Les communautés, gouvernements et organisations autochtones du Canada tout entier conçoivent activement des projets d’énergie renouvelable depuis une vingtaine d’années. Aujourd’hui, des entités inuites, métisses ou des Premières Nations sont partenaires ou bénéficiaires de près de 20 % des infrastructures canadiennes de production d’électricité, dont presque toutes produisent de l’énergie renouvelable. Les peuples autochtones sont au premier plan de la transition du pays vers l’énergie propre.
Ce rapport retrace l’évolution de leur participation, en vagues montantes, au cours des 20 dernières années et explore des façons de catalyser la croissance exponentielle des secteurs d’action autochtone dans l’énergie propre. Il propose des actions et des initiatives concrètes qui permettraient au Canada de faire des progrès substantiels. Enfin, il présente une série de recommandations stratégiques concernant l’établissement de nouvelles relations dans le domaine de l’électricité et la prise d’engagements ancrés dans la collaboration pancanadienne, le concours des Autochtones dans la planification de l’avenir de l’électricité, l’optimisation de l’utilisation des revenus de la tarification du carbone et l’élimination du goulot limitant le flot de capital vers les systèmes d’électricité propre au sein de la fédération canadienne.
Il est essentiel d’avoir des réseaux électriques fiables et résilients pour assurer la prospérité et la carboneutralité du Canada. Si leur fiabilité est généralement chose établie, ils subissent tout de même une pression grandissante en raison des répercussions climatiques qui s’aggravent et de la consommation d’électricité qui augmente vu la décarbonisation. Dans ce document de cadrage, nous examinons les risques climatiques qui guettent les réseaux électriques canadiens ainsi que les occasions de renforcer la résilience de ces réseaux dans le parcours vers la carboneutralité.
Le Canada et d’autres pays du G20 se sont engagés à supprimer progressivement les “subventions inefficaces aux combustibles fossiles qui encouragent une consommation inutile” (Conseil européen de 2021). Cet engagement a animé les débats sur les définitions d’inefficacité et de subvention. D’une part, les gouvernements et l’industrie ont interprété ce language de façon étroite pour défendre des mesures qui supportent l’augmentation de la production et la consommation de combustibles fossiles. D’autre part, d’autres ont adopté des interprétations beaucoup plus larges qui aboutissent à des estimations de subventions très élevées.
Le présent document prend une approche différente qui, nous l’espérons, se montrera utile pour guider le Canada dans la mise en œuvre de son engagement à éliminer les subventions pour les combustibles fossiles. Nous évaluons si les mesures gouvernementales existantes et proposées soutiennent ou entravent les investissements privés nécessaires pour conduire le succès à long-terme du Canada dans la transition mondiale vers une économie à faible émission de carbone. Dans ce contexte, le succès signifie à la fois une croissance économique forte et une transition en douceur pour les travailleurs et les collectivités.
Les récentes initiatives de l’Union européenne (UE) pour mettre en place un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières touchant certains produits ont mis de l’avant ce type de mesures, les faisant passer de la théorie à la pratique.
L’UE envisage l’imposition d’une taxe carbone sur certains biens importés pour rectifier les déséquilibres entre la tarification imposée à ses producteurs et l’absence de tarification dans les pays exportateurs. Et elle n’est pas seule: le gouvernement canadien a publié un document de réflexion en août 2021 dans le cadre d’un processus de consultation plus large sur la question. Aux États-Unis, l’administration Biden ne cache pas son intérêt pour ce mécanisme. Maintenant que le Canada, les États-Unis et l’Union européenne examinent leurs options, les ajustements à la frontière pour le carbone (AFC) sont là pour de bon.
Au cœur de la conception des AFC, il y a le degré de collaboration entre les gouvernements. La coopération est de mise pour améliorer la conception, mieux comprendre les programmes des différents partenaires commerciaux, combattre les penchants protectionnistes et, surtout, pousser les autres pays à mettre les bouchées doubles pour éviter les ajustements à la frontière. Avec le concours de l’ambassade d’Allemagne au Canada, l’Institut explore ici les aspects techniques et administratifs d’un modèle coopératif entourant la mise en place d’ajustements à la frontière pour le carbone. Il se penche sur deux importants axes de coopération potentiels:
LA COMPRÉHENSION DES POLITIQUES sur le carbone jugées équivalentes dans le cadre des AFC.
L’ÉVALUATION DES ÉQUIVALENCES ENTRE LES SYSTÈMES, notamment par l’adoption d’une approche légale, équitable et pratique pour comparer la rigueur des politiques s’appliquant aux biens échangés.
Les pays doivent veiller à intégrer les actions qui suivent à leur modèle coopératif:
POURSUIVRE ET ÉLARGIR LES DISCUSSIONS sur les AFC au sein de l’OMC.
ABORDER LES AFC dans le cadre d’alliances multilatérales et d’organes de coopération et élargir les ententes sectorielles.
METTRE SUR PIED DES GROUPES DE TRAVAIL axés sur les pratiques exemplaires de coopération.
RÉPARER DES DOCUMENTS INFORMATIFS révélant le coût moyen des programmes de tarification du carbone.
Pour aller plus loin
L’Ambassade d’Allemagne au Canada s’est joint à l’Institut climatique du Canada le 15 décembre 2021 pour discuter d’un modèle coopératif qui pourrait aider à aplanir les obstacles à la mise en place d’AFC. Regardez le webinaire (EN):
1. L’objectif de carboneutralité du Canada et la voie à suivre
Le Canada s’est engagé à réduire ses émissions de gaz à effet de serre pour atteindre la carboneutralité d’ici 2050. Pour appuyer les efforts en ce sens et garder le cap, le gouvernement fédéral a entériné cet objectif, créé un mécanisme de définition des jalons quinquennaux et établi un cadre de gouvernance.
Plus tôt cette année, l’Institut climatique du Canada a publié son premier rapport complet sur les implications concrètes de cet objectif, Vers un Canada carboneutre : s’inscrire dans la transition globale. Dans ce rapport, on simule plus de 60 scénarios pour l’avenir énergétique du Canada afin de déterminer si l’objectif est atteignable, selon l’utilisation de diverses combinaisons de solutions « valeurs sûres » et « paris risqués ».
Le plus important à retenir de ce premier rapport est que l’objectif de carboneutralité du Canada est atteignable et que, pour y arriver, il faut rapidement et massivement renforcer la production d’électricité propre et étendre l’électrification.
Cependant, l’infrastructure électrique actuelle du Canada, vieillissante, ne s’inscrit tout simplement pas dans l’objectif de carboneutralité. Plus particulièrement, les sources d’énergie renouvelable intermittentes, comme le solaire et l’éolien, essentielles à l’atteinte de l’objectif, posent un problème pour les réseaux électriques qui ne sont pas prêts à les intégrer. De plus, le cadre de gouvernance réglementaire, qui régit les réseaux provinciaux, est rigide et diverge souvent de l’objectif de carboneutralité, posant des barrières majeures à l’innovation. Le rôle des réseaux électriques dans l’atteinte de l’objectif est bien trop important pour qu’on puisse se permettre le statu quo une minute de plus – ce que le nouveau gouvernement fédéral a d’ailleurs reconnu dans ses récents engagements à soutenir le développement de réseaux plus propres.
Heureusement, le Canada n’est pas seul dans cette transition énergétique. Pour appuyer la décarbonisation, de nombreux pays mettent à niveau leurs infrastructures et réseaux électriques. L’Allemagne, par exemple, est une figure de proue depuis plus de vingt ans avec son engagement national à produire l’électricité à partir de sources renouvelables; la part provenant de ces sources étant passée de moins de 5 % à plus de 40 % depuis le début du siècle. Alors qu’elle continue de se fixer des objectifs encore plus ambitieux, notamment l’abandon progressif de toutes ses centrales au charbon (qui comblent toujours le quart de ses besoins énergétiques) et la carboneutralité dans toute l’économie du pays d’ici 2045, l’Allemagne possède désormais une vision et une expertise précieuses dont le Canada peut s’inspirer pour atteindre son propre objectif de carboneutralité.
2. Le leadership de l’Allemagne dans la transition énergétique mondiale
Depuis 2002, l’Allemagne se positionne comme leader en énergies renouvelables et en lutte contre les changements climatiques grâce à un éventail de mécanismes d’intervention fédéraux et étatiques regroupés sous la bannière die Energiewende (« la transition énergétique »). Au fil des ans, dans son rôle de pionnière, l’Allemagne a notamment été la première à déployer le solaire à l’échelle industrielle, innové en matière d’efficacité énergétique, conçu des solutions écologiques tant pour les maisons que pour l’industrie lourde, et mené des négociations politiques pour élargir ses objectifs de transition à toute l’Union européenne.
À certains égards, le Canada se lance dans l’aventure de la carboneutralité avec une énorme avance sur l’Allemagne, qui dépendait fortement des centrales au charbon alors que l’infrastructure canadienne est déjà à plus de 80 % sans émission grâce à l’abondance d’hydroélectricité et d’énergie nucléaire. Mais le portrait global du Canada cache un fort contraste entre les provinces aux réseaux essentiellement hydroélectriques et nucléaires et celles recourant principalement aux combustibles fossiles (Shaffer, 2021). Cela dit, les deux pays ont des réseaux largement structurés autour de grandes centrales qui produisent une électricité prête à distribuer. Le Canada pourrait apprendre beaucoup sur la meilleure façon d’accélérer sa transition en observant l’Energiewende de l’Allemagne, qui affronte depuis plus de dix ans les difficultés liées au déploiement des capacités d’énergie renouvelable intermittente et à la révision en profondeur des cadres réglementaires, juridiques et financiers.
Ouverture du NEW 4.0-Roadshow en mai 2018 à la Chambre de commerce de Hambourg. Photo : Daniel Reinhardt/HAW.
3. La NEW 4.0 et l’avenir des réseaux carboneutres
L’Allemagne entre dans la prochaine phase de l’Energiewende : atteindre 65 % d’énergie sans émission d’ici 2030, puis la carboneutralité à l’échelle nationale d’ici 2045 pour l’ensemble de la production et de la consommation d’énergie. Elle commence donc à s’attaquer aux problèmes techniques, logistiques et politiques les plus difficiles que pose la reconception de son réseau en vue d’une production intermittente et décentralisée et d’une grande capacité de stockage d’énergie. Dans cette optique, le ministère de l’Économie et de l’Énergie du gouvernement fédéral allemand a lancé en 2016 un programme de vitrine de l’énergie intelligente pour financer l’expérimentation de technologies numériques de nouvelle génération et ainsi contribuer à l’atteinte des objectifs de l’Energiewende. Un des projets financés était la Norddeutsche Energiewende 4.0 (« la transition énergétique du nord de l’Allemagne 4.0 », ou tout simplement « NEW 4.0 »).
La NEW 4.0 a été conçue par les autorités étatiques et locales du Schleswig-Holstein (État du nord de l’Allemagne) et de la ville libre de Hambourg pour mettre en valeur leur leadership dans la transition énergétique et créer des outils pour favoriser encore davantage l’utilisation de l’énergie renouvelable, non seulement dans l’État, mais aussi à l’échelle du pays. Le Schleswig-Holstein est le cœur de l’éolien en Allemagne, profitant des abondants vents côtiers et extracôtiers de la mer du Nord, en plus d’être un grand centre de fabrication d’éoliennes. Véritable porte-étendard d’une nation championne de l’énergie propre, le Schleswig-Holstein se tient en première ligne de la transition énergétique mondiale, ce qui en fait un modèle particulièrement fiable pour le Canada et sa quête de carboneutralité.
Les efforts de transition dans le nord de l’Allemagne se butent déjà à des obstacles que devrait également rencontrer le Canada. L’économie du Schleswig-Holstein est étroitement liée à celle de la grande ville industrielle et portuaire de Hambourg, immédiatement au sud, car il s’agit de sa principale consommatrice d’électricité. Cependant, les industries lourdes qui s’y trouvent et leurs émissions relativement importantes nécessitent plus que le simple ajout d’énergie éolienne au réseau. Par exemple, les exploitations industrielles de grande ampleur comme les fonderies d’aluminium et les usines d’acier ont besoin de l’approvisionnement fiable et sur demande des grandes centrales : transformer ces usines pour les rendre compatibles avec des technologies comme l’énergie éolienne intermittente et le stockage d’énergie exigerait qu’on repense toutes les facettes du marché énergétique et des procédés de production en question. Le réseau régional souffre déjà d’une congestion considérable dans les périodes de pointe de production d’énergie éolienne, congestion gérée sans grande efficacité par réacheminement et par bridage.
Le Canada peut s’attendre à rencontrer les mêmes problèmes d’intermittence, de congestion et de technologies désuètes et les mêmes barrières juridiques et réglementaires que le Schleswig-Holstein dans son accélération vers la carboneutralité. Le projet NEW 4.0 constitue une excellente étude de cas permettant aux autorités canadiennes d’anticiper et d’éviter les pièges évidents.
Le projet
Le projet NEW 4.0, réalisé de 2016 à 2020, est défini comme un « plan de transition énergétique » appliqué dans « une région modèle pour l’Energiewende ». Outre les objectifs techniques, le but était de démontrer qu’une région entière de l’Allemagne (soit l’État fédéré du Schleswig-Holstein et la ville libre voisine de Hambourg) serait en mesure de fonctionner à 100 % à partir d’énergies renouvelables dès 2035.
Au lancement du projet, en 2016, déjà plus de 60 % de la capacité du réseau régional provenait d’énergies renouvelables et le secteur de l’énergie propre employait plus de 18 000 travailleuses et travailleurs, plaçant le Schleswig-Holstein à l’avant-garde de la transition énergétique en Allemagne (et en Europe) : un modèle robuste pour poursuivre le développement du réseau. La région connaît également les coûts les plus élevés – sur près de 1,2 milliard d’euros de coûts à l’échelle nationale, environ le tiers est attribuable au Schleswig-Holstein et à Hambourg en raison d’inefficacités du réseau et du déséquilibre entre l’offre et la demande (des coûts gonflés par la dépendance plus marquée de la région à la production non acheminable).
