La norme sur les carburants à faible teneur en carbone de la Colombie-Britannique fait partie des politiques de réduction des émissions les plus efficaces de la province, mais elle reste encore trop méconnue. Elle a permis à la province de réduire ses émissions annuelles de gaz à effet de serre (GES) dans les transports de 6 % en moyenne par an de 2010 à 2020 et devrait lui permettre d’atteindre 31 % de ses objectifs de réduction d’ici 2030. Elle a également servi de modèle à la tant attendue Norme fédérale sur les combustibles propres.
Deux propositions de modification présentées cet automne pourraient renforcer cette norme et faire de la Colombie-Britannique un chef de file mondial dans le domaine des nouvelles technologies vertes. Néanmoins, pour concrétiser cette ambition, la province doit bien faire les choses.
Deux modifications à l’étude
La première modification substantielle proposée consiste à inclure dans la norme – en plus du diesel et de l’essence – les carburéacteurs et les carburants de navire. Ces ajouts resserreraient les exigences d’intensité carbonique pour les fournisseurs de combustibles fossiles tout en permettant aux fournisseurs de carburéacteurs et de carburants de navire à faible teneur en carbone d’obtenir et d’échanger des crédits dans le cadre de la norme. On estime que d’ici 2050, les carburéacteurs et les carburants de navire représenteront 51 % des émissions de GES du secteur des transports de la Colombie-Britannique (figure 1).
La seconde grande modification consiste à autoriser l’utilisation de la captation atmosphérique directe avec stockage permanent pour l’obtention de crédits de conformité. Cette technologie permet l’élimination permanente du dioxyde de carbone de l’atmosphère et aboutit à des émissions négatives. C’est une technologie essentielle à l’atteinte des objectifs mondiaux de carboneutralité. Si elle est commercialisée, elle pourrait faire de la Colombie-Britannique un chef de file mondial.
Ensemble, ces deux modifications pourraient renforcer encore l’efficacité de la norme sur les carburants à faible teneur en carbone en matière de réduction des émissions de GES de la Colombie-Britannique. La première pourrait faire exploser la demande en solutions de remplacement sobres en carbone dans deux nouvelles catégories de carburants. La demande de crédits de conformité supplémentaires entraînerait une augmentation des prix des crédits (pour toutes les catégories de carburants). En parallèle, l’élargissement du marché des carburants liquides à faible teneur en carbone pourrait réduire la volatilité des prix des crédits. Il en résulterait un encouragement aux investissements dans les projets de carburants à faible teneur en carbone.
La seconde modification, en plus de contribuer à réduire les émissions de GES, pourrait positionner la province dans le peloton de tête en technologie de captation atmosphérique directe et de piégeage du carbone. La Colombie-Britannique pourrait ainsi montrer aux autres provinces la voie à suivre pour se doter de nouvelles politiques concernant les investissements dans les technologies à émissions négatives, comme la captation atmosphérique directe. À ce jour, ces technologies sont encore perçues comme des « paris risqués », c’est-à-dire des solutions à haut risque.
Toutefois, concrétiser ces occasions ne sera pas aisé. Tout dépendra de la façon dont les modifications réglementaires seront ultimement conçues. Lorsqu’il révisera cette réglementation essentielle, le gouvernement provincial devra envisager trois réorientations majeures.
Trois réorientations nécessaires
- Pallier l’insuffisance des mesures incitatives pour les carburants d’avion et de navire
On observe un écart en matière de mesures incitatives qui favorise le diesel renouvelable au détriment de la production de carburéacteurs à faible teneur en carbone. La nouvelle norme sur les carburants à faible teneur en carbone devra combler cet écart. En effet, la densité énergétique et l’intensité carbonique de référence des carburéacteurs sont généralement plus faibles que celles du diesel. Or, en raison de cet écart, les carburéacteurs à faible teneur en carbone génèrent moins de crédits que le diesel renouvelable et donc moins de gains économiques pour la compensation des émissions des carburéacteurs fossiles, pour un processus de fabrication et une intensité carbonique équivalents. Dans la course aux matières premières, le désavantage des carburéacteurs en matière de crédits associé à des coûts de production plus élevés a fait pencher la balance en faveur du diesel renouvelable.
Un écart semblable pourrait survenir pour les carburants de navire à faible teneur en carbone si leur densité énergétique et leur intensité carbonique de référence diffèrent de celles d’autres catégories de carburants concurrentes.
Heureusement, la Colombie-Britannique dispose de plusieurs options concrètes pour rétablir l’équilibre, comme instaurer des objectifs de réduction de l’intensité carbonique plus progressifs pour les carburants d’avion et de navire, ou tenir compte des avantages supplémentaires des solutions de remplacement à faible teneur en carbone dans les scores d’intensité carbonique (comme la réduction des traînées de condensation et des répercussions du carbone noir dans le cas des carburéacteurs à faible teneur en carbone). Ces ajustements pourraient réduire l’écart dans les mesures incitatives et garantir que les modifications réglementaires augmentent substantiellement l’offre en carburants d’avion et de navire à faible teneur en carbone.
