Tout est bien qui finit propre

Le fédéral a su éviter les pièges dans son aide à l’industrie pétrolière et gazière. En sera-t-il de même pour les efforts de reprise à venir?

L’après COVID-19 — la série blogue
Alors que le pays se dirige vers la reprise économique de l’après pandémie, l’Institut examine les choix politiques à venir pour le Canada.

Cette semaine, le secteur pétrolier et gazier a connu des creux sans précédent, le cours du pétrole ayant plongé sous zéro. L’aide annoncée par le gouvernement la semaine dernière apportera un certain soulagement, surtout aux travailleurs du secteur. Fait important, ce soutien ne fait pas obstacle aux plans du gouvernement fédéral visant zéro émission nette à long terme. Cela dit, des questions incontournables – accompagnées peut-être de quelques réponses – se posent quant à la suite des choses pour la reprise économique.

L’aide coule à flots

La semaine dernière, le gouvernement fédéral a annoncé une aide en trois volets pour le secteur pétrolier et gazier au pays :

  • Fonds pour le nettoyage de puits de pétrole et de gaz. Le fédéral investira 1,7 milliard de dollars dans le nettoyage de puits orphelins et inactifs en Colombie-Britannique, en Saskatchewan et en Alberta. (Précisons que les puits orphelins sont ceux qui n’ont plus de propriétaire, souvent en raison d’une faillite, et que les puits inactifs sont ceux qui ont cessé de produire, mais n’ont pas fait l’objet d’une mise hors service et d’un assainissement dans les règles de l’art.) Représentant un risque écologique pour leur environnement immédiat, les puits orphelins et inactifs de l’Ouest canadien se multiplient sans cesse, ce qui suscite bien des inquiétudes. En procédant à leur nettoyage maintenant, on maintient les travailleurs du secteur dans leur  emploi malgré le cours du pétrole plus faible que jamais et la mise à l’arrêt d’une bonne partie de l’industrie.
  • Soutien aux investissements pour la réduction des émissions de méthane. Le gouvernement offre 750 millions de dollars en prêts remboursables aux entreprises pétrolières et gazières qui engagent des dépenses en immobilisations visant à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, particulièrement celles de méthane. Comme le règlement canadien sur les émissions de méthane prend effet cette année, les entreprises auraient eu intérêt à faire ces investissements de toute manière. L’aide financière en ce sens est donc une façon d’injecter des liquidités en lien avec la réduction des émissions de méthane attendues en vertu de la réglementation fédérale (et provinciale).
  • Crédit pour les entreprises. La Banque de développement du Canada (BDC) et Exportation et développement Canada (EDC) offriront du financement aux entreprises viables dans tous les secteurs de l’économie, dont celui du pétrole et du gaz, pour leur fournir des fonds de roulement supplémentaires, maintenir leur accès au système de transport et de stockage et favoriser l’accès au crédit fondé sur les réserves.

Chacune de ces mesures a pour objectif d’injecter des liquidités dans le secteur en cette période de grands bouleversements. Le tout vise principalement une aide immédiate, ce qui se défend tout à fait étant donné les conditions actuelles, qui sont extrêmes et hors de l’ordinaire.

Maintenir le cap

Dans l’ensemble, l’aide offerte par le gouvernement fédéral évite les compromis qui auraient nui aux cibles du pays en matière d’environnement. En finançant le nettoyage de puits orphelins et inactifs, le gouvernement contribue à régler des problèmes environnementaux importants que le secteur traînait depuis longtemps. Avec ses prêts pour les investissements réduisant les émissions de méthane, il aide les entreprises à court de moyens à se conformer aux nouveaux règlements en la matière et favorise un aspect crucial de la réduction des émissions de GES au Canada. Enfin, le programme de crédit ne servira pas à proprement parler de subvention aux combustibles fossiles, car les entreprises de tous les secteurs ont droit à la même aide.

Maintenir les travailleurs en poste, aider les entreprises à traverser cette crise sans précédent et veiller à la préservation des investissements dans la réduction des émissions de méthane, le tout en agissant dans des délais incroyablement serrés : le gouvernement fédéral semble avoir trouvé un équilibre entre ces multiples objectifs.

La longue histoire du financement du secteur pétrolier et gazier est toutefois plus complexe. Outre la crise de la COVID-19, qui, forçant chacun à rester chez soi, a engendré une chute vertigineuse de la demande de pétrole à court terme, il ne faut pas oublier que l’actuelle guerre des prix cause une accumulation de surplus qui tire le cours du pétrole vers des profondeurs jamais vues. Mais même avec le ralentissement de la pandémie et la désescalade du conflit, la demande de pétrole et de gaz naturel risque de poursuivre son déclin à long terme, car le monde sera encore aux prises avec les changements climatiques. À quoi ressemble l’avenir des entreprises de ce secteur au Canada? Et quel genre d’aide pourrait encore lui être offerte?

