Accélérer la construction d’installations d’énergie propre au Canada : Un cadre pour la simplification des processus d’octroi de permis

Les systèmes électriques du Canada ont besoin d’un cadre commun et d’une procédure d’autorisation accélérée pour parvenir à une production d’électricité nette zéro d’ici à 2035.

Sommaire

C’est une transformation massive de son réseau électrique que le Canada devra opérer s’il veut carboneutraliser sa production d’électricité d’ici 2035 et son économie tout entière d’ici 2050. Selon les prévisions actuelles, il faudra pour cela ajouter plus de 10 gigawatts de nouvelle capacité à émission zéro au réseau, cette année et chaque année subséquente, sans exception, jusqu’en 2050.

Il va de soi que l’atteinte de ces cibles nécessite une accélération marquée des processus de délivrance des permis, de construction et d’intégration d’installations d’électricité propre (production, transport, distribution et stockage). Le présent document s’attarde à l’octroi de permis, proposant un cadre d’approbation « à deux voies » que pourraient adopter les différents ordres de gouvernement. La voie existante continuerait de s’appliquer aux installations qui sont de grande envergure, impliquent des technologies n’ayant pas encore fait leurs preuves ou touchent potentiellement un vaste territoire. À celle-ci s’ajouterait une nouvelle « voie rapide », pour les installations de taille modeste employant des technologies propres et éprouvées.

L’idée ici est donc d’esquisser le cadre réglementaire qui s’appliquerait à cette nouvelle voie, nommément en ce qui concerne les technologies admissibles, les emplacements et les échéanciers.

Les cinq ordres de gouvernement au Canada – les pouvoirs fédéraux, provinciaux, territoriaux, municipaux et autochtones – pourraient tous se doter de ce cadre d’accélération des approbations. À la lumière de ces constats, deux recommandations s’imposent. D’abord, celle que les autorités les plus proches de la réalité sur le terrain, à savoir les administrations municipales et autochtones, saisissent l’occasion de mener la charge. Ensuite, que le Canada comme les provinces et, potentiellement, les territoires travaillent ensemble à établir un cadre qui leur serait commun pour accélérer la délivrance de certains permis, notamment en convenant des technologies admissibles, des critères d’approbation de permis et des échéanciers. L’annexe B présente d’ailleurs un cadre préliminaire à la considération des gouvernements.

Introduction

Le réseau électrique canadien a besoin de changer en profondeur si l’on veut réaliser l’objectif d’une production carboneutre en 2035 et atteindre le point du zéro net dans les émissions de gaz à effet de serre de l’ensemble de l’économie d’ici 2050 (Kanduth et Dion, 2022; Lee et coll., 2022). Et ce n’est pas tout : il faudra aussi trouver comment accroître nos capacités de production, de stockage et de transport de l’électricité propre en limitant les répercussions locales.

Constructions nécessaires annuellement pour atteindre la cible d’émissions pour 2050

Selon une estimation crédible, il faudra ajouter au réseau plus de 10 gigawatts (10 000 mégawatts) de capacité de production d’électricité propre au Canada cette année et chaque année subséquente, sans exception, jusqu’en 2050 (Thomas et Green, 2022). En termes concrets, cela signifie que la production d’électricité au Canada doit se développer à un rythme possiblement six fois plus rapide que dans la dernière décennie (Lee et coll., 2022) – ce qui illustre bien tant l’ampleur du défi que l’urgence de la situation. Dans ce document, l’on s’intéressera principalement à l’accélération du processus d’octroi de permis pour les nouvelles installations de production, de transport, de distribution et de stockage d’électricité propre.

Mais outre la délivrance des permis, il se pose d’autres enjeux comme le déblocage rapide de financement pour que les travaux de construction commencent aussi tôt que possible une fois le feu vert obtenu ainsi que l’élimination des entraves à l’intégration des nouvelles installations au reste du réseau. Nous avons eu droit à d’excellents exemples d’autres nations, parmi elles l’Allemagne, qui ont employé des outils réglementaires innovants pour mobiliser les investissements du secteur privé dans d’immenses projets de construction dans les énergies propres. Particulièrement intéressant est l’exemple allemand de l’utilité des tarifs de rachat garantis pour accélérer la mise en œuvre de projets éoliens et solaires qui contribuent aux grands réseaux électriques (futurepolicy.org, 2023). En 2010, l’Ontario en a pris de la graine dans cette expérience internationale pour la mise en œuvre de ses réformes de la Loi sur l’énergie verte et de son programme de tarifs de rachat garantis, lequel visait essentiellement à établir des règles dans l’obtention de contrats à long terme d’approvisionnement en électricité. Ainsi, le demandeur qui respectait les règles obtenait du gouvernement un contrat pour acheter son énergie propre à un tarif préétabli pendant les vingt prochaines années. Ce contrat en main, il pouvait ensuite obtenir du financement privé afin de construire et d’exploiter de nouvelles installations de production d’énergie propre. L’encadré 1 ci-dessous résume cette vaste réforme.

Le financement public direct peut aussi stimuler la construction de nouvelles installations ainsi que la mobilisation de capitaux privés. Les politiques et instruments fédéraux comme la Banque de l’infrastructure du Canada, les nouveaux crédits d’impôt à l’investissement fédéraux et le Fonds de croissance du Canada nouvellement établi encouragent l’investissement privé dans les installations et les technologies d’énergie propre (Beck et coll., 2023). Certains de ces programmes fédéraux prévoient un soutien financier particulier pour les gouvernements autochtones qui réalisent des projets d’installations. À l’échelle provinciale, il existe entre autres le Programme des garanties d’emprunt pour les Autochtones de l’Ontario et l’Alberta Indigenous Opportunities Corporation. Si les refontes proposées aux présentes visent principalement à réduire les contraintes qui freinent la délivrance de permis aux nouvelles installations, il faudra également réformer les processus de financement pour réaliser les objectifs de carboneutralité du Canada.

Étant donné tout ce qui devra être bâti de zéro, chaque mois de plus ou de moins que prendront les phases réglementaires et de construction compte.

Types d’installations requises

La transition du Canada vers les énergies propres passe par de profondes refontes des processus d’octroi de permis au cœur de notre réseau électrique – production, transport, distribution, stockage.

Le processus qu’il presse le plus d’accélérer est de loin celui pour la production d’électricité sans émissions. Mais c’est aussi le plus difficile.