La NEW 4.0 a réuni 60 partenaires des secteurs public et privé, y compris des exploitants de réseaux, des services publics, des organismes gouvernementaux locaux et régionaux, des entreprises technologiques (notamment Siemens Gamesa, Acciona, Nordex et Vattenfall) et d’importants producteurs d’acier, d’aluminium, de cuivre et de produits chimiques. Le financement total du projet pour cinq ans tournait autour de 80 millions d’euros, dont 45 millions provenaient du ministère de l’Économie et de l’Énergie fédéral allemand.
Le cadre conceptuel de la NEW 4.0 était inspiré du concept de « forum d’innovation », le nord de l’Allemagne servant de région modèle où mettre à l’essai des nouveautés : applications, modèles d’affaires, mécanismes de marché et technologies. Cet espace d’expérimentation contrôlé a accueilli simultanément environ 20 projets de démonstration avec, comme noyau, la « plateforme énergie » : un outil numérique de gestion de la tarification et de la charge sur le réseau régional basé sur une technologie de chaîne de blocs et utilisant la flexibilité de l’offre et de la demande pour stabiliser le réseau, générer des économies et améliorer l’efficacité tant pour les fournisseurs d’électricité que pour les consommateurs. La plateforme permet aux gros clients industriels, aux exploitants de technologies de stockage, aux fournisseurs de combustible à hydrogène, aux installations productrices de chaleur et aux petits producteurs d’électricité de négocier l’offre et la demande excédentaires sur un marché libre. Quiconque veut avancer vers la carboneutralité se doit d’élaborer des outils qui permettent ce type de gestion de la charge.
La NEW 4.0 a prouvé le concept de réseau propre : d’un point de vue technique, une économie fortement industrialisée peut très bien fonctionner entièrement avec de l’énergie renouvelable et d’autres technologies propres actuellement sur le marché.
Werner Beba, professeur en administration des affaires à l’Université des sciences appliquées de Hambourg (HAW Hamburg) et coordonnateur de projet pour la NEW 4.0, a résumé la visée première du projet comme suit : « Nous avons franchi la prochaine étape importante [vers une énergie à 100 % renouvelable] en mettant à l’essai une collaboration entre le secteur de l’électricité et ceux du chauffage et de l’industrie. Des plateformes de marché fonctionnelles ont été créées pour réduire la congestion sur le réseau, gérer intelligemment l’approvisionnement en énergie et exploiter les volumes d’électricité bridés. Nous avons utilisé de l’électricité verte en remplacement du gaz naturel, du charbon et du mazout pour le chauffage et les activités industrielles. Nous avons mis à l’essai l’utilisation d’hydrogène dans les secteurs de l’industrie, du chauffage et de la mobilité, contribuant ainsi à réduire encore davantage les émissions de gaz à effet de serre. Outre les innovations techniques, nous avons pu déterminer les facteurs clés pour assurer une vaste acceptation sociale. »
La NEW 4.0 a démontré qu’il était possible de fournir de l’électricité, comme l’explique le rapport abrégé sur le projet, « sur demande, à différents clients, à tout moment et dans la quantité requise, tout en assurant la stabilité de fréquence du réseau. » (Beba et coll., 2020) Le projet est un test concluant de la compatibilité entre les grands consommateurs du secteur industriel de Hambourg et la filière éolienne du Schleswig-Holstein. En bref, la NEW 4.0 a prouvé le concept de réseau propre : d’un point de vue technique, une économie fortement industrialisée peut très bien fonctionner entièrement avec de l’énergie renouvelable et d’autres technologies propres actuellement sur le marché. La NEW 4.0 a également révélé certaines lacunes non techniques (économiques, juridiques, bureaucratiques et politiques) des réseaux actuels qui doivent être comblées de toute urgence pour que l’Allemagne (ou même le Canada) puisse atteindre ses objectifs de carboneutralité. Ces lacunes sont présentées plus en détail à la section 5.
Ouverture du NEW 4.0-Roadshow en mai 2018 à la Chambre de commerce de Hambourg. Photo : Daniel Reinhardt/HAW.
Les projets de la NEW 4.0
La NEW 4.0 regroupait environ 100 sous-projets dans toute la région, notamment 20 projets de démonstration à grande échelle, comme :
des démonstrations d’application de nouvelles technologies (batteries, chauffage, stockage d’hydrogène, appareils électroménagers intelligents, etc.);
des systèmes de réponse à la demande améliorant la flexibilité pour les gros consommateurs industriels;
des plateformes numériques pour le commerce à court terme des surplus d’énergie entre les producteurs et les consommateurs.
Voici en détail quelques-uns de ces projets, potentiellement les plus pertinents pour la transition énergétique du Canada.
La plateforme énergie
Créée par Hamburg Energie, principal fournisseur de services publics à Hambourg, la plateforme énergie est une application numérique utilisant la chaîne de blocs pour « permettre le commerce régional rapide d’énergie renouvelable flexible, et ainsi contribuer à la stabilité du réseau et à la sécurité de l’offre tout en valorisant au maximum les surplus d’énergie éolienne et d’autres sources renouvelables. » Parmi les participants à ce projet de démonstration, on compte trois des plus grandes opérations industrielles à Hambourg : ArcelorMittal (acier), TRIMET (aluminium) et Aurubis (cuivre). Servant de place de marché pour les producteurs et les consommateurs d’énergie renouvelable, la plateforme énergie a permis aux consommateurs de négocier directement avec les producteurs pour combler leur demande prévue en électricité.
Exploiter la puissance de pointe de l’éolien
Dans la petite ville de Norderstedt, en périphérie de Hambourg, la compagnie d’électricité locale, Stadtwerke Norderstedt, s’est jointe à la NEW 4.0 avec un projet de démonstration des stratégies et technologies de gestion de la charge pour tirer avantage des surplus en énergie éolienne abordable. Le projet offrait à quelque 1 000 résidents des tarifs réduits sur l’électricité pendant les périodes de production de pointe d’énergie éolienne, soit de 0,05 à 0,15 € par kWh (par rapport aux tarifs normaux pouvant atteindre 0,30 €). Les résidences participantes étaient équipées d’un interrupteur connecté à quatre prises où étaient branchés de gros électroménagers. Ceux-ci étaient mis sous tension automatiquement pendant la période de pointe. Il s’agissait surtout de lave-vaisselle et de laveuses, mais aussi de chargeurs de téléphone, de vélos électriques et même de voitures électriques. Au cours des 20 mois de la démonstration, les 1 000 résidences ont utilisé 371 MWh d’énergie qui, autrement, auraient été perdus. En moyenne, cela représentait environ 10 % des besoins en énergie de chaque maison.
Énergie = aluminium + acier
Dans les grandes usines d’aluminium et d’acier de Hambourg, les projets de la NEW 4.0 ont introduit des systèmes pour coordonner la forte demande industrielle en énergie avec l’offre en énergie renouvelable intermittente. À l’usine d’aluminium de TRIMET, dix fours de fusion ont été dotés d’échangeurs thermiques et de systèmes de contrôle spéciaux permettant d’augmenter et de réduire la production en fonction des fluctuations dans l’offre d’énergie éolienne. En cas de surplus d’énergie, la production pouvait augmenter : les échangeurs thermiques dissipaient l’excès de chaleur pour maintenir les températures élevées nécessaires à la fusion de l’aluminium. En cas de pénurie d’énergie, les échangeurs agissaient comme des isolants pour empêcher les fours de refroidir; ils faisaient en quelque sorte office de batteries pour l’usine. Si les 270 fours de l’usine de TRIMET étaient équipés d’échangeurs thermiques, ce serait l’équivalent d’une batterie pouvant stocker 3 800 MWh d’énergie éolienne pendant plusieurs jours, réduisant le besoin d’arrêter les éoliennes en périodes de grands vents.
En parallèle, à l’usine d’acier ArcelorMittal de Hambourg, deux sous-projets de la NEW 4.0 mettaient à l’essai des moyens d’adapter la production à un approvisionnement en énergie renouvelable intermittente. Le premier portait sur la production « en décalage » pour augmenter le rendement des fours de fusion pendant les périodes venteuses, ce qui s’est prouvé techniquement faisable, mais économiquement absurde dans les conditions de marché actuelles de la région. L’autre cherchait à déterminer s’il était viable de remplacer une partie de l’offre en gaz naturel utilisé pour les fours de fusion par de l’électricité de sources renouvelables.
Stockage à grande échelle
Dans le nord du Schleswig-Holstein, près de la frontière danoise, une coentreprise (composée du fournisseur de services publics néerlandais Eneco et du fabricant de batteries Mitsubishi) a mis sur pied la plus grande installation de stockage par batteries aux ions lithium en Europe. L’installation de 48 MW et de 50 MWh a été placée près de grands parcs éoliens et solaires et où les connexions au réseau sont excellentes. Bien qu’elle puisse approvisionner plus de 5 000 maisons pendant 24 heures, l’installation de stockage n’a jusqu’à maintenant été utilisée que pour équilibrer la charge et améliorer la stabilité du réseau régional.
Énergie = hydrogène
Ce projet de la NEW 4.0 combinait une installation de stockage par batteries de 2,7 MWh, un électrolyseur et une station de recharge d’hydrogène afin de vérifier s’il était possible d’utiliser l’hydrogène pour réduire le bridage de l’énergie éolienne sur les réseaux allemands. Les éoliennes du nord de l’Allemagne produisent environ 80 % de l’énergie bridée dans tout le pays en raison de la production par grands vents qui surcharge le réseau. Ce défi pourrait être surmonté par le stockage de l’énergie éolienne et sa conversion en hydrogène pour les secteurs de la mobilité et du chauffage.
5. Les réseaux de nouvelle génération au service de la carboneutralité au Canada
L’objectif de la NEW 4.0 était de servir de modèle à l’infrastructure énergétique future de l’Allemagne en vue d’atteindre l’objectif national de carboneutralité d’ici 2045. La NEW 4.0 était axée sur d’importantes mises à jour, innovations, reconceptions et modifications réglementaires requises pour bâtir des réseaux adaptés à la transition énergétique. De cette expérience de quatre ans, le rapport final du projet tire certaines leçons (Beba et coll., 2020), notamment les suivantes :
Il ne suffit pas d’étendre le réseau. Pour assurer la fiabilité d’un réseau sans émission, il faut décentraliser la gestion de la charge, utiliser des technologies de stockage novatrices et mettre sur pied des marchés pour l’électricité qui favorisent la flexibilité, et tout cela, à faible coût.
La technologie existe. Le rapport explique que « nous avons actuellement les installations, les instruments de marché, l’infrastructure de TIC et le savoir-faire nécessaires » pour bâtir des réseaux adaptés à un futur 100 % renouvelable. La flexibilité requise afin d’éviter le bridage, de trouver des acheteurs pour les surplus d’énergie renouvelable et de surmonter les pénuries peut être assurée par différents intervenants, ce qui améliorera la stabilité du réseau et éliminera la congestion.
Les cadres financier et réglementaire ne sont pas adaptés. Le rapport indique : « Ce qu’il manque, ce sont des modifications au cadre juridique et aux incitatifs financiers pour mettre en œuvre de manière rapide, économique et efficace les plus récentes solutions technologiques et commerciales. » Les règles, règlements et structures tarifaires des réseaux allemands ne permettent pas de créer de nouveaux marchés pour ces innovations et d’encourager le déploiement de nouvelles technologies. L’aspect financier n’est tout simplement pas compatible actuellement, et le cadre réglementaire dans lequel fonctionne l’infrastructure électrique n’a pas évolué aussi rapidement que les avancées technologiques. Comme l’indique Oliver Arendt de l’Université des sciences appliquées de Hambourg, gestionnaire de projet pour la NEW 4.0, le projet a produit le même résultat que les quatre autres projets financés par l’initiative fédérale Smart Energy Showcase : « Nous devons repenser notre façon de payer l’électricité. » L’approche actuelle de tarification en Allemagne, même après les 20 ans d’Energiewende, ne crée toujours pas un contexte économique favorable aux technologies et systèmes qui améliorent la flexibilité et contribuent aux objectifs de carboneutralité, plus particulièrement par rapport à la façon de répartir les revenus entre les différents intervenants.
Les intervenants du secteur industriel ont un important rôle à jouer. « L’industrie est l’un des grands moteurs de la décarbonisation et d’une protection efficace du climat, » indique le rapport final de la NEW 4.0, et les participants du secteur industriel ont démontré que leur consommation pouvait être synchronisée avec la production d’énergie renouvelable grâce à des technologies intelligentes et des mécanismes de marché flexibles. « Les grands consommateurs industriels d’électricité sont techniquement capables d’utiliser rapidement les surplus d’énergie éolienne et, à l’inverse, de réduire leur consommation lorsque la production d’énergie verte est faible. »
Il est urgent d’améliorer l’analyse des données. En raisondeseffets des changements climatiques sur la production d’énergie renouvelable, les exploitants de réseaux électriques ont besoin de données supplémentaires pour mieux répondre aux changements à court terme. Ces données doivent pouvoir être analysées en temps réel pour permettre une production complexe et décentralisée et améliorer la flexibilité de l’offre et de la demande. Elles doivent également, sur tous les fronts, être de qualité supérieure et recueillies en plus grande quantité pour permettre la création d’un réseau sans émission.
