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S’il veut atteindre ses cibles climatiques pour 2030 et percer les marchés des technologies vertes, le Canada doit utiliser davantage d’énergie propre. Le projet de Norme sur les combustibles propres pourrait l’y aider; voici comment.

La Norme sur les combustibles propres (NCP) que propose le gouvernement fédéral a pour unique but de décourager l’utilisation de combustibles fossiles en faveur de l’énergie propre en exigeant que les fournisseurs de combustibles (essence, diesel, gaz naturel) réduisent l’intensité carbonique de leurs produits pendant tout leur cycle de vie.

Le Canada veut atteindre ses cibles climatiques pour 2030 et la carboneutralité en 2050 : il ne pourra y arriver sans davantage d’énergie propre et des politiques économiquement efficaces. Pourtant, certains s’opposent fermement à la réglementation, allant jusqu’à mener une campagne pour l’assouplir, voire la freiner.

Voyons un peu, en nous basant sur des données probantes, de quelle façon la NCP réduirait les émissions et quelles seraient son incidence sur les coûts ou l’abordabilité de différents types de combustibles et ses répercussions possibles sur la compétitivité. Nous traiterons ailleurs des autres préoccupations relatives à la NCP, comme son chevauchement possible avec d’autres politiques climatiques.

Comment fonctionne la NCP?

La NCP viserait les fournisseurs canadiens de combustibles fossiles (comme l’essence et le diesel), par exemple Suncor Énergie et L’Impériale. Ces « parties réglementées » devraient réduire l’intensité des émissions de gaz à effet de serre (GES) de leurs produits pendant tout leur cycle de vie (voir l’explication complète et la réglementation proposée), l’objectif de la réglementation étant de réduire les émissions annuelles totales de GES de 30 millions de tonnes (Mt) d’équivalent dioxyde de carbone (éq. CO2) d’ici 2030. Les fournisseurs de combustibles pourraient se conformer à la norme en adoptant de l’énergie propre comme les biocarburants, l’électricité ou l’hydrogène, ou en modifiant considérablement leur infrastructure liée aux combustibles fossiles, par exemple en y intégrant le captage et le stockage de carbone ou en achetant des crédits d’autres organisations. Par exemple, une partie réglementée pourrait acheter des crédits d’une entreprise de recharge de véhicules électriques ou installer ses propres bornes de recharge de véhicules électriques, comme le fait Petro-Canada.

Pour ce qui est de l’essence et du diesel, la réglementation devrait entrer en vigueur en 2022 et viserait des réductions d’intensité de 10 à 12 % d’ici 2030 selon le combustible, ce qui se traduirait par une réduction de 23 Mt d’éq. CO2 par année à compter de 2030. La réglementation concernant les combustibles gazeux et solides devrait suivre en 2023. Environnement et Changement climatique Canada n’a pas publié de cibles d’intensité pour ceux-ci, mais pour atteindre la réduction restante de 7 Mt d’éq. CO2, il faudrait réduire l’intensité GES des combustibles gazeux de 2,5 % (selon la consommation actuelle de gaz naturel).

Et les coûts?

En vertu de la NCP, les fournisseurs de combustibles ne paieraient que pour atteindre les cibles de réduction d’émissions, comme l’illustre la partie bleue du graphique ci-dessus. La NCP n’impose pas de frais ou de coûts pour les autres émissions (partie orange).

Figures 1 et 2 : Partie des émissions sur tout le cycle de vie à laquelle s’appliquent des coûts en vertu du projet de Norme sur les combustibles propres 

En se basant sur le prix des crédits établi par des réglementations similaires, on peut estimer les coûts que la NCP imposerait aux fournisseurs pour chaque tonne d’émissions à réduire. Par exemple, en août 2020, la norme californienne sur le carburant à faible teneur en carbone fixait en moyenne le prix des crédits à 260 $ CA par tonne. Quant à la Colombie-Britannique, qui a une norme similaire, elle les établissait en moyenne à 269 $ CA par tonne en 2019. Ces deux exemples concernent les combustibles liquides et non gazeux.

Certains observateurs ont immédiatement comparé le prix de ces crédits à ceux que les gouvernements provinciaux et fédéral imposent sur le carbone (par exemple, au fédéral, la tarification du carbone est de 50 $ par tonne). Toutefois, comme les fournisseurs de combustibles ne paient que pour une partie de leurs émissions totales, cette comparaison surestime les coûts de la NCP; le prix des crédits prévu dans celle-ci pour les combustibles fossiles est en fait beaucoup plus bas qu’une tarification du carbone équivalente. Par exemple, la NCP se traduirait par une augmentation mensuelle moyenne de 2,80 $ à 4,16 $ pour faire le plein d’essence d’une voiture en 2025, soit environ le prix d’un café et d’un beigne, mais réduirait les coûts pour ceux qui utilisent l’éthanol, le biodiesel et l’électricité ou l’hydrogène propres.