L’accélération de la délivrance de permis pour les réseaux de transport énergétique sera aussi essentielle à la transition canadienne vers l’énergie propre, et l’amélioration du transport intraprovincial sera capitale pour desservir les régions éloignées et pour raccorder les sources d’énergie renouvelable aux foyers de la demande. Plus particulièrement, le fait de raccorder les communautés autochtones reculées au réseau électrique aura deux grands bienfaits : d’une part, permettre à celles-ci de se libérer du diesel au profit d’une électricité propre, et d’autre part, offrir un conduit par lequel amener l’énergie éolienne de grande valeur produite en région éloignée – ce qui sera non seulement bon pour les communautés environnantes, mais aussi pour l’ensemble du pays (Ressources naturelles Canada, 2023). Si l’instauration d’un réseau électrique interprovincial n’est pas strictement nécessaire pour l’atteinte des cibles nationales – le pays pourrait y arriver dans les temps sans nouvelles lignes de transport entre ses provinces –, elle constituerait néanmoins un avantage considérable, et un moyen économique de transporter l’électricité d’un océan à l’autre et de réaliser des synergies (Dolter et Rivers, 2018).

L’accélération de la délivrance de permis pour les réseaux de transport énergétique sera aussi essentielle à la transition canadienne vers l’énergie propre

Et pour favoriser la production d’énergie carboneutre, il faudra accélérer l’octroi de permis pour la construction d’installations de stockage. C’est que la production éolienne et solaire journalière est à la merci des forces de la nature, et la fenêtre pourrait ne pas se synchroniser avec celle des besoins énergétiques de la population. Pour éviter que l’électricité produite en dehors des heures de pointe se perde, il faut des installations qui peuvent la stocker. Or, le stockage d’énergie est désormais une avenue viable, en particulier grâce aux batteries à courte durée aux ions lithium (Lee et coll., 2022), et avec le temps, les technologies viables devraient foisonner.

Lois et politiques en place régissant l’octroi de permis aux nouvelles installations d’énergie propre

Au Canada, tous les ordres de gouvernement ont des lois qui encadrent l’octroi de permis pour de nouvelles installations de production, de transport, de distribution et de stockage d’électricité (voir annexe C). La Loi sur l’évaluation d’impactfédérale régit le processus autour de certains projets majeurs (les « projets désignés ») ainsi qu’une vaste gamme de projets sur les territoires domaniaux. Certes, la Cour suprême du Canada a rendu une décision en octobre 2023 qui va probablement restreindre ce qui constitue des projets désignés et requiert une évaluation dans le cadre de la Loi (Langen et coll., 2023), mais elle a aussi fait droit à l’application de cette loi aux projets sur les territoires domaniaux (art. 81 à 91) et ne met probablement pas en péril son application aux projets désignés extracôtiers pour la production d’énergie propre (Renvoi relatif à la Loi sur l’évaluation d’impact, 2023 SCC 23). La législation fédérale englobe aussi des lois spécifiques à certains secteurs et un régime d’approbation en fonction de l’effet qui gouverne ou restreint la délivrance des permis.

Les gouvernements provinciaux, de leur côté, ont des lois qui régissent l’octroi de permis aux installations sur les terres privées et à certaines installations sur les terres publiques. Les gouvernements autochtones, eux, légifèrent sur toutes sortes de choses allant des grands accords généraux en matière des revendications territoriales, notamment dans le Nord du Canada, aux lois foncières prises en vertu de la Loi sur la gestion des terres des premières nations ou aux règlements d’application de la Loi sur les Indiens. Enfin, les municipalités régissent les permis à travers leur réglementation sur le zonage.

Le gros de cette législation a un champ d’application assez large, ce qui est voulu par la plupart des autorités afin d’appliquer aux projets de production énergétique le même cadre légal que pour les installations dans d’autres secteurs qui peuvent avoir des répercussions sur l’environnement. Ainsi, ces lois et règlements s’appliquent à une vaste gamme de conditions : installations majeures comme mineures, technologies nouvelles comme établies, effets vastes comme limités, zones touchées grandes comme petites, emplacements généraux comme vulnérables…

Beaucoup d’administrations travaillent aussi à faire respecter certains échéanciers dans les processus d’approbation. Le problème est que ces derniers ne couvrent qu’une partie, et non la totalité, de la réalité d’une installation. Aucun n’englobe tout le temps nécessaire pour mener un projet à travers les phrases de planification, d’obtention de permis et de construction jusqu’à la mise en service.

Au Canada, il se dégage des récentes réformes énergétiques de l’Ontario une corrélation entre le raccourcissement des échéanciers et l’innovation dans la délivrance des permis aux nouvelles installations et le financement de leur mise en service.

Encadré 1 : Le programme d’énergie verte de l’Ontario (2009-2014)
Dans les années 2010 à 2014, la province de l’Ontario a mis en place, dans le cadre de la Loi sur l’énergie verte de 2009, le plus grand programme de développement des énergies propres dans l’histoire du pays. Ce programme, qui illustre toute l’importance d’une approche intégrée dans ce développement énergétique, comportait trois grands volets :

– Un contrat de tarifs de rachat garantis sur 20 ans de l’Office de l’électricité de l’Ontario (OEO), utilisé comme garantie pour les investisseurs privés;

– L’autorisation des projets d’énergie renouvelable par le ministère de l’Environnement et de l’Action en matière de changement climatique, qui se voulait un processus d’approbation unique et consolidé pour les promoteurs;

– L’autorisation d’accès au réseau électrique de la part de la société d’exploitation du réseau ontarien, donnée aux promoteurs ayant besoin de se raccorder au réseau de transport et de distribution de la province.

La Loi sur l’énergie verte prévoyait également un financement provincial ainsi qu’un régime d’appels de propositions pour le développement du réseau de transport d’électricité de l’Ontario.

Cette loi montre à bien des égards les difficultés que pose la mise en œuvre d’une refonte majeure dans un vaste territoire. Le système de tarifs de rachat garantis engendrait des prix supérieurs au marché pour les installations éoliennes et solaires, ce qui lui a valu des critiques par la suite. De plus, le processus d’autorisation des projets d’énergie renouvelable aura demandé plus de temps que prévu parce que l’effort de regroupement des approbations par la province a déclenché une levée de boucliers chez les instances municipales et locales. Le processus d’autorisation d’accès au réseau électrique, lui, s’est vu compliqué par l’absence d’une capacité de transport adéquate dans de nombreuses régions, ce qui a retardé la construction et la mise en route des nouvelles installations. En outre, la réforme de la Loi sur l’énergie verte visant à exclure les municipalités des décisions d’octroi de permis a rendu certaines ruralités hostiles aux projets d’énergie propre, et a ultimement mené à l’abrogation en 2019 de cette loi par un gouvernement provincial subséquent. Malgré tout, celle-ci aura été un exemple précieux et fort instructif pour d’autres administrations.