Thorsten Müller, fondateur de la Fondation pour le droit de l’environnement et de l’énergie, qui a supervisé les travaux de la NEW 4.0 sur les conditions du marché et le cadre réglementaire, a résumé les principales leçons du projet comme suit : « D’abord, comme prérequis de base, nous avons besoin de beaucoup plus d’énergie de sources renouvelables et devons créer les conditions préalables nécessaires dans la législation sur l’énergie, l’aménagement et l’approbation; sans quoi il ne sera pas possible d’atteindre la carboneutralité. Nous devons utiliser l’électricité de sources renouvelables dans les secteurs du chauffage, du transport (terme à retenir : couplage des secteurs) et de l’industrie. Ensuite, nous devons restructurer le secteur de l’énergie de sorte à mettre constamment l’accent sur les énergies renouvelables fluctuantes et à attribuer une valeur réelle à l’efficacité. Finalement, nous devons regrouper différents sous-secteurs très isolés en un système énergétique unifié et refondre en profondeur la législation pour en faire un outil de contrôle : moins de contradictions et de complexité, et plus de cohérence et d’intersectionnalité. »
Les leçons pour le Canada
Bien entendu, l’Allemagne n’est pas le Canada sur les plans géographique, énergétique, économique et politique. Plus important encore, le gouvernement fédéral allemand a beaucoup plus d’autorité en matière de politiques énergétiques que le gouvernement canadien. Néanmoins, les tentatives de préparation des réseaux canadiens à la transition énergétique ont mis au jour des défis et occasions similaires à ceux qu’a relevés la NEW 4.0. Malgré les différences, le Canada peut apprendre énormément des efforts de l’Allemagne dans sa quête de carboneutralité.
Au Canada – comme en Allemagne –, les principaux défis ne sont pas technologiques, mais bien réglementaires, juridiques et structurels.
QUEST Canada, par exemple, un organisme non gouvernemental, s’est associé aux gouvernements du Canada pour accélérer la transition énergétique, notamment dans une récente collaboration avec le gouvernement de l’Ontario et Ontario Power Generation visant la mise sur pied d’un forum d’innovation sur l’infrastructure énergétique de la province. L’analyse de QUEST indique qu’au Canada – comme en Allemagne –, les principaux défis ne sont pas technologiques, mais bien réglementaires, juridiques et structurels (QUEST, 2021).
Les mandats de réglementation actuels au Canada ont une vision très étroite des coûts et des avantages, ce qui ne favorise ni l’innovation ni les changements nécessaires à l’accélération de la transition énergétique. « Pour encourager l’innovation, explique Eric Timmins de QUEST, il faut tenir compte des aspects autres que financiers. » Seulement, les autorités de réglementation sont confinées à leur mandat, et l’ensemble du système encourage un conservatisme prudent en matière d’innovation. Les décideurs devront prendre l’initiative d’encourager ces changements, notamment en envoyant des signaux clairs par une augmentation du prix du carbone et l’application de contraintes réglementaires. Et, pour compenser leur aversion au risque, ils devront créer des espaces permettant d’expérimenter, d’innover et de tester des concepts; c’est là qu’une approche similaire aux forums d’innovation de la NEW 4.0 prendra tout son sens.
S’il y a une grande leçon à tirer de la NEW 4.0, véritable exemple à suivre de l’Allemagne, c’est qu’elle met en lumière l’envergure titanesque des changements à apporter aux réseaux d’électricité pour atteindre la carboneutralité. Il existe de plus en plus de technologies de réduction des émissions, mais elles ne régleront pas la myriade de problèmes financiers, réglementaires et politiques à venir. Le système doit changer de sorte à encourager l’innovation et à récompenser adéquatement les stratégies qui accélèrent la transition. Pour y parvenir, les forums d’innovation créés par des projets comme la NEW 4.0 sont d’une aide inestimable, donnant aux innovateurs et aux autorités de réglementation un espace où ils peuvent démontrer la viabilité des outils de la carboneutralité.
Nous remercions la Konrad-Adenauer-Stiftung pour son soutien financier à la réalisation de cette étude de cas.
Références citées
BEBA, Werner, Matthias BOXBERGER, Janina GRIMM, Martin HEINS, Onnen HEITMANN, Kaja JUULSGAARD, Hanna NAOUMIS, Thorsten MÜLLER, Klaus SCHWEININGER et Matthias WENG. 2020. NEW 4.0: Showcasing the energy landscape of tomorrow. Renewable Energy Hamburg.https://www.ponton.de/downloads/New40Report.pdf
Le gouvernement fédéral du Canada doit adopter une approche pangouvernementale de lutte contre les changements climatiques qui, en faisant intervenir le pouvoir central, permettrait de stimuler la collaboration interministérielle et d’intégrer la lutte contre les changements climatiques dans toutes les politiques publiques. Le Canada peut établir une approche pangouvernementale efficace en s’inspirant des réussites et des difficultés d’autres administrations, autant au pays qu’à l’étranger. Le présent document présente des approches pangouvernementales de lutte contre les changements climatiques aux quatre coins du monde ainsi que les leçons tirées de trois études de cas : le Royaume-Uni, les États-Unis et la Colombie-Britannique.
Résumé
Les changements climatiques constituent un problème complexe et pangouvernemental qui nécessite une transformation sociétale. Pour y remédier, les administrations doivent pouvoir élaborer des politiques climatiques qui transcendent les secteurs, les collectivités et les régions : une approche pangouvernementale peut favoriser l’intégration des considérations relatives aux changements climatiques à l’élaboration des politiques.
Les approches pangouvernementales comprennent deux éléments de gouvernance : les structures (organisations distinctes au sein de l’administration qui se consacrent à la coordination et à la collaboration pangouvernementales, comme les comités du Cabinet) et les processus (règles, normes ou mandats qui orientent les travaux d’élaboration et d’application de politiques d’au moins deux ministères).
Comme les politiques climatiques efficaces qui mettent le Canada sur la bonne voie nécessitent la participation active de divers ministères – Finances, Infrastructure, Transports, Ressources naturelles, Environnement et Changement climatique, Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord, Sécurité publique et Protection civile, Développement social, etc. –, il faut disposer d’une approche coordonnée pour assurer la mise en œuvre cohérente de la stratégie climatique.
Au cours des dernières années, certaines administrations nationales et infranationales se sont tournées vers des approches pangouvernementales de lutte contre les changements climatiques alors que les pays recourent à des mesures de plus en plus ambitieuses pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, s’adapter aux changements climatiques et mettre en œuvre des stratégies de croissance propre. Une approche interministérielle intégrée et coordonnée permet de mettre à profit l’expertise des ministères, d’éliminer les redondances dans les politiques, de favoriser l’intégration de la lutte aux changements climatiques dans les processus décisionnels, et de créer des synergies interministérielles pour améliorer l’efficacité de la gouvernance climatique.
Le présent document traite des structures et processus pangouvernementaux relatifs aux changements climatiques de huit pays; parmi ceux-ci, trois (Royaume-Uni, Colombie-Britannique et États-Unis) ont fait l’objet d’études de cas visant à déterminer les avantages et les risques des approches pangouvernementales.
Bien sûr, les approches pangouvernementales ne se valent pas toutes. En théorie, elles permettent de tirer profit de l’expertise du secteur public, au-delà des limites des ministères, pour nourrir les ambitions climatiques. En réalité, elles peuvent être difficiles à déployer. D’un côté, la mise en place de structures et de processus bien dotés en ressources pour favoriser la collaboration interministérielle peut accroître l’efficacité des politiques climatiques, mais de l’autre, les intérêts concurrents au sein de l’administration et les contraintes sur le plan des ressources humaines et financières font en sorte qu’il est difficile de maintenir une telle approche. Pour trouver un équilibre et déployer une approche pangouvernementale de la lutte contre les changements climatiques efficace et cohérente, il faut s’inspirer des cinq leçons tirées des cas examinés dans le présent document :
La réussite d’une initiative climatique pangouvernementale repose sur les efforts soutenus déployés par le pouvoir central pour orienter les priorités ministérielles et assurer la coordination interministérielle.
Pour être efficace, une initiative climatique pangouvernementale doit disposer d’un financement adéquat, d’un mandat clair et des pouvoirs nécessaires pour entraîner des changements dans les ministères.
Pour être efficace, une initiative climatique pangouvernementale doit être menée dans des structures pangouvernementales par du personnel ayant les moyens nécessaires pour agir efficacement.
Le mandat des ministères participants doit correspondre à celui de l’initiative climatique pangouvernementale ou y être harmonisé.
L’initiative climatique pangouvernementale doit faire l’objet de rapports publics sur son état d’avancement, et les discussions, conclusions et recherches connexes doivent demeurer aussi transparentes que possible.
1. Introduction
1.1. Approche pangouvernementale
Les changements climatiques constituent un problème complexe et urgent qui nécessite une intervention gouvernementale coordonnée. Traditionnellement, les politiques climatiques étaient confiées aux ministères de l’Environnement, tandis que la majorité des autres ministères ne s’en occupaient que lorsqu’elles avaient une incidence directe sur leurs priorités et mandats généraux. Cependant, pour réagir de manière rapide et efficace à l’urgence climatique, les administrations doivent mobiliser l’ensemble de leur expertise stratégique pour déployer des politiques climatiques qui s’appliquent dans l’ensemble des secteurs, des collectivités et des régions.
L’approche pangouvernementale, qui traverse les silos ministériels pour encourager la collaboration à l’échelle gouvernementale, est une façon de tirer parti de cette expertise. Elle consiste, pour les ministères, à travailler ensemble pour résoudre des problèmes complexes qui dépassent les limites de leur mandat, comme les changements climatiques (Christensen et Lægreid, 2006).
Comme l’indique le rapport Connecting Government (2004) du comité consultatif de gestion de l’Australie : « [L’approche pangouvernementale] consiste, pour les organismes de services publics concernés, à dépasser les limites de leur portefeuille pour atteindre un objectif commun et déployer une réponse gouvernementale intégrée afin de régler des problèmes donnés. Une telle approche, officielle ou non, peut porter sur l’élaboration des politiques, la gestion de programmes et la prestation de services ». Souvent, l’approche pangouvernementale se manifeste par la formation de comités interministériels de haut niveau qui échangent de l’information et appliquent des lois et des mandats du gouvernement. La plupart de ces groupes sont chapeautés par le pouvoir central (p. ex. bureau du Cabinet ou du président), pour un leadership central et fort.
La coordination interministérielle pour affronter les questions urgentes et complexes remonte au moins à la Seconde Guerre mondiale. On comptait parmi les comités et cabinets de guerre formés au cours des années 1940 des comités du Cabinet interministériels de haut niveau qui dirigeaient et appuyaient les interventions d’urgence menées par l’ensemble de l’administration (Klein, 2020). C’est cependant au milieu des années 1990 que l’approche pangouvernementale s’est officialisée : certaines administrations sont alors passées d’une gouvernance ministérielle en silo axée sur un seul domaine à une approche intégrée des questions complexes qui dépassent les limites des ministères et des sphères de compétences (Christensen et Lægreid, 2007). Le mouvement a initialement pris son élan au Royaume-Uni, en Australie et en Nouvelle-Zélande, puis a gagné en popularité dans d’autres pays dont les États-Unis.
Le présent document fera d’abord un survol des caractéristiques des approches pangouvernementales, en particulier le recours aux comités interministériels et à des mandats gouvernementaux généraux, puis présentera trois études de cas liées à la lutte contre les changements climatiques : le Royaume-Uni, qui a formé plusieurs nouveaux comités du Cabinet pour appuyer la coordination interministérielle de la lutte contre les changements climatiques; les États-Unis, qui ont récemment mis sur pied le Groupe de travail national sur le climat; et la Colombie-Britannique, qui s’est donné un Secrétariat du changement climatique.
1.2. Caractéristiques des approches pangouvernementales
Une étude sur différents pays a permis de recenser plusieurs caractéristiques des approches pangouvernementales de lutte contre les changements climatiques. La section deux présente les caractéristiques globales des approches de huit pays, et les sections trois à cinq, des études de cas plus approfondies (Royaume-Uni, Colombie-Britannique et États-Unis).
1.2.1. Structures pangouvernementales de lutte contre les changements climatiques
Les structures pangouvernementales sont des groupes ou organismes distincts qui se consacrent à la coordination et à la collaboration interministérielles, comme des comités du Cabinet et des groupes de travail (Christensen et Lægreid, 2007; Verhoest et coll., 2007). Une même administration peut compter plusieurs structures pangouvernementales; ce sont des forums distincts et particuliers de coordination interministérielle sur le climat, p. ex. des comités du Cabinet qui se consacrent à la lutte contre les changements climatiques ou de nouveaux bureaux qui relèvent du pouvoir central (comme le Secrétariat du changement climatique de la Colombie-Britannique ou le Groupe de travail national sur le climat des États-Unis). L’efficacité des structures pangouvernementales dépend de deux éléments essentiels : un mandat clair et la participation des plus hauts échelons de direction.
Insistons sur ce point : un mandat clair est la clé de la réussite de toute initiative pangouvernementale. L’autorité des comités interministériels repose sur leur capacité à créer des forums de collaboration qui incitent fortement à la participation. Leur principale fonction consiste-t-elle à faire circuler l’information et à assurer la coordination, ou doivent-ils plutôt participer à l’élaboration de stratégies, de politiques et de plans intégrés? Certaines structures pangouvernementales relèvent du pouvoir central, ce qui permet aux dirigeants de donner des directives à plusieurs ministères et de centraliser les mesures climatiques. D’autres sont plus modestes et dirigées par un seul ministère qui compte sur la pression qu’il peut exercer sur ses vis-à-vis pour provoquer des changements. Quoi qu’il en soit, un mandat clair contribue à la réussite d’une initiative.
La composition de ces structures est tout aussi importante. Le pouvoir central décide de la composition de ces groupes pangouvernementaux ainsi que de leur position dans la structure hiérarchique. Par exemple, certains groupes restreints peuvent se pencher sur des questions pointues, tandis que d’autres, de grands groupes interministériels inclusifs, reçoivent un vaste mandat consistant à coordonner la lutte contre les changements climatiques dans toutes les sphères de responsabilité. Les petits groupes conviennent bien aux initiatives particulières qui ne nécessitent la participation que de quelques ministères (p. ex. amélioration des mesures d’urgence devant la menace croissante des feux incontrôlés); les grandes structures, elles, servent plutôt à coordonner des mesures climatiques générales et à se pencher sur des questions complexes comme l’élaboration d’une stratégie nationale sur la résilience climatique.
1.2.2. Processus pangouvernementaux
Les processus pangouvernementaux sont les règles, normes et mandats qui régissent l’élaboration et l’application de politiques d’au moins deux ministères (Meadowcroft, 2009). Dans le contexte actuel, ces processus servent à faire de la lutte contre les changements climatiques une priorité au sein de chaque ministère, même en l’absence de structure établie pour la coordination interministérielle. Ces processus sont principalement utilisés pour demander une évaluation des questions liées aux changements climatiques à des ministères où, autrement, elles serait traitées en marge du mandat, ou pour consacrer des ressources humaines et financières aux mesures climatiques.
