Conversation trigénérationelle sur l’importance des forêts de q’am’ (varech) 

Joindre les modes de connaissance des Pune’luxutth’ à la science occidentale pour faire progresser les solutions bleues aux changements climatiques

Présentations

Connie Crocker, Aînée

Connie Crocker a pour nom culturel Xqulsiim; elle est une Aînée de la tribu Pune’luxutth’ des Salish de la Côte. Elle a eu la chance de profiter du style de vie, de la culture et des abondantes richesses qui viennent avec la vie aux abords de la mer des Salish. Les quatre réserves de la Nation Pune’luxutth sont situées sur la côte est de l’île de Vancouver, à l’extérieur de Chemainus et à environ 80 km de Victoria. Xqulsiim a grandi avec d’incroyables parents et cinq frères et sœurs sur la réserve de North Galiano Island, dans une communauté de pêche singulière. Sa particularité? L’abondance de saumon, de morue et de hareng, qui attirait des pêcheurs de partout pour vivre en mer une partie de l’année. Toute la fratrie Crocker s’est dotée de bateaux pour embrasser ce mode de vie familial. À l’âge de 22 ans, Xqulsiim a commencé à acheter du poisson par camion pour Hi-To Fisheries à Cowichan Bay. L’année suivante, elle acquérait l’Advise, un bateau de pêche en bois de 12 mètres, pour mieux se rendre aux zones poissonneuses. Tout allait bien… jusqu’à ce que la morue se volatilise. Suivirent deux saisons de hareng désastreuses, puis le saumon disparut lui aussi. Le déclin de l’industrie était très évident; 80 % de la flotte a dû être vendue. Connie Crocket se recycla en technologie de l’information, puis alla travailler pour Pêches et Océans Canada. Elle occupe actuellement le poste d’agente de liaison avec les Premières Nations pour la Kelp Rescue Initiative.

Florence James, ph.D, Aînée

Florence James/Thiyaus est une Aînée de la tribu Pune’luxutth’ des Salish de la Côte. Elle parle couramment Hul’qumi’num, le dialecte de sa tribu, qui appartient également au peuple salish de la Côte. Éducatrice avide de connaissances, elle puise dans les dons et enseignements traditionnels de ses ancêtres ainsi que dans son instruction universitaire. Thiyaus est une Aînée très respectée dans sa collectivité, connue de tous pour son expertise culturelle, pour sa connaissance de l’environnement et son dévouement envers celui-ci, et pour son souci du soin et de l’éducation des jeunes enfants. Cela fait plus de 15 ans qu’elle aura été enseignante et ardente défenseure de plusieurs projets touchant les langues, le patrimoine culturel, l’éducation environnementale, la guérison et la loi.

Rocky James

Rocky James est de la tribu Pune’luxutth’ de la Nation des Salish de la Côte. Il porte trois noms ancestraux : Qwtiis (Qwe-tiis), Siimultun (Si-moul-tone) et Thiyaustun (Tii-auhs-tone). Il est l’unique propriétaire de la société Salish Social Policy Design and Practice, qui a pour but d’outiller un nombre grandissant d’organismes privés, publics et à but non lucratif pour gérer avec confiance les changements aux politiques sociales grâce aux perspectives autochtones, transformant ainsi la manière de concevoir et de mettre en pratique les politiques de cette nature. L’objectif est d’encourager les organismes à voir comme un droit humain la prise en considération des perspectives autochtones dans tous les domaines stratégiques, selon les trois fondements suivants :

  • Une approche de la recherche communautaire fondée sur les forces pour amener le changement organisationnel;
  • Une formation sur la littératie et la compétence culturelles;
  • Une philosophie de développement humain autochtone dans la conception et la mise en pratique des politiques sociales.

Rocky détient un baccalauréat ès arts en études autochtones/Hwul’muxw/Hwul’muhw de l’Université de l’île de Vancouver, ainsi qu’une maîtrise ès arts en politique et pratique de la Faculté du développement humain et social de l’Université de Victoria. Il est aussi candidat au doctorat en sciences sociales à l’Université Royal Roads, débutant ainsi un parcours personnel visant à mieux comprendre le domaine des sciences sociales autochtones et à y apporter une contribution. Sa thèse s’intitule Standing Two-Spirit People Up in Their Strengths Through Two-Spirit Human Development.

