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Hydrogène : retour vers le futur

Contribution potentielle du n o  1 du tableau périodique à l’avenir énergétique du Canada.

Après avoir fait l’objet d’un certain désaveu, l’hydrogène suscite de nouveau l’optimisme. Les entreprises du secteur voient leurs actions prendre de la valeur, les fabricants de camions investissent, le coût des piles à combustible a chuté de 60 % depuis 2006, et les experts de l’énergie se prononcent en sa faveur (par exemple ici et ici). Le contexte a également changé. Plus de 77 pays, dont le Canada, se sont engagés à atteindre la carboneutralité : pour être crédible, tout plan visant cet objectif doit donc tenir compte de l’ensemble des options.

Mais qu’est-ce que le carburant hydrogène au juste? Comment le produit-on? Comment peut-il contribuer à une réduction drastique des émissions au Canada? Qu’est-ce que cela signifie pour les décideurs? Le présent billet donne des réponses, mais soulève aussi quelques questions.

Hydrogène 101 

On dit que l’hydrogène est un « porteur d’énergie », c’est-à-dire qu’il permet d’emmagasiner l’énergie pour la transporter de son lieu de production à son lieu de consommation. Il peut servir à chauffer bâtiments et industries, à fabriquer des piles à combustible, à stocker des énergies renouvelables intermittentes – par exemple l’énergie solaire, qui n’est produite que lorsque le soleil brille – et à fabriquer des produits comme l’essence, les fertilisants ou les biocarburants.

Comment produit-on l’hydrogène? 

Il y a plusieurs façons de produire l’hydrogène, et le mode choisi influence beaucoup le potentiel de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES).

Actuellement, on produit surtout l’hydrogène à partir de combustibles fossiles comme le gaz naturel, et ce, sans captage, utilisation et stockage du carbone (CUSC); l’hydrogène ainsi produit est souvent appelé « hydrogène gris ». Cette méthode, qui produit une quantité de GES assez importante, n’est pas une voie idéale pour réduire les émissions.

Il existe plusieurs modes de production d’hydrogène sobres en carbone : utilisation de combustibles fossiles avec CUSC (hydrogène « bleu »), extraction à partir de gisements de pétrole (comme le planifie Proton Technologies en Saskatchewan) ou électrolyse alimentée par des énergies renouvelables (hydrogène « vert ») ou par le nucléaire. Mais comme il est impossible de capter la totalité du carbone, la production d’hydrogène à partir de combustibles fossiles produit tout de même des GES.

(Figure 1 : Intensité des GES pour les différentes options de production d’hydrogène (Source : AIE et Innovation Energy Laboratories).)

À quoi sert l’hydrogène?

L’hydrogène sert à beaucoup de choses. On peut l’utiliser pour produire de la chaleur ou de l’électricité (par électrolyse), comme matière première dans des procédés industriels ou pour stocker l’énergie, ou alors l’exporter.

  • Procédés industriels : L’hydrogène est déjà utilisé dans certains procédés industriels, comme ceux du secteur pétrochimique; une production plus sobre en carbone réduirait les émissions de ce secteur. Le projet Shell’s Quest, en Alberta, permet déjà des réductions moyennes d’une mégatonne d’équivalent CO2 par année en produisant un hydrogène plus propre pour la valorisation du bitume.
  • Transports : L’hydrogène peut alimenter les voitures, les camions, les trains et de nombreux autres véhicules grâce aux piles à combustible. Au Canada, Emissions Reduction Alberta finance un projet de démonstration d’un camion de marchandises de 15 millions de dollars, et Ballard fabrique des piles à hydrogène destinées à des trains en Allemagne et dans d’autres marchés. 
  • Chauffage résidentiel et commercial : On peut également injecter directement l’hydrogène dans le réseau de gaz naturel afin de réduire les émissions des bâtiments chauffés au gaz naturel. Enbridge, par exemple, utilise déjà ses excédents d’électricité pour produire de l’hydrogène; celui-ci est injecté dans le réseau de gaz naturel ou stocké pour être converti plus tard en électricité.
  • Exportation : L’hydrogène peut également être exporté, ce qui réduit encore davantage les émissions à l’échelle mondiale. L’Ouest du Canada pourrait jouir d’un avantage comparatif dans la production d’hydrogène sobre en carbone qui réponde à la demande croissante à l’échelle internationale. Le Japon, par exemple, cherche à augmenter ses importations d’hydrogène pour mieux atteindre ses cibles climatiques.
  • Stockage d’énergie : L’hydrogène peut également faciliter l’utilisation d’autres technologies sobres en carbone, comme celles des énergies renouvelables. L’énergie éolienne, l’énergie solaire et la production hydroélectrique au fil de l’eau sont des énergies intermittentes. Comme l’hydrogène offre une capacité unique de stockage à grande échelle et à long terme, il représente une solution concurrentielle pour le stockage à long terme, selon l’AIE.
  • Utilisation industrielle : Partout au Canada, les industries ont besoin d’énergie – provenant principalement de combustibles fossiles – pour produire pétrole, gaz, acier et ciment, à partir desquels ils fabriquent divers produits. Les solutions de chauffage industriel sobre en carbone se sont avérées difficiles à développer et à mettre en place, mais l’hydrogène pourrait combler cette lacune en remplaçant le gaz naturel et le charbon. Ovako, fabricant d’acier européen, expérimente le remplacement de gaz naturel par l’hydrogène à son aciérie d’Hofors.