Il ressort de cette expérience qu’il y a du jeu pour accélérer les processus pour l’approbation, la construction et l’exploitation de nouvelles installations qui emploient des technologies éprouvées, touchent une zone restreinte et auront des effets hors site limités.

Cadre proposé pour la refonte du système de permis

Il y aurait trois volets au nouveau cadre d’octroi de permis accéléré à certaines installations : la technologie, l’emplacement et l’échéancier.

Technologie

Une technologie qui convient à l’approbation rapide des permis présente cinq attributs :

  1. Elle est éprouvée et non expérimentale.
  2. Elle ne présente que peu de répercussions sur l’environnement hors site, et aucun effet sur la santé humaine.
  3. Ses répercussions environnementales hors site se restreignent à une zone manifestement limitée.
  4. Il est facile d’en faire l’acquisition pour la construction.
  5. La construction et le passage à l’exploitation ne prendront visiblement pas trop de temps.

En l’état des choses, les installations de production d’énergie éolienne et solaire sont toutes désignées pour l’approbation accélérée. Évidemment, les installations de transport et de distribution se prêtent elles aussi à un tel processus. Enfin, il y a des options de stockage viables, par exemple, les batteries à courte durée aux ions lithium (Lee et coll., 2022), et avec le temps – voire assez rapidement – d’autres technologies présenteront elles aussi ces cinq attributs.

Les installations de production d’énergie éolienne et solaire sont toutes désignées pour l’approbation accélérée. Évidemment, les installations de transport et de distribution se prêtent elles aussi à un tel processus

Efficacité éprouvée

Si les technologies carboneutres évoluent rapidement, il n’en demeure pas moins que celles qui sont éprouvées devraient être plus faciles à approuver que les expérimentales. À l’heure actuelle, aucun régime d’octroi de permis ne tient compte de cette distinction, mais toutes choses étant égales par ailleurs, l’éventail des effets d’une technologie inconnue comportera une plus grande part d’incertitude quant à l’éventail de ses effets, et nécessitera donc davantage d’études et d’examens par les autorités publiques et réglementaires, qu’une autre bien établie et éprouvée. Ainsi, les technologies privilégiées tendront à être de ce dernier type.

Répercussions environnementales manifestement limitées et absence d’effets pour la santé humaine

Pour pouvoir passer par la voie rapide, une technologie donnée doit, évidemment, servir à produire ou à transporter de l’électricité sans émettre de gaz à effets de serre. Mais il y a d’autres répercussions potentielles à considérer, comme les autres types de pollution, la dégradation des écosystèmes ou le coût de renonciation à certaines utilisations du territoire (p. ex. pour l’agriculture). La technologie considérée pour approbation accélérée doit ainsi ne pas avoir d’effets sérieusement néfastes sur la qualité de l’air, de l’eau ou des sols, ni sur la biodiversité.

Limitation géographique manifeste des répercussions environnementales hors site

Quand la technologie est bien comprise, il devient facile d’évaluer la zone des possibles effets hors site du projet (c’est-à-dire le périmètre dans lequel des effets peuvent se faire ressentir). Plus la zone est restreinte, moins il y aura de répercussions sur la population ou sur la faune. La technologie idéale n’aurait donc aucun effet hors site, ou alors seulement dans une zone bien limitée. Par exemple, l’absence de pollution sonore, ou du moins un bruit assez peu dérangeant, au-delà des limites de l’installation. Cette préférence contraste avec les technologies qui peuvent avoir des effets néfastes loin du site – par exemple, celles qui émettent des particules fines.

Notons que plus la zone dans laquelle peuvent se produire des effets hors site est petite, plus il y aura d’emplacements potentiels pouvant accueillir les installations.

Disponibilité pour la construction

Optimalement, il serait facile de se procurer ou de fabriquer la technologie visée. Tous les ordres de gouvernements sont sans conteste compétents pour évaluer le degré de disponibilité des technologies requises, mais tous (ou du moins, la grande majorité) gagneraient ici à se coordonner ainsi qu’à collaborer avec le secteur privé. Si certains aspects de l’approvisionnement sont indépendants de leur volonté, les autorités canadiennes se trouveront dans le même embarras si un projet retarde à l’issue du processus de délivrance des permis en raison de l’indisponibilité d’une technologie que s’il y avait des retards en début de processus.

Rapidité apparente de la filière de la construction à l’exploitation

La construction doit pouvoir se faire assez rapidement. En effet, les délais de construction sont aussi importants que le temps d’approbation : chaque mois de gagné ou d’ajouté pèse dans la balance. Les technologies idoines seront donc celles dont la conception est aisément reproductible et qui nécessitent peu d’adaptations spéciales in situ.

Emplacement

Les processus d’octroi de permis au Canada sont inclusifs : ils s’appliquent à une vaste gamme d’installations possibles. En ce qui concerne le secteur de l’énergie, c’est la législation et la réglementation dans les grandes régions du pays qui régissent les processus locaux relatifs aux permis, par exemple les évaluations environnementales ou les évaluations d’impacts. Ces processus existants ont une application générale dans l’ensemble du territoire et sont conçus pour cadrer avec les installations énergétiques de tous types et de toutes échelles – dont la gamme complète des technologies de production d’électricité possibles. Prenons la Loi sur l’évaluation d’impact fédérale de 2019 : elle nous donne un exemple clair de processus d’évaluation qui se veut largement applicable à travers la liste de « projets désignés » de son Règlement sur les activités concrètes (Règlement sur les activités concrètes, 2019). Il convient de noter que cet aspect de la Loi n’a pas été jugé inconstitutionnel dans la décision rendue par la Cour suprême du Canada en 2023.

Cette nature inclusive des processus d’octroi de permis actuels signifie également que ceux-ci sont longs et complexes. Chaque fois qu’ils sont mis en branle, c’est tout un train de délais qui doivent être impartis et d’expertises et de ressources qui doivent être mobilisées pour établir les détails du projet – y compris la nature et la portée de ses répercussions – et y adapter le processus réglementaire. Par exemple, la Loi sur l’évaluation d’impact prévoit que l’on relève et évalue en début de processus la pleine gamme des répercussions (par. 18(1)); or, si ce travail de délimitation en amont est censé permettre de mieux cerner la question et donc d’accélérer et de rendre plus prévisible la démarche tout entière, il a plutôt pour effet d’allonger les délais et d’introduire de l’incertitude dans les premières phases du travail d’approbation. Dans la même veine, lorsqu’une installation proposée utilise une technologie non éprouvée, les experts et intervenants gouvernementaux participants ont besoin de temps pour bien comprendre et évaluer les innovations ainsi que la gamme des effets qu’elles pourraient avoir sur le site et ailleurs. Sous les processus actuels, toutes ces vérifications concernant l’emplacement sont nécessaires pour pleinement saisir le type et l’ampleur géographique des répercussions sur la qualité de l’air et de l’eau, les aspects écologiques sensibles, la santé humaine et le bien-être collectif.