Crédit d’image: Ivan Sociv

Résumé

En juillet 2024, Maria Shallard, directrice des Études autochtones et Janina Stajic, gestionnaire des communications, ont rencontré Florence James, Connie Crocker et Rocky James, de la Première Nation Pune’luxutth’, et Jasmin Schuster, gestionnaire de programme à la Kelp Rescue Initiative, pour en apprendre davantage sur les perspectives intergénérationnelles entourant le q’am’ (« varech » en Hul’qumi’num) ainsi que son rapport avec les changements climatiques et les politiques sur le climat. Cette conversation a mis en lumière le lien indissoluble entre les Pune’luxutth et le q’am’, et ce que ce dernier peut nous dire sur la santé des océans et les incidences des politiques et des changements climatiques.

Les forêts de varech absorbent d’importantes quantités de carbone et jouent un rôle de premier plan dans la réduction des émissions. Les approches autochtones de l’adaptation aux changements climatiques et de leur atténuation sont holistiques : c’est dire que du point de vue du rétablissement du varech, l’idée n’est pas seulement d’atténuer les changements climatiques, mais aussi de protéger les espèces marines et les écosystèmes tout autant que le bien-être culturel, physique, spirituel et mental de la population. Tous ces éléments sont interreliés; on ne saurait les isoler les uns des autres.

Notre conversation s’est conclue par un échange sur les barrières de nature politique, dont la réglementation en vigueur, qui entravent le rétablissement du varech, et sur le manque de sensibilisation à l’importance des forêts de varech et de leur rôle pour l’écosystème océanique et la régulation du climat. Nous avons discuté de recommandations (voir plus loin) sur la matière dont les politiques sur le climat de la Colombie-Britannique peuvent contribuer aux démarches de réconciliation et d’atténuation des changements climatiques menées avec les peuples autochtones du littoral. Ces recommandations concernent notamment les façons dont le gouvernement provincial peut collaborer avec les Premières Nations de la côte à la mise sur pied de politiques robustes favorisant le rétablissement du varech. Qui plus est, est ressortie de nos échanges la nécessité d’opérer ce rétablissement en alliant savoir autochtone et science occidentale, et en créant des programmes, des incitatifs et des structures de soutien à l’intendance et la conservation des forêts de q’am’ par la jeunesse autochtone.


« D’ici cinq ans, nous devons voir renaître, tout au long du littoral, les forêts de q’am’ — ces cathédrales vitales qui sont source d’oxygène pour nous tous, consommatrices de dioxyde de carbone, productrices de nutriments et constitutrices d’habitats –, car nous en dépendons tous. »

~ Connie Crocker

Crédit d’image : Fernando Lessa (Kelp Rescue Initiative)

Les modes de connaissance des Pune’luxutth’, le q’am’ (varech), et leur rapport aux changements climatiques et aux politiques d’atténuation

Connie, pouvez-vous nous en dire plus sur votre organisme et le rôle que vous y jouez?

Connie : Je travaille pour la Kelp Rescue Initiative, un organisme de conservation à but non lucratif rattaché au Bamfield Marine Sciences Centre. Nous sommes chapeautés par la Western Canadian Universities Marine Sciences Society, un organisme de bienfaisance comptant parmi ses membres l’Université de Calgary, l’Université de l’Alberta, l’Université de la Colombie-Britannique, l’Université Simon Fraser et l’Université de Victoria. L’Initiative a vu le jour en 2021, en réaction à la conclusion, atteinte au terme d’années de recherches, que le varech était en déclin vertigineux dans de nombreuses zones côtières et qu’il fallait agir immédiatement. Depuis sa création, la Kelp Rescue Initiative est aux premières lignes de différents projets de recherche et de rétablissement en Colombie-Britannique. 

L’Initiative a pour vocation de mettre à profit une diversité d’expertises scientifiques et de connaissances autochtones afin de rétablir les forêts de q’am’ de la côte britanno-colombienne, de sorte à assurer la résilience et le dynamisme d’écosystèmes à une échelle significative sur le plan écologique, en plus de fournir des ressources accessibles en matière de rétablissement. Mes fonctions de personne-ressource auprès des Premières Nations consistent à sensibiliser les collectivités locales et à leur faire tisser des liens robustes avec les Premières Nations.

