Questions pour poursuivre la réflexion

Les recommandations formulées dans la section précédente décrivent une approche possible pour l’adaptation des cadres de responsabilisation climatique au contexte canadien. Il reste cependant des questions à approfondir quant à l’utilisation de tels cadres au Canada, notamment les deux suivantes :

Comment des cadres de responsabilisation climatique canadiens aborderaient-ils l’intégration des politiques climatiques?

À la section 2, nous avons établi que l’intégration des politiques climatiques – c’est-à-dire la prise en compte non seulement de l’atténuation des changements climatiques, mais aussi de l’adaptation et de la croissance propre– constituait une pratique exemplaire. Les avantages de cette intégration sont évidents
: elle permet de repérer les domaines où les politiques axées sur l’atténuation, l’adaptation et la croissance propre entrent en conflit; elle peut détourner la discussion de la répartition des efforts de réduction des émissions – qui risque d’avoir un horizon limité et de susciter des divisions – pour l’orienter vers la diversification économique et les avantages de la lutte aux changements climatiques; elle favorise enfin la préparation d’une réponse réfléchie, vigoureuse et résiliente au défi global que posent les changements climatiques.

Cependant, les enseignements à tirer des études de cas sont assez limités en matière d’intégration des politiques. Si les cadres de responsabilisation du Royaume-Uni et d’Aotearoa/Nouvelle-Zélande comportent des éléments axés sur l’adaptation, notamment parce qu’ils prescrivent l’évaluation des risques et l’élaboration de plans d’adaptation, on n’y trouve aucune exigence formelle quant à la réduction concrète de ces risques. De plus, ces cadres traitent séparément de l’adaptation et de la réduction des émissions, plutôt que de les aborder ensemble comme deux éléments du problème global des changements climatiques. Quant au cadre de responsabilisation de la France, s’il fait un lien entre la réduction des émissions et les trajectoires plus générales de réduction du carbone, il n’intègre pas les problèmes d’adaptation et de résilience dans ces trajectoires.

Pour réaliser les avantages de l’intégration dans un cadre de responsabilisation climatique canadien, il faudra aller au-delà des expériences décrites dans nos études de cas. Certains aspects sont relativement évidents; par exemple, il est manifestement utile d’élargir la portée de la surveillance et de la production de rapports pour inclure non seulement les résultats qui concernent les réductions d’émissions, mais aussi ceux qui concernent l’adaptation et la croissance propre, afin d’offrir un tableau plus complet de la nature et de l’efficacité des moyens pris par les gouvernements canadiens pour lutter contre les changements climatiques. D’autres dimensions sont cependant beaucoup plus complexes : faut-il fixer des cibles intermédiaires en matière d’adaptation et de croissance propre? Comment mesurer les progrès? Quelle portée devrait avoir la « croissance propre »? Parle-t-on simplement de technologies propres, ou de la durabilité de l’économie dans son ensemble? Quels types de politiques faudrait-il envisager pour y arriver? Étant donné leur contribution à l’adaptation aux changements climatiques, quel rôle les municipalités devraient-elles jouer dans les processus de gouvernance? Et enfin (c’est essentiel, et nous y revenons ci-dessous), quel est le rôle des peuples et des collectivités autochtones du Canada dans l’intégration de la réponse aux changements climatiques au pays?

Comment un cadre de responsabilisation climatique canadien reconnaîtrait-il les droits autochtones et favoriserait- il le processus de réconciliation?

Un cadre de responsabilisation climatique canadien ne peut être efficace que s’il reconnaît les droits autochtones, de même que les traités historiques et modernes, et mobilise véritablement les peuples autochtones tout au long des processus décisionnels.

Le Canada a manifesté son désir de réconciliation; il est par ailleurs légalement obligé de reconnaître les droits et les titres ancestraux dans la conception d’un cadre de responsabilisation. La lutte contre les changements climatiques au Canada nécessitera une collaboration intergouvernementale sans précédent. Pour être efficaces, les politiques climatiques exigeront non seulement la participation des nations autochtones en tant que partenaire concerté dès le tout début, mais plus fondamentalement, la reconnaissance officielle du rôle central qu’ils doivent jouer dans le processus de gouvernance climatique.

L’expérience d’Aotearoa/Nouvelle-Zélande, décrite dans l’encadré 2, permet de tirer des leçons quant à la reconnaissance des droits autochtones. Mais l’expérience et l’histoire des peuples autochtones canadiens sont uniques; pour prendre en compte comme il se doit les droits, les titres et la gouvernance autochtones dans le contexte canadien, il faudra trouver de nouvelles solutions.

Certains aspects de la question sont assez clairs. Les recommandations et les conseils d’un organisme consultatif d’experts ne seraient pas complets sans l’inclusion d’un point de vue autochtone. Tout cadre de responsabilisation climatique canadien devra inclure l’obligation de tenir compte des effets potentiels des politiques climatiques sur les peuples autochtones et de rendre des comptes à ce sujet.

Par ailleurs, le conseil consultatif d’experts lui-même devrait compter des représentants autochtones. Les façons d’apprendre, de
faire et de vivre des Autochtones, de même que leur apport unique, leur donnent une perspective essentielle qui doit être reconnue et utilisée par un conseil consultatif d’experts efficace. Cependant, dans la conception du conseil consultatif d’experts, il faudrait que le gouvernement canadien innove dans la façon de veiller à ce que la représentation autochtone tienne compte des déséquilibres structurels et rende possible une véritable participation. Par exemple, le cadre pourrait créer un comité autochtone au sein du conseil consultatif. Il faudrait se pencher sur les liens à faire avec le Conseil national de réconciliation, dont la création a été recommandée par la Commission de vérité et réconciliation du Canada dans son appel à l’action de 2015.

D’autres dimensions sont moins évidentes. Comment favoriser la collaboration entre différents ordres de gouvernement, y compris les collectivités autochtones? Comment assurer une répartition équitable des pouvoirs et des responsabilités entre ces participants? Étant donné les différentes perspectives, expériences et façons de vivre des peuples autochtones du Canada, comment garantir la prise en compte de leurs points de vue divers?

Ces questions ne représentent que quelques- uns des défis que devront relever les gouvernements canadiens et les collectivités autochtones. Nous ne prétendons pas donner ici les réponses. Nous sommes néanmoins convaincus que les cadres de responsabilisation climatique canadiens ne pourront être efficaces que si ces questions sont rigoureusement étudiées, analysées et résolues d’une manière qui reflète véritablement les perspectives des peuples autochtones.

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