Certaines technologies qui ne causent pas d’émissions peuvent tout de même être fort dommageables pour l’environnement. Par conséquent, les dispositions existantes en matière d’évaluation environnementale ou d’évaluation d’impacts restent importantes.

Les processus de délivrance de permis actuels apportent aussi leur lot d’enjeux liés à l’emplacement; les critères qu’ils définissent pour orienter l’étude des effets localisés sont différents de ceux qui sont pris en compte dans la décision. Prenons le régime d’évaluation environnementale en vigueur en Ontario depuis près d’un demi-siècle et établi par la Loi sur les évaluations environnementales : d’un côté, il exige que des solutions de rechange soient étudiées, et fixe à cette fin des critères pour les filtrer et les évaluer… mais de l’autre, il ne fait aucune référence à ces solutions de rechange dans ses critères de décision finale (art. 6.1 et 9).

De même, la Loi sur l’évaluation d’impact fédérale exige l’examen de 19 facteurs dans le cadre de la collecte de renseignements au titre de l’évaluation d’impacts d’un projet désigné (art. 22), mais n’en mentionne que cinq dans les critères de décision établissant si ledit projet s’inscrit dans l’intérêt public et devrait donc être approuvé (Loi sur l’évaluation d’impact 2019, art. 63). On notera que, dans sa décision récente relative à la Loi sur l’évaluation d’impact, la Cour suprême du Canada distingue ces deux ensembles de facteurs. Elle n’a pas exprimé de critiques à l’égard des facteurs à l’étape de collecte de renseignements (p. ex. à l’art. 19), mais elle l’a fait à l’égard de ceux à l’étape de décision (art. 63). Il va sans dire que non seulement il est inefficace d’utiliser des critères variables et d’user de subjectivité dans la collecte de renseignements et la prise de décisions, mais que cela entraîne aussi une imprévisibilité dans les résultats.

Ce qui serait réformateur dans la délivrance de permis serait non pas d’opter pour une approche inclusive, mais plutôt d’adopter une stratégie ciblée. La première chose à faire serait d’offrir un processus accéléré aux projets d’installations qui reposent sur des technologies admissibles (qui répondent aux cinq critères); plusieurs caractéristiques de ces technologies limitent directement le type et l’ampleur géographique des effets indésirés. Ce qui nous amène à une deuxième évidence : les projets d’installations dans cette catégorie ne devraient avoir besoin que d’une évaluation des répercussions localisées.

En priorisant les technologies admissibles, on simplifierait les tâches en amont du processus d’approbation. Et grâce aux effets limités de ces technologies, il pourrait être possible de simplifier d’autres aspects plus tard dans le processus.

Plus particulièrement, lorsqu’un projet d’installations emploie une technologie admissible, le choix de son emplacement peut se faire en fonction d’un petit nombre de critères clairs et catégoriques respectant trois principes :

  1. Règles contraignantes : Chaque critère à appliquer doit constituer une règle contraignante.
  2. Critères tranchés : La réponse doit être un oui ou un non, sans marge discrétionnaire1.
  3. Application objective : Les règles doivent s’appliquer de manière objective, sans subjectivité.

Une installation qui satisfait à tous les critères est approuvée. Cette approbation à elle seule peut ne pas être suffisante pour lancer les travaux, mais dans l’idéal elle le serait. Quoi qu’il en soit, les critères doivent tous être obligatoires et universels.

Voici un bon et un mauvais exemple de critères :

Bon : Le bruit à la limite de propriété doit être de moins de 40 dB(A).

Mauvais : Il faut éviter que le bruit dérange les voisins.

Le nombre de critères obligatoires devrait aussi être limité. En fonction des enjeux liés à l’emplacement éliminés ou réduits par la technologie admissible, il deviendrait possible d’écrémer la liste pour ne conserver que les critères répondant à trois questions fondamentales :

  1. Effets sur la population : L’installation reçoit-elle l’aval des collectivités locales?
  2. Effets sur le site : Évite-t-on de compromettre les éléments écologiques clés?
  3. Effets hors site : Évite-t-on de préjudicier toute population avoisinante qui ne sera pas indemnisée?

1. Effets sur la population : L’installation a-t-elle l’aval des collectivités locales?

Les régimes en place pour l’octroi de permis aux nouvelles installations de production d’électricité accordent le gros du poids à l’approbation des autorités fédérales ou provinciales, et le cadre accéléré proposé dans le présent document ne prévoit pas de modification sur ce plan. Les régimes en place continueraient de s’appliquer aux installations d’énergie propre qui ne sont pas admissibles à la voie rapide.

Toutefois, dans la gestion d’une telle voie, les gouvernements locaux municipaux et autochtones occuperaient un rôle central, particulièrement pour ce qui est de faire la promotion des installations d’énergie propre.

Comme presque toutes les collectivités du Canada pourraient accueillir de nouvelles installations, les auteurs recommandent de se concentrer sur celles dont le gouvernement local est en faveur de tels projets. L’expérience des dernières années nous montre qu’un projet d’installations qui ne s’attire pas la faveur de la population rencontrera des problèmes sur le long terme, comme des manifestations d’opposition et des contestations en justice (Cleland et coll., 2016).Qu’on se le dise en toute franchise : le Canada ne va pas s’en sortir si, par exemple, les approbations créent un fossé ou viennent aggraver la fracture entre les milieux ruraux et urbains, ni si elles enfreignent un traité ou des droits inhérents autochtones. La meilleure façon de prévenir ou d’atténuer l’opposition locale dans la course vers la carboneutralité sera ainsi d’habiliter et d’outiller les gouvernements locaux et autochtones favorables.

Le soutien initial des gouvernements municipaux et autochtones offre la meilleure chance d’assurer des avantages à long terme à la fois sur le plan de l’électricité propre et sur les plans de la démocratie locale et de la promotion des droits autochtones.

Dans bon nombre de municipalités, la réglementation établit déjà assez bien les pouvoirs et les processus nécessaires à l’approbation de nouvelles installations, donc il ne devrait pas y avoir à beaucoup la retravailler pour accélérer le tout; il faut simplement avoir soin d’obtenir à chaque fois l’aval des instances locales. La nature des réformes requises sera probablement différente pour chaque collectivité dont on cherche à obtenir ou à conserver l’appui.

