Depuis la publication du rapport Vers un Canada carboneutre : s’inscrire dans la transition globale le mois dernier, nous avons reçu des questions très pertinentes de nos collègues chercheurs et d’autres intervenants avec qui nous avons eu l’occasion d’entrer en contact. Bien que chacune des conversations et des correspondances ait ouvert des pistes de réflexion différentes, certaines questions revenaient sans cesse. Nous y répondrons ici. Nous vous invitons à continuer de nous transmettre vos questions afin que la discussion se poursuive.
- Quels sont les points importants à retenir du rapport?
D’abord et avant tout, que la carboneutralité est atteignable. Notre analyse nous a permis de trouver plus de 60 trajectoires possibles permettant au Canada d’atteindre son objectif de zéro émission nette de gaz à effet de serre d’ici 2050.
Pour atteindre cet objectif, deux types de solutions sont cependant nécessaires : les valeurs sûres et les paris risqués. Les valeurs sûres sont des solutions sans risque qui sont déjà disponibles commercialement, dont les mesures d’efficacité énergétique, les véhicules électriques et les thermopompes. Les paris risqués, à l’opposé, sont des solutions qui reposent sur des technologies dont le développement n’est encore qu’à ses débuts, qui risquent d’être difficiles à mettre en pratique à grande échelle, ou peut ne pas être en mesure de concurrencer des solutions moins coûteuses, même lorsqu’elles s’avéreront viables sur le plan technique.
Nous croyons qu’au cours de la prochaine décennie nous devrons diriger nos efforts vers les valeurs sûres, tout en soutenant le développement des paris risqués afin qu’ils soient disponibles lorsque nous en aurons besoin pour réduire encore davantage les émissions. Il est trop tôt pour savoir lesquelles seront les plus efficaces, mais la modélisation montre que devrons fort probablement recourir à quelques paris risqués pour réussir à atteindre la carboneutralité d’ici 2050.
- Pourquoi les solutions naturelles sont-elles des paris risqués?
Les solutions naturelles, aussi nommées « utilisation du sol » dans notre analyse, englobent une multitude de méthodes d’absorption du CO2, notamment :
- les pratiques d’aménagement forestier, par exemple l’amélioration des pratiques de conservation ou la plantation d’arbres;
- les pratiques agricoles, comme les semis directs ou la plantation d’arbres sur des terres agricoles;
- la gestion des écosystèmes, par la protection ou la restauration des prairies, des milieux humides et des écosystèmes côtiers.
Ces solutions répondent à la définition des « paris risqués » pour diverses raisons. Premièrement, la pérennité de la réduction des émissions engendrées par ces solutions soulève des préoccupations. Le carbone stocké dans la nature n’y demeure pas forcément pour toujours; par exemple, le carbone séquestré dans une forêt peut être libéré en raison d’un feu incontrôlé, d’une sécheresse, d’une espèce envahissante, de l’exploitation forestière ou du développement urbain. En d’autres termes, la séquestration des émissions par des solutions naturelles peut être inversée.
De plus, les solutions naturelles peuvent être difficiles à appliquer à grande échelle en raison du fait que l’étendue des terres requises (pour le boisement, par exemple) pourrait entrer en conflit avec d’autres priorités d’utilisation du sol (comme la production alimentaire) et pourrait avoir des répercussions négatives sur les écosystèmes voisins. Et plus important encore, pour être déployées à grande échelle, ces solutions devraient également respecter les droits inhérents, constitutionnels et issus de traités des peuples autochtones, puisqu’elles seraient souvent déployées sur leurs terres traditionnelles.
- Quelle est la place de l’énergie nucléaire? Qu’en est-il des petits réacteurs modulaires?
Réponse courte : dans le cadre de notre analyse, nous n’avons pas spécifiquement évalué le rôle du nucléaire. Nous avons plutôt examiné le rôle de l’électricité propre dans son ensemble, dont peut faire partie le nucléaire, ainsi que l’énergie d’origine hydroélectrique, éolienne, solaire ou géothermique, celle qui provient des biocarburants et du gaz naturel, combinée au captage, à l’utilisation et au stockage du carbone (CUSC). Dans l’ensemble, l’utilisation de l’électricité propre augmente dans toutes les trajectoires vers la carboneutralité que nous avons étudiées, et elle est considérée comme une valeur sûre.
Quant aux petits réacteurs modulaires (PRM), leurs technologies n’en sont encore qu’à leurs débuts et ne sont pas encore commercialisées (sauf dans la marine, où elles servent surtout à alimenter les sous-marins). Pour cette raison, le modèle n’est pas en mesure d’inclure les PRM dans l’analyse. Même si les PRM ne sont pas pris en compte, ils seraient considérés comme des paris risqués en vertu de notre modèle puisqu’ils peuvent changer la donne pour les sources stables d’énergie propre et pour le chauffage et l’alimentation des industries. Bien que, encore une fois, ceci ne repose pas uniquement sur la viabilité technologique des PRM, mais également sur leur capacité à faire concurrence aux autres solutions.
- Pourquoi votre rapport n’accorde-t-il pas un rôle plus important à l’hydrogène au Canada? Pourquoi l’hydrogène est-il un « pari risqué »?
Notre analyse démontre que d’ici 2050, l’hydrogène pourrait fournir de 3 % à 10 % de la demande en énergie finale au Canada (entre 294 et 628 pétajoules). D’autres études, comme celle du Projet Trottier pour l’avenir énergétique de 2016, ont elles aussi révélé que l’hydrogène n’est pas appelé à occuper une grande place dans le bouquet énergétique, mais qu’il jouera un rôle important en regard de certaines applications (comme le transport des marchandises lourdes). Toutefois, nous reconnaissons que notre analyse de modélisation ne rend pas entièrement compte de certaines trajectoires à forte demande en hydrogène que certains entrevoient pour le Canada. Par exemple, le modèle prévoit l’intégration d’hydrogène dans les gazoducs (au taux de base de 2 % d’hydrogène en volume et au taux maximal de 20 %), mais il ne prévoit pas la construction d’hydrogénoducs conçus à cette fin.
Plusieurs raisons font de l’hydrogène un pari risqué. Tant les coûts de production et de distribution de l’hydrogène que ceux de l’utilisation des technologies finales (comme les piles à combustible) devraient nécessairement connaître une baisse et concurrencer d’autres solutions (comme l’électricité, les biocarburants ou les CUSC avancés). De plus, son déploiement à grande échelle exigerait des infrastructures nouvelles ou améliorées, dont la construction de pipelines pour transporter l’hydrogène et la modernisation des réseaux et des technologies fonctionnant au gaz pour qu’ils puissent recueillir un mélange comportant davantage d’hydrogène.
- Pourquoi l’électricité ne joue-t-elle pas un plus grand rôle dans la transition vers la carboneutralité?
Notre analyse indique que l’électricité joue un rôle de plus en plus important dans toutes les trajectoires carboneutres possibles. D’ici 2050, l’électricité pourrait fournir entre 28 % et 55 % de la demande en énergie finale et jouer un rôle majeur dans la décarbonation de plusieurs secteurs, tels que le transport des personnes, peu importe la trajectoire empruntée par le Canada. D’autres études menées au Canada (dont Pathways to Deep Decarbonization in Canada et Perspectives énergétiques canadiennes 2018) ont identifié des rôles semblables pour l’électricité.
Cependant, comme pour l’hydrogène, notre modèle comporte des limites, ce qui signifie que le plein potentiel de l’électricité pourrait être encore plus important que dans nos prédictions. Ces limites sont dues entre autres à l’impossibilité de simuler la transmission entre les provinces, le potentiel de stockage, ainsi que la tarification au compteur horaire – un outil essentiel pour équilibrer la demande dans un système énergétique fortement électrifié.
- Quelles sont les trajectoires vers la carboneutralité les plus probables ou les plus souhaitables?
Dans le rapport, nous examinons la faisabilité relative de plusieurs trajectoires et les obstacles à surmonter pour chacune d’elles. Toutefois, nous n’avons évalué ni leur probabilité ni leur désirabilité. La probabilité est difficile à prévoir avec précision en plus d’être très subjective. La manière dont s’effectuera la transition repose en grande partie sur des éléments incertains qui échappent au contrôle du Canada, comme la rapidité de la lutte contre les changements climatiques et l’évolution technologique. Cela ne signifie pas, cependant, que nous croyons que toutes les trajectoires sont également probables; certaines rencontrent plus d’obstacles que d’autres, et certaines donnent lieu à plus d’incertitude.
La désirabilité, quant à elle, représente un problème beaucoup plus épineux, qui exige qu’on soupèse les différentes priorités et qu’on fasse des compromis.
Il est important que des discussions approfondies sur la probabilité et la désirabilité des trajectoires vers la carboneutralité se tiennent au Canada. Nous prévoyons utiliser ce rapport comme point de départ et comme document de référence appuyé par des faits dans le cadre de ces discussions.
- Quelles seront les répercussions régionales de la transition énergétique?
Nous sommes conscients que la transition du Canada vers la carboneutralité aura des répercussions majeures partout au pays, et qu’elles pourraient se manifester de façon très différente selon les régions. Bien que nous ne l’ayons pas abordé en profondeur dans ce rapport, c’est un sujet que nous avons l’intention d’examiner au cours des prochaines semaines et des prochains mois.
Restez à l’affût : nous continuerons d’analyser ce que signifie la carboneutralité pour le Canada.