Des faits pour mettre fin à la campagne de peur sur l’électricité propre

Malgré ce que l’Alberta en dit, le discours voulant que le projet de règlement sur l’électricité propre d’Ottawa nous réserve un avenir inquiétant ne serait que des chimères. C’est plutôt la prolongation des délais qui serait à craindre.

Cet éditorial est d’abord paru dans le Edmonton Journal.

L’arrivée du mois d’octobre marque le début de la saison des frissons : journées qui raccourcissent, nuits plus froides et nouvelle campagne de peur. Dans ses publicités intitulées Tell the Feds, l’Alberta s’ingénie à présenter une vision cauchemardesque du déploiement du projet de règlement sur l’électricité propre d’Ottawa, qui nous réserverait un avenir fait de pannes répétées et de flambées des tarifs d’électricité.

Mais les Albertains n’ont rien craindre. Un examen approfondi permet de démonter trois des principales affirmations de la campagne.

Assurer la fiabilité du réseau électrique de l’Alberta

Dans cette campagne, on prétend que si le réseau électrique de la province fonctionne à l’éolien et au solaire, les Albertains se trouveraient privés d’électricité au moment où ils en auraient le plus besoin. 

La perspective fait froid dans le dos, certes, mais elle n’a rien à voir avec le projet sur la table.

Celui-ci prévoit plutôt que les nouvelles centrales au gaz continueraient à alimenter le réseau sans contrainte bien au-delà de 2035, et que l’ensemble des centrales produiraient de l’électricité dans certaines limites en période de pointe ou en l’absence de production par les énergies renouvelables. Et en cas d’urgence, on pourrait recourir au gaz naturel selon les besoins, ce qui garantirait la fiabilité de l’électricité. 

Comme d’autres l’ont proposé, les règles modifiées laisseraient plus de latitude et renforceraient la sécurité. Le gouvernement fédéral n’a pas encore mis la dernière main au projet de règlement – des consultations sont en cours, et des modifications au projet final sont à prévoir. 

Il est essentiel de maintenir la fiabilité du réseau électrique pendant la mise en place progressive de sources moins polluantes. C’est pourquoi la réglementation prévoit toutes sortes d’autres options en matière d’électricité, telles que le gaz naturel avec captage du carbone, le stockage, le nucléaire et l’amélioration des interconnexions avec les réseaux voisins. 

Maintenir bas les tarifs de l’électricité

La campagne Tell the Feds affirme qu’à la suite de l’adoption du projet de règlement fédéral, les tarifs de l’électricité doubleront, tripleront et pourront aller jusqu’à quadrupler. Mais aucune analyse crédible n’étaye cette affirmation.

L’option la moins chère consiste actuellement en une combinaison d’éolien et de solaire contrebalancée par d’autres sources d’énergie, comme le gaz naturel ou l’hydroélectricité. La production d’électricité à partir des ressources éoliennes et solaires les plus importantes du pays ayant plus que doublé au cours des cinq dernières années, l’Alberta se trouve dans une position avantageuse pour construire le réseau diversifié et fiable dont dépendra sa prospérité au 21e siècle.

Pour satisfaire la demande croissante d’électricité, il faudra effectuer d’autres investissements initiaux, et ce, que l’électricité provienne de sources plus propres ou non. Et si la province s’engage dans un avenir énergétique propre, elle bénéficiera d’un coup de pouce du fédéral pour assumer les coûts d’investissement; le gouvernement a mis plus de 40 milliards de dollars sur la table pour aider les provinces à construire des réseaux plus grands, plus propres et plus intelligents.

Maintenir l’élan

La campagne Tell the Feds affirme également qu’Ottawa pourrait atteindre ses objectifs en matière d’électricité d’ici 2050, mais qu’il est irréaliste d’envisager une échéance plus proche. En réalité, l’Alberta dispose d’options intéressantes pour construire un réseau fiable, abordable et sobre en carbone. Le principal danger réside dans la volonté du gouvernement de retarder les choses. 

Jusqu’au récent moratoire, les énergies renouvelables telles que l’éolien et le solaire étaient en plein essor en Alberta, en raison de leurs faibles coûts et de l’approche du marché albertain en matière d’investissement dans la production. S’il est vrai qu’au gré du développement des énergies renouvelables, le réseau aurait fini par avoir du mal à s’adapter, il ne sert à rien d’en freiner le développement. Le vrai problème réside dans les règles qui régissent le marché albertain : elles n’encouragent pas suffisamment les sources de flexibilité du réseau qui peuvent équilibrer les énergies renouvelables, et le transport est planifié de façon réactive plutôt que proactive.

En définissant des exigences claires et neutres sur le plan technologique, le règlement favorisera un développement proactif des infrastructures dans les parties réglementées du secteur (la transmission et la distribution) et motivera des changements fort attendus des règles du marché dans la partie déréglementée (production).

C’est à cette tâche que l’Alberta doit s’atteler, au lieu d’interdire les énergies renouvelables sans justification et d’effrayer les investisseurs potentiels en affirmant que les pannes d’électricité sont inévitables. Bien que la mise en place du réseau électrique de la province nécessite un investissement initial, l’Alberta peut compter sur un partenaire fédéral disposé à financer la transition, comme il le fait actuellement en Nouvelle-Écosse et au Nouveau-Brunswick. 

Les Albertains ont le droit d’entendre plus de faits et moins de discours de peur sur l’avenir de l’électricité dans la province. Le gouvernement de l’Alberta et son exploitant de réseau électrique devraient se mettre au travail en tirant parti des atouts naturels de la province et en utilisant les outils politiques existants pour réaliser ce que les experts s’accordent à dire qu’il est déjà possible de faire : construire un réseau électrique plus propre, capable de produire une énergie abordable et fiable pour les Albertains.


Sara Hastings-Simon est professeure agrégée au Département de la terre, de l’énergie et de l’environnement et à l’école des politiques publiques de l’Université de Calgary, et coanimatrice du balado Energy vs climat. Jason Dion est directeur principal de la recherche à l’Institut climatique du Canada, un organisme national non partisan de recherche sur les politiques climatiques.

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