Certains gouvernements autochtones ont leurs propres lois et procédures établies pour favoriser ou assurer l’octroi rapide de permis. Or, c’est loin d’être le cas de tous. Les traditions et les droits autochtones offrent un point de départ crucial pour les refontes proposées; il sera important de les respecter. On pourrait aussi gagner à créer des alliances entre les collectivités et les organisations autochtones pour coordonner la mise en commun et l’étoffement de pratiques exemplaires correspondant aux valeurs communautaires et culturelles.

Vu l’ampleur de la tâche, on comprend que beaucoup – voire la plupart – des collectivités qui prendront part au travail de décarbonisation devront se faire très actives et traiteront de multiples demandes année après année. Il leur faudra affecter du personnel et acquérir une expertise pour voir à l’application cohérente des critères d’approbation accélérée sur leur territoire.

Ces administrations auront aussi besoin de ressources additionnelles pour établir et administrer le train a) des incitatifs nécessaires pour maximiser les emplois directs dans la construction et la maintenance ainsi que les emplois indirects et b) des indemnisations aux propriétaires fonciers qui sont touchés, mais ne prennent pas part au projet, par exemple sous forme de rabais sur l’électricité ou d’une baisse de l’impôt foncier. Il sera globalement avantageux que ces aspects de l’approbation soient normalisés dans chaque collectivité, et non négociés individuellement. Autrement, on risque de rencontrer un goulot d’étranglement dans le processus d’approbation, comme chaque promoteur voudra mettre les freins le temps d’essayer d’obtenir le meilleur marché pour son installation. Les différentes autorités locales devraient avoir le pouvoir de varier un peu les mesures, mais il faudra veiller à ce que les ajustements soient appliqués de façon uniforme.

On ne saurait trop insister sur l’importance de l’acceptabilité sociale, quoique l’aval de la population ne devrait pas être trop difficile à obtenir pour les installations qui répondent aux critères décrits ici de la procédure accélérée. Si c’est la bonne technologie qui est employée, tout le monde devrait pouvoir opiner que l’installation n’entraînera aucun effet grave sur l’environnement ou la santé humaine. Et grâce aux critères clairs et contraignants du processus de délivrance de permis, la collectivité devrait pouvoir saisir les modestes répercussions du projet. Si l’administration établit également des exigences claires quant aux retombées attendues à l’échelle locale, les projets d’installations qui respectent ces conditions devraient facilement trouver approbation aux yeux de la collectivité.

Chaque administration a du jeu pour l’élaboration et l’application de ses propres critères, pourvu que ceux-ci soient conformes au cadre général, par exemple s’il faut faire particulièrement attention à une caractéristique naturelle ou à une espèce végétale ou animale d’une rareté ou d’une importance culturelle particulière. Tant et aussi longtemps que toutes les propositions d’installations d’une région sont soumises aux mêmes critères décisionnels, ce genre d’adaptation devrait favoriser, et non éroder, le soutien local.

Avec la combinaison des réformes visant l’approbation rapide des technologies admissibles et de l’emplacement des installations, la participation de la collectivité à un projet d’installations donné devrait pouvoir se faire sans controverse. Pour chaque projet, il faut qu’un avis clair soit transmis à tous les résidents touchés, et que des dispositions soient en place pour aussi transmettre les avis à tout résident intéressé. Le public doit également avoir la possibilité de présenter des renseignements pour remettre en question l’application des critères de délivrance des permis. Ces objections devraient toutefois être assez rares et faciles à résoudre, et si le complément d’information ainsi fourni est pertinent pour l’application d’un des critères, il devrait être utilisé et le critère réappliqué pour garantir que les décisions prises soient conformes à tous les critères.

2. Effets sur le site : Évite-t-on de compromettre les éléments écologiques clés?

Ce critère concerne le site de l’installation et a pour but d’en déterminer les conditions optimales. Dans l’idéal, la construction d’une nouvelle installation zéro émission n’entraînera aucune répercussion grave sur le site et un nombre limité de transformations négatives pour le milieu physique.

D’expérience récente, l’aspect le plus important à prendre en compte ici est le patrimoine naturel. En Ontario, les parcs éoliens et les centrales solaires ont soulevé des questions concernant les espèces en voie de disparition (Semeniuk et Stueck, 2023). De multiples ordres de gouvernement se partagent l’autorité sur ces espèces et leur habitat; différentes lois provinciales et fédérales s’appliquent selon lesquelles des instances sont propriétaires ou responsables des terres visées (Kauffman, 2023). La crise climatique n’est pas une excuse pour aggraver le déclin de la biodiversité. Le patrimoine naturel du Canada a plus que jamais besoin qu’on y fasse attention.

La stratégie actuelle de beaucoup d’administrations pour la protection du patrimoine naturel est d’éviter que l’on endommage certains éléments écologiques clés. Les critères de simplification ici proposés consisteraient à exiger la prise en compte et la protection explicites des caractéristiques et des fonctions de ce patrimoine naturel. L’accent serait mis sur les éléments écologiques clés, étant donné que certaines caractéristiques et certains effets pèsent davantage que d’autres dans la balance écologique. C’est ainsi que l’on accorderait avant tout la priorité, par exemple, à la protection des espèces en voie de disparition et de leur habitat essentiel.

La réforme de la Loi sur l’énergie ontarienne illustre bien le problème qui réside dans le cloisonnement entre la réglementation sur les espèces menacées et celle sur les installations d’énergie renouvelable. La province a certes voulu consolider tout le processus d’approbation pour les projets d’énergie renouvelable, mais elle a oublié dans son équation la question des espèces en voie de disparition. Ainsi, le processus a beau exiger plus d’une dizaine de rapports, aucun ne demande expressément d’éviter, ou même de prendre en compte, l’habitat de ces animaux. Or, l’Ontario a aussi prévu dans son processus décisionnel qu’il serait fait droit aux appels devant les tribunaux si l’appelant arrivait à faire valoir que le projet causerait « des dommages graves et irréversibles à des végétaux, à des animaux ou à l’environnement naturel » (Loi sur la protection de l’environnement, 1990, art. 145.2.1). C’est là un critère qui, sans y faire directement référence, englobe clairement la question des espèces menacées. On constate donc un décalage entre l’information demandée pour la délivrance d’une autorisation et les facteurs susceptibles de faire annuler cette autorisation. Le problème a été mis en évidence dans un litige impliquant un parc éolien et ses effets sur une espèce en voie de disparition – la tortue mouchetée – ainsi que son habitat (Prince Edward County Field Naturalists c. Ostrander Point GP Inc., 2015 ONCA 269). À l’issue de la procédure, le tribunal a invalidé l’approbation qui avait été donnée au projet; les promoteurs ont interjeté appel, mais la cour d’appel a maintenu la décision rendue en première instance. Ultimement, l’affaire a été renvoyée au tribunal pour être réentendue, mais ce dernier a confirmé son rejet initial de l’approbation.