En 2023, nous avons reçu une somme de 3,7 millions de dollars du Fonds de restauration des écosystèmes aquatiques du ministère des Pêches et des Océans du Canada pour le rétablissement du varech sur un horizon de quatre ans. Nous en sommes maintenant à la deuxième année de ce projet de recherche quadriennal, et nous cultivons le varech en incubateur à Bamfield et à Deep Bay. Nous mettons à l’essai différentes méthodes de mise en culture et de transplantation pour deux espèces endémiques aux eaux côtières qui forment des canopées – la laminaire géante et la nereocystis de Lutke –, et nous en évaluons l’efficacité sous différentes conditions et dans différents environnements.

« Je crois que ce que je veux que chacun sache, c’est que l’océan est à l’article de la mort. Je veux que l’on comprenne la gravité de la situation, de même que l’importance des forêts de q’am’, non seulement pour l’identité des Pune’luxutth’, mais aussi pour leur atténuation des changements climatiques et leurs bienfaits pour les générations futures. »

~ Connie Crocker

Pourquoi la Kelp Rescue Initiative se concentre-t-elle sur la protection des forêts de q’am’?

Connie : Les forêts de q’am’ se composent d’espèces de varech qui forment des canopées; ce sont des écosystèmes à la fonction unique que l’on retrouve dans les eaux côtières froides et tempérées. Composées d’algues brunes volumineuses, elles figurent parmi les écosystèmes les plus abondants et productifs. Ces véritables forêts sous-marines produisent une structure 3D qui s’étend du fond à la surface, et jouent un rôle vital et diversifié dans l’écosystème océanique. Leur cycle de vie, beaucoup plus bref que celui d’une forêt terrestre, en font un acteur très efficace du cycle du carbone, ce qui leur vaut le qualificatif d’« écosystème de carbone bleu » (c.-à-d. un écosystème qui capture le carbone efficacement et peuvent le stocker pendant de longues périodes). Par leur capture et leur stockage du carbone, les écosystèmes de carbone bleu constituent un moyen naturel d’atténuer certaines incidences des changements climatiques. Nos recherches portent sur le rôle holistique des forêts de q’am’ dans l’écosystème océanique, car nous savons qu’outre leurs effets climatiques, ils nourrissent et abritent des centaines d’espèces, entre autres le bar rayé, le saumon, l’ormeau et le hareng; font échec à l’érosion côtière; nettoient les eaux; et génèrent de l’oxygène. Ils présentent en outre des avantages économiques et culturels pour les Premières Nations du littoral, pour les populations côtières et pour l’industrie.

Or, ces forêts sont en déclin – voire disparues – dans plusieurs régions côtières (et à travers le monde). Il faut intervenir d’urgence afin de préserver et rétablir ces écosystèmes essentiels.

Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur le rôle que le varech joue dans l’atténuation des changements climatiques?

Connie et Jasmin : Eh bien, oui, mais ce n’est pas simple d’isoler ce rôle de tout le reste! C’est qu’essentiellement, du point de vue écologique, elles s’apparentent à des ingénieures pour tout l’écosystème. Elles sont d’excellentes photosynthétiseuses, productrices d’oxygène et recycleuses ainsi que stockeuses de carbone et de nutriments. Sur le plan de la lutte aux changements climatiques, ce sont ces fonctions carboniques qui ressortent : lorsqu’elles sont saines, non seulement contribuent-elles à l’équilibre océanique, mais elles réduisent la quantité de carbone dans l’atmosphère. 

De plus, elles sont un « habitat biogénique », c.-à-d. un organisme vivant (le varech) qui fournit un habitat à d’autres espèces, améliore la qualité de l’eau, protège et favorise la biodiversité côtière, et contrebalance l’acidité des océans. En effet, ces derniers s’acidifient à un degré jamais vu en 20 millions d’années, ce qui rend la survie et la reproduction plus difficiles pour certaines espèces. 

Pourquoi le varech disparaît-il si rapidement?

Connie et Jasmin: Le principal facteur est le réchauffement des océans, le varech préférant les températures et courants plus froids. On comprend donc que les changements climatiques représentent une menace considérable pour les forêts de q’am’. Ce précieux écosystème est en déclin rapide à travers le monde sous les sévices combinés du réchauffement des océans et de la prédation par les oursins. Depuis 2014, une série de vagues de chaleur marines ont donné lieu à des conditions plus chaudes qu’à la normale, ce qui met à mal les milieux marins. Qui plus est, comme sur terre, ces vagues de chaleur se font de plus en plus fréquentes, prolongées et intenses à mesure que les émissions de gaz à effet de serre poursuivent leur montée.