- Tenir compte des changements indirects d’affectation des terres dans le calcul de l’empreinte carbone pour favoriser les carburants propres perfectionnés moins développés
Pour l’instant, rien n’est prévu dans le projet de révision de la norme sur les carburants à faible teneur en carbone de la Colombie-Britannique pour résoudre un problème qui touche la réglementation des carburants propres depuis des années : l’exclusion des émissions liées aux changements indirects d’affectation des terres du calcul de l’empreinte carbone des carburants. Cette exclusion est particulièrement importante pour les trajectoires des biocarburants perfectionnés servant par exemple de carburéacteurs, qui utilisent des matières premières émergentes, mais dont les retombées en matière de stockage du carbone liées à l’utilisation du territoire ne sont pas mesurées financièrement.
Les biocarburants perfectionnés sont essentiels à la décarbonisation à long terme, mais l’industrie peine encore à les faire décoller. L’exclusion des émissions liées aux changements indirects d’affectation des terres du calcul de l’empreinte carbone entrave le développement des biocarburants perfectionnés à plus faible intensité carbonique, car les émissions générées par les biocarburants traditionnels à cause de la compétition pour l’utilisation des terres arables ne sont pas prises en compte. De plus, dans certains cas, les avantages liés au piégeage du carbone (notamment par les matières premières destinées aux cultures énergétiques) sont exclus du calcul de l’empreinte carbone, alors qu’ils pourraient réduire les scores d’intensité carbonique et augmenter les revenus des producteurs.
Instaurer des normes de quantification des émissions liées aux changements indirects d’affectation des terres serait à la fois complexe et laborieux, mais il est possible de s’inspirer des organismes ayant une longueur d’avance en la matière pour dresser des lignes directrices. Par exemple, dans son régime de compensation de carbone, l’Organisation de l’aviation civile internationale a établi des valeurs d’émissions liées aux changements indirects d’affectation des terres pour diverses matières premières destinées à la production de carburéacteurs issus de sources renouvelables. Les expériences réalisées en Californie et en Oregon peuvent également servir d’inspiration pour déterminer comment estimer ces valeurs.
- Élargir les limites géographiques des projets de captation atmosphérique directe pour en accélérer le déploiement
Même si on a peu d’information sur ce que compte faire la province pour intégrer la captation atmosphérique directe et le stockage permanent dans ses modifications réglementaires, restreindre les critères d’admissibilité de manière à privilégier les projets menés en Colombie-Britannique – comme cela a été proposé – pourrait ralentir les progrès technologiques. Même s’il est judicieux de soutenir financièrement les projets ayant une incidence sur les émissions de gaz à effet de serre de la province, cette règle oublie un facteur essentiel qui a contribué au succès de la norme jusqu’à présent : le recours à des solutions produites à moindres coûts ailleurs. Par exemple, 30 % des crédits de conformité générés en 2019 dans le cadre de la norme l’ont été grâce à l’importation de diesel renouvelable de pays comme Singapour ou les Pays-Bas.
La Colombie-Britannique présente un avantage en matière de captation atmosphérique directe et de piégeage du carbone, car elle abrite une entreprise pionnière dans cette nouvelle technologie. Néanmoins, pour assurer le succès de cette technologie, il faudra accélérer son déploiement à grande échelle. Or, en se limitant aux projets situés dans la province, on risque de rater des occasions d’accélérer son déploiement et de réduire les coûts. Des provinces comme l’Alberta ou la Saskatchewan ont une solide expertise en matière de piégeage du carbone et des possibilités de stockage du carbone bien plus importantes que la Colombie-Britannique. La province pourrait envisager d’adopter une approche semblable à celle de la Californie et étendre son soutien à des projets de captation atmosphérique directe menés au-delà de ses frontières. Pour éviter de comptabiliser en double les réductions d’émissions, elle devrait également envisager d’adopter des lignes directrices qui préciseraient comment revendiquer et déclarer les émissions négatives captées en dehors de la province.
Essor des carburants propres
La norme sur les carburants à faible teneur en carbone de la Colombie-Britannique a largement contribué à réduire les émissions du secteur des transports de la province, en plus de servir de modèle stratégique au Canada et à l’étranger. Grâce à son statut de pionnière, la province a maintenant la possibilité de passer à la vitesse supérieure, en mettant en œuvre des solutions pour les secteurs difficiles à décarboner, comme celui de l’aviation, et en exportant des technologies à émissions négatives.
Exploiter pleinement ces solutions dans le cadre de la prochaine réforme réglementaire constitue un véritable défi, que les idées qui précèdent pourraient permettre de relever, à condition que la province s’en donne les moyens.