De manière générale, chaque ordre de gouvernement qui adoptera la procédure accélérée devra s’assurer sérieusement de préciser où et comment peuvent être implantées les nouvelles installations afin d’éviter de toucher aux éléments clés du patrimoine naturel, en particulier les espèces et habitats menacés.

Une autre leçon à tirer de ces expériences est que le terme « élément écologique clé » devrait faire l’objet d’une définition et d’un usage bien précis. Par exemple, le Plan de la ceinture de verdure (2017) de l’Ontario relève ce qu’il appelle des éléments clés du patrimoine naturel (il y en a 12 types) et des éléments hydrologiques clés (il y en a 4 types) (gouvernement de l’Ontario, 2017). Il serait pertinent de permettre une certaine variabilité dans les types d’éléments clés : d’un côté, cela permettrait de tenir compte des réalités provinciales et locales, mais de l’autre, il devrait y avoir une liste de base de ce qui ne peut absolument pas être ignoré, par exemple l’habitat essentiel des espèces en voie de disparition.

Il faudrait en outre qu’il s’effectue des contrôles réglementaires pour garantir que l’information sur ces habitats est toujours actuelle. En l’état des choses, on constate que les démarches en ce sens sont pêle-mêle et largement insatisfaisantes pour faciliter l’accès aux données. Dans le cadre de sa réforme des autorisations de projets d’énergie renouvelable en vertu de la Loi sur l’énergie verte, l’Ontario a voulu remédier à ce manque de cohérence en demandant aux promoteurs de mener certaines enquêtes sur les sites ciblés, le but étant de relever toute information déjà connue et de compléter au besoin. Cependant, c’est une façon de faire aussi coûteuse que chronophage. Il serait préférable que ce soit les autorités locales qui soient dotées des ressources nécessaires et rassemblent la plupart des données requises, les mettent en correspondance et les publient en format électronique. Cette approche nécessitera toutefois probablement qu’on accorde aux autorités locales un soutien fédéral ou provincial financier ou technique, afin d’assurer à tous les ordres de gouvernement concernés le matériel le plus récent en date pour l’évaluation des éléments écologiques clés.

3. Effets hors site : Évite-t-on de préjudicier toute population avoisinante qui ne sera pas indemnisée?

C’est là un critère qui ne s’appliquera pas à toutes les installations. Dans l’emplacement idéal,la zone d’effets hors site est inhabitée, ou autrement, personne sur ce territoire n’est défavorable au projet. Qui plus est, la plupart des technologies susceptibles de passer par la procédure accélérée n’auront que peu ou pas de répercussions hors site.

Ainsi, le critère n’entre en jeu que lorsque la zone d’effets hors site d’une installation est occupée et quela population comprise dans cette zone s’oppose à la construction.

Lorsqu’il est appliqué, ce critère passe par trois volets obligatoires, qui sont le fruit des derniers apprentissages quant à l’importance de la dimension des projets d’énergie propre. En effet, il finit par se produire des problèmes d’acceptabilité sociale quand les populations environnantes subissent des inconvénients, et ce, sans qu’aucun avantage ne soit relevé en retour. C’est particulièrement criant dans le cas des parcs éoliens proches des populations : on constate un mélange un peu chaotique de propriétaires participants comme non participants dans le périmètre des turbines. Il faut savoir que dans ce contexte, un « propriétaire participant » est un propriétaire foncier qui obtient un avantage économique quelconque de par la présence des installations – le plus souvent, une indemnisation parce que les turbines empiètent sur son terrain – et qui appuie par conséquent le projet. Or, ceci n’étant vraiment pas le cas de tout le monde aux alentours, la situation a attisé des conflits de voisinage avec les propriétaires non participants, qui se disent incommodés de diverses façons (p. ex. à cause du bruit ou de l’effet sur le paysage) sans rien toucher en contrepartie (Comeau et coll., 2022).

Le premier de nos trois volets consiste à définir une zone d’effets autour de l’installation ou d’un de ces composants (p. ex. une éolienne). L’amplitude de la zone varie en fonction de la technologie. Prenons les éoliennes : la zone de leurs effets variera selon leur taille. Vu ce que l’on a appris, il est essentiel de toujours fournir des orientations claires sur ce sujet pour encadrer les décisions d’autorisation. L’encadrement des technologies applicables devrait permettre de définir quelle est la zone d’effet pour chaque type de technologie et échelle de projet.

Le deuxième volet consiste à catégoriser les répercussions en fonction de leur gravité. Par exemple, il devrait être possible d’interdire qu’une installation produise, à la limite de propriété avec les terrains résidentiels voisins, un bruit supérieur à 40 dB(A) ou encore au bruit déjà ambiant. (Notons que cette limite technique précise en décibels nous provient de la norme internationale de l’Organisation mondiale de la Santé relativement au bruit nocturne.)

Une fois que l’on dispose d’informations sur la zone applicable et sur la gravité des effets d’une installation donnée, il devrait être facile de déterminer si le troisième volet s’y applique. À savoir que s’il est justifié d’accorder une compensation pour les effets négatifs, il faudra qu’une instance, c’est-à-dire soit l’administration de n’importe quel ordre de gouvernement, soit un promoteur, verse une indemnité à tout propriétaire foncier dans la zone qui ne donne aucune parcelle de terre en location ni ne bénéficie autrement de la présence de l’installation.

Les retombées pour le milieu d’accueil peuvent être redistribuées de différentes manières. Par exemple, la municipalité peut réduire l’impôt foncier des propriétaires non participants aux alentours, ou leur accorder des remises sur leur facture de services publics (Comeau et coll., p. 36). Dernièrement dans les États de New York et de la Californie, il a été décrété que toutes les nouvelles installations d’énergie renouvelable doivent procurer un ensemble d’avantages à la collectivité les accueillant, ce qui peut notamment inclure un allégement de la facture des services publics (Arnold et Beck, 2023). Une autre solution est de proposer un crédit sur l’énergie renouvelable s’adressant uniquement aux résidents à proximité (Comeau et coll., p. 20). Ou encore, de distribuer une partie des recettes annuelles à la collectivité pour qu’elle réinvestisse le montant (Comeau et coll., p.29). Là encore, les réformes californiennes et new-yorkaises donnent une bonne idée de ce qui pourrait être exigé au Canada en matière d’avantages pour les collectivités.