Ultimement, le déclin du varech a des effets dévastateurs sur les écosystèmes marins. Les forêts de q’am’ disparaissent, et il en va de même de leur capacité à supporter ces écosystèmes et à atténuer les incidences des changements climatiques.

Les vagues de chaleur ont également des effets inattendus sur les forêts de q’am’. L’une d’elles (qui découlait du phénomène El Niño de 2014-2016 combiné à un « blob » de chaleur) a aggravé l’épidémie de syndrome du dépérissement de l’étoile de mer qui, à ce jour, a tué des millions de ces animaux du Mexique à l’Alaska, dont Pycnopodia helianthoides, une avide prédatrice de l’oursin. Cela a entraîné une explosion des populations d’oursins. Surabondantes, celles-ci ont dévoré de grandes quantités de varech, laissant dans leur sillage ce que l’on appelle des déserts d’oursins.

Connie et Florence : Le déclin des populations de loutre de mer influe lui aussi sur les forêts de varech. La loutre de mer, une espèce clé de voûte, avait été menée au bord de l’extinction au début de 20e siècle. En l’absence de prédateurs, les oursins se sont donc multipliés, ravageant les forêts de q’am’ le long du littoral. La réapparition, après des décennies, des forêts à proximité de Kyuquot est allée de pair avec la réintroduction de la loutre dans cette région. Cela dit, cet animal manque toujours à l’essentiel de la côte britanno-colombienne en raison de la chasse à outrance. Ce n’est qu’un exemple d’effet qu’ont les humains sur ce milieu essentiel, en plus des autres pressions anthropiques.

Crédit d’image : Fernando Lessa (Kelp Rescue Initiative)

Quels sont certains des bienfaits de la restauration des forêts de q’am’?

Connie et Florence : À l’instar de leurs homologues terrestres, les forêts de q’am’ pourraient contribuer à renverser la vapeur sur le plan du réchauffement climatique.

Elles peuvent piéger d’importantes quantités de carbone, ce qui contribuerait à atténuer les répercussions des émissions, qui ne cessent de s’accroître.

Voilà qui serait une solution naturelle aux changements climatiques, et la C.-B. offre l’habitat idéal pour le rétablissement d’une population abondante et diversifiée de varech. Porté à une échelle suffisante, le rétablissement des forêts de q’am’ pourrait retirer une quantité considérable de gaz à effets de serre de l’atmosphère, tout en étant source de bienfaits interreliés et holistiques pour l’océan, les communautés côtières et la vie marine.

« Impossible pour moi d’imaginer l’océan sans varech, sans toutes les espèces qui y habitent. Nous devons nous tourner vers des solutions aux changements climatiques qui sont naturelles et respectueuses de l’environnement avant que nous en perdions l’option. »

~ Connie Crocker

À titre d’exemple, la restauration à grande échelle de forêts de q’am’ est également synonyme d’emplois, d’activités de subsistance positives et de sécurité alimentaire, en plus de profiter aux pêcheries.

Le q’am’ est un aliment traditionnel au même titre que le hareng, le saumon, le crabe et l’oursin; leur disparition collective se répercuterait gravement sur la souveraineté alimentaire autochtone. La pauvreté est un fléau dans les réserves, et c’est la disponibilité des mollusques et crustacés, de la lingue, de la morue et de la viande de cerf qui leur permet de traverser les temps durs.

Les bureaux des conseils de bande des collectivités sont très souvent titulaires de permis de pêche à la crevette, au crabe, à l’oursin et à la palourde, ce qui est source d’emplois, de formation pour les jeunes, et de nourriture pour la population. L’alimentation traditionnelle venant juste après la conservation, la fermeture de ces pêcheries en raison de la disparition des forêts de q’am’ auraient de graves conséquences. La perte de la valeur nutritionnelle et culturelle de ces aliments serait durement ressentie.

Pouvez-vous donner des exemples où l’on a réussi à rétablir le varech?