Les mécanismes procéduraux comprennent les lettres de mandat et les décrets aux ministres et aux secrétaires qui ordonnent une collaboration interministérielle sur les principaux objectifs gouvernementaux (comme une stratégie pangouvernementale de carboneutralité). La législation imposant l’intégration des considérations relatives aux changements climatiques dans les processus décisionnels (comme la Loi de 2020 sur le climat du Danemark, en vertu de laquelle toute nouvelle législation doit être accompagnée d’une évaluation climatique) peut être considérée comme un processus pangouvernemental.
1.2.3. Organismes consultatifs externes
Le recours à des organismes consultatifs indépendants sur le climat soutient efficacement les initiatives pangouvernementales sur le climat, car ces organismes fournissent des conseils éclairés sur les politiques de lutte contre les changements climatiques (Meadowcroft, 2009). Les avantages dépassent les approches pangouvernementales : en effet, ils produisent des analyses indépendantes des plans climatiques, vont au-delà des mandats gouvernementaux pour poser des questions corsées, et formulent des recommandations sur les politiques publiques à adopter.
Les organismes consultatifs externes font souvent rapport à des comités du Cabinet, au pouvoir législatif ou au pouvoir exécutif, plutôt qu’à un seul ministère. Ainsi, la lutte contre les changements climatiques demeure au cœur des discussions. Lorsqu’ils entretiennent une relation avec des structures pangouvernementales comme les comités du Cabinet, les organismes consultatifs externes peuvent contribuer à façonner la coordination interministérielle de la lutte contre les changements climatiques et formuler des recommandations visant des secteurs particuliers. Leurs conclusions, souvent rendues publiques, constituent un point de comparaison pour les résultats d’autres mécanismes pangouvernementaux. Ils posent des questions qui inspirent des politiques plus ambitieuses et efficaces. Ils peuvent contribuer à l’établissement d’objectifs intermédiaires et à long terme, donner des conseils sur les politiques et assurer la continuité au-delà des changements de gouvernement.
2. Recensement d’approches pangouvernementales de lutte contre les changements climatiques
Au cours des 20 dernières années, certaines administrations nationales et infranationales se sont tournées vers des approches pangouvernementales de lutte contre les changements climatiques alors que les pays recourent à des mesures de plus en plus ambitieuses pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, s’adapter aux changements climatiques et mettre en œuvre des stratégies de croissance propre. Nous présentons ici une sélection de ces approches. Bon nombre des pays concernés ne reconnaissent l’existence des changements climatiques à l’échelle gouvernementale que depuis peu, à quelques exceptions près. Singapour s’est dotée de plusieurs groupes de travail sur le climat depuis 2007 (Secrétariat national du changement climatique, s.d.). La France a été l’un des premiers pays à créer un forum interministériel sur les changements climatiques, en 1992, mais ce dernier a été absorbé par le ministère de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement durable et de l’Aménagement du territoire en 2008 (Bardou, 2009).
Le tableau ci-dessous donne un aperçu des structures et processus pangouvernementaux ainsi que des organismes consultatifs externes.
Comme il existe un relatif consensus entre les partis du Royaume-Uni à propos de la nécessité des mesures climatiques, la gouvernance climatique a présenté un degré d’ambition pratiquement inchangé au cours des vingt dernières années, avec l’adoption quasi unanime de la Climate Change Act 2008. Cependant, en raison d’une coordination inadéquate et d’une prise en charge inégale des objectifs climatiques spécifiques par les différents ministères, la mise en œuvre de ces mesures n’est ni uniforme, ni stable (Lockwood, 2021).
La structure du gouvernement du Royaume-Uni peut entraîner la création de silos sur le plan des politiques, puisque chaque ministère est l’ultime responsable des questions s’inscrivant dans son portefeuille. Par exemple, le ministère des Affaires, de l’Énergie et de la Stratégie industrielle est responsable de la lutte contre les changements climatiques, même si on a demandé aux autres ministères d’intégrer des mesures climatiques à différents degrés dans le cadre de l’approche pangouvernementale (Dray, 2021). La Climate Change Act 2008 a pour objectif l’élimination des émissions nettes de gaz à effet de serre pour 2050 ainsi que la préparation de budgets carbone quinquennaux à court terme pour orienter l’élaboration de politiques en vue de l’atteinte de cette cible. Ces objectifs nécessitent une coordination entre les ministères, en particulier pour les questions transversales (p. ex. le transport, qui requiert la participation de plusieurs ministères – Transports, Trésor et Commerce international – en plus de celui des Affaires, de l’Énergie et de la Stratégie industrielle).
Le premier ministre a le pouvoir de créer des structures pangouvernementales, comme des comités du Cabinet ou des groupes de travail, et de déterminer leurs champs de compétences et leur composition. Les structures pangouvernementales peuvent être utiles, puisqu’elles permettent des interventions flexibles sur des questions particulières, et ne nécessitent pas toujours un consensus législatif. Cependant, comme elles sont principalement établies par le pouvoir exécutif, elles peuvent être facilement dissoutes par les gouvernements subséquents, et dépendent donc de l’engagement du premier ministre en exercice. Très souvent, les approches pangouvernementales émanent du pouvoir exécutif.
3.2. Structures pangouvernementales de lutte contre les changements climatiques
L’établissement des changements climatiques comme question pangouvernementale au Royaume-Uni a connu un parcours inégal. Le pays a formé en 2006 le Bureau interministériel de lutte contre les changements climatiques, dont le mandat était d’« assurer la collaboration entre les ministères dans le cadre des travaux d’analyse des changements climatiques et de l’élaboration des politiques et de stratégies de lutte contre les changements climatiques » (Archives nationales, 2008). En 2018, le Bureau a été absorbé par l’ancien ministère de l’Énergie et des Changements climatiques; le Royaume-Uni n’a créé aucune autre structure pangouvernementale de lutte contre les changements climatiques avant 2019.1.2.1. Comités du Cabinet
En octobre 2019, le premier ministre Boris Johnson a fondé et présidé le Comité du Cabinet sur les changements climatiques, qu’il a divisé en deux entités en juin 2020 : le Comité sur la stratégie d’action climatique et le Comité de mise en œuvre du plan d’action sur le climat (Institut pour le gouvernement, 2020). Ces derniers sont tous deux constitués de hauts fonctionnaires de plus d’une douzaine de ministères qui se réunissent tous les deux mois pour discuter de questions transversales relatives à l’approche du gouvernement en matière de changements climatiques.
Le premier ministre préside le Comité sur la stratégie d’action climatique, dont le mandat consiste à « se pencher sur les enjeux liés à la mise en œuvre de la stratégie nationale et internationale du Royaume-Uni relative au climat » (Bureau du Cabinet, 2020). Il compte six membres issus de ministères : le chancelier de l’Échiquier; le secrétaire d’État aux Affaires étrangères, au Commonwealth et au Développement; le ministre du Bureau du Cabinet; le secrétaire d’État aux Affaires, à l’Énergie et à la Stratégie industrielle; le secrétaire d’État à l’Environnement, à l’Alimentation et aux Affaires rurales; et le ministre d’État pour le Pacifique et l’Environnement.
Le Comité de mise en œuvre du plan d’action sur le climat, lui, se penche sur « les enjeux liés au respect des engagements pris à la COP26, à la carboneutralité et au renforcement de la résilience du Royaume-Uni face aux répercussions des changements climatiques », et est présidé par le ministre des Affaires, de l’Énergie et de la Stratégie industrielle. Il réunit tous les membres du Comité sur la stratégie d’action climatique (sauf le ministre du Bureau du Cabinet) ainsi que le secrétaire d’État au Commerce international et président de la Chambre de commerce, le secrétaire d’État au Travail et aux Retraites; le secrétaire d’État au Logement, aux Communautés et au Gouvernement local; le secrétaire d’État aux Transports; et le secrétaire d’État pour l’Écosse (Bureau du Cabinet, 2020). Au sein de ce comité, on se demande si le ministère des Affaires, de l’Énergie et de la Stratégie industrielle « a assez d’influence pour veiller à ce que les autres parties de l’administration prennent des mesures suffisantes dans leurs sphères de responsabilité », comme l’a soulevé une source anonyme du gouvernement en 2021 (Bureau national de vérification, 2021). Cependant, les deux comités offrent aux hauts fonctionnaires un forum où coordonner leurs efforts. De plus, le premier ministre peut aussi, dans le cadre de ses fonctions de président du Comité sur la stratégie d’action climatique, offrir du soutien au ministère des Affaires, de l’Énergie et de la Stratégie industrielle pour faire appliquer les mesures climatiques interministérielles.
3.2.2. Groupes de soutien
Il y a deux autres groupes qui appuient les comités du Cabinet : le Groupe responsable de la mise en œuvre de la stratégie nationale de lutte contre les changements climatiques et le conseil de direction pour la carboneutralité, tels que présentés dans la figure 1 ci-dessous. Le premier groupe, présidé par un directeur général du ministère des Affaires, de l’Énergie et de la Stratégie industrielle, réunit des hauts fonctionnaires des principaux ministères et est responsable de la mise en œuvre de la stratégie nationale de lutte contre les changements climatiques, y compris les mesures d’atténuation et de résilience à l’échelle nationale et internationale (Bureau national de vérification, 2020). Quant au conseil de direction pour la carboneutralité, il appuie les efforts du Groupe responsable de la mise en œuvre de la stratégie nationale relatifs à la carboneutralité (Bureau national de vérification, 2020). Ils relèvent tous deux des comités du Cabinet.
3.2.3 Groupes interministériels
En 2018, outre les comités du Cabinet et les groupes consultatifs ont été formés deux groupes interministériels qui se penchent sur les questions relatives aux politiques sur le climat et la carboneutralité. Le Groupe interministériel sur l’environnement et la croissance propre regroupe des représentants des ministères et des fonctionnaires de l’administration, tandis que le Groupe interministériel sur la carboneutralité, l’énergie et les changements climatiques participe à la coordination des mesures climatiques entre les administrations en dévolution – Écosse, pays de Galles et Irlande du Nord (Groupe interministériel sur la carboneutralité, l’énergie et les changements climatiques, 2021)[1]. Contrairement aux comités du Cabinet, les groupes interministériels prennent rarement des décisions exécutoires, mais peuvent participer à l’élaboration de politiques dans des domaines qui ne nécessitent aucun consensus au sein du Cabinet. Ces groupes offrent aux administrations en dévolution un forum régulier où communiquer et échanger de l’information sur les politiques climatiques avec des ministères, ce qui n’est pas nécessairement le cas dans les comités du Cabinet.
Au Royaume-Uni, les comités du Cabinet peuvent prendre des décisions exécutoires sur des questions spécifiques afin de réduire le fardeau de l’ensemble du Cabinet. Ce n’est pas le cas pour d’autres types de groupes, comme les sous-comités, groupes de travail de mise en œuvre ou groupes informels. Étant donné que traditionnellement, les renseignements sur les réunions des comités du Royaume-Uni demeurent confidentiels, il est difficile de mesurer leur véritable influence sur les politiques (Institut pour le gouvernement, 2020). Ces comités sont très peu susceptibles d’être tenus à une transparence complète; d’ailleurs, en présence d’autres mécanismes de reddition de comptes, cela pourrait être inutile. Le Comité des changements climatiques externe offre un forum pour les analyses et les débats publics, tandis que la Climate Change Act et la Net Zero Strategy comprennent des objectifs permettant de mesurer les résultats des ministères. Cependant, il faudrait que les véritables tâches des comités du Cabinet et les activités interministérielles qu’ils appuient soient plus claires.
3.3. Processus pangouvernementaux
Les structures ci-dessus sont des mécanismes tangibles dont la position au sein de la hiérarchie gouvernementale est claire, mais le Royaume-Uni n’a pas eu le même succès pour intégrer une approche pangouvernementale de lutte aux changements climatiques dans ses processus décisionnels élargis. De façon générale, la Climate Change Act 2008 (modifiée en 2019) établit des cibles à court et long terme pour les mesures climatiques dans le but d’atteindre la carboneutralité d’ici 2050. Ces cibles édictent les mesures climatiques pour chaque ministère, mais leur application dans l’administration présente des lacunes.
Des politiques comme la Clean Growth Strategy de 2017 (chapeautée par le ministère des Affaires, de l’Énergie et de la Stratégie industrielle) comprenaient certains processus pangouvernementaux, mais il demeurait des écarts persistants entre les ambitions de ces politiques et leur trajectoire. Par exemple, la Clean Growth Strategy établit des cibles pour des secteurs spécifiques et les ministères touchés (p. ex. une cible de réduction de 19 % des émissions agricoles, gérée par le ministère de l’Agriculture), et indique que le Groupe interministériel sur l’environnement et la croissance propre est responsable de la coordination entre les ministères (ministère des Affaires, de l’Énergie et de la Stratégie industrielle, 2019). Cependant, dans son rapport d’étape de 2019 soumis au Parlement, le Comité des changements climatiques a souligné qu’il demeurait un important écart entre les visées des politiques et les objectifs climatiques, et qu’on était en voie de rater de nombreuses cibles (Comité des changements climatiques, 2019 et 2021). Ces échecs ne sont pas attribuables uniquement à l’inefficacité de l’approche pangouvernementale, pas plus que cette approche est la solution miracle pour toutes les cibles ratées du Royaume-Uni. La situation incite à remettre en question l’efficacité de l’approche pangouvernementale actuelle.
