Cet article a précédemment été publié dans le Globe and Mail.
La course aux capitaux mondiaux pour financer la transition du Canada vers la carboneutralité s’accélère plus rapidement que prévu. Pour ne pas rater le virage mondial vers des sources d’énergie propre, le pays nécessitera de nouveaux investissements annuels de plus de 80 milliards de dollars. La plupart devront provenir du secteur privé. Or, l’adoption d’une loi sur la réduction de l’inflation (Inflation Reduction Act) aux États-Unis, qui promet aux investisseurs des rendements intéressants au sud de la frontière, lui met des bâtons dans les roues.
On annonçait récemment une taxonomie des investissements climatiques pour renforcer la compétitivité du Canada. Cette mesure décisive a été élaborée et appuyée par les 25 plus grandes institutions financières au pays à travers le Conseil d’action en matière de finance durable. L’idée est de créer des labels standardisés pour indiquer quels investissements sont, ou ne sont pas, alignés avec les objectifs climatiques. Le cadre initial de la taxonomie, développé avec le soutien de l’équipe de recherche de l’Institut climatique du Canada et de l’Institute for Sustainable Finance, défini non seulement les investissements « verts », mais aussi les investissements de « transition », plus controversés.
Une taxonomie pour la prospérité future du Canada
L’adoption réussie de la taxonomie des investissements climatiques du Canada sera fondamentale pour sécuriser sa transition énergétique et sa prospérité future. Elle contribuera à mobiliser les financements privés vers une nouvelle croissance verte. Son adoption aidera aussi le Canada à décarboniser. Elle assurera la transition de ses moteurs de croissance actuels à forte intensité d’émissions. S’il est bien construit, le cadre canadien pourrait être adopté par des pays à l’international qui le suivront de près.
Mais revenons un pas en arrière : une taxonomie des investissements climatiques, qu’est-ce que ça mange en hiver? Et en quoi cela peut-il aider le Canada à rester compétitif dans sa transition énergétique?
Une taxonomie pour la transition énergétique
Une taxonomie climatique fonctionne un peu comme un immense Choixpeau pour le système financier. Elle propose une méthode scientifique et standardisée pour déterminer si un projet s’inscrit ou non dans les objectifs climatiques. Ce faisant, elle contribue à dissiper le brouillard de mésinformation et d’écoblanchiment qui s’étend actuellement sur le financement de la lutte contre les changements climatiques à l’échelle mondiale. Ce type de classification permet également d’aiguiller les sommes investies vers les projets phares de la transition énergétique, comme les énergies renouvelables, les batteries et le stockage ou l’hydrogène propre. Chose certaine, les taxonomies sont un rouage essentiel des autres politiques climatiques – comme la réglementation et la tarification du carbone.
Le Canada figure parmi les derniers pays du G7 et du G20 à élaborer ce type de taxonomie. Il compense toutefois ce retard en proposant un cadre concret pour classer les activités « de transition », ces secteurs de l’économie à forte émission susceptibles de connaître une transition ou une transformation pour s’inscrire dans un avenir carboneutre.
Comment définir la taxonomie
Bien sûr, cette catégorie « de transition » étant plus difficile à définir que celle des investissements verts. Il faut faire la part des choses et des critiques ont déjà émergées. La taxonomie proposée au Canada évite toutefois habilement ces écueils.
À la base, elle est conçue pour bâtir et préserver la confiance des marchés de capitaux mondiaux. C’est pourquoi l’ensemble du cadre s’appuie sur la science du climat et sur l’objectif de l’Accord de Paris de limiter la hausse des températures à moins de 1,5 °C par rapport aux niveaux de l’ère préindustrielle. Un objectif moins ambitieux minerait la crédibilité de l’entreprise.
Prenons par exemple les projets pétrogaziers. Le cadre reconnaît l’importance à court terme de la réduction des émissions de la production pétrolière et gazière. Il reconnaît aussi les investissements de transition, qui pourraient financer des technologies dont la valeur sera pérenne (par exemple, les infrastructures de stockage du carbone). De nouveaux projets pétrogaziers, ou l’extension de projets existant, serait inéligible au financement de la taxonomie. Et les projets existants seraient uniquement éligibles si l’investissements réalisé entraîne des réductions d’émissions liées à la production pétrogazière significatives et transformationnelles.
Le cadre pourrait aussi débloquer des capitaux de transition pour d’autres secteurs à fortes émissions. Les efforts d’électrification des secteurs de l’acier et de la fabrication automobile du Canada, par exemple, pourraient représenter des investissements de transition. Cela serait à l’instar d’autres importants projets, comme la fabrication d’hydrogène sobre en carbone à partir de gaz naturel ou de produits chimiques sobres en carbone pour les secteurs difficiles à décarboner.
Faire de la taxonomie un outil pratique
Une telle définition des activités de transition aurait des retombées immenses pour toute l’économie du Canada. La prospérité économique du pays passe par la décarbonisation des secteurs les plus gourmands en énergie. Elle passe également par des secteurs exportateurs, qui emploient directement plus de 800 000 travailleurs. Plus ces secteurs parviendront à réduire leurs émissions, plus ils seront compétitifs sur la scène internationale de l’économie sobre en carbone.
Le temps file. Les autorités de réglementation et le gouvernement, en collaboration avec le secteur financier, doivent réagir rapidement pour faire de ce cadre un outil d’évaluation pratique, indépendant et basé sur la science des projets et des portefeuilles d’investissement. Dans cette course effrénée aux capitaux mondiaux, il n’a jamais été aussi important pour le Canada de montrer qu’il dispose de trajectoires d’investissement crédibles et axées sur la transition.