Connie et Jasmin : Le rétablissement du varech en est toujours à ses balbutiements, mais de nombreux projets visant à mettre sur pied de solides techniques de rétablissement sont en cours en C.-B. et partout dans le monde. La Kelp Rescue Initiative mène à Denman Island et Burrard Inlet des projets expérimentaux dont les résultats sont prometteurs : lors de la saison 2023-2024, de nombreux grands sporophytes (c.-à-d. des plants de varech adultes) ont poussé jusqu’à la surface et produit des tissus reproducteurs.

Beaucoup de questions sont demeurées sans réponse quant aux pratiques exemplaires les mieux adaptées aux différents types d’environnement, mais les choses progressent, et nous sommes en voie de porter le rétablissement à plus grande échelle dans les prochaines années. La Kelp Rescue Initiative met à l’essai différentes méthodes de restauration (p. ex. à l’aide de graviers, de tuiles et de lignes ensemencés) et mesures d’exclusion de l’oursin. Figurent parmi nos autres sujets de recherche la cartographie de la diversité et de l’adaptation génétiques du varech sur le territoire de la province; la mise à l’essai de la tolérance thermique de différentes populations de varech à l’historique thermique varié; le recensement des changements dans la végétation marine des 50 dernières années; et la modélisation de la convenance des habitats au varech en fonction des conditions environnementales.

Nos scientifiques mettent l’accent sur la restauration de nos emblématiques forêts de q’am’ dans un contexte de fluctuations environnementales constantes. La Kelp Rescue Initiative s’intéresse à la résilience de différents génotypes de varech aux températures aquatiques estivales. Le gravier ensemencé consiste en la fixation de propagules de varech à de petits cailloux qui sont faciles à étendre sur les fonds marins; il s’agit d’une technique émergente prometteuse pour la restauration des forêts de varech.

Cette méthode s’est récemment mérité l’attention du monde entier en raison de sa rentabilité, de son extensibilité et de son acceptation sociale.

Nous travaillons également à la conception de moyens d’exclure les oursins des sites de nos travaux. Certes, nous pouvons installer des clôtures et des cages autour des zones de rétablissement, mais ces mesures ne se transposent pas à grande échelle et ne suffisent pas à exclure les oursins totalement. L’équipe est en communication avec Pêches et Océans Canada, des pêcheurs d’oursin et des collectivités autochtones afin de trouver des solutions de prise en charge –accroître la consommation humaine, par exemple.

Que nous disent les savoirs et la compréhension autochtones du varech et des écosystèmes marins sur l’importance des forêts de varech et des approches de restauration?

Florence : Je me souviens que lorsque j’avais 6 ou 7 ans, nous pêchions près de Porlier Pass. Les forêts de varech nous empêchaient de voir le fond de l’eau. On n’avait qu’à plonger notre râteau pour ramener de petits poissons à la surface. Nous n’avions pas la technologie d’aujourd’hui – il fallait connaître les saisons, les marées et les cycles. Nous savions quelles saisons étaient propices à la pêche, et lesquelles ne l’étaient pas. Maintenant, la pêche s’effectue 12 mois par année; je me rappelle une fois où j’avais compté 260 bateaux de pêche en même temps sur les eaux. Cette façon de pêcher, de traiter l’océan, est également dommageable aux forêts de q’am’. Elle est nocive.

L’idée est donc, notamment, de se souvenir ou de savoir ce à quoi ressemblaient les forêts de varech, et donc ce à quoi elles pourraient ressembler de nouveau, et d’être conscients des différentes raisons pour lesquelles elles sont en déclin. Les saisons d’aujourd’hui ne sont pas celles d’autrefois. À l’époque, on pouvait cuisiner un repas entier d’ingrédients provenant des forêts de varech; ma mère avait une recette de canard noir avec des moules. À présent, hélas, ça empeste les palourdes mourantes depuis ma fenêtre lors des vagues de chaleur – il y a une forêt de varech tout près.

L’idée est donc, notamment, de se souvenir ou de savoir ce à quoi ressemblaient les forêts de varech, et donc ce à quoi elles pourraient ressembler de nouveau, et d’être conscients des différentes raisons pour lesquelles elles sont en déclin.

~Florence James

Connie : Je crois que cela fait prendre conscience que le rétablissement des forêts de q’am’ nous concerne tous, et que les bienfaits en sont multiples. Nous avons une perspective et des connaissances holistiques quant à leur rôle dans les écosystèmes océaniques. Nous les savons être des cathédrales vivantes et vitales qui sont source d’oxygène pour nous tous, consommatrices de dioxyde de carbone, productrices de nutriments, constitutrices d’habitats et génératrices d’emplois.

