Crédit d'image: THE CANADIAN PRESS/Darryl Dyck

La transition progressive vers le chauffage électrique, une solution sensée pour le Canada

Réponse à la critique de l’Association canadienne du gaz de notre rapport sur la réduction des émissions liées au chauffage dans la transition vers une économie carboneutre.

En juin, l’Institut climatique du Canada a publié la première grande évaluation des effets anticipés sur les réseaux gaziers et les ménages qui en dépendent dans la transition des combustibles fossiles à l’énergie propre. Son rapport Échange de chaleur révèle que le maintien du statu quo, soit l’expansion des réseaux de gaz et le recours à cette option par défaut pour le chauffage des nouveaux bâtiments, risque de coûter cher aux contribuables en infrastructures superflues. Pour protéger ces derniers, les gouvernements et les autorités de réglementation doivent adopter une approche plus prudente et réaliste.

L’Association canadienne du gaz – représentante des distributeurs de gaz du pays – a récemment publié une réponse à ce rapport déformant et remettant en question certaines de nos conclusions. Nous profitons donc de l’occasion pour répondre aux inquiétudes de l’Association et remettre les pendules à l’heure.

Ce que nous avons constaté

1. La transition du mode de chauffage, ce n’est pas « tout ou rien » et ça ne se fera pas du jour au lendemain.

Contrairement à ce qu’en dit l’Association canadienne du gaz, l’approche que nous proposons est progressive, prudente et économiquement sensée. La critique suggère que notre rapport recommande une prohibition abrupte du chauffage au gaz, ce qui est faux; nous proposons plutôt que les gouvernements provinciaux protègent les consommateurs en assurant une meilleure planification des réseaux énergétiques, particulièrement en ne traitant plus l’expansion du réseau gazier comme l’option par défaut et en aidant les autorités de réglementation à explorer d’autres options. Les provinces et municipalités pourraient aussi exiger que les nouvelles constructions soient écoénergétiques et entièrement électrifiées afin de prévenir la construction d’autres infrastructures coûteuses de transport de gaz.

De nombreuses régions du Canada, dont le Québec, le Canada atlantique et le Nord, utilisent déjà très peu le chauffage au gaz, favorisant l’électricité ou d’autres combustibles. Dans les provinces qui s’appuient encore largement sur le gaz, la transition vers des options plus propres se fera progressivement. Mais si les gouvernements ne se préparent pas à gérer cette transition de façon responsable, les autorités de réglementation n’auront pas les outils pour prendre des décisions prudentes qui protégeront les consommateurs. Une planification inadéquate viendrait donc exacerber le risque d’actifs délaissés et de cibles climatiques ratées.

2. Notre rapport recommande que les provinces soient prévoyantes et usent de prudence pour gérer le risque d’actifs délaissés.

L’objectif principal d’Échange de chaleur est de protéger les contribuables d’aujourd’hui comme de demain. Le rapport présente ainsi plusieurs recommandations s’inscrivant dans l’esprit du rapport final du Conseil consultatif canadien de l’électricité, recommandations qui portent sur les outils de politiques et de planification dont disposent les gouvernements pour ouvrir la voie à une transition juste et économique qui respecte les objectifs climatiques. Il existe diverses façons de moderniser ces outils pour inciter les autorités de réglementation à faire des investissements prudents à long terme et à créer des réseaux capables de répondre aux besoins des consommateurs à moindre coût. Notamment, les autorités devraient tenir compte du risque d’actifs gaziers délaissés et comparer l’expansion du réseau de gaz aux autres options, ou les gouvernements devraient revoir l’obligation de servir pour que cette expansion ne soit plus automatique.

Toutes nos recommandations visent à actualiser les responsabilités des gouvernements et des autorités de réglementation en fonction du paysage changeant de l’énergie. Par exemple, là où il existe déjà des réseaux de gazoducs, nous recommandons aux gouvernements provinciaux d’obliger les services publics de gaz à fournir des cartes de leur réseau pour faciliter la planification d’une transition protégeant les intérêts des contribuables à long terme. Ces cartes fourniraient une information cruciale et souvent manquante sur l’âge et l’état des gazoducs ainsi que sur le remplacement prévu des différentes infrastructures. Avec cette information en main, les décideurs, les autorités de réglementation et les services d’énergie seraient en mesure de cerner les occasions de remplacer des infrastructures gazières par une option plus propre pour limiter les effets de la transition énergétique sur la facture de services publics des clients.

Cela dit, il est capital d’éviter que les clients à faible revenu et les personnes âgées à revenu fixe soient les derniers à utiliser le réseau gazier, et donc à devoir payer pour l’entretien de toutes les infrastructures, un enjeu que les Allemands ont mémorablement baptisé « le problème de la dernière grand-mère ».

Il serait contraire à l’intérêt public de maintenir le statu quo, pensé pour un marché établi bien avant que la réduction des émissions de carbone devienne un objectif courant dans l’économie mondiale, et avant l’arrivée des thermopompes et autres technologies propres.

3. Les gouvernements et les autorités de réglementation doivent protéger les ménages et les entreprises du Canada, aujourd’hui et pour l’avenir, un objectif potentiellement incompatible avec les modèles d’affaires actuels des services publics gaziers.

Les services publics de gaz et d’électricité sont plus strictement encadrés que tout autre service en raison de leur monopole naturel. Les gouvernements provinciaux définissent les mécanismes qu’emploient les autorités de réglementation pour décider comment investir dans les différents réseaux et comment les coûts des infrastructures partagées sont payés par les utilisateurs. Puisque la construction d’infrastructures constitue la plus grande part des profits des services publics, il est tout à leur avantage de continuer à en bâtir, même si l’usage à long terme est incertain.

