Recommendations

Les cadres de responsabilisation climatique ont des avantages évidents : ils peuvent définir une trajectoire concrète vers les cibles d’émissions à long terme, contribuer à responsabiliser les gouvernements quant aux politiques qu’ils adoptent pour respecter leurs engagements et aider à suivre les progrès pour corriger le tir si nécessaire. Ils peuvent enfin favoriser une stabilité politique accrue, réduisant ainsi les risques pour les entreprises, les consommateurs et les investisseurs.

Les modalités de conception et de mise en œuvre des cadres de responsabilisation par les gouvernements ont cependant une grande influence sur leur efficacité. En nous basant sur notre évaluation de l’expérience de différents États et notre analyse des possibilités et des défis propres au contexte canadien, nous formulons trois recommandations.

1. Le gouvernement fédéral devrait inscrire dans la loi un cadre de responsabilisation climatique conforme aux pratiques exemplaires; les autres ordres de gouvernement devraient envisager de faire de même.

Les cadres de responsabilisation climatique, s’ils sont mis en œuvre conformément aux pratiques exemplaires que nous avons dégagées ici, peuvent être utiles à tous les gouvernements du Canada. Pour respecter son engagement d’appliquer des cibles intermédiaires d’émissions juridiquement contraignantes, le gouvernement fédéral devrait adopter un cadre de responsabilisation climatique national. Les provinces, territoires, collectivités autochtones et municipalités devraient également envisager la possibilité d’adopter leur propre cadre de responsabilisation, comme l’ont fait la Colombie- Britannique et le Manitoba.

Les cadres de responsabilisation climatique infranationaux pourraient compléter le cadre national de multiples façons. D’abord, étant donné que les compétences en matière de politiques climatiques sont partagées par plusieurs ordres de gouvernement qui disposent d’instruments de politique différents, les politiques climatiques canadiennes seraient plus robustes si les gouvernements infranationaux devaient, comme le gouvernement fédéral, rendre des comptes à la population quant à l’application de ces politiques. Ensuite, les cadres infranationaux préciseraient les plans des provinces, des territoires, des collectivités autochtones et des municipalités ainsi que les ambitions infranationales – tout en clarifiant, le cas échéant, les écarts à combler par rapport au cadre fédéral pour qui soient atteintes les cibles intermédiaires nationales. Enfin, la coexistence de cadres de responsabilisation national et infranationaux ferait ressortir les différences entre les ambitions climatiques des divers territoires, mettrait en évidence les tensions régionales freinant les progrès climatiques dans le cadre fédéral et créerait les conditions idéales pour faire converger les ambitions et les politiques avec le temps.

Dans l’application de cadres de responsabilisation climatique, les gouvernements canadiens peuvent tirer parti des expériences que nous présentons dans nos études de cas. Tout d’abord, ils devraient inclure dans leur cadre les six éléments communs décrits à la section 2; pour que le processus de gouvernance et les mécanismes de transparence nécessaires à l’efficacité d’un cadre de responsabilisation climatique puissent être mis en place, tous ces éléments doivent en effet être présents :

▶  Officialisation des structures et processus de gouvernance climatique

▶  Définition claire des rôles et des responsabilités

▶  Établissement de cibles intermédiaires de réduction des émissions

▶  Production de plans d’action pour faire respecter les cibles intermédiaires

▶  Exigences de surveillance et de reddition de comptes

▶  Élargissement de la portée au-delà de la réduction des émissions

Ensuite, l’application de ces éléments communs devrait se faire dans le respect des pratiques exemplaires, définies à la section 2 :

▶  Inscrire dans la loi les structures et processus de gouvernance et les cibles à long terme

▶  Garantir l’indépendance des conseils et des évaluations

▶  Favoriser une approche pangouvernementale

▶  Préciser la façon dont les cibles intermédiaires sont établies et évoluent

▶  Définir les cibles intermédiaires de réduction des émissions sous la forme de budgets carbone cumulatifs

▶  Associer des mesures de rectification des politiques à l’atteinte des cibles intermédiaires.

▶  Exiger que le gouvernement réponde officiellement aux rapports du comité consultatif indépendant.

▶  Intégrer de multiples objectifs aux politiques et aux trajectoires

2. Le gouvernement fédéral ne devrait établir des cibles intermédiaires juridiquement contraignantes de réduction des émissions qu’à l’échelle nationale.

Les cibles intermédiaires juridiquement contraignantes sont particulièrement importantes à l’échelle nationale étant donné les engagements du Canada à l’échelle internationale. Certains de nos conseils s’adressent donc particulièrement au gouvernement fédéral.