Un élément du plan annoncé la semaine dernière nous donne déjà un indice.

Qui paiera le nettoyage?

Ceux qui depuis longtemps s’intéressent au problème des puits abandonnés en Alberta ont mis le doigt sur un point essentiel : trop souvent, ce sont les contribuables qui paient la facture des dégâts environnementaux causés par les entreprises privées. L’approche réglementaire de la province exige que peu ou pas de fonds soient mis de côté pour le nettoyage et permet aux producteurs de pétrole et de gaz naturel de repousser indéfiniment l’assainissement de leurs sites.

Ainsi libérées de cette responsabilité, les entreprises, surtout les plus petites, ne sont pas encouragées à gérer prudemment et à assainir leurs puits inactifs. Dans le pire des cas, des entreprises qui ont profité d’années de production peuvent tout simplement déclarer faillite et laisser leurs puits non assainis comme « dettes non provisionnées ». C’est ce qui inquiète les observateurs : si les gouvernements viennent réparer ces torts, les entreprises pourraient croire qu’elles échapperont aux responsabilités d’assainissement futures, ce qui ne ferait qu’empirer le problème.

Heureusement, le gouvernement fédéral tente de corriger le tir dans son plan d’aide, d’abord et avant tout en rendant son financement conditionnel à l’amélioration de la réglementation provinciale pour qu’elle empêche les entreprises de laisser ces dettes environnementales derrière elles à l’avenir.

Cette condition pourrait-elle faire école dans les prochains programmes d’aide ou de financement de relance pour le secteur? Peut-être bien. L’Alberta n’a pas encore précisé en quoi consisteraient ses améliorations. Supposons que les nouvelles mesures passent le test : le gouvernement fédéral pourrait alors rendre tous ses investissements conditionnels à l’amélioration des politiques sur l’assainissement des sites d’exploitation. Les résidus de sables bitumineux, par exemple, représentent une responsabilité environnementale encore plus grande que les puits orphelins et inactifs. Si nous ne voulons pas laisser aux générations futures un environnement toxique demandant d’énormes investissements publics, il faut renforcer la réglementation et les politiques provinciales ayant trait aux exigences de nettoyage et de garantie financière.

Qu’en est-il des politiques environnementales actuelles?

Ce même enjeu, celui des coûts et des avantages publics et privés, s’étend encore à une autre question. Récemment, certains ont suggéré de suspendre les réglementations et politiques environnementales en réponse à la crise de la COVID-19. Cette mesure profiterait aux entreprises à court terme, mais elle serait par la suite chèrement payée : les contribuables auraient à assumer les coûts d’une accentuation des changements climatiques et de leur incidence accrue sur les milieux de vie. Et les réglementations suspendues risqueraient de l’être pour longtemps… si ce n’est pour toujours. Dans l’intervalle, l’absence de politiques sur les GES pourrait grandement moduler l’effet des éventuels investissements publics sur les émissions du secteur.

Il serait mal avisé de faire passer les coûts environnementaux privés sur les épaules du public dans l’espoir d’aider et de stimuler l’industrie (précisons que le gouvernement fédéral n’a pas emprunté cette voie). Cela dit, il serait encore pire d’offrir au secteur une aide particulière pour sa reprise à long terme. On officialiserait ainsi le transfert des coûts des énergies fossiles aux contribuables, et on empêcherait le secteur canadien de l’énergie de se préparer à un monde où il sera de plus en plus pressant de réduire les émissions de GES.

Dans quelle mesure le Canada devrait-il donc rendre son appui conditionnel à la réduction des GES? La question demeure ouverte, mais elle mérite d’être posée.

Se tourner vers l’avenir

Lorsqu’il passera de l’aide immédiate au financement de la reprise, le Canada devra établir les grands buts au profit desquels il investira, dans le secteur pétrolier et gazier comme ailleurs. L’engagement du gouvernement à atteindre la cible de zéro émission nette revêt une importance particulière. Déjà avant la crise, il s’annonçait ardu d’arrimer l’avenir des énergies fossiles aux objectifs du pays en matière de climat. Mais le Canada ne peut pas se permettre de laisser de côté ses buts à long terme. S’il vaut mieux réparer son toit sous le soleil, la pluie, qui ne facilite en rien la tâche, la rend cependant d’autant plus nécessaire.

Il sera délicat d’harmoniser les multiples objectifs établis. Or, par des politiques réfléchies axées sur la reprise, il est possible d’aider dans l’immédiat tout en favorisant l’atteinte des cibles écologiques à long terme du Canada.

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