Cet éditorial a d’abord paru dans le Globe and Mail.
Avec la transition vers les énergies propres qui s’accélère, on s’attend à ce que la demande en électricité explose au Canada. Pour garder le cap vers la prospérité, nous devrons donc entamer un projet d’envergure historique pour développer notre réseau électrique. D’ici 2050, nous aurons besoin de beaucoup plus d’électricité, probablement deux à trois fois plus de capacité de production qu’aujourd’hui.
Le gouvernement fédéral a beaucoup encouragé la transition vers les énergies propres. Maintenant, il doit contribuer à transformer plus rapidement l’infrastructure électrique sur laquelle repose cette transition. C’est ce que les États-Unis ont fait récemment avec l’Inflation Reduction Act (loi sur la réduction de l’inflation) en investissant des milliards de dollars dans des projets de construction, et le Canada doit emboîter le pas pour créer un monde sobre en carbone. Cela dit, la complexité du système canadien pourrait freiner sa progression.
L’électricité est une compétence provinciale; c’est donc aux provinces et territoires d’agir en mandatant leurs services publics, autorités de réglementation et exploitants de réseau. Malheureusement, la plupart sont lents à agir bien que son énergie propre donne au Canada un avantage concurrentiel dans un monde où l’on cherche désespérément à réduire les émissions de carbone.
Cette léthargie est le résultat de plusieurs facteurs. En tête de liste se trouvent les appréhensions quant à l’abordabilité, c’est-à-dire que l’investissement nécessaire pour moderniser le réseau pourrait augmenter la facture des consommateurs, et il se trouve qu’une majorité d’entre eux sont également des électeurs. Cette crainte est omniprésente dans les paysages politiques des provinces, car les consommateurs ont tendance à se braquer contre les hausses de tarification, et les gouvernements les apaisent en les en protégeant.
La Nouvelle-Écosse en est le plus récent exemple : les sociétés de services publics soutiennent qu’un nouveau gel des tarifs d’électricité plomberait le budget nécessaire pour investir dans l’établissement d’un réseau plus efficace. En Ontario, ce genre d’interventions est depuis longtemps une constante dans la politique provinciale.
On peut comprendre pourquoi les gouvernements laissent la peur d’une flambée des tarifs limiter l’investissement nécessaire. En effet, bien qu’il soit possible que tous les investissements nécessaires n’aient que peu de conséquences sur les tarifs d’électricité, il reste possible que leur effet soit beaucoup plus dramatique. Les gouvernements provinciaux ont raison de se préoccuper des risques pour les consommateurs, qui pourraient devenir réticents à appuyer la lutte contre les changements climatiques. Et c’est sans compter qu’ils sont particulièrement vulnérables actuellement en raison de l’inflation, qui gruge leur budget et les profits des entreprises.
Il reste que cette stratégie est malavisée : les changements climatiques et les phénomènes météo extrêmes ne se soucient pas des cycles économiques, et les études montrent qu’après la transition énergétique, les consommateurs profiteront d’une réelle réduction de leurs dépenses en énergie.
Au bout du compte, le pire que l’on puisse faire actuellement est d’investir trop peu dans notre réseau électrique. Il faut mettre en place des politiques pour éliminer cette entrave à la planification et à l’investissement dans le réseau électrique, car, sans nouvelle stratégie, les investissements nécessaires et profitables n’auront pas lieu assez rapidement.
Ceci nous amène à ce qu’un rapport de l’Institut climatique du Canada appelle « l’électro-fédéralisme », une solution typiquement canadienne où les gouvernements provinciaux et fédéral s’unissent pour créer un avenir énergétique abordable, fiable, propre et prospère pour la population. D’un côté, le gouvernement fédéral réserverait des fonds publics pour l’atteinte des objectifs nationaux essentiels. De l’autre, les provinces utiliseraient ces fonds pour investir dans la transformation sur mesure de leur réseau tout en respectant des principes fondamentaux, à l’instar de la solution apportée pour les garderies à 10 $ par jour. C’est une stratégie à l’image même de notre pays.
Grâce à l’électro-fédéralisme, les provinces continueraient de recevoir des fonds fédéraux, qui s’ajouteraient à leurs propres fonds destinés au réseau électrique. En échange, elles demanderaient aux autorités de réglementation, aux exploitants de réseau et aux sociétés de services publics de créer un réseau plus propre, plus vaste et plus intelligent, et produiraient également un plan de carboneutralité pour les guider.
Non seulement cette stratégie éliminerait l’impasse actuelle, mais elle offrirait aussi une manière équitable de répartir le coût d’une modernisation du réseau, soit d’utiliser les systèmes fiscaux pour aller chercher l’argent plutôt que de gonfler la facture des consommateurs sans tenir compte de leur situation. Une récente analyse montre qu’on en ressortirait pratiquement tous gagnants – particulièrement les ménages à faible revenu – si le coût des investissements était couvert par les impôts sur le revenu plutôt que par les tarifs d’électricité.
En fin de compte, l’électro-fédéralisme serait avantageux pour les consommateurs et aplanirait les obstacles politiques à la transformation du réseau électrique. Ensemble, les deux paliers gouvernementaux peuvent catalyser le changement nécessaire pour faire prospérer le Canada au xxie siècle.
La structure fédérative du Canada, où les provinces ont beaucoup de pouvoir, rend sa mission de transition énergétique bien différente de celles des autres pays. Mais ce qui peut sembler un obstacle peut tourner à notre avantage si nous appliquons une stratégie sur mesure pour faire du Canada un pays plus propre, plus sûr et plus concurrentiel sur le plan énergétique.