Nous recommandons qu’un cadre de responsabilisation climatique fédéral établisse des cibles intermédiaires juridiquement contraignantes uniquement à l’échelle nationale. En effet, des cibles intermédiaires juridiquement contraignantes à l’échelle sectorielle, provinciale ou territoriale risqueraient de créer une approche trop rigide qui ferait grimper le coût global de la réduction des émissions. En l’absence de mécanismes d’échange, des cibles intermédiaires infranationales contraignantes pourraient en effet forcer la réduction de GES dans certaines régions ou dans certains secteurs économiques même s’il existait des options plus rentables ou plus pratiques ailleurs. De plus, des cibles intermédiaires infranationales contraignantes obligeraient les gouvernements à affronter d’emblée des décisions difficiles quant à la répartition du fardeau entre les régions (des cibles sectorielles auraient le même effet, bien qu’indirectement) pour voir ces questions resurgir au moment de discuter des détails d’application des politiques. En forçant ces débats à se produire dès l’étape de la définition des cibles intermédiaires, on risque de provoquer des divisions. On risque aussi de rendre encore plus difficiles la coordination et la convergence des ambitions climatiques fédérales et infranationales.

Il est cependant utile d’informer le public sur la contribution prévue des provinces, des territoires et des secteurs aux cibles ou aux budgets carbone nationaux, davantage pour illustrer les répercussions des trajectoires à leur échelle que pour leur imposer explicitement des réductions. La communication de prévisions détaillées fournit aux secteurs et aux régions des informations publiques et transparentes qui peuvent influencer leurs politiques tout en restant non contraignantes, sans compter qu’elle favorise l’ouverture en éclairant les conversations difficiles sur la contribution des différents secteurs et des différentes régions.

En ce qui concerne le processus, nous recommandons au gouvernement fédéral d’établir la trajectoire nationale en consultation avec les autres gouvernements, les parties prenantes, les peuples autochtones et un conseil consultatif d’experts indépendants.En remettant au gouvernement fédéral la décision finale tout en exigeant qu’il mène des consultations élargies, on garantit que les cibles intermédiaires tiennent compte des situations régionales et sectorielles et des points de vue divers, mais sans paralyser le processus. De la même façon, le fait d’obliger le gouvernement fédéral à rendre des comptes, et notamment à justifier tout rejet des conseils formulés par le conseil consultatif, favorise l’enracinement des cibles intermédiaires dans les données probantes et la science.

3. Le gouvernement fédéral devrait continuer à mettre en place des mesures incitatives pour pousser les provinces, les territoires, les collectivités autochtones et les municipalités à mettre en place des politiques climatiques contraignantes.

Les différents ordres de gouvernement disposent de différents instruments de politique, et la lutte aux changements climatiques sera d’autant plus efficace qu’on tirera parti de toute la gamme de ces instruments. En se limitant à l’échelle fédérale, par exemple, on forcerait le gouvernement à utiliser des instruments parfois mal adaptés à la réduction des émissions provenant de sources particulières. Voici quelques exemples : les codes du bâtiment ne s’appliquent qu’à l’échelle des provinces et territoires; une grande partie des décisions de zonage et d’infrastructure qui influencent le milieu urbain et ses émissions de GES sont prises par les municipalités; les collectivités autochtones sont les mieux placées pour repérer les défis et les possibilités propres à leur contexte et pour influencer ou appliquer des politiques appropriées. Une approche intergouvernementale constitue une façon de tirer avantage de la diversité des instruments de politique.

Pour mettre en place une telle approche intergouvernementale, le gouvernement fédéral devrait continuer à encourager tous les ordres de gouvernement à se donner des ambitions climatiques et à adopter des politiques coordonnées. Ainsi, ces derniers auraient à la fois la latitude et la motivation nécessaires pour adapter les politiques en fonction des circonstances et des priorités locales.

Pour que la politique climatique nationale soit et reste suffisante à l’atteinte des cibles intermédiaires nationales, le gouvernement fédéral devrait mettre en place un « filet de sécurité ». Il pourrait s’agir d’augmenter la tarification du carbone, de resserrer la Norme sur les combustibles propres en préparation ou d’instaurer carrément de nouvelles politiques. Là où c’est possible, les provinces et territoires devraient pouvoir demander des équivalences lorsqu’elles ont déjà des politiques qui visent les mêmes résultats. Cela permettrait aux provinces, aux territoires et aux collectivités autochtones d’adapter les politiques à leur contexte propre, tout en travaillant à l’atteinte des cibles nationales intermédiaires et à long terme8.

L’adoption d’une approche collaborative et intergouvernementale exigera une mobilisation, une évaluation et un dialogue complexes et parfois difficiles, mais elle constituera également la meilleure façon pour le Canada d’adopter des politiques résilientes. C’est en évitant de se reposer entièrement sur les politiques d’un seul ordre de gouvernement qu’on a les meilleures chances d’éviter un retour en arrière si un gouvernement futur cherche à annuler des politiques climatiques. D’un côté, encourager les provinces, territoires, collectivités autochtones et municipalités à poser des gestes significatifs– et leur donner la latitude nécessaire pour le faire – garantit une base solide pour le maintien des politiques climatiques, indépendamment des ambitions des gouvernements fédéraux à venir. De l’autre, l’existence d’un filet de sécurité fédéral assure le maintien de politiques climatiques fortes dans tout le pays si, par exemple, des provinces ou des territoires élisent des gouvernements cherchant à abroger des politiques climatiques contraignantes (comme cela s’est passé pour certains éléments du Cadre pancanadien). Le potentiel d’amélioration de la résilience des politiques climatiques est en fait l’argument le plus probant en faveur d’une approche collaborative intergouvernementale.

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