Depuis 2019, le Royaume-Uni a réalisé des progrès sur le plan des procédures pangouvernementales. À la suggestion du Comité des changements climatiques, le gouvernement Johnson a demandé au Trésor, en 2020, d’entreprendre un vaste examen des options de financement de la transition vers la carboneutralité, indiquant qu’il fallait accorder plus d’importance aux mesures de lutte contre les changements climatiques, tant au sein du gouvernement qu’au-delà (ministère des Affaires, de l’Énergie et de la Stratégie industrielle, 2019). En réponse à cette demande, le Trésor a publié une stratégie provisoire sur la carboneutralité en décembre 2020 (Trésor de Sa Majesté, 2020). Cependant, des détracteurs ont dénoncé les importants écarts qui subsistent entre les plans du Trésor et les objectifs du Comité des changements climatiques (Serin, 2021).
La Net Zero Strategy, publiée en octobre 2021, quelques jours avant la COP26, a le potentiel d’engendrer une stratégie pangouvernementale plus cohérente. Elle affirme une volonté « de mieux intégrer les considérations relatives aux changements climatiques dans les décisions de dépenses » et « d’exiger du gouvernement qu’il tienne compte des questions environnementales, comme les changements climatiques, dans le cadre de l’élaboration de politiques nationales » (ministère des Affaires, de l’Énergie et de la Stratégie industrielle, 2021). La stratégie est relativement exhaustive : elle repose sur les recommandations du Comité des changements climatiques et établit des trajectoires sectorielles en vue de l’atteinte de la carboneutralité en 2050. Cependant, les retombées prévues des différentes politiques proposées restent vagues, car l’administration n’a pas calculé les effets de chacune d’elles, et certains modèles de financement – en particulier, pour les bâtiments et l’agriculture – sont toujours en cours d’élaboration (Comité des changements climatiques, 2021).
3.4. Organismes consultatifs externes
Le Comité des changements climatiques est un organisme public indépendant et non ministériel du Royaume-Uni qui prodigue au gouvernement et aux administrations en dévolution des conseils sur la lutte contre les changements climatiques. Ses rapports publics et ses conseils à l’administration sont essentiels pour parvenir à établir des objectifs climatiques à long terme, mesurer l’état d’avancement et élaborer des politiques (Bureau du Cabinet, 2020). Il a déposé plusieurs recommandations dans le cadre des travaux sur la récente Net Zero Strategy, publiée en octobre 2021. Comme on l’a expliqué plus haut, l’approche pangouvernementale du Royaume-Uni souffre d’un manque de clarté et de reddition de compte en ce qui a trait aux résultats escomptés de ces structures et procédures ainsi qu’à leur capacité à entraîner des changements. Le Comité des changements climatiques contribue à la reddition de comptes en assurant le suivi des réalisations dans des secteurs donnés ainsi que des plans d’action du gouvernement, en signalant le manque d’ambition et en recommandant au gouvernement des façons d’y remédier. Il soumet régulièrement des rapports au gouvernement et lui prodigue des conseils sur des questions spécifiques à la demande des ministères, mais ses activités sont entièrement indépendantes (Comité des changements climatiques, 2021).
3.5 Principaux constats
L’approche consistant à recourir à des comités du Cabinet pour coordonner la lutte contre les changements climatiques comporte autant de pratiques exemplaires inspirantes que de pièges à éviter. Depuis 2019, le Royaume-Uni a mis sur pied plusieurs structures et processus pangouvernementaux, notamment le Comité sur la stratégie d’action climatique et le Comité de mise en œuvre du plan d’action sur le climat. Toutefois, il accuse un retard sur ses cibles et a besoin d’une stratégie pangouvernementale plus cohérente (Comité des changements climatiques, 2021 et Bureau national de la vérification, 2020). Comme il existe un consensus entre les partis du Royaume-Uni sur la question des changements climatiques, les comités qui s’y consacrent vont probablement subsister et veiller à ce que cet enjeu reste au cœur des activités gouvernementales.
Les dirigeants se montrent fermement engagés dans l’action climatique ministérielle et interministérielle. Les comités du Cabinet et les groupes de travail formés par le premier ministre et les responsables des ministères concernés encouragent la collaboration entre les ministères dans la lutte contre les changements climatiques. Les comités du Cabinet en particulier offrent aux ministères un véritable forum pour coordonner les politiques, échanger de l’information et discuter de la stratégie climatique de manière informelle.
Cependant, un changement de gouvernement pourrait entraîner une réinitialisation de l’approche pangouvernementale, ce qui fragiliserait ces structures et processus. Le fait que l’avancement des questions relatives aux politiques repose sur les membres du Cabinet est un problème de longue date au Royaume-Uni en raison du manque de coordination interministérielle (que cette approche pangouvernementale vise à combler) et du haut roulement des dirigeants. Comme l’approche pangouvernementale dépend essentiellement du pouvoir central, l’appui du premier ministre peut engendrer une solide coordination interministérielle, mais c’est aussi le véritable talon d’Achille de l’approche du Royaume-Uni.
L’efficacité des comités du Cabinet et des groupes de travail repose sur les pouvoirs et les ressources qui leur sont accordés par le pouvoir exécutif ainsi que sur leur capacité à élaborer des politiques et plans interministériels. Néanmoins, l’existence de ces comités témoigne de l’adhésion et de l’engagement des leaders, ce qui pourrait mener ces structures à jouer un rôle plus concret dans l’avenir.
Étant donné le manque de transparence et les lacunes des mécanismes de reddition de compte, il est difficile d’évaluer l’efficacité de l’approche pangouvernementale de lutte contre les changements climatiques du Royaume-Uni ainsi que l’étendue de la collaboration interministérielle et des changements de politique concrets que cette approche a entraînés. Comme les rapports détaillés des comités du Cabinet et des groupes de travail sont rares, on ne peut véritablement juger des réalisations de ces derniers. Ces comités doivent rendre davantage de comptes afin qu’il soit possible de constater les résultats de leurs réunions et de déterminer si cette forme de structure pangouvernementale stimule le déploiement des mesures climatiques au sein des ministères et de l’ensemble de l’administration.
[1] Il importe de noter que si les listes blanches et la composition des comités du Cabinet sont publiés assez régulièrement, les renseignements sur les groupes interministériels, eux, le sont rarement; pour les obtenir, il faut généralement soumettre une demande d’accès à l’information. En 2018, l’Institut pour le gouvernement a soumis une telle demande; ce sont les renseignements publics les plus récents. Pour mieux illustrer ce point, soulignons qu’en 2021, le Bureau national de vérification n’a pas pu savoir si le Groupe interministériel sur l’environnement et la croissance propre avait tenu des réunions, et ce, même si ce dernier existe depuis 2018 (Bureau national de vérification, 2021).
Résumé de l’étude de cas
Depuis 2019, le Royaume-Uni a mis sur pied plusieurs structures et processus pangouvernementaux, notamment le Comité sur la stratégie d’action climatique et le Comité de mise en œuvre du plan d’action sur le climat.
L’existence de ces structures témoigne d’un engagement ferme envers les mesures climatiques, autant dans l’ensemble de l’administration que dans les ministères, et favorise la collaboration interministérielle dans le cadre de la lutte contre les changements climatiques.
Cependant, en raison du manque de pouvoir et de transparence et des lacunes des mécanismes de reddition de comptes, il est difficile d’évaluer l’efficacité de l’approche pangouvernementale de lutte contre les changements climatiques du Royaume-Uni ainsi que l’étendue de la collaboration interministérielle et des changements de politique concrets que cette approche a entraînés.
4. Étude de cas : Colombie-Britannique
4.1. Contexte
À la suite du discours du Trône de 2007, qui soulignait l’urgence des problèmes climatiques et le devoir d’agir de la Colombie-Britannique, celle-ci s’est positionnée comme un chef de file de la lutte contre les changements climatiques, autant en Amérique du Nord que dans le reste du monde. Ceci s’est traduit par d’ambitieuses cibles de réduction des gaz à effet de serre par rapport aux niveaux de 2007 – 33 % pour 2020 et 80 % pour 2050 –, ainsi que par la mise en œuvre d’une série de politiques pour les atteindre, dont la toute première politique de tarification du carbone sur un territoire nord-américain, une taxe sur le carbone sans incidence sur les recettes (gouvernement de la Colombie-Britannique, 2008). Ces importantes législations étaient le fruit de l’expérience personnelle de l’ancien premier ministre Gordon Campbell, qui avait personnellement discuté de la question avec des acteurs influents, dont l’ancien gouverneur de la Californie et fervent défenseur des mesures climatiques, Arnold Schwarzenegger (Harrison, 2012).
Le gouvernement Campbell a adopté une approche pangouvernementale afin de coordonner les ministères chapeautant des secteurs d’activité responsables des changements climatiques ou en subissant les conséquences. Le gouvernement a mis sur pied le Comité du Cabinet sur les mesures climatiques et le Secrétariat du changement climatique pour gérer cette approche pangouvernementale. A également été formée l’Équipe d’action sur le climat, un organisme consultatif externe composé de représentants de la société civile dont le mandat était de formuler des recommandations sur les cibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre intermédiaires pour 2012 et 2016. Le Comité du Cabinet sur les mesures climatiques et l’énergie propre, le Groupe de travail du Cabinet sur le leadership en matière de climat, le Secrétariat des priorités et de la planification et le Conseil sur les solutions climatiques (un nouvel organisme consultatif) sont d’autres exemples d’entités auxquelles la Colombie-Britannique a eu recours depuis pour intégrer l’approche pangouvernementale de lutte contre les changements climatiques à l’élaboration de politiques.
4.2. Structures pangouvernementales
Depuis 2007, les gouvernements de Colombie-Britannique qui en faisaient une priorité ont mis sur pied plusieurs structures pangouvernementales consacrées à la lutte contre les changements climatiques, mais les changements de gouvernement ont entraîné d’importants bouleversements.
4.2.1. Secrétariats gouvernementaux
Le Secrétariat du changement climatique a initialement été mis sur pied en 2007, au sein du Cabinet du premier ministre, et se trouvait donc au cœur du Conseil exécutif de la Colombie-Britannique, ce qui lui donnait beaucoup de poids. Son mandat consistait à coordonner la lutte contre les changements climatiques de l’ensemble du gouvernement en collaborant avec pratiquement tous les ministères, ainsi qu’à superviser le nouveau comité du Cabinet sur les mesures climatiques (gouvernement de la Colombie-Britannique, s.d.). De plus, il devait échanger avec les Premières Nations, les collectivités locales, l’industrie, les organismes environnementaux et la communauté scientifique, épauler l’Équipe d’action sur le climat, et rendre des comptes sur les progrès accomplis. L’information sur le Secrétariat du changement climatique et ses travaux est publiée sur l’une des sous-pages du site Web du gouvernement.
À partir de 2008, le Secrétariat du changement climatique a été financé par le ministère de l’Environnement, tout en demeurant au Cabinet du premier ministre et en restant responsable du Comité du Cabinet sur les mesures climatiques, jusqu’à ce qu’il soit entièrement retiré du Cabinet du premier ministre après l’arrivée en poste, en 2011, du nouveau gouvernement et de la première ministre Christy Clark. Après ce changement, le Secrétariat est demeuré fonctionnel, mais a graduellement perdu en notoriété et en pouvoir d’influence. En effet, de moins en moins de mises à jour et de renseignements étaient publiés dans les rapports annuels du ministère de l’Environnement – le Secrétariat n’est d’ailleurs pas du tout mentionné dans ceux de 2015-2016 et de 2016-2017 –, la sous-page Web qui lui était consacrée a été mise hors ligne, et les renseignements qu’elle contenait ont disparu. Cela s’explique par les nouvelles priorités établies en réponse à la crise financière de 2008 et à la suite du changement de gouvernement provincial (Lee, 2017). De plus, ces changements sont survenus à un moment où des mesures comme la tarification du carbone perdaient en importance à l’échelle nationale, puisque le gouvernement fédéral préférait une approche axée sur la réglementation plutôt que sur la tarification (comme celle défendue par la Colombie-Britannique), ce qui a eu pour effet d’isoler la province. Aujourd’hui, il n’existe pas d’archives publiques de l’ancienne page du Secrétariat, et il est difficile d’obtenir de l’information sur ses travaux.
Cependant, le Secrétariat du changement climatique a regagné en pertinence après un autre changement de gouvernement, au milieu de 2017; on a alors assisté à la création de la stratégie CleanBC, le nouvel ensemble d’ambitieuses politiques climatiques de la Colombie-Britannique. Si le rôle de direction et de coordination du Secrétariat a été restreint en raison de ses ressources humaines limitées, l’effectif semble avoir lentement augmenté au cours des dernières années (gouvernement de la Colombie-Britannique, s.d. et Klein, 2020).
Après les élections de 2020, le gouvernement a aussi établi un nouveau secrétariat au sein du Cabinet du premier ministre, le Secrétariat des priorités et de la planification, pour veiller à ce que la portée, l’orientation, le déroulement et la mise en œuvre des grandes initiatives stratégiques soient conformes aux intentions et aux priorités du premier ministre et du Cabinet. Tout au long de 2021, le Secrétariat a été pourvu en personnel, et il collaborera avec les hauts fonctionnaires des ministères afin d’établir des calendriers et des échéances pour ces engagements clés et d’assurer l’efficacité des interventions pangouvernementales en réponse aux enjeux hautement prioritaires, comme les changements climatiques.
4.2.2. Comités du Cabinet et groupes de travail
Le Comité du Cabinet sur les mesures climatiques, formé en 2007, se réunissait toutes les deux semaines. Présidé par le premier ministre et réunissant des représentants de différents ministères – Services communautaires; Finances; Forêts et pâturages; Énergie, Mines et Ressources pétrolières; Environnement; Travail et Services aux citoyens; Petite Entreprise et Revenu; et Transports –, il avait pour objectif d’élaborer des politiques de réduction des émissions de gaz à effet de serre et d’adaptation aux changements climatiques (gouvernement de la Colombie-Britannique, 2008). Issu de modifications apportées à la réglementation en 2005, il avait pour mandat non seulement d’examiner les stratégies possibles pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, mais aussi d’entendre les suggestions des principaux groupes de la société civile (gouvernement de la Colombie-Britannique, 2007). À cette fin, le Comité du Cabinet sur les mesures climatiques et le Secrétariat du changement climatique ont consulté plus de 450 groupes, personnes et entreprises entre mai 2007 et juin 2008 (gouvernement de la Colombie-Britannique, 2008).
