle que si celui-ci est rentable. Autrement dit, lorsqu’il s’agit de construire, d’exploiter, d’entretenir et de réparer le réseau, elles privilégient l’option la plus économique. Il leur en coûterait probablement plus d’enfouir les lignes électriques que de conserver la pratique actuelle de lignes aériennes, même si l’on tient compte des dommages causés par les tempêtes. Sur le plan financier, ces entreprises ont donc peu d’intérêt à changer leurs pratiques.

Mais d’un point de vue sociétal, ce changement est nettement plus sensé si l’on évalue les différentes options d’infrastructures de transport et de distribution et que l’on met dans la balance les coûts supplémentaires engendrés et l’ensemble des avantages retirés. Dans cette optique, le poids financier des tempêtes sur les entreprises et les ménages influence les choix d’investissements. En renforçant l’infrastructure électrique, on pourrait éviter des coûts tangibles, comme les interruptions d’activités, les pertes de salaires ou les pertes alimentaires dues à la détérioration des aliments, mais également d’autres coûts moins tangibles, comme l’anxiété liée aux interruptions de service. En faisant disparaître tous les fils électriques inesthétiques, on pourrait également voir la valeur des propriétés augmenter.

Dans notre récent rapport sur l’électrification, Volte-face : comment alimenter un Canada carboneutre, nous soutenons que la société pourrait subventionner la construction d’un secteur de l’électricité carboneutre. Les dernières tempêtes, et la perspective de tempêtes plus dévastatrices encore, sont une nouvelle preuve, s’il en est, de l’urgence de la situation.

Notre inaction et notre aveuglement lié à la rentabilité ne feront qu’augmenter les coûts des tempêtes et mettront en péril la sécurité et la fiabilité de notre avenir énergétique. La prochaine tempête arrive… allons-nous agir?

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