Or, les consommateurs doivent payer pour ces investissements des décennies durant. En règle générale, une infrastructure de gaz construite aujourd’hui jouera toujours sur la facture des clients dans 40 ans, longtemps après la date ciblée par le Canada et une bonne partie du monde pour la carboneutralité. De plus, les clients déjà raccordés au réseau gazier ne sont pas nécessairement à l’abri : ce sont l’ensemble des clients actuels et futurs qui paient pour la construction d’un nouveau gazoduc.

Il appartient aux autorités de réglementation de l’énergie de veiller à ce que les investissements à long terme soient justes et prudents. À mesure que les ménages et les entreprises feront le saut vers l’option fort écoénergétique que sont les thermopompes électriques, les infrastructures gazières – particulièrement les plus récentes – risquent de devenir des actifs délaissés, que les contribuables d’aujourd’hui et de demain devront financer.

Le fait de constamment se rabattre sur le chauffage au gaz par défaut limite les options et contraint les contribuables à continuer de payer longtemps encore pour des infrastructures de combustibles fossiles. Cette façon de faire profite aux services publics de gaz, mais nuit aux intérêts à long terme de la population.

4. Le remplacement total par des gaz sobres en carbone n’est pas une solution réaliste.

L’Association canadienne du gaz met de l’avant l’hydrogène et le biométhane comme solutions aux changements climatiques plutôt que l’électrification. Toutefois, selon nos études et de nombreuses autres, les gaz sobres en carbone ne pourront jamais entièrement remplacer les gaz fossiles, en raison de leur stock limité et de leur coût.

L’hydrogène produit à partir d’électricité propre est souvent proposé. Il est actuellement utilisé – généralement à hauteur de 5 à 20 % – dans la combinaison énergétique de certains bâtiments, en guise d’essai préliminaire, mais son adoption complète et généralisée demanderait des mises à niveau coûteuses de toutes les maisons et entreprises, et potentiellement des infrastructures de transport. Le biométhane, autre solution souvent proposée, est pleinement compatible avec les réseaux et le matériel existants, mais les charges d’alimentation pour en produire sont limitées. Même dans le meilleur des cas, l’application la plus économique des maigres ressources des précieux gaz sobres en carbone serait dans le transport lourd et l’industriel, pas dans le chauffage.

D’après nos études, un avenir bâti sur l’utilisation répandue et abordable de ces combustibles de rechange est illusoire, et les coûts généraux pour l’économie et les consommateurs risqueraient même d’être encore plus élevés.

5. Le statu quo n’est pas une option.

Le Canada s’est engagé à atteindre la carboneutralité d’ici le milieu du siècle, comme bien d’autres pays totalisant 90 % de l’économie mondiale, afin d’éviter les changements climatiques catastrophiques et de préserver sa concurrentialité. Notre analyse s’appuie donc sur cet engagement comme trame de fond des politiques énergétiques et économiques du pays.

Agir responsablement pour contrer les changements climatiques implique de faire les choses différemment. Le bâtiment est l’un des rares secteurs de l’économie dont les émissions continuent de monter plutôt que de descendre. Une transition des combustibles fossiles vers des options écoénergétiques plus propres comme les thermopompes électriques est la meilleure façon de réduire, à faible coût, les émissions de carbone des bâtiments. Cependant, si les politiques ne sont pas adaptées au contexte changeant de la transition énergétique, le secteur risque de demeurer polluant ou d’entraîner la construction d’infrastructures dispendieuses que les consommateurs devront payer, qu’elles s’avèrent utiles ou non. Le statu quo n’est donc pas une option pour la population canadienne.

Sans politiques gouvernementales, la situation n’évoluera pas assez rapidement pour que le Canada atteigne ses objectifs climatiques. Les gouvernements et les autorités de réglementation jouant un rôle majeur dans l’encadrement des services publics, il leur appartient de prendre des décisions justes et prudentes. Après tout, ce sont l’ensemble des contribuables qui paieront pour ces investissements.

Dans le contexte d’une transition énergétique à l’échelle de l’économie, les provinces se doivent de revoir leurs politiques; il est impératif de préparer des feuilles de route pour l’avenir, de faire une analyse prudente de toutes les options plutôt que de développer par défaut les réseaux de gazoducs, et de soutenir les ménages (particulièrement à faible revenu) dans ce processus.

La conclusion

Notre rapport est clair : la poursuite du développement des infrastructures gazières est un risque pour le climat comme pour la population. Pour les protéger, les gouvernements provinciaux devront revoir leurs processus décisionnels entourant les infrastructures d’énergie essentielles – surtout les réseaux de gaz et d’électricité.

Bien que les distributeurs de gaz du Canada aient des inquiétudes légitimes quant aux risques d’une économie carboneutre pour leur modèle d’affaires, il est important que les décisions et les politiques des gouvernements et des autorités de réglementation tiennent compte des intérêts de l’ensemble des Canadiens.

L’accélération de la transition vers des sources d’énergie propres et abordables est une entreprise complexe mais nécessaire qui doit pouvoir s’appuyer sur des preuves solides. L’Institut climatique du Canada est fier de contribuer à la discussion en axant ses travaux de recherche sur les intérêts publics et en proposant des solutions stratégiques. Pour en savoir plus sur le rapport, les hypothèses de modélisation et les résultats, poursuivez la lecture ici.

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