Après le Comité du Cabinet sur les mesures climatiques ont été formés le Comité du Cabinet sur les mesures climatiques et l’énergie propre en octobre 2009 et le groupe de travail du Cabinet sur le leadership en matière de climat en janvier 2016. Ils ont tous deux été éliminés au milieu de 2017 par le nouveau gouvernement (gouvernement de la Colombie-Britannique, 2007). Il encore difficile de connaître la composition de ces comités (ministères), leurs réalisations et la fréquence de leurs réunions.
4.3. Processus pangouvernementaux
En ce qui a trait aux processus, l’approche pangouvernementale de la Colombie-Britannique se manifestait principalement dans deux plans d’atténuation des changements climatiques déployés par le gouvernement. Selon le Plan d’action contre le changement climatique de 2008, « le gouvernement agit de manière concertée pour encourager la réduction [des émissions] dans chacun des principaux secteurs économiques de la province » (gouvernement de la Colombie-Britannique, 2008). Cette approche vise notamment les ministères responsables des transports, des bâtiments, de la gestion des déchets, de l’agriculture, de l’industrie, de l’énergie et de la foresterie, des secteurs à forte intensité d’émissions. Le rapport annuel sur le plan des services 2008-2009 du ministère de l’Environnement indique que les « initiatives du plan sont issues des travaux d’élaboration de politiques menés par le Secrétariat du changement climatique et les ministères et encadrés par le Comité du Cabinet sur les mesures climatiques ». Le rapport souligne aussi que le Secrétariat du changement climatique a aidé les ministères à élaborer des politiques, des lois et des règlements, au besoin.
Parallèlement, CleanBC, le plan d’atténuation des changements climatiques publié en décembre 2018, procure aussi une vue d’ensemble des mesures d’atténuation dans différents secteurs générant des émissions, comme l’expliquent les avant-propos du premier ministre, du ministre de l’Environnement et de la Stratégie en matière de changements climatiques, de la ministre de l’Énergie, des Mines et des Ressources pétrolières, et du ministre de l’Emploi, du Commerce et de la Technologie (gouvernement de la Colombie-Britannique, 2018). Une fois de plus, le Secrétariat du changement climatique a joué un rôle essentiel dans l’élaboration et la mise en œuvre de ce plan : dans son rapport annuel 2019-2020, le ministère de l’Environnement en fait l’éloge en expliquant qu’il a « [coordonné] des douzaines de nouvelles politiques et de nouveaux programmes de plusieurs ministères » (ministère de l’Environnement et de la Stratégie en matière de changements climatiques de la Colombie-Britannique, 2020)
De plus, en vertu de la Climate Change Accountability Act dans sa version modifiée, le ministère de l’Environnement et de la Stratégie en matière de changements climatiques devait fixer des cibles de réduction sectorielle des émissions, et rendre compte annuellement des progrès accomplis et des futures mesures proposées (gouvernement de la Colombie-Britannique, 2019). En mars 2021, il a établi des cibles de réductions des émissions par rapport aux niveaux de 2007 à atteindre d’ici 2030 pour les secteurs des transports (27 à 32 %), de l’industrie (38 à 43 %), du pétrole et du gaz (33 à 38 %), et des bâtiments et de la collectivité (59 à 64 %), appuyant ainsi l’approche pangouvernementale de lutte contre les changements climatiques de la province (ministère de l’Environnement et de la Stratégie en matière de changements climatiques, 2021).
Enfin, les organismes consultatifs nommés par les administrations de la Colombie-Britannique (présentés ci-dessous) pour orienter les mesures climatiques et formuler des recommandations en la matière ont aussi souscrit à une approche pangouvernementale pour remplir leur mandat. Le rapport de 2008 de l’Équipe d’action sur le climat comprenait des recommandations spécifiques sur les secteurs des transports, des bâtiments, de l’énergie, de l’industrie, de l’agriculture, de la gestion des déchets et de la foresterie (Équipe d’action sur le climat, 2008). Une autre équipe de direction sur le climat similaire a également formulé des recommandations pour ces secteurs (Institut Pembina, 2015). Le Conseil sur les solutions climatiques, lui, a fourni des conseils sur différents sujets particuliers comme la hausse de la cible pour les véhicules zéro émission, la norme sur les carburants à faible teneur en carbone, et le soutien aux industries exposées au commerce et grandes émettrices de la Colombie-Britannique.
4.4. Organismes consultatifs externes
En novembre 2007 a été formée une Équipe d’action sur le climat composée de 21 leaders d’organismes environnementaux, d’entreprises privées, de la communauté scientifique, des Premières Nations et du milieu universitaire (gouvernement de la Colombie-Britannique, 2008). Elle avait pour mandat de prodiguer au Comité du Cabinet sur les mesures climatiques des conseils d’experts sur l’établissement de cibles intermédiaires pour 2012 et 2016 en guise de complément à la cible de réduction des émissions de 33 % pour 2020, de trouver d’autres mesures pour atteindre la cible de 2020, et d’orienter le gouvernement provincial dans le cadre de son engagement à neutraliser ses émissions de carbone pour 2020. Il se réunissait une fois par mois jusqu’à la date prévue du dépôt de ses recommandations, à l’été 2008. Si les cibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre ont été intégrées à la loi, plusieurs autres recommandations ont été perdues dans le « remaniement administratif au cours duquel le Secrétariat du changement climatique […] est passé du Cabinet du premier ministre au ministère de l’Environnement » (Devine, s.d.), selon un ancien membre de ce groupe consultatif.
En 2018, la Climate Change Accountability Act a exigé la formation du Conseil sur les solutions climatiques, un nouveau comité consultatif composé de représentants des Premières Nations, d’organismes environnementaux, de l’industrie, du milieu universitaire, de la jeunesse, de la main-d’œuvre et des collectivités locales, et dont l’objectif était de donner au gouvernement des conseils stratégiques sur les mesures climatiques et la croissance économique propre (ministère de l’Environnement et de la Stratégie en matière de changements climatiques, s.d.). Cet organisme consultatif externe a déposé des recommandations à quatre reprises en 2020 et, à ce jour, à neuf reprises en 2021, notamment des conseils sur les façons dont l’administration pourrait renforcer l’approche pangouvernementale des mesures climatiques en améliorant les communications et en faisant preuve d’ambition, comme ce fut le cas avec la politique pangouvernementale d’achat propre (Conseil sur les solutions climatiques, 2021). Dans ce cadre, le Conseil a également indiqué que la formation du Secrétariat des priorités et de la planification était un « excellent premier pas pour veiller à ce que les comités du Cabinet tiennent compte des effets sur les politiques climatiques de la province dans leurs décisions ».
4.5. Principaux constats
L’expérience de la Colombie-Britannique illustre parfaitement les avantages et les inconvénients de l’approche pangouvernementale des mesures climatiques. Lancée en grande pompe et affichant une grande transparence, elle représentait à son apogée une approche de classe mondiale. Cependant, elle révèle aussi la fragilité de ce type d’approche face aux changements de priorités et de gouvernement, qui peuvent mener à la réduction de son importance et, éventuellement, à sa disparition de l’espace public. Le fait qu’aujourd’hui, il demeure difficile de trouver même un seul document public sur les activités passées témoigne des risques que ces approches présentent si le pouvoir exécutif, absolument essentiel à leur réussite, n’a plus la motivation ni le degré de transparence nécessaires pour assurer leur viabilité à long terme. Les territoires qui envisagent d’adopter une approche similaire peuvent tirer d’importantes leçons de l’approche pangouvernementale de lutte contre les changements climatiques de la Colombie-Britannique.
Le Secrétariat du changement climatique était une structure pangouvernementale bien positionnée et efficace lorsqu’il relevait du Cabinet du premier ministre. Il pouvait alors compter sur l’acteur le plus puissant du Conseil exécutif, pour qui les changements climatiques devaient être une priorité absolue de l’administration et qui l’aidait à fixer des cibles et à adopter les politiques ambitieuses. Par comparaison, après son passage au ministère de l’Environnement, le Secrétariat a perdu de son influence ainsi que sa position notable (et très publique).
Le manque de ressources a aussi sapé les résultats du Secrétariat du changement climatique. Comme le montre l’expérience vécue à partir de 2017 avec le nouveau gouvernement – qui a redonné au Secrétariat du changement climatique une certaine importance –, avec plus de ressources, de temps et de soutien politique, il aurait été possible de maintenir le rythme initial. Cela dit, dans leurs beaux jours (vers 2008 et depuis le milieu de 2017), le Secrétariat du changement climatique et le Comité du Cabinet se sont avérés pertinents et efficaces, même si les progrès se sont faits rares entre ces deux périodes.
Résumé de l’étude de cas
L’approche pangouvernementale de la Colombie-Britannique a fluctué au rythme des changements de gouvernement.
Le Secrétariat du changement climatique en particulier était une structure pangouvernementale efficace et bien positionnée sous la direction du premier ministre Gordon Campbell, qui l’a mis sur pied et promu. Cependant, l’influence du Secrétariat a diminué avec l’arrivée de nouveaux gouvernements, et le manque de transparence demeure un problème.
Des processus comme le plan CleanBC déployé en 2018 visent à intégrer les considérations liées aux changements climatiques dans les processus décisionnels de l’ensemble de l’administration.
5. Étude de cas : États-Unis
5.1. Contexte
Par le passé, les États-Unis ont tenté d’adopter une approche pangouvernementale pour couvrir différents enjeux, notamment dans le domaine de la sécurité nationale et du renseignement (Brook, 2012). L’intérêt pour la réforme collaborative du secteur public et les initiatives pangouvernementales s’est manifesté un peu plus tard que celui des pionniers en la matière, comme le Royaume-Uni, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, mais a augmenté au cours du 21e siècle. L’administration Biden s’est rapidement engagée à déployer une approche pangouvernementale radicale de lutte contre les changements climatiques, ainsi qu’à intégrer des objectifs climatiques dans les plans de relance économique dans le contexte de la COVID-19 (États-Unis, Cabinet du président Joe Biden, 2021a).
Le pouvoir central (le président) met sur pied et dirige les structures pangouvernementales : en effet, il est beaucoup plus rapide et efficace de recourir à des décrets pour atteindre les objectifs présidentiels que de soumettre des initiatives au Congrès en raison des impasses qui sont devenues la norme au cours de la dernière décennie. Comme aux États-Unis les changements climatiques sont un sujet de nature profondément partisane, peu de nouveaux mécanismes de gouvernance sur le climat ont été établis au cours des deux dernières décennies, mais de nouvelles responsabilités ont été confiées à des institutions existantes, habituellement, à l’échelon de la haute direction (Mildenberger, 2021 et Dubash, 2021). Le désavantage de cette procédure est que, bien sûr, les nouveaux présidents peuvent facilement abroger les décrets de leurs prédécesseurs.
Les structures pangouvernementales des États-Unis sont généralement des groupes de travail composés de secrétaires d’État. Tout comme pour les comités du Cabinet du Royaume-Uni et de la Colombie-Britannique, les responsabilités, les pouvoirs et la capacité à résoudre les problèmes varient beaucoup d’un groupe de travail à l’autre. L’administration Biden est la première à déployer une approche pangouvernementale explicitement consacrée à la lutte contre les changements climatiques.
5.2. Structures pangouvernementales
Le président Biden a rapidement mis en œuvre son approche pangouvernementale de lutte contre les changements climatiques. Quelques jours seulement après son entrée en fonction, il a signé le décret Tackling the Climate Crisis at Home and Abroad, qui prévoyait la formation d’un Groupe de travail national sur le climat et la nomination de deux tsars du climat : Gina McCarthy, conseillère nationale pour le climat (qui a occupé le poste d’administratrice de l’Agence de protection de l’environnement [EPA] sous l’administration de Barack Obama) et John Kerry, envoyé spécial du président pour le climat.
5.2.1. Groupe de travail national sur le climat et Bureau de la politique climatique de la Maison-Blanche
Le Groupe de travail national sur le climat, présidé par Mme McCarthy, « réunit des leaders de 21 organismes et départements fédéraux pour déployer une approche pangouvernementale de lutte contre les changements climatiques ». Son mandat consiste à veiller à ce que chaque entité intègre les considérations liées aux changements climatiques à ses processus d’élaboration de politiques, en se penchant d’abord sur l’approvisionnement gouvernemental, les investissements dans l’infrastructure durable et l’énergie propre, et la revitalisation communautaire (États-Unis, Cabinet du président Joe Biden, 2021a).
Le décret de janvier 2021 prévoyait aussi la formation du Bureau de la politique climatique de la Maison-Blanche, également dirigé par Mme McCarthy (avec une équipe de conseillers de la Maison-Blanche, sans représentants des départements), qui est « responsable de la coordination et du déploiement de la politique nationale du président sur le climat » (États-Unis, Cabinet du président Joe Biden, 2021a). L’administration Obama avait créé une entité au nom similaire – le Bureau de la politique de l’énergie et du changement climatique de la Maison-Blanche – en 2008, mais le congrès lui a retiré son financement en 2011, après l’échec d’un vaste projet de loi sur le climat et une réorientation des priorités visant à mettre de l’avant les soins de santé.
Contrairement au Royaume-Uni, qui a recours à des ministères et du personnel existants, M. Biden a créé deux nouveaux bureaux consacrés au climat. Comme Gina McCarthy supervise et coordonne l’approche pangouvernementale américaine, la réussite du Groupe de travail et du Bureau de la Maison-Blanche repose largement sur son leadership. À ce jour, le Groupe de travail semble encourager activement la coordination interdépartementale et la collaboration stratégique. Mme McCarthy a dirigé la mise en œuvre de plusieurs structures et processus bilatéraux et interagences, dont un groupe de travail sur la sécheresse avec les secrétaires à l’Agriculture et à l’Intérieur, ainsi qu’une collaboration renforcée entre l’Agence de protection de l’environnement et le département des Transports sur les normes d’efficacité du carburant (États-Unis, Cabinet du président Joe Biden, 2021c). De plus, l’administration Biden règle certains des problèmes de transparence qu’ont connus la Colombie-Britannique et le Royaume-Uni en mettant en ligne un nouveau site Web d’information sur les changements climatiques qui présente les avancées de l’approche pangouvernementale ainsi que les réalisations du Groupe de travail.