Un certain nombre d’études, en plus des observations faites en Californie et en Colombie-Britannique, donnent un aperçu de l’incidence de ces coûts sur les prix à la consommation (tableau 1).

Tableau 1 : Changements possibles dans les prix des combustibles

CombustibleChangements dans les prix en 2025Changements dans les prix en 2030
Essence ($/litre)0,017 à 0,0250,05 à 0,06
Diesel ($/litre)0,027 à 0,0330,066 à 0,068
Gaz naturel ($/GJ)0,11 à 0,60,23 à 0,8
Éthanol ($/litre)-0,22-0,21
Électricité sobre en carbone pour le transport ($/kWh)-0,20 à -0,31-0,19 à -0,31

N.B. : Les coûts proviennent de Navius Research Inc. (2017) et du Canadian Energy Research Institute (2019). Les valeurs de ce dernier ont été adaptées pour refléter une baisse de 12 % de l’intensité GES sur le cycle de vie des combustibles liquides et une baisse de 2,5 % de l’intensité GES sur le cycle de vie des combustibles gazeux. Les coûts tirés de la norme californienne ont été pris en compte dans les changements pour 2030. Les économies estimées proviennent du Alternative Fuels Council (2020) et sont calculées d’après un prix des crédits de 200 $ par tonne.

Fait à noter, les coûts des combustibles fossiles comme l’essence, le diesel et le gaz naturel devraient augmenter, tandis que ceux des énergies propres comme les biocarburants ainsi que l’électricité et l’hydrogène sobres en carbone devraient diminuer. En fait, les énergies propres seraient subventionnées en vertu de la NCP, ce qui stimulerait grandement la demande en technologies propres. En Colombie-Britannique, par exemple, un autobus urbain électrique à batterie chargé à l’électricité propre pourrait représenter un crédit annuel de 20 000 $ (d’après un prix des crédits de 200 $ par tonne). Ces crédits rendent les investissements du genre plutôt avantageux.

Et qu’en est-il de la compétitivité des industries canadiennes?

La hausse des coûts découlant de la NCP pourrait nuire à la compétitivité des fournisseurs de combustibles fossiles canadiens si leurs produits devenaient ainsi plus chers que ceux des autres pays. Il en va de même pour les autres industries exportatrices qui utilisent les combustibles fossiles comme principaux intrants, comme celles des produits chimiques ou de la production de ciment.

Dans les faits, la NCP n’aurait pas d’incidence sur la compétitivité des fournisseurs de combustibles fossiles puisque les exportations n’ont pas à respecter la norme, mais les importations, oui. Quoi qu’il en soit, comme pour la tarification du carbone, l’augmentation des prix des combustibles fossiles pourrait avoir des répercussions sur la compétitivité d’une fraction seulement de l’économie canadienne. La NCP est conçue pour réduire au minimum toute répercussion éventuelle : elle limite les coûts à une partie des émissions et offre la possibilité d’atteindre la conformité par l’échange de crédits, ce qui fait en sorte que les coûts demeurent faibles. De plus, les coûts des combustibles ne s’appliquent qu’à une partie des intrants des industries.

Pour prouver que la NCP a des répercussions sur leur compétitivité, les entreprises devront d’abord démontrer qu’elles ne peuvent atténuer ces augmentations de coûts au cours des dix prochaines années par des investissements plus avantageux, par exemple en matière d’efficacité énergétique, ou par la modification de leurs procédés. Elles devront également montrer que les coûts supplémentaires suffisent à les rendre non concurrentielles par rapport aux entreprises étrangères.

Il ne faut pas non plus oublier l’envers de la médaille : le Canada cherche à attirer des investissements dans les combustibles propres, qu’il s’agisse de l’augmentation de la production de biocarburants ou d’hydrogène propre ou de l’accroissement du pourcentage de véhicules électriques sur ses routes. La NCP favoriserait de tels investissements, comme le démontrent déjà des normes similaires au Canada et aux États-Unis. Aux États-Unis, plusieurs raffineries se convertissent à la production de biocarburants. L’entreprise canadienne Carbon Engineering construit sa première installation commerciale de captage et de stockage de carbone. En Colombie-Britannique, Parkland Fuel Corporation adapte sa raffinerie pour qu’elle puisse aussi traiter la biomasse.

Et alors?

Le Canada doit éliminer progressivement sa dépendance aux combustibles fossiles s’il veut atteindre son objectif de carboneutralité en 2050, et la NCP favorisera ce changement. Même s’il faut prendre au sérieux les préoccupations de l’industrie quant à la compétitivité, la conception et la flexibilité inhérente de la NCP en font une manière économique de réduire les émissions et d’élargir le marché de l’énergie propre.

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