Non, le Canada ne peut pas s’attribuer des crédits pour ses exportations sobres en carbone

Ce n’est pas comme ça que le système mondial de comptabilisation des gaz à effet de serre fonctionne. Il faut continuer à réduire nos propres émissions.

Cet article est paru pour la première fois dans Options politiques en juin 2019, et est encore d’actualité plus de quatre ans plus tard.

Le gouvernement fédéral a récemment annoncé son intention d’obtenir des crédits pour les réductions des émissions de GES induites par les exportations nationales pour l’aider à atteindre ses cibles climatiques. Il soutient que l’énergie propre comme le gaz naturel liquéfié (GNL) vendue à l’étranger peut réduire les émissions d’autres pays lorsqu’elle se supplée à des sources d’énergie polluantes comme le charbon. Le ministre des Ressources naturelles Amarjeet Sohi a laissé entendre qu’une disposition de l’article 6 de l’Accord de Paris autoriserait le Canada à utiliser ces réductions pour atteindre ses propres objectifs de réduction des GES.

Si les exportations de produits et services sobres en carbone du Canada contribuent à la réduction des émissions mondiales, l’article 6 n’offre pas la possibilité d’en tirer des crédits supplémentaires. Dans tous les cas, l’exportation de produits sobres en carbone ne nous exempte pas de réduire nos propres émissions.

Pourquoi ne peut-on pas obtenir ces crédits

Si les pays ne peuvent obtenir des crédits pour des exportations sobres en carbone et les intégrer à leurs cibles de réduction, c’est que le système mondial de comptabilisation des GES ne le permet pas. En effet, le système adopté par les 197 parties de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) couvre les inventaires de GES « territoriaux », qui ne comptent que les émissions générées à l’intérieur des frontières géographiques d’un pays.

Prenons l’exemple suivant. Quand le Canada produit du GNL, les émissions liées à sa production (forage, extraction, mise à l’air, torchage, transport, fuite et liquéfaction) sont comptabilisées dans l’inventaire national des GES. Une fois le GNL exporté, les émissions liées à son utilisation (combustion) sont comptabilisées dans l’inventaire du pays importateur. Si la consommation de GNL de ce dernier entraîne une réduction des émissions induite par le remplacement d’une autre source d’énergie (par exemple, lorsque le GNL remplace le charbon), les fruits de cette réduction sont récoltés par le pays importateur, car la différence concerne son inventaire, et non celui du Canada.

Une nouvelle façon d’obtenir des crédits?

La disposition de l’Accord de Paris que le ministre Amarjeet Sohi et quelques commentateurs ont récemment envisagée comme moyen d’obtenir des crédits pour les exportations sobres en carbone du Canada porte sur les résultats d’atténuation transférés au niveau international (RATI). Les RATI sont des démarches concertées et volontaires qui pourraient permettre à un pays de tirer des crédits pour l’atténuation (la réduction) des émissions dans un autre pays. On en peaufine encore les détails.

Ils ont le potentiel de faire naître des projets d’atténuation des GES qui n’auraient peut-être pas eu lieu autrement, faute de capacité ou de financement, notamment. Ils pourraient aussi donner lieu à davantage de possibilités d’atténuation des GES économiques que si les pays se concentraient uniquement sur leurs propres émissions. Les résultats sont transférés sur une base volontaire (les deux pays doivent se mettre d’accord) et leur taille – mesurée en tonnes de GES – est négociée. D’ailleurs, pour éviter un « double comptage », les RATI prévoient que deux pays ne peuvent pas déclarer de crédits pour la même réduction de GES.

Par exemple, un pays pourrait vouloir en aider un autre à construire des éoliennes plutôt que des centrales au charbon, en échange de RATI. Ce soutien pourrait prendre la forme de capacité de construction, de transfert de technologie, de financement, de subvention ou d’une combinaison de tout cela. Il est attendu que les deux pays négocient la taille des RATI. Le pays hôte autoriserait le transfert des réductions d’émissions induites par le projet au pays partenaire, qui en tirerait des crédits.

Les RATI ne sont probablement pas la solution

En pratique, il est toutefois peu probable que de telles ententes s’appliquent aux exportations canadiennes.

La vente de GNL, pour reprendre l’exemple précédent, est une transaction commerciale. Lorsqu’une entreprise ou un service public dans un autre pays achète du GNL canadien, c’est qu’il veut une énergie moins chère ou à plus faible intensité de GES (ou les deux). Du côté des exportateurs, les entreprises canadiennes vendent du GNL pour faire des profits. Si la vente génère une réduction nette des émissions (ce qui n’est pas toujours le cas), cette réduction revient au pays hôte.