Crédit d’image : Fernando Lessa (Kelp Rescue Initiative)

Quelles sont certaines des grandes entraves politiques à la gestion du varech et du milieu marin?

Connie et Jasmin : Pêches et Océans est responsable de la protection de nos eaux et de la gestion des pêcheries et ressources marines du Canada. Le Canada jouit du littoral le plus vaste au monde; aussi la gestion adéquate de ces zones représente-t-elle un défi de taille pour un seul ministère. Il en ressort que la réglementation ne reflète pas nécessairement les dernières connaissances, ou qu’elle n’est pas appliquée ou mise à jour assez rapidement pour suivre les changements rapides qui caractérisent notre époque. Par exemple, on observe des lacunes dans la réglementation et les procédures de délivrance de permis sur le plan de la gestion des oursins au-delà de la pêche commerciale. Malgré la généralisation des déserts d’oursins et le déclin effréné des forêts de varech, il n’existe aucun processus de pêche, de déplacement ou d’enlèvement des oursins (c.-à-d. de contrôle de leur densité) à des fins de restauration.

Une autre entrave à la restauration et à la culture du varech a trait à l’obtention du tissu reproductif permettant de faire pousser des gamétophytes de varech en laboratoire. À l’heure actuelle, la province recommande que le varech transplanté dans les sites de restaurations ou les fermes soit issu de populations sauvages situées à moins de 50 km. Or, dans plusieurs régions, on ne trouve plus aucun varech sur des étendues de littoral dépassant les 50 km; autrement dit, il n’y a pas de population sauvage d’où tirer les tissus nécessaires. Il est d’une importance capitale de préserver la diversité et la santé génétique des populations sauvages de varech, et donc nous espérons que les dernières recherches sur la génétique du varech pourront mieux orienter la réglementation à cet égard.

« D’ici cinq ans, nous devons voir renaître, tout au long du littoral, les forêts de q’am’ — ces cathédrales vitales qui sont source d’oxygène pour nous tous, consommatrices de dioxyde de carbone, productrices de nutriments et constitutrices d’habitats –, car nous en dépendons tous. »

~ Connie Crocker

À votre avis, quelles devraient-être certaines des principales recommandations en matière de politiques?

Connie et Jasmin: Le gouvernement provincial devrait collaborer avec les Premières Nations du littoral à la mise sur pied de politiques et de feuilles de route de rétablissement du varech qui intègrent savoir autochtone et science occidentale. Les ministères avec qui nous collaborons, dont Pêches et Océans, pourraient continuer de travailler sur les restrictions réglementaires, ce qui pourrait se traduire par une collaboration avec les Premières Nations sur la pêche de l’oursin. À défaut de prédateurs tels que le soleil de mer et la loutre de mer, l’oursin peut transformer une forêt de varech en véritable désert sous-marin. Ainsi, la pêche de cet animal contribuerait à la protection des forêts de q’am’ et permettrait aux collectivités des Premières Nations de s’adonner à leur alimentation traditionnelle ainsi qu’à la pêche commerciale.

Il importe également d’appuyer les programmes comme Kelp Rescue, car ils sensibilisent le grand public aux bienfaits interreliés de la restauration des forêts de q’am’, entre autres l’atténuation des changements climatiques, la favorisation de la santé des océans et la préservation des habitats.

Enfin, nous croyons qu’il est extrêmement important de concevoir plus de programmes, d’incitatifs et de structures de soutien à l’intendance et la conservation des forêts de q’am’ par la jeunesse autochtone (p. ex. par la prestation de formation en plongée et en culture du varech qui allient science occidentale et savoirs autochtones)!

« Je me souviens que quand j’avais 6 ou 7 ans, on ne pouvait pas voir le fond de l’eau à certains endroits tellement les forêts de varech étaient épaisses. Nos méthodes de récolte, pratiques et connaissances traditionnelles nous permettaient de conserver l’équilibre – nous ne prenions que ce dont nous avions besoin. Mais les choses et les saisons ont changé, et à présent, les forêts de q’am’ se meurent. Le plus important est que les Premières Nations côtières soient faites gardiennes, et que leur jeunesse protège les forêts de varech pour le bien de leur nation, de l’océan, du climat et des générations futures. »

~ Florence James

En conclusions, qu’auriez-vous à dire, en bref, sur le pourquoi et le comment de la restauration des forêts de q’am’

Connie, Florence, et Rocky : Nous devons porter la restauration du varech à plus grande échelle … sur le littoral de chaque Première Nation de la côte.

