Maintenant que le Canada s’est fixé comme objectif de devenir carboneutre d’ici 2050, c’est tout le pays qui doit, collectivement, s’activer et définir les grandes orientations stratégiques. Pourquoi si vite? Parce que trente ans, c’est peu; on parle en gros de la durée de vie de trois voitures, de deux fournaises résidentielles ou d’une chaudière industrielle. Les appareils et véhicules que nous achetons aujourd’hui seront utilisés pendant des décennies, et tout cela influera sur la capacité du Canada à réduire considérablement ses émissions dues aux combustibles fossiles d’ici le milieu du siècle. Si l’on veut infléchir la courbe des émissions du pays d’ici là, il faut lancer des politiques à long terme de neutralité carbone qui ont une incidence sur les décisions d’investissement prises aujourd’hui.
Les émissions nettes ne sont pas des données brutes
La première question stratégique à régler consiste à définir ce qu’on entend par « zéro émission nette ». Zéro comme dans plus rien du tout? En fait, non, on ne parle pas ici d’éliminer complètement les émissions du Canada. Comme pour la cible actuelle de 2030, il faut faire des « ajustements comptables » pour passer des émissions brutes aux émissions nettes. Le Canada dispose d’un éventail d’options pour compenser ses émissions totales – et donc faire baisser ses émissions nettes –, lesquelles consistent en des investissements dans des projets sobres en carbone un peu partout au pays. À titre d’exemple, le quatrième rapport biennal que vient tout juste de publier Environnement et Changement climatique Canada (ECCC) fait état d’une valeur de 28 Mt en crédits importés dans le cadre de la Western Climate Initiative, et également d’un ajustement concernant l’affectation des terres, le changement d’affectation des terres et la foresterie (ATCATF). Compte tenu de ces crédits, l’objectif du Canada pour 2030 est donc une cible nette de 511 Mt, la cible brute étant de 539 Mt.
Dans le même ordre d’idée, d’autres ajustements suscitent des questions. Quel rôle joueront les technologies d’extraction du carbone de l’atmosphère? Quelles sont les possibilités rattachées aux crédits internationaux? Qu’est-ce qui peut être fait en matière d’aménagement de la nature, qu’il s’agisse par exemple de modifier l’affectation des terres ou d’améliorer la gestion forestière? Nous saisissons encore mal en quoi ces aspects, qui ne sont pas nouveaux, vont contribuer à la carboneutralité. Il importe donc de s’y attarder pour mieux comprendre leur potentiel de réduction des émissions.
Une longue descente
Ensuite, nous devons envisager les différents chemins vers la carboneutralité et évaluer de façon réaliste les actions requises pour y arriver. Pour le Canada, la voie est déjà toute tracée. De 2005 à 2017, ses émissions annuelles sont passées de 730 à 715 Mt, soit une diminution de 0,2 % par année. Et d’ici 2030, selon les dernières projections d’ECCC, la baisse sera de 1,5 % par année, une prévision plus optimiste qui s’explique par un léger regain d’ambition des gouvernements canadiens en matière de politiques climatiques.
Toutefois, pour que soit atteinte la cible de 511 Mt en 2030, le taux de réduction devrait être de 2,7 % par année, soit presque le double de ce qui est prévu. Et en regardant plus loin vers l’objectif de carboneutralité, on constate qu’il faudrait, en supposant une baisse linéaire, une diminution annuelle des émissions après 2030 de l’ordre de 14 % en moyenne.
Sans conteste, cette transition vers la neutralité carbone exige un relèvement majeur des ambitions stratégiques, ainsi qu’une adoption des technologies écoresponsables à une échelle et à un rythme inédits. La carboneutralité demeure malgré tout atteignable. Nous en avons la preuve ici même au pays, où les politiques fédérales et provinciales sur l’électricité, de même que les innovations technologiques, ont réussi à faire fléchir les émissions de façon importante. En 2005, le secteur de l’électricité émettait 119 Mt de carbone, un chiffre qui avaient chuté à 74 Mt en 2017 et qui devrait atteindre 18 Mt en 2030 : une impressionnante baisse de 7 % par année sur 25 ans.
De 2005 à la carboneutralité : variation annuelle moyenne des émissions de carbone
L’incertitude en hausse
Autre question importante : en quoi la carboneutralité influera-t-elle sur les exigences réglementaires et le prix du carbone dans l’avenir? Après tout, les projections de dépenses auront une incidence sur les choix technologiques d’aujourd’hui. Si l’on vise la carboneutralité en suivant, par exemple, la Norme sur les combustibles propres, quelle devra être le taux de réduction des émissions de carbone après 2030? Quel effet la carboneutralité aura-t-elle sur l’évolution des seuils de tarification fondée sur le rendement et sur le prix du carbone?
Il va sans dire que les entreprises tiennent maintenant compte de l’horizon temporel de leurs actifs et s’interrogent sur les conséquences qu’auront les nouvelles obligations liées à la carboneutralité sur leurs investissements. Les gouvernements doivent avant tout établir des politiques à long terme claires pour réduire l’incertitude quant à l’évolution du prix du carbone, et ainsi assurer un atterrissage en douceur d’ici 2050.
La situation n’est pas désespérée. Certains secteurs gagneront à offrir des solutions écoresponsables innovantes. La mise en place de politiques à long terme profitera à ces innovateurs, qui sauront que le risque d’investir dans l’innovation finira par être payant.
L’an 2050 ne sera pas que carboneutre
Manifestement, nous sommes devant un grand éventail de choix stratégiques qui nous permettront de mieux nous rendre à 2050. Le pays doit définir collectivement ces orientations à long terme et mieux comprendre leurs conséquences potentielles sur l’investissement, les besoins de main-d’œuvre, l’innovation et la compétitivité, pour ne nommer que quelques aspects. La population devra se rallier autour de ces choix.
L’objectif zéro émission nette forcera les Canadiens à travailler ensemble et à agir rapidement. Après tout, 2050, c’est presque demain.