Quel que soit le détail de chacun de ses trois volets, ce troisième et dernier critère concernant les effets hors site doit toujours respecter les trois principes établis plus tôt, c’est-à-dire que les règles soient contraignantes, que les critères soient tranchés (« oui/non ») et que l’application soit objective.

On trouvera des suggestions de critères d’octroi de permis à l’annexe A.

Échéancier

Si le Canada veut atteindre son objectif de carboneutralité d’ici 2050, il faut que chaque installation d’énergie propre qui satisfait aux critères fasse l’objet d’un traitement accéléré – non seulement dans le processus de permis, mais aussi dans la construction et la mise en service.

Il est normal que notre résolution à établir de nouvelles capacités de production d’énergie s’accompagne d’une accélération de la cadence : le procédé n’est pas nouveau. Dans les procédures d’autorisation établies telles que les évaluations environnementales, fédérales et provinciales, il est bien connu que plus le projet d’installations est important, plus l’obtention des permis prendra du temps. C’est bien malheureux, et malgré tous les efforts déployés, la fixation d’un échéancier pour la procédure réglementaire ne garantit pas que l’on puisse prédire quand le projet aboutira. En ce moment même au Canada, on compte plusieurs grands projets énergétiques qui sont en train de sérieusement dépasser – par des multiples, et non par des fractions – les délais prévus. Pensons aux grands projets hydroélectriques en Colombie-Britannique (site C) et au Labrador (Lower Churchill) : les chantiers se sont trouvés à prendre le double du temps escompté (BC Hydro, 2023). Et n’oublions pas l’adage : le temps, c’est de l’argent! Ces immenses dépassements de temps sont doublés d’un aussi immense dépassement de coût (CBC News, 2022). On comprend donc pourquoi il faut baliser les types de technologies et l’ampleur que pourront avoir les installations admissibles au processus de permis accéléré.

Aussi, il peut être judicieux de fixer une limite de temps pour chacune des étapes charnières d’un projet d’installations – chaque mois compte après tout –, par exemple : 1) le délai entre la première manifestation d’intérêt du promoteur et le dépôt de sa demande complète; 2) le délai d’examen de la demande et de prise de décision par toutes les autorités de réglementation; 3) le délai entre l’approbation et le début des travaux; 4) le temps nécessaire pour achever la totalité de la construction; 5) le délai entre la fin des travaux et la mise en route de l’installation; et 6) le délai entre l’approbation et le raccordement au réseau électrique.

Il y a de nombreuses façons de rendre ces limites de temps exécutoires. Les gouvernements peuvent les imposer aux promoteurs, oui, mais aussi les promoteurs aux gouvernements ainsi qu’aux fournisseurs et entrepreneurs externes. Par exemple, en Ontario, des échéanciers globaux sont fixés dans les modalités du régime de tarifs de rachat garantis (voir p. ex. le Programme de tarifs de rachat garantis (TRG) 2.0 de l’Ontario introduit en août 2012). Elles fixent une date pour la mise en service qui est obligatoire et contraignante en l’absence d’un accord de dérogation à l’effet contraire. Dans le même ordre d’idées, les réformes législatives dans l’État de New York prescrivent désormais une limite de temps pour la délivrance des permis de construction qui va de six mois maximum pour les projets qui se bâtiront sur des sites contaminés préapprouvés à un an pour les autres projets (Arnold et Beck, 2023).

Concrétisation des refontes proposées : qui et comment?

La Constitution et le cadre législatif du Canada définissent cinq ordres de gouvernement habilités à instaurer des lois régissant l’octroi de permis : fédéral, provincial, territorial, municipal et autochtone. Pour déterminer ce que chacun peut contribuer à la transition vers la carboneutralité, il faut distinguer les deux formes d’autorité existantes, soit les lois en vigueur, et les pouvoirs juridiques et constitutionnels de modifier ces lois ou d’en adopter de nouvelles.

L’annexe C se penche sur les cinq ordres de gouvernement pour évaluer leur compétence et leur capacité à remanier les processus d’octroi de permis aux installations d’énergie propre. Sa conclusion : les cinq ordres (fédéral, provincial, territorial, municipal et autochtone) ont théoriquement la compétence pour mettre en œuvre tous les aspects de l’accélération du processus d’approbation.

Sachant cela, deux recommandations s’imposent.

Premièrement, les administrations les plus proches de la réalité du terrain (à savoir municipales et autochtones) devraient être les principales responsables des décisions d’approbation accélérées.

Deuxièmement, le gouvernement fédéral et les provinces devraient travailler avec les autres ordres de gouvernement à établir un cadre commun pour la création de processus accélérés. Ce cadre devrait définir les technologies admissibles, les critères d’octroi de permis, la qualification des responsables locaux et les délais à respecter. L’annexe B explore la question plus en détail.

Envisager l’avenir : les refontes au travail

Dans l’optique de faciliter la compréhension, le présent document fournit deux exemples de façons dont les promoteurs et les collectivités locales pourraient contribuer à la construction d’installations d’énergie propre si les refontes proposées étaient adoptées.

Exemple 1 : Centrale solaire en milieu rural

Saul R. Plexis possède une terre agricole de 100 hectares en région rurale en Ontario et souhaite en utiliser une partie pour produire de l’électricité et augmenter ses revenus. Il sait que la Municipalité fait activement la promotion des centrales solaires; le conseil municipal espère ainsi obtenir une subvention annuelle aux services publics pour l’ensemble des abonnés, récolter des taxes municipales sur la construction et l’exploitation, et obtenir le plein abattement offert aux gouvernements locaux qui disposent d’un plan énergétique à long terme établissant des cibles annuelles de construction d’ici 2035 et 2050.

À l’aide d’un programme modèle préparé par la province, la Municipalité a versé ses données GPS existantes sur un nouveau site Web, puis rapidement sélectionné un consultant local pour combler quelques lacunes dans ces données. Les propriétaires fonciers intéressés peuvent maintenant se servir de ce site pour déterminer si leur terre pourrait accueillir une éventuelle centrale solaire de 1 à 15 mégawatts. Pour établir l’admissibilité d’un terrain, on évalue trois critères d’emplacement ainsi que la compatibilité de l’installation avec la capacité de raccordement au réseau local détaillée dans le plan énergétique à long terme.

Se servant du site Web, Saul détermine rapidement qu’une parcelle de 30 hectares de son terrain correspond aux trois critères d’octroi de permis et à la capacité de raccordement aux services publics sur cinq ans. Il inscrit donc sa terre au registre municipal, au premier échelon de la liste publique pour examen immédiat par la Municipalité. Les emplacements inscrits au premier échelon sont visités dans les 30 jours par la Ville et le fournisseur local, qui confirment le respect des critères et de la capacité, commandent un levé et font passer les demandes au deuxième échelon. Les projets au deuxième échelon sont affichés publiquement sur le site Web, et les propriétaires de terrains adjacents ou à moins de 120 mètres par accès routier en sont avisés. Le fournisseur d’énergie fait aussi parvenir au demandeur une entente de tarifs de rachat garantis, un accord de construction et un échéancier. Une fois ces documents signés, le projet d’installations passe au troisième et dernier échelon du registre municipal, qui clôt l’étape de planification. Le registre permet également de suivre l’avancement des travaux et du raccordement aux services publics. Lorsqu’une centrale entre en service, la Municipalité actualise les cibles annuelles et à long terme de son plan énergétique.

Exemple 2 : Parc éolien sur des terres de réserve

Une Première Nation vivant en région éloignée de l’Ouest canadien utilise des génératrices au diesel pour s’alimenter en électricité. Désireux de ne plus dépendre des importations coûteuses de diesel, le conseil de bande a fait le nécessaire pour pouvoir adopter ses propres lois, louer des terres et conclure des contrats en vertu de la Loi sur l’Accord-cadre relatif à la gestion des terres de premières nations, qui desserre l’étau de la Loi sur les Indiens.

Le conseil a établi que ses besoins actuels et futurs en énergie pourraient être comblés par une installation de production carboneutre de deux mégawatts. Comme la réserve contient des landes en hauteur dans le Bouclier canadien, le conseil a créé un nouveau poste pour explorer les possibilités de projets éoliens. Le personnel a ensuite sélectionné des consultants pour mesurer la force des vents et évaluer le potentiel éolien de la zone, finalement estimé à une production éventuelle de 100 mégawatts. Le conseil de bande s’est donc rendu sur le site Web de la Régie de l’énergie du Canada pour examiner ses options. Le site lui a indiqué qu’il pouvait élaborer un plan énergétique à long terme avec des cibles annuelles de construction et de raccordement.

Pour ce faire, le personnel a utilisé un programme modèle préparé par la province avec l’aide de gouvernements autochtones. Les membres formés pour utiliser les technologies GPS ont téléchargé les cartes numériques offertes pour trouver les meilleurs emplacements et les meilleures configurations de turbines en fonction des nouveaux critères pancanadiens d’octroi de permis. Ils ont relevé des lacunes dans l’information et utilisé le nouveau programme de financement de la Régie de l’énergie du Canada pour procéder aux travaux GPS nécessaires, qu’ils ont confiés à une équipe composée de membres de la bande suffisamment qualifiés dans le domaine. Le conseil a également créé un site Web informatif sur le projet et invité les membres de la Première Nation à y ajouter leur savoir local et traditionnel. Le personnel a vite établi qu’au moins trois blocs de terres de réserve répondaient aux trois critères d’octroi de permis. En vertu de son nouveau programme, la Régie l’a ensuite aidé à élaborer une loi foncière intégrant ces critères à un processus d’approbation du conseil de bande comprenant une consultation de la communauté. Une fois cette loi approuvée et les étapes initiales de la consultation effectuées, le conseil a autorisé le personnel à inscrire les trois blocs au premier échelon de la liste du registre de la Régie de l’énergie du Canada, pour examen immédiat.

Afin de régler la question du raccordement exigé par le plan énergétique à long terme, le personnel du conseil s’est rendu sur le site Web de la Régie pour obtenir des renseignements sur la proximité des lignes de transport par rapport à chaque bloc. À l’aide d’outils GPS et de cartes numériques, il a déterminé que la réserve se trouvait à plus de 100 kilomètres de la ligne de transport la plus près. En saisissant cette information sur le site de la Régie, le personnel a découvert que cette dernière permettait l’approbation de nouvelles lignes de transport en région éloignée dans deux circonstances : lorsque l’installation à raccorder ajouterait plus de 10 mégawatts d’énergie au réseau pour chaque tranche de 20 kilomètres, ou lorsqu’une nouvelle ligne permettrait de raccorder simultanément plus d’une communauté éloignée alimentée au diesel. Puisque le conseil de bande aimait les deux options, il a pris contact avec deux autres communautés éloignées afin de sonder leur intérêt à déposer une demande conjointe à la Régie de l’énergie du Canada.

La Régie se donne 30 jours pour évaluer toute demande de raccordement d’une communauté autochtone éloignée inscrite au premier échelon. Elle vérifie les critères d’octroi de permis, commande un levé et fait passer chaque bloc validé au deuxième échelon, l’affichant sur le site Web fédéral et avisant le public du projet. La Régie exige aussi du conseil de bande qu’il confirme l’envoi d’un avis à l’ensemble des résidents de la réserve.

Après tout cela, la Régie de l’énergie du Canada a travaillé avec la bande et les autres communautés retenues pour établir un plan de raccordement au réseau de transport couvrant les portions dans la réserve et hors réserve de la ligne proposée. Dans les 60 jours suivant le passage au deuxième échelon, la Régie a mis la touche finale au plan de raccordement.

Conformément à son mandat, elle a soumis le tout au conseil de bande, qui a d’abord confirmé que le personnel avait réalisé une consultation communautaire sur la question, puis adopté une seconde loi foncière pour reconnaître l’achèvement de son plan énergique à long terme et accepter l’emplacement et l’échéancier prévus dans le plan de la Régie. Cette seconde loi a approuvé le raccordement de la communauté au réseau dans les deux ans pour une première centrale de 10 mégawatts, et jeté les bases pour la construction de deux autres centrales raccordées totalisant 40 mégawatts d’ici cinq ans.

Conclusion

Le présent document définit un cadre à deux volets pour la refonte des processus d’octroi de permis du Canada, proposant notamment un processus simplifié pour accélérer l’approbation des projets d’énergie propre. Ce cadre laisse place à la contribution de tous les ordres de gouvernement – fédéral, autochtone, provincial, territorial et municipal – et de tous les citoyens, qu’ils habitent une grande ville ou une petite localité. Il s’agit d’un projet d’une ampleur sans précédent, qui requerra un travail à long terme jusqu’en 2050. Les refontes à court terme ne voient pas assez grand; le Canada a besoin d’un système financièrement viable applicable à l’échelle du pays.

  1. Il est bien sûr impossible d’éviter complètement toute décision discrétionnaire. Il restera généralement une part d’incertitude en ce qui concerne les cas limites, mais la règle doit être établie de manière à éviter le plus possible les zones d’ombre.