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Économie atlantique : Terre-Neuve et Labrador risque-t-elle de manquer le bateau?

Un potentiel de succès, avec de nouveaux moteurs de croissance

L’avenir de Terre-Neuve-et-Labrador s’annonce différent de son passé. En effet, la province est dans la course d’une économie mondiale en pleine évolution vers l’élimination des émissions de carbone. La demande en carburants propres et en technologies sobres en carbone explose. Le marché des biens à forte intensité carbonique devrait décroître radicalement au cours des prochaines décennies.

L’augmentation récente du prix du pétrole et l’intérêt renouvelé pour les réserves extracôtières peuvent rendre cet avenir moins crédible. Cependant, à plus long terme, la ferme dépendance de Terre-Neuve-et-Labrador aux combustibles fossiles et à l’industrie à forte intensité carbonique est néfaste pour son économie (notamment pour les emplois et les revenus). La création d’une économie sobre en carbone diversifiée représente la seule avenue possible pour la province.

Heureusement, Terre-Neuve-et-Labrador se trouve en voie de réussir cette transition.

Une nouvelle analyse de l’Institut climatique du Canada compare les façons dont les provinces canadiennes concrétisent les nouvelles possibilités économiques sobres en carbone. L’élan de croissance propre est significatif partout au Canada, y compris à Terre-Neuve-et-Labrador.

La province entame déjà la transition vers la carboneutralité avec des avantages qui lui sont propres. Son expertise en exploitation minière et ses réserves de minéraux pourront répondre à l’essor de la demande mondiale en technologies propres, comme les batteries. L’hydroélectricité abondante et le développement potentiel de l’énergie éolienne terrestre et en mer donnent à la province une longueur d’avance en matière de carboneutralité. Terre-Neuve-et-Labrador peut profiter de ces avantages pour accélérer son électrification, exporter son énergie propre, et attirer d’autres entreprises cherchant des façons d’atteindre leurs propres objectifs de carboneutralité.

Une nouvelle activité économique se développe dans des secteurs où l’on s’attend à voir des possibilités grandissantes. Terre-Neuve-et-Labrador compte au moins six entreprises dans la mire des investisseurs. Ces entreprises se consacrent aux marchés florissants de la décarbonisation industrielle et des technologies de la construction vertes. Par exemple, Mysa, une entreprise de thermostats intelligents de St. John’s, a amassé 20 millions de dollars en capital de risque à un stade avancé en 2021.

Des entreprises et des industries existantes trouvent également de nouvelles occasions de bifurquer vers des marchés sobres en carbone. Terre-Neuve-et-Labrador possède les atouts et l’expertise nécessaires pour profiter de nouveaux créneaux et de nouvelles possibilités dans un avenir carboneutre. Par exemple, la raffinerie de Come-by-Chance compte se transformer pour fabriquer des carburants d’aviation durables et du diesel renouvelable.

C’est un bon début, mais la province doit multiplier ses efforts. Après ajustement à l’échelle de chaque économie provinciale, Terre-Neuve-et-Labrador se trouve en effet en dernière position des provinces canadiennes dans la création de nouvelles entreprises sobres en carbone, et tarde à attirer les investisseurs et à déployer des solutions.

Incontestablement, s’éloigner des combustibles fossiles et changer les occasions en une réelle croissance économique représente un défi de taille pour Terre-Neuve-et-Labrador. C’est une économie modeste, ce qui signifie parfois pour les innovateurs un petit marché local et des occasions limitées de présenter et de déployer de nouvelles technologies.

Depuis 20 ans, le pétrole et le gaz sont une importante constituante de l’économie de Terre-Neuve-et-Labrador. Même maintenant, ils représentent jusqu’à 11 % des exportations de la province et un sixième de ses revenus. Cependant, le pétrole et le gaz ne seront plus, dans l’avenir, un moteur de croissance des redevances et des emplois. Dans les prochaines décennies, l’ambition mondiale d’atteindre la carboneutralité entraînera une nette baisse de la demande dans des secteurs comme celui-là et poussera l’industrie lourde à décarboner le plus rapidement possible afin d’atteindre les objectifs de carboneutralité. La dépendance à une activité économique à forte intensité carbonique comporte donc un risque économique accru.

Une part non négligeable de la main-d’œuvre de Terre-Neuve-et-Labrador est vulnérable aux pertes d’emploi en raison de la demande décroissante de pétrole et de gaz; 5,8 % de sa main-d’œuvre travaille en effet dans les secteurs touchés, ce qui place la province au quatrième rang en cette matière au Canada. Dans tout le Canada atlantique, il existe une disparité entre le développement de nouvelles entreprises en ville et le taux de chômage persistant et la vulnérabilité de la main-d’œuvre dans les régions rurales et éloignées. Avec l’apparition de nouvelles possibilités, Terre-Neuve-et-Labrador devra préparer adéquatement ses communautés et sa main-d’œuvre exposées au risque pour que les communautés rurales, éloignées et autochtones puissent ressentir également les bénéfices d’une telle transition.

Terre-Neuve-et-Labrador peut tirer son épingle du jeu dans une économie carboneutre. Pour cela le gouvernement provincial devra cependant stimuler les secteurs prospères de demain. Des politiques climatiques claires et ambitieuses, un prix du carbone prévisible et des stratégies sectorielles ciblées, voilà les clés pour donner confiance aux investisseurs et augmenter la demande locale en technologies sobres en carbone. La province aurait également intérêt à transférer ses investissements dans les secteurs en décroissance (comme le pétrole et le gaz) vers des secteurs en plein essor, par exemple en soutenant la recherche et le développement ciblés.

Terre-Neuve-et-Labrador a un important potentiel de transition vers la carboneutralité. Mais ça passe ou ça casse : la province doit agir maintenant au risque de mettre son avenir en péril.

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