5.2.2. Petits groupes de travail
En réponse au décret de janvier 2021 de M. Biden, plusieurs départements ont créé leurs propres groupes de travail sur le climat (États-Unis, Cabinet du président Joe Biden, 2021a), dont les départements de la Santé et des Services sociaux, de l’Intérieur, de la Sécurité intérieure, de la Défense et du Trésor. Ces groupes témoignent de l’engagement climatique pangouvernemental de M. Biden et des secrétaires d’État qu’il a nommés.
M. Biden a aussi mis sur pied ou réorganisé plusieurs petites structures pangouvernementales sur des enjeux particuliers (voir la figure 4) comme le Groupe de travail interagences sur les communautés des centrales énergétiques et au charbon et sur la revitalisation économique[1], le Conseil interagences de justice environnementale de la Maison-Blanche[2] et le Conseil consultatif sur la justice environnementale de la Maison-Blanche[3] (États-Unis, Cabinet du président Joe Biden, 2021a). Ces deux derniers groupes travaillent souvent ensemble, mais sont des entités distinctes. Tous les groupes ont pour mandat d’attirer l’attention de l’ensemble du gouvernement sur des questions spécifiques (dont certains aspects des mesures climatiques).
[1] Le Groupe de travail interagences est présidé par la conseillère nationale pour le climat et fait partie du département de l’Énergie. Il réunit des représentants des départements du Trésor, de l’Intérieur, de l’Agriculture, du Commerce, du Travail, de la Santé et des Services sociaux, des Transports, de l’Énergie et de l’Éducation, ainsi que de l’Agence de protection de l’environnement, du Bureau de la gestion et du budget et de la Commission régionale des Appalaches.
[2] Le Conseil interagences, présidé par la présidente du Conseil de la qualité environnementale, a déjà été chapeauté par l’Agence de protection de l’environnement, mais fait maintenant partie du Cabinet du président.
[3] Le Conseil consultatif, dont les membres ne font pas partie du gouvernement, se penche sur l’intégration de la justice environnementale et climatique à l’échelle gouvernementale, et formule des recommandations à l’intention du Conseil de la qualité environnementale et de la Maison-Blanche.
5.3 Processus pangouvernementaux
Certains signes de changements procéduraux semblent pointer vers une hausse de l’ambition climatique dans les différents départements. Le décret Tackling Climate Change at Home and Abroad de M. Biden appelle explicitement à des « mesures ambitieuses et progressives qui combinent la pleine capacité du gouvernement fédéral aux efforts déployés aux quatre coins du pays ainsi que par tous les ordres de gouvernement et tous les secteurs économiques » (États-Unis, Cabinet du président Joe Biden, 2021a). Les départements donnent suite à cette directive : par exemple, Lloyd Austin, secrétaire à la Défense en exercice, a publié une note de service pour signifier son accord avec la directive et décrire les mesures que son département prendra pour intégrer les considérations liées aux changements climatiques à tous les niveaux (Austin, 2021).
M. Biden a intégré les mesures climatiques dans son Plan américain pour l’emploi, qui vise à favoriser la reprise économique à la suite de la pandémie de COVID-19, la création d’emploi et les investissements dans l’infrastructure, même si certaines parties de cette proposition feront l’objet de vifs débats au Congrès (États-Unis, Cabinet du président Joe Biden, 2021b). Le décret présidentiel de janvier 2021 appuie aussi le Plan américain pour l’emploi en demandant aux organismes fédéraux de n’acheter que des véhicules électriques non polluants et à émission zéro dans l’avenir, et de stimuler le secteur de l’énergie propre (États-Unis, Cabinet du président Joe Biden, 2021a). Le Plan américain pour l’emploi est un bon exemple d’initiative pangouvernementale intégrant des mesures climatiques à une politique économique ayant une incidence sur les activités de pratiquement tous les organismes du gouvernement fédéral américain. Ses résultats restent à voir, s’il est adopté : par exemple, on ne sait ni quand ni comment les organismes doivent intégrer les mesures climatiques dans leurs rapports. Mais par l’intermédiaire de ce Plan, la Maison-Blanche affirme haut et clair que le problème des changements climatiques exige une concertation de tous les organismes gouvernementaux.
5.4 Principaux constats
Comme les structures pangouvernementales de l’administration Biden en sont encore à leurs balbutiements, il est difficile de mesurer leur capacité à apporter des changements dans l’ensemble des départements. Cependant, comparativement aux présidents Trump et Obama, M. Biden affiche une forte volonté de déployer des mesures climatiques dans le cadre d’une approche pangouvernementale.
En 2021, les États-Unis ont fait preuve d’un leadership résolu et ont accordé suffisamment de pouvoir à leurs structures pangouvernementales. La formation de nouvelles entités et la nomination de personnalités clés comme Gina McCarthy témoignent de la haute priorité accordée à la lutte contre les changements climatiques dans l’ensemble des départements, tout comme le travail effectué par M. Biden pour intégrer les mesures climatiques aux efforts de relance à la suite de la pandémie de COVID-19.
Le Groupe de travail national sur le climat est le fondement de cette approche et, à ce jour, les résultats sont prometteurs; à preuve, les réunions ordinaires engendrent des initiatives liées à des problèmes spécifiques. Sa structure permet à certains sous-groupes de se pencher sur des problèmes ou secteurs donnés, toujours sous la gouverne du Groupe de travail national sur le climat.
Résumé de l’étude de cas
L’administration Biden s’est engagée pleinement dans une approche pangouvernementale, utilisant des décrets pour orienter les changements structuraux et procéduraux afin de soutenir l’action climatique dans l’ensemble du gouvernement.
Le Groupe de travail national sur le climat est le fondement de cette approche et, à ce jour, les résultats sont prometteurs; à preuve, les réunions ordinaires engendrent des initiatives pangouvernementales ciblées.
Cependant, cette approche est fragile et risque de ne pas survivre à un changement de gouvernement ni à une réaffectation des ressources. Seul le temps nous dira si l’approche pangouvernementale des États-Unis peut servir d’exemple.
6. Leçons à tirer des approches pangouvernementales de lutte contre les changements climatiques
Une approche pangouvernementale, parce que propice à la coordination interministérielle et au recours à l’expertise de l’ensemble du gouvernement pour l’adoption de mesures climatiques ambitieuses, peut être attrayante pour les territoires qui se sont fixé des cibles climatiques. Par contre, elle ne peut garantir à elle seule que les politiques climatiques seront parfaitement mises en œuvre : elle vise plutôt à créer un leadership climatique central pour assurer l’imputabilité et la responsabilité de tous les ministères (et pas seulement les ministères de l’Environnement) ainsi qu’à offrir un forum pour coordonner le travail sur les questions interministérielles, comme les codes du bâtiment ou les normes de transport.
Il y a plusieurs leçons importantes à tirer des cas étudiés afin d’orienter les futures décisions de gouvernance du Canada :
La portée et la réussite d’une approche pangouvernementale reposent sur des efforts soutenus du leadership central. Dans tous les cas étudiés ici, ce sont des dirigeants qui ont demandé la création des structures et processus pangouvernementaux (et aussi déterminé leur composition et leurs sphères de responsabilité). Les leaders engagés placent les changements climatiques au cœur des décisions, créent rapidement de nouvelles structures et les dotent des ressources nécessaires pour élaborer de nouvelles politiques et de nouveaux plans interministériels.
Une approche pangouvernementale ne garantit pas une bonne gouvernance climatique.Les mécanismes pangouvernementaux se définissent par leur budget, leur mandat et leur capacité à mettre en œuvre des changements. Il est possible d’atténuer certains problèmes en adoptant des lois et des règlements rigoureux (comme la Climate Change Act du Royaume-Uni), mais ceux-ci visent rarement des structures comme les comités de Cabinet, plutôt formés selon les besoins. Il faut aussi prendre en considération la capacité de ces structures à entraîner des changements dans l’ensemble des ministères et à assurer l’adhésion de différents portefeuilles. Bon nombre de ces initiatives risquent d’échouer en raison du manque de direction et de ressources : les ministères qui ont d’autres priorités et directives auront de la difficulté à véritablement se pencher sur des questions supplémentaires.
La participation aux structures pangouvernementales d’un personnel ayant les moyens nécessaires pour agir efficacement est essentielle. Les ministres, les secrétaires d’État et les sous-ministres ont une grande influence sur l’adhésion à l’approche pangouvernementale de chaque organisme gouvernemental. Si le pouvoir exécutif leur confie un mandat ferme (p. ex. au moyen d’une lettre de mandat), ils peuvent utiliser leur autorité pour passer à l’action. Le cas des États-Unis en est un bon exemple : c’est la conseillère nationale pour le climat qui dirige le Groupe de travail national sur le climat et l’équipe consultative du président sur le climat du Conseil de politique intérieure de la Maison-Blanche.
La coordination interministérielle de la lutte contre les changements climatiques doit être équilibrée, de sorte que les ministères puissent remplir leur mandat. Dans le cadre de processus pangouvernementaux, il est possible de faire de la lutte contre les changements climatiques une priorité au moyen de lettres de mandat, de plans ministériels et de politiques demandant explicitement à ce que plusieurs ministères travaillent ensemble. Cependant, l’existence d’un trop grand nombre de mécanismes de coordination interministérielle impose un fardeau supplémentaire aux ministères qui ont déjà des portefeuilles très chargés. Cet équilibre entre les processus pangouvernementaux supplémentaires et le reste du mandat des ministères est difficile à trouver. Par exemple, dans le cas du Royaume-Uni, de nombreux éléments sont déjà en place (comités de Cabinet dirigés par le premier ministre, directives pour chaque ministère sur les mesures climatiques pertinentes, stratégies générales de carboneutralité, et comités consultatifs externes donnant des orientations stratégiques). Toutefois, ils ne sont pas encore intégrés à une approche pangouvernementale efficace qui améliore véritablement la gouvernance climatique, ce qui s’explique en grande partie par le manque de ressources et de capacité et l’absence d’attentes claires.
Une approche pangouvernementale doit établir une forme d’exigences en matière d’imputabilité, de transparence et de reddition de comptes.Comme les comités de Cabinet ne publient généralement pas de comptes rendus détaillés de leurs réunions, il est difficile d’évaluer avec précision l’efficacité de ces mécanismes de gouvernance. Et pour compliquer les choses, dans certains cas, les renseignements publics sont retirés après un changement de gouvernement (voir l’étude de cas sur la Colombie-Britannique). L’entière transparence de ces structures est peu probable, voire impossible; par ailleurs, les forums d’échange à huis clos entre représentants du gouvernement présentent des avantages. Toutefois, des rapports généraux réguliers résumant les conclusions des réunions, auxquels pourraient s’ajouter des lettres de mandat ou des plans de livraison décrivant les objectifs explicites de la coordination interministérielle, permettraient de déterminer les résultats de cette approche. Les organismes consultatifs externes peuvent grandement contribuer à l’imputabilité des structures pangouvernementales en publiant régulièrement des rapports sur les approches de gouvernance et des recommandations précises, qui transcendent les silos ministériels, à l’intention du gouvernement.
7. L’avenir au Canada
Le Canada a déjà créé certaines structures pangouvernementales fédérales pour l’environnement et la lutte contre les changements climatiques, et tout porte à croire que le gouvernement actuel prévoit poursuivre dans la même voie. Cependant, le Canada pourrait se doter d’autres éléments faisant partie intégrante d’une véritable approche pangouvernementale, comme un comité du Cabinet, des structures de coordination, et des lignes directrices claires en matière de reddition de compte et d’imputabilité.
Le Comité du Cabinet chargé de l’économie et de l’environnement, présidé par le ministre associé des Finances, a fait de la lutte contre les changements climatiques l’une de ses priorités, mais il n’existe aucun comité du Cabinet entièrement consacré au climat. L’absence du premier ministre dans ce comité fait en sorte que les discussions ont lieu à huis clos et que le degré de mobilisation des ministères est limité.
Le Bureau du Conseil privé comprend un modeste secrétariat sur le climat composé de trois personnes et dirigé par l’ancienne ambassadrice du Canada pour les changements climatiques, Jennifer MacIntyre. Fondé en 2021, il a pour mandat de collaborer avec les principaux conseillers pour le climat du Cabinet du premier ministre afin de favoriser le déploiement de mesures climatiques dans les ministères. Ces affectations indiquent une tendance à confier de nombreux postes clés à des personnes convaincues de l’importance de l’enjeu environnemental, au-delà du ministère de l’Environnement et du Changement climatique. Cependant, il serait possible d’affecter encore plus de ministres et de sous-ministres à des rôles constructifs dans le cadre de l’approche pangouvernementale de lutte contre les changements climatiques. Le recours aux principaux ministres concernés par le climat permettrait d’assurer une meilleure adhésion des ministères et d’améliorer l’efficacité des processus d’élaboration de politiques pangouvernementales.
Dans son plan Un environnement sain et une économie saine de 2021, le gouvernement fédéral propose une intégration des grands objectifs climatiques dans les ministères, indiquant qu’il prévoit « appliquer une optique des changements climatiques afin d’intégrer les considérations climatiques dans le processus de prise de décisions du gouvernement. […] Cette transformation nécessitera une approche harmonisée qui garantira que toutes les dépenses et décisions gouvernementales appuient les objectifs climatiques du Canada » (Environnement et Changement climatique Canada, 2021). Il serait utile de savoir comment le gouvernement prévoit structurer cette optique des changements climatiques, car elle peut être cruciale à l’échelle pangouvernementale.
La Loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité adoptée en juin 2021 consacre en droit l’engagement à atteindre la carboneutralité d’ici 2050, et pourrait s’avérer un important processus pangouvernemental de lutte contre les changements climatiques. Par exemple, la Loi exige du ministre des Finances (en collaboration avec le ministre de l’Environnement et du Changement climatique) qu’il prépare un rapport annuel sur les risques financiers que posent les changements climatiques (Loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité, 2021). Ces exigences relatives à la reddition de compte pointent vers de nouvelles possibilités de collaboration entre les ministères et vers l’accès à d’autres sources d’expertise pour aider des ministères autres que celui de l’Environnement à préparer des rapports climatiques. À cette fin, la Loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité a aussi engendré la création du Groupe consultatif pour la carboneutralité, dont la mission est de fournir des conseils indépendants au ministre de l’Environnement et du Changement climatique et à d’autres représentants du gouvernement, au besoin (Loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité, 2021).
Le Conseil consultatif et l’Institut climatique du Canada (formés en 2020) sont des organismes consultatifs externes qui fournissent une expertise climatique au gouvernement et publient des recherches publiques indépendantes[1]. La Table ronde nationale sur l’environnement et l’économie, formée en 1988 et dissoute en 2012, jouait un rôle similaire. Le Conseil consultatif et l’Institut produisent des études rigoureuses, transparentes et indépendantes destinées autant au gouvernement qu’au public.
Si ces plans et lois dénotent une volonté de renforcer l’approche pangouvernementale, les mesures pourraient être encore plus ambitieuses. Il reste encore plusieurs éléments clés qui pourraient être intégrés à l’approche canadienne, comme un organisme de coordination central et un comité du Cabinet.
Voici des entités que le gouvernement fédéral du Canada pourrait créer pour renforcer son approche pangouvernementale :
Un nouveau comité du Cabinet consacré à la lutte contre les changements climatiques et à la carboneutralité, présidé par le premier ministre, comme le Comité sur la stratégie d’action climatique du Royaume-Uni.
Une structure de coordination générale pour appuyer le comité du Cabinet – un secrétariat pour le climat ou la carboneutralité – relevant du Bureau du Conseil privé ou du Cabinet du premier ministre, comme la formule initiale du Secrétariat du changement climatique de la Colombie-Britannique ou le Groupe de travail national sur le climat des États-Unis (l’actuelle équipe du secrétariat climatique du Bureau du Conseil privé aurait besoin de plus de ressources humaines et financières pour remplir ce rôle).
De petits groupes de travail relevant de ce secrétariat (comme ceux issus du Groupe de travail des États-Unis) qui se penchent sur des questions ou des secteurs donnés; le secrétariat élaborerait aussi des ensembles de politiques à soumettre à l’approbation du comité du Cabinet.
Pour atténuer les problèmes d’imputabilité, le secrétariat devrait idéalement avoir un répertoire en ligne présentant les avancées et les plans des travaux pangouvernementaux, comme celui que les États-Unis ont récemment mis en ligne.
La coordination interministérielle et la concertation ministérielle de haut niveau n’ont aucun secret pour le Canada, mais il ne s’est pas encore doté d’une véritable approche pangouvernementale complète de gouvernance climatique. Pour y parvenir et ainsi déployer des mesures climatiques pangouvernementales dans les ministères, les politiques et les secteurs, il faudra plus que la simple formation de comités internes.
L’approche pangouvernementale a pour objectif de mettre les mesures climatiques au cœur de toutes les politiques publiques en tirant parti de l’ensemble de l’expertise de la fonction publique pour réduire les émissions et s’adapter aux répercussions de manière plus efficace. La collaboration interministérielle en est l’un des fondements, car il faudra que plusieurs ministères se penchent ensemble sur des questions pangouvernementales pour répondre à la crise climatique.
Les cas présentés ici illustrent des éléments essentiels : des efforts soutenus de la part des élus, une coordination centralisée de l’approche pangouvernementale, la clarté des objectifs climatiques des ministères, et des mécanismes d’imputabilité, de transparence et de reddition de compte qui servent à évaluer les résultats. En se donnant un programme pangouvernemental réfléchi, le Canada pourra tirer parti de l’expertise de l’ensemble de sa fonction publique afin d’établir des objectifs climatiques plus ambitieux et de transformer ses cibles en résultats.
[1] Les rapports du Groupe consultatif pour la carboneutralité ne seront pas tous rendus publics : les rapports annuels et les autres études le seront, mais les recommandations particulières à l’intention du ministre de l’Environnement et du Changement climatique et d’autres fonctionnaires pourraient être caviardées.
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Ministère de l’Environnement et de la Stratégie en matière de changements climatiques de la Colombie-Britannique et Bureau d’évaluation environnementale. Rapport annuel sur le plan des services 2008-2009.
Publié dans le cadre de notre série Perspectives Autochtones présentant des initiatives menée par des Autochtones pour lutter contre et répondre aux conséquences des changements climatiques.
Résumé
Ce document traite de la façon dont les politiques climatiques du Canada échouent à nouer des relations appropriées avec les peuples autochtones et à intégrer leurs systèmes de connaissances, ainsi que de la nécessité de décoloniser les politiques climatiques du Canada et de remédier à la violation des droits autochtones dans le cadre dont elles découlent. On se félicite du travail accompli sur les politiques actuelles; on les considère comme bien ficelées, et ce, malgré les manquements graves du gouvernement à son devoir envers les peuples autochtones. Le Cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques de 2016 et le nouveau plan de 2020, Un environnement sain et une économie saine, ratent la cible de l’inclusion, de la consultation et de l’accommodement des Autochtones, comme l’explique en détail Decolonizing Climate Policy in Canada, un récent rapport publié par Indigenous Climate Action (ICA).
Les gouvernements ont la responsabilité de concevoir un plan climatique qui intègre la meilleure information disponible, et ils n’y parviendront pas sans faire une place au savoir ancestral autochtone. L’inclusion du savoir autochtone nécessite un certain niveau de respect et de compréhension. Pour accéder à ce savoir, le Canada doit se décoloniser, en se dépouillant de son pouvoir colonial pour entretenir une relation de nation à nation avec les Autochtones de son territoire, axée sur le respect de la terre et le vivre-ensemble, et en consacrant les efforts nécessaires à la réparation de sa relation brisée avec ces derniers.
Porte d’entrée aux efforts en cours visant la décolonisation des politiques climatique, cette étude de cas s’attaque notamment aux enjeux criants du processus d’élaboration des politiques gouvernementales au pays concernant la mobilisation significative des peuples autochtones en tant que détenteurs de droits. Le processus d’élaboration des politiques climatiques n’a pas réussi à reconnaître les peuples autochtones comme des détenteurs de droits ayant de l’agentivité et du pouvoir. La compréhension et l’intégration des systèmes de connaissances autochtones sont cruciales pour résoudre la crise climatique. Il existe une façon d’accéder à cette information : consulter les détenteurs de droits autochtones et respecter le savoir ancestral sur leurs territoires.
Pour la suite des choses, les initiatives autochtones doivent être défendues et écoutées avec le respect et l’attention que l’on accorde à la communauté scientifique. Il n’y a pas de chemin tout tracé pour nouer des relations avec les Autochtones; cette démarche demandera beaucoup de travail acharné et de détermination, qui incomberont aux gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux.
Avertissement
J’aimerais reconnaître tous les efforts de nos communautés et nations autochtones, qui ensemble ont sonné l’alarme concernant les injustices subies par notre Terre sacrée. Je souhaite reconnaître que cette voix collective est née de conversations et d’établissement de relations, de cérémonies et d’un respect mutuel. Ainsi, je n’ai pas la prétention de faire cavalier seul; la force des Ancêtres parle avec moi et avec d’autres, et je leur prête ma voix. Ainsi, je ne peux affirmer être la seule auteure de cette étude de cas; elle constitue plutôt la somme d’une multitude de voix fortes et d’expériences autochtones. Lorsque j’écris « peuples autochtones », le terme englobe à la fois les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Lorsque je me reporte à la « Terre », je le fais en partant du principe que je parle d’une vraie personne, bien vivante et sensible, capable ressentir des émotions et de la douleur. Lorsque je parle de mes « Ancêtres », je parle des anciens : ceux qui nous ont quittés pour le monde des esprits, dont le corps physique n’était plus en mesure de demeurer sur notre Terre sacrée. J’utilise ces mots en français dans le but de vous transmettre de la meilleure façon possible mon intention et ma responsabilité envers le territoire, même si, comme je l’apprends, cette langue ne lui rend pas justice.
Le sacré à l’honneur, la cérémonie dans chacun de nos gestes
Bon nombre des expériences les plus marquantes de ma vie ont commencé par des étincelles de compréhension et de connexion avec le tout premier amour de ma vie, le territoire. Jeune, j’ai eu la chance de connaître la beauté de notre territoire sacré et j’ai pu prendre, extraire et utiliser tout ce qu’il avait à me transmettre sans rien donner en retour. Puis, avec les années, j’ai appris que le beau, le transcendant et le splendide ne pourront le rester pendant sept générations si nous n’en prenons pas soin et n’établissons pas de rapport de réciprocité. Pour moi, c’est comme une cérémonie. Pour beaucoup de peuples autochtones, cette démarche relève de l’acte physique, spirituel et délibéré de la cérémonie. La cérémonie se trouve dans tout ce que nous faisons, et même dans les langues que nous parlons (Tssessaze, V., communication personnelle, 14 février 2021). C’est par la compréhension et la mise en pratique de ce principe que nous pouvons parvenir à reconnaître notre devoir inhérent de protection du sacré, à voir la Terre comme un système bien équilibré, connecté à notre être et à chacune de nos actions. Nous devons honorer le sacré (Whitecloud, 2021, 27 min 17 s).
Je suis convaincue que vous avez déjà entendu tout cela. Je le sais. Comme les voix collectives retentissantes des peuples autochtones partout sur la planète l’ont dit, la Terre est sacrée, la Terre est une incarnation de nos êtres et elle est nourricière (Bone et coll., 2012). Nous avons crié, protesté, nous sommes instruits au sens où l’État colonisateur l’entend pour que son gouvernement entende notre plaidoyer pour la protection du sacré. Or, tout comme moi, enfant, les gouvernements coloniaux ne voient que ce qu’ils peuvent prendre : des ressources. Cette approche d’extraction du territoire n’est pas bien différente de celle qu’ils ont utilisée avec notre peuple. D’abord, en s’attaquant à notre identité : en perturbant nos apprentissages ancestraux, on croyait pouvoir se débarrasser du « problème indien » (CVR, 2015). C’est vrai, beaucoup de dommages ont été causés et des lignées de connaissances ancestrales ont été perdues, des langues ont disparu et des générations entières d’Autochtones ont été violemment rayées de la carte (Palmater, 2015). L’État colonisateur n’a pas réussi à se débarrasser du « problème indien », mais encore aujourd’hui, nous pansons les blessures qu’il nous a causées.
Comme pour notre histoire orale, il n’a que retardé nos enseignements, car notre force collective, c’est de la voix du territoire et de nos Ancêtres du monde des esprits que nous la tirons. Notre savoir ne nous provient pas que par transmission générationnelle; il émane également de la cérémonie et de la connexion au territoire (Tssessaze, V., communication personnelle, 14 février 2021). Si mon Aîné n’était pas là pour me transmettre ses connaissances, mes Ancêtres me contacteraient. Nous formons un tandem avec la terre et l’eau, comme le cœur qui pompe le sang dans les veines, le système nerveux qui provoque actions et réactions, et le cerveau qui interprète l’expérience humaine. Voilà une prémisse importante pour comprendre que les peuples autochtones sont des gardiens du territoire. Il faut la comprendre pour s’entendre mutuellement (Wildcat, 2009).
La décolonisation des politiques climatiques n’est en aucun cas un effort isolé et ne peut se circonscrire à un événement ou à une action. Ce combat est né des nombreuses avancées aux quatre coins de notre Terre sacrée. Dans cette étude de cas, j’expliquerai sommairement comment j’ai intégré une équipe qui s’efforce de décoloniser les politiques climatiques au Canada, dans le cadre de ma contribution au rapport d’ICA, Decolonizing Climate Policy in Canada. Ce faisant, nous avons notamment déterminé que les processus et politiques adoptés dans les documents du Cadre pancanadien et d’Un environnement sain et une économie saine cultivent des rapports colonisateurs et d’exclusion totale des peuples autochtones en tant que détenteurs de droits et défenseurs du territoire, malgré la prétendue considération accordée à « l’importance des connaissances écologiques traditionnelles en ce qui a trait aux effets des changements climatiques et aux mesures d’adaptation » (Environnement et Changement climatique Canada, 2016 p. 4).
Consultation des Autochtones : une façade
Le Cadre pancanadien n’a réussi ni à nouer de véritable relation de nation à nation avec les peuples autochtones ni à donner la priorité à l’intersectionnalité des enjeux climatiques pour les populations les plus touchées. L’application de ce cadre mal ficelé s’est ensuite étendue au nouveau plan climatique Un environnement sain et une économie saine. Une équipe formée de Jen Gobby, Rachel Ivey, et moi-même, en collaboration avec l’ICA, a établi que ces deux documents bafouent les droits autochtones du début de leur processus d’élaboration jusqu’à leur contenu, leur plan et leurs politiques (ICA, 2021 p. 10). Le rapport Decolonizing Climate Policy in Canada, élaboré à partir d’entrevues avec des décideurs et guidé par un cadre d’analyse des politiques fondé sur l’intersectionnalité (Hankivsky, 2012), vise à « critiquer et à développer des politiques contribuant à transformer les relations de pouvoir inéquitables qui maintiennent l’inégalité » (ICA, 2021).
Notre analyse examine également les plans fédéraux et les compare à des documents qui font valoir les droits autochtones, comme la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, le rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, les Appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation et les rapports de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. L’expérience de la cofondatrice d’ICA, Eriel Deranger, avec les politiques climatiques du Canada ainsi que ses frustrations ont mené l’organisme à s’entourer de Jen Gobby et de moi-même pour cerner les lacunes des plans climatiques nationaux. Dans la prochaine phase du projet, nous travaillerons à intégrer des politiques climatiques autochtones au discours sur le climat du Canada.
Le problème le plus flagrant avec ces documents de politiques est le manque de représentation autochtone et de transparence quant à la façon dont les politiques canadiennes comptent intégrer les peuples autochtones. En outre, l’implication des Autochtones dans le processus de mobilