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Un peu de lumière

Comment le Canada devrait-il diviser les compétences en matière de politique climatique à même la fédération?

Après cette période où la crise de la COVID-19 prenait toute la place (à juste titre), on recommence peu à peu à parler des politiques climatiques au Canada. Plus précisément, deux articles – dont l’un est signé par nous – développent sur l’établissement d’un cadre de responsabilisation climatique au Canada comme une passerelle entre les cibles climatiques à long terme et la planification et la mise en œuvre de stratégies à court terme. Il s’agirait de créer un processus aidant à définir des plans d’action réalistes pour l’atteinte de ces cibles qui, sans cela, resteraient abstraites et lointaines. (Pour plus de détails, voir ici et ici).

Bien que les deux rapports présentent des avis semblables à certains égards, ils diffèrent sur un point important et intéressant : comment résoudre la quadrature du cercle des compétences partagées relativement aux politiques climatiques dans un État fédéral?

La loi britannique sur la lutte contre les changements climatiques, admirée de tous

Nous avons de nombreuses raisons de remercier le Royaume-Uni et sa loi sur les changements climatiques pour la prolifération des cadres de responsabilisation et des législations en matière de climat autour du globe, et notamment pour son joueur étoile de longue date : le bilan de carbone, qui a vu le jour dans la loi britannique en 2008. Autre œuvre britannique : le comité sur les changements climatiques, un organe indépendant et impartial composé d’experts qui conseillent leur gouvernement sur les voies à suivre pour la réduction des émissions et suivent les progrès accomplis.

Depuis, de nombreux États ont imité le Royaume-Uni : la France, l’Allemagne, l’Écosse, le pays de Galles, la Nouvelle-Zélande et bien d’autres encore. Chez nous au Canada, le Manitoba s’est doté d’une législation pour la responsabilisation climatique, la Loi sur la mise en œuvre du plan vert et climatique, et la Colombie-Britannique a fait de même en révisant sa Climate Change Accountability Act.

Les défis du partage des compétences en matière de climat

Il est tout à fait logique de la part du gouvernement fédéral d’envisager la même stratégie pour le Canada. Cependant, les gouvernements et administrations des différents ordres – fédéral, autochtones, provinciaux, territoriaux, municipaux – ont chacun leurs propres cibles et politiques climatiques, et même leurs propres cadres de responsabilisation. Comment appliquer les pratiques exemplaires de l’étranger dans ce contexte?

Voyons à présent en quoi notre dernier rapport propose une approche différente de l’autre article, par une coalition d’organismes environnementaux. Les auteurs de cet article recommandent une législation fédérale définissant des bilans des émissions national et infranationaux. Idéalement, cette division serait réalisée en coopération et informée par les conseils d’experts indépendants. Mais si nécessaire, le gouvernement fédéral diviserait un « capital » d’émissions permises entre les provinces et les territoires. Ils adressent d’ailleurs une mise en garde : « Si tous les gouvernements infranationaux ne sont pas responsabilisés publiquement pour la réduction des gaz à effet de serre, cela risque de diluer la responsabilité des politiques climatiques adoptées et de beaucoup affaiblir l’ensemble du cadre de responsabilisation. »

Nous sommes d’accord avec plusieurs recommandations de la coalition, mais celle-ci mérite une discussion plus approfondie.

Les défis de la responsabilisation centralisée

Au bout du compte, les cadres de responsabilisation ne procurent qu’une certitude nuancée – imparfaite – quant aux changements politiques à venir. Les parlements de demain peuvent adopter de nouvelles lois et se défaire des obligations climatiques. L’échec d’un gouvernement dans l’atteinte de cibles climatiques pourrait donner matière à des poursuites, mais les conséquences les plus lourdes seront toujours l’atteinte à la réputation et le coût politique (sans compter l’aggravation de la crise climatique).

En fait, si le gouvernement fédéral déterminait des cibles pour les provinces et les territoires, ceux-ci pourraient bien décider de s’en laver les mains et en profiter pour transférer le risque politique et le fardeau de la responsabilisation directement sur les épaules d’Ottawa. De plus, des cibles infranationales ancrées dans la législature fédérale risquent d’être une pomme de discorde dans les débats intergouvernementaux au lieu d’encourager cette collaboration si nécessaire. Elles risquent en outre de dissuader le gouvernement d’une province ou d’un territoire de mettre en œuvre ses propres politiques ambitieuses, ou de le rendre réfractaire à la stratégie fédérale. Cela risque en réalité de saper les bases du futur cadre de responsabilisation fédéral.

Bref, les cadres de responsabilisation ne sont pas une solution magique. Ils ne sauraient se substituer à une politique qui procède graduellement vers des objectifs de plus en plus ambitieux, et qui soit assez sévère pour permettre l’atteinte des cibles à long terme. Ce n’est pas un sésame ouvrant la porte du consensus interpartisan – au Royaume-Uni, le consensus politique sur la question climatique a précédé la législation sur les changements climatiques. Ils ne peuvent pas à eux seuls résoudre les vieux débats sur la contribution de tous les gouvernements du pays à la réduction des émissions.

Les conditions du succès

Un cadre canadien de responsabilisation pourrait, toutefois, créer les conditions propices au succès à long terme avec une approche plus nuancée.

Le gouvernement fédéral devrait définir des cibles juridiquement contraignantes uniquement pour l’ensemble du pays. Il devrait donner des indications techniques dans ses analyses et ses prévisions – à titre d’information seulement – au sujet de différents scénarios de stratégie de réduction des émissions à l’échelle des provinces et des territoires.

Nous recommandons par ailleurs à Ottawa de créer des mesures incitatives pour encourager les provinces et les territoires – et les autres ordres de gouvernement – à adopter leurs propres cadres de responsabilisation sur les assises de stratégies bien à eux.

Pour ce qui est d’établir une politique durable assez rigoureuse pour l’atteinte de nos cibles, le gouvernement du Canada a les meilleures chances de succès si plusieurs ordres de gouvernement mettent la main à la pâte armés de leurs stratégies. On aurait donc les différents paliers étatiques dotés de leurs propres moyens d’action, établis selon leurs lois, leurs règlements et leurs analyses : différentes régions qui adapteraient les stratégies aux défis de réduction des émissions, aux occasions à saisir et au contexte qui sont les leur.

La voie vers une stratégie cohérente et le succès climatique à long terme

Mais ne voit-on pas se profiler un avenir caractérisé par une mosaïque de politiques, avec de possibles divergences et omissions d’un océan à l’autre? Oui.

Toutefois, les cadres de responsabilisation ont leur utilité là aussi. La réalisation d’une politique nationale cohérente et assez contraignante passe obligatoirement par des eaux troubles et des dialogues pas toujours faciles. En fait, la mise noir sur blanc d’une information transparente sur les prévisions des émissions et les plans stratégiques, et leur discussion dans des débats constructifs, même s’ils sont difficiles, sont des étapes indispensables.

C’est peut-être contre-intuitif, mais le cadre de responsabilisation le plus puissant n’est pas un bâton, mais plutôt une lampe de poche. Pour arriver ensemble à la terre promise, il nous faut trouver comment éclairer toujours un peu plus chaque pas que nous faisons. 

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