Quels sont les obstacles à l’utilisation de l’hydrogène? 

Mais si l’hydrogène est si formidable, pourquoi ne l’utilise-t-on pas déjà? Principalement en raison des coûts et des infrastructures nécessaires.

  1. Coûts

Le principal obstacle réside dans les coûts de production et de distribution, et dans certains cas (comme les transports), des technologies d’utilisation de l’hydrogène. À court terme, l’hydrogène sobre en carbone semble particulièrement concurrentiel lorsqu’il fait partie d’un procédé industriel (comme matière première), puisque dans de nombreux cas, il peut être produit sur place, comporte peu de solutions de rechange et est susceptible d’être accompagné de CUSC, lorsque le stockage est possible (figure 2).

(Figure 2 : Fourchette des coûts de l’hydrogène industriel avec et sans CSC)

Dans le secteur des transports, c’est le transport de marchandises qui semble le plus propice à l’utilisation de l’hydrogène. Même si ce n’est pas encore un marché concurrentiel, la réduction des coûts pourrait en faire la voie la plus économique vers un transport de marchandises sobre en carbone (figures 3 et 4).

(Figure 3 : Fourchette présente et future des coûts du cycle de vie des véhicules de tourisme en fonction de diverses technologies à faible émission de carbone.)

(Figure 4 : Fourchette présente et future des coûts du cycle de vie des camions de marchandises en fonction de diverses technologies à faible émission de carbone.)

Pour le chauffage des maisons et des industries, l’hydrogène reste une solution coûteuse au Canada. Malgré une réduction importante des coûts, il reste quatre fois plus cher que le gaz naturel et les thermopompes (alimentées par des sources d’électricité propres) pour chauffer l’air et l’eau (figure 5).

(Figure 5 : Fourchette des coûts du chauffage domestique, commercial et industriel selon différent types de technologies.)

(Sources de tous les graphiques : The Future of Hydrogen de l’Agence internationale de l’énergie (2019); coûts des GNR tirés de la Feuille de route technologique sur le gaz naturel renouvelable (GNR) de l’Association canadienne du gaz (2014).)

Dans tous les cas, les motifs d’optimisme ne manquent pas. La production et l’utilisation d’hydrogène profiteront de la diminution constante des prix de l’énergie éolienne, de l’énergie solaire et des batteries au lithium, puisque l’hydrogène peut être produit à partir d’énergie solaire ou éolienne et que les véhicules à piles à combustible ont besoin de batteries. Tout comme l’éolien, le solaire et les batteries, les technologies de production d’hydrogène et de piles à combustible sont sur le point de connaître des réductions de prix importantes grâce aux économies d’échelle et à l’expérience acquise. L’un dans l’autre, l’AIE estime que le coût des piles à combustible pourrait diminuer de 75 %, et celui de l’hydrogène (y compris la production et la distribution), de 45 %. 

  1. Infrastructures

De nos jours, la plus grande partie de l’hydrogène est produite et utilisée sur place, par exemple dans des usines pétrochimiques, ou transportée par camion, mais ni l’une ni l’autre de ces solutions ne suffit à une utilisation de l’hydrogène à grande échelle. Le transport de l’hydrogène par gazoduc, qu’il soit mélangé au gaz naturel ou dans une canalisation réservée, est non seulement possible, mais déjà réalisé au Canada. Cependant, la proportion d’hydrogène dans les réseaux de gaz naturel se limite dans les faits à 17 à 25 % (en volume) dans les réseaux de distribution locaux, et à 5 % (en volume) dans les gazoducs. Même pour les gazoducs compatibles, certaines utilisations finales – turbines au gaz naturel, compresseurs, réservoirs de stockage et certains équipements de surveillance – sont actuellement incompatibles avec une proportion de plus de 1 % (en volume). Cependant, il n’est pas nécessaire d’adapter simultanément l’ensemble du réseau de gaz naturel et des utilisations finales; les services publics de gaz naturel peuvent isoler les portions de leur réseau conçues pour être compatibles avec des proportions d’hydrogène plus élevées.

Élémentaire

L’hydrogène reçoit, à bon droit, une attention renouvelée comme solution de réduction des émissions. Les coûts ont diminué, la recherche de solutions sobres en carbone s’est intensifiée et l’avenir de l’hydrogène semble plein de promesses. Les obstacles restent cependant bien réels, et l’adoption à grande échelle reste encore à concrétiser.

À court terme, le CUSC peut réduire les émissions de GES de l’hydrogène utilisé comme matière première dans les installations industrielles disposant de solutions de stockage local, comme les exploitations pétrolières et gazières de l’Alberta. Pour que l’hydrogène devienne plus courant, les coûts doivent encore diminuer, les producteurs doivent avoir accès aux gazoducs et la production doit s’accompagner de technologies de CUSC très efficaces (hydrogène bleu) ou se faire par électrolyse alimentée par une énergie renouvelable ou par le nucléaire.

Les obstacles ne seront pas faciles à surmonter, et cela soulève de grandes questions : quelles politiques permettraient de les aplanir? à quel point les avantages compensent-ils les coûts? quel rôle l’hydrogène bleu peut-il jouer dans l’atteinte de la cible de carboneutralité du Canada?

Le Canada devra répondre à ces questions sans tarder pour orienter ses plans de relance post-pandémie, concrétiser ses ambitions en matière de carboneutralité et se positionner dans une industrie mondiale en pleine émergence.

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