L’idée que la préparation aux changements climatiques passe uniquement par les grands projets d’infrastructure, comme la construction de digues, est malheureusement trop répandue. Les solutions d’ingénierie à elles seules ne suffiront pas. Pour augmenter la résilience climatique d’un bout à l’autre du pays, l’amélioration des infrastructures doit s’accompagner d’investissements dans les communautés, le logement et la santé. La bonne nouvelle, c’est que ces investissements peuvent s’avérer fort profitables pour nos collectivités – et pas seulement quand il y a le feu sur la rue principale.
Les risques climatiques influencés par les facteurs économiques et sociaux
Je vais vous donner un exemple très concret. Ces deux dernières années, j’ai vécu à Whitehorse, au Yukon. Je travaillais sur la préparation aux situations d’urgence et participais à des mesures de secours, à titre d’analyste de politiques et de bénévole respectivement. Dans ces deux rôles, j’ai appris que les feux de forêt sont des incidents climatiques à faibles probabilités, mais dont les conséquences sont graves et préoccupent bien des familles de Whitehorse.
Exemple notable, un incendie se déclarant au sud de la ville pourrait remonter la vallée fluviale pour frapper de plein fouet la capitale de 25 000 habitants. Tel était le scénario de l’exercice annuel de l’opération Nanook l’été dernier. Dans le pire des cas, une grande route d’accès du Yukon serait entravée par les flammes, l’aéroport de Whitehorse suspendrait ses activités en raison de la fumée, et un bouchon de circulation sur la seule voie de sortie restante ralentirait dangereusement l’évacuation.
Si tous les résidents de Whitehorse sont vulnérables, d’une façon ou d’une autre, dans ce scénario effrayant, les risques varient selon la situation. Les habitations situées à l’extérieur de la ville, à l’ombre de la dense forêt boréale, sont les plus susceptibles d’être la proie directe des flammes. Les personnes qui n’ont pas de voiture, qui ont un horaire de travail non flexible ou qui sont nouvellement arrivées au Yukon pourraient prendre plus de temps que les autres à réagir ou ne pas être en mesure d’évacuer rapidement les lieux. Celles qui ont des problèmes de santé chroniques seraient les plus sensibles à la fumée. Et celles qui n’ont pas de domicile fixe seraient en grave danger si les autorités donnaient l’ordre de se mettre à l’abri sur place.
Après le passage du brasier, les personnes qui ne disposent pas d’un bon réseau social et familial dans le territoire pourraient peiner à obtenir le soutien moral et physique dont elles ont besoin. Et quand le long et pénible processus de rétablissement débuterait, les familles n’ayant pas d’économies substantielles risqueraient d’être éprouvées en attendant leurs prestations d’assurance. Pour les autres, les primes d’assurance pourraient s’élever au point où ils n’auraient plus les moyens de vivre dans leur maison de toujours.
La résilience des collectivités à promouvoir
Une collectivité aura du mal à devenir résiliente aux changements climatiques de demain si tous ses membres ne sont pas prospères aujourd’hui. La difficulté ne consiste pas seulement à réduire l’exposition aux dangers, mais aussi à faire en sorte que tous les ménages – en particulier les plus vulnérables – puissent supporter le stress qui vient avec les bouleversements climatiques.
En fait, tout indique que de nombreuses adaptations sociales offrent un meilleur rendement du capital investi que la construction d’infrastructures. Dans un rapport récent, la Commission mondiale sur l’adaptation soulignait que les systèmes d’alerte précoce, la préservation des services écosystémiques et l’adaptation des pratiques agricoles peuvent rapporter jusqu’à 8 $ par dollar investi.
Le gouvernement du Yukon a d’ailleurs fait appel à bon nombre de ces solutions financièrement avantageuses dans la stratégie sur les changements climatiques qu’il a récemment publiée. Outre le renforcement des initiatives Préventifeu et le placement sélectif de coupe-feux, le territoire recommande l’ajout de stations météorologiques qui aideront aux prévisions et aux avertissements précoces. Il propose aussi des réformes en matière d’assurance qui pourraient alléger à court terme les coûts pour les propriétaires d’habitation et mieux protéger les titulaires de police en cas de sinistre. Les investissements en services de santé, allant de la télémédecine à la surveillance médicale, peuvent également contribuer au bien-être des Yukonais, que leur région soit balayée par les flammes ou non.
Entre autres politiques d’adaptation climatique qui génèrent, déjà aujourd’hui, de doubles retombées dans les collectivités, mentionnons :
- la densification urbaine et les changements d’affectation des terres qui rendent le logement plus abordable, réduisent les émissions de gaz à effet de serre et limitent le développement dans les zones à risque;
- les lois qui restreignent la capacité des assureurs de résilier trop subitement les polices et limitent les hausses de prime post-catastrophe;
- les politiques favorisant la diversification économique et la stabilité professionnelle, qui peuvent prémunir les collectivités contre les conséquences économiques d’une catastrophe et les aider à prospérer.
Des bienfaits multiples
Il est facile de tomber dans le piège en ne s’intéressant qu’aux coûts d’une politique. Mais il est tout aussi important de considérer l’ensemble des avantages qui en découlent. L’adaptation sociale peut accroître la résilience des collectivités et stimuler l’activité économique locale, par exemple en réduisant l’itinérance et l’insécurité alimentaire et en favorisant la santé des écosystèmes. Voilà une solution économique qui mérite notre attention, et pour plus d’une raison.
Crédit photo : Jay Hsu