Si le gouvernement du Canada veut transformer une vente de GNL en RATI, il doit négocier avec le gouvernement du pays importateur. Mais le hic, c’est qu’on ne sait pas très bien ce que le Canada aurait à offrir dans une telle négociation. Le Canada demanderait un bénéfice (des crédits pour atteindre ses objectifs climatiques) en échange d’un produit que l’entreprise étrangère paie déjà au prix courant.

Les pays connaissent la valeur des réductions d’émissions. Ils ne laisseront pas les autres leur prendre leurs crédits pour rien. Si le GNL canadien est vendu à prix réduit, ou s’accompagne d’une subvention ou de soutien à la capacité de construction, le pays importateur pourrait être tenté de négocier des RATI. Toutefois, il est peu probable qu’il s’y prête pour une simple transaction commerciale.

Pour que le Canada puisse bénéficier d’une telle entente, il faudrait que les RATI ne soient plus transférés sur une base volontaire – l’attribution des crédits se ferait automatiquement pour les exportations – ou que les règles de comptabilisation changent.

Pourrait-on changer les règles?

On travaille actuellement à définir les RATI; le Canada pourrait donc essayer de prévoir une intégration systématique des crédits pour les exportations sobres en carbone. Sinon, il pourrait réviser plus largement les méthodologies d’inventaire des GES pour élargir l’obtention de crédits. Mais ces propositions sont plus théoriques que réalistes. [Ajouté en 2022 : Par ailleurs, les dispositions de l’article 6 ont été approuvées à la COP26 de Glasgow l’an dernier. Par conséquent, les changements mentionnés ici nécessiteraient de revoir les conventions pour l’inventaire des GES et les dispositions de l’article 6, ce qui rend ces changements encore plus improbables.]

Il peut être tentant de vouloir changer les règles, mais cela ne mènerait probablement nulle part. D’abord, il faut prévoir une forte résistance des autres pays de la CCNUCC, parce qu’une refonte ferait complètement dérailler les progrès sur les RATI. Les démarches pour changer les méthodologies d’inventaire mettraient un terme au consensus mondial durement acquis sur le fonctionnement des inventaires de GES. D’une façon ou d’une autre, il y a fort à parier que les autres pays refuseraient une telle proposition.

Ensuite, même si le Canada réussissait à gagner l’appui des autres pays, rien ne dit que les changements seraient dans son intérêt. Un système qui intégrerait les effets des exportations dans la comptabilisation des GES devrait tenir compte des effets de toutes les exportations. Il faudrait donc accorder des crédits pour les exportations sobres en carbone et en retrancher pour les exportations à fortes émissions du pays (p. ex., les produits des sables bitumineux). En considérant ces dernières, ce n’est pas certain que le Canada en sortirait gagnant.

Enfin, ces changements représenteraient une volte-face par rapport à l’approche territoriale des inventaires en place. Afin d’éviter le double comptage, les inventaires seraient modifiés en fonction des effets des importations comme des exportations du pays sur les émissions de GES. La méthodologie de l’approche qui en découlerait ressemblerait à celle de l’inventaire du point de vue de la consommation, laquelle attribue les émissions en fonction de l’endroit où les produits ou les services sont consommés, peu importe où les émissions sont réellement générées dans l’atmosphère. Si les indicateurs de consommation ont leur utilité, l’inventaire du point de vue de la consommation s’avère toutefois peu pratique et partage de nombreux défis avec le système actuel. Ce n’est pas la solution viable qu’il y paraît.

Pas de solution miracle

La présente analyse n’indique pas que le Canada devrait ignorer le potentiel de réduction des émissions mondiales de ses exportations sobres en carbone. En fait, il est essentiel que le Canada voie plus loin que son inventaire de GES. Les émissions mondiales comptent aussi; nous devrions donc chercher à accroître les exportations sobres en carbone, tant pour les retombées économiques que pour les réductions des GES à l’échelle mondiale.

Mais essayer d’atteindre les cibles climatiques en déclarant des crédits pour les exportations sobres en carbone? C’est une autre histoire. C’est tout simplement impensable dans le système actuel, même avec les RATI. Et les autres systèmes sont irréalistes.

Cependant, il y a un élément encore plus important à retenir. Même si les RATI et les exportations sobres en carbone peuvent contribuer à réduire les émissions mondiales, ce n’est pas une excuse pour ne pas se doter de politiques climatiques plus solides. En fait, l’article 6 stipule clairement que les RATI devraient servir à placer la barre plus haut – à favoriser de plus grands efforts de réduction des émissions. Pour contribuer de manière substantielle à l’atténuation des GES mondiaux, le Canada doit non seulement se tourner vers les autres, mais aussi se pencher sur ses propres émissions.

Les exportations sobres en carbone du Canada ont un rôle à jouer. Mais elles ne sont pas un échappatoire.

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