La guérison de notre océan est une tâche grave et urgente, et le public doit le savoir. Nous sommes plus forts ensemble. Voilà qui ne suppose rien de moins qu’une campagne de sensibilisation pancanadienne.

Nous devons faire en sorte que les forêts de varech s’épanouissent, et que des solutions bleues soient créées pour atténuer les incidences des changements climatiques, favoriser la réconciliation et assurer un avenir plus sain à nos générations futures.

Notre but ultime est d’autonomiser les Premières Nations du littoral pour qu’elles se chargent elles-mêmes de la restauration, et de faire en sorte que la Kelp Rescue Initiative fournisse des outils et une feuille de route pour les aider dans cette entreprise avant qu’il ne soit trop tard. Nous aimerions voir la jeunesse prendre les devants dans la conservation des forêts de varech pour le bien de leur nation de l’océan et des générations futures.

Conclusion

« Ne prenez que ce dont vous avez besoin » était l’un des messages importants que Florence et de Connie nous ont transmis ce jour-là et qu’elles souhaitaient communiquer au monde, la surpêche humaine figurant parmi les contributeurs du déclin des forêts de q’am’. Est également ressortie la manière dont la colonisation et les différences de perspectives ont contribué et continuent de contribuer au dépérissement des environnements marins. L’adoption d’un point de vue plus holistique de l’océan favoriserait le rétablissement des forêts de q’am’, de même que les efforts de réconciliations sur le littoral, car les océans recèlent une richesse de souvenirs et d’enseignements des peuples qui les bordent depuis la nuit des temps.

Ainsi, l’une des solutions aux changements climatiques sur le littoral serait tout simplement d’écouter les peuples qui avaient et conservent une connaissance et une compréhension intimes de ce qui fait prospérer les écosystèmes océaniques. Puiser dans la sagesse issue de savoir intergénérationnel revient à réinsuffler dans le discours sur l’océan des récits autochtones qui sont importants à la survie de tous.


Crédit d’image : Ivan Sociv

Communications et supports écrits

Maria Shallard est directrice, Études autochtones à l’Institut climatique du Canada, et est d’ascendance Pune’luxutth’ et coloniale. Elle est titulaire d’une maîtrise en géographie de l’Université de Guelph, et d’une spécialisation en écologie politique et en gouvernance autochtone des océans. Elle détient également un baccalauréat interdisciplinaire en arts de l’Université de Victoria, avec une double majeure en études environnementales et en histoire canadienne de l’environnement et une mineure en études autochtones, ainsi que des certificats en encadrement, en leadership et en communication. Elle a à son actif plus d’une décennie d’expérience professionnelle en instruction, en gestion de projets, en recherche et en coordination de programmes de formation en savoir autochtone et occidental.

Janina Stajic est gestionnaire des communications à l’Institut climatique du Canada, et est d’ascendance coloniale écossaise et anglaise. Elle est titulaire d’une maîtrise en études postcoloniales de l’Université de Londres, en Angleterre, ainsi que d’un baccalauréat en anglais et en histoire de l’Université de la Colombie-Britannique. Elle travaille en communications et en mobilisation publique depuis près de 20 ans, ce qui l’a menée à œuvrer dans plusieurs pays, dont l’Angleterre, l’Égypte, les États-Unis et le Canada.

Jasmin Schuster, chercheuse sur le varech, est gestionnaire de programme pour la Kelp Rescue Initiative. Bien que son Autriche natale soit un pays enclavé, elle est venue à aimer l’océan en faisant de la plongée. C’est sur la côte Est du Canada, à Terre-Neuve, qu’elle a vu sa première forêt de varech; le contraste saisissant entre les vastes déserts d’oursins et les lits de varech restants l’a poussé à vouer ses recherches doctorales à ces écosystèmes. Elle a déménagé sur l’île de Vancouver en 2021 pour y poursuivre son étude des écosystèmes de varech et d’oursins, et s’est attachée aux magnifiques canopées du littoral local. Mue à passer du savoir aux actes, Jasmin a joint la Kelp Rescue Initiative en 2023 pour œuvrer au rétablissement du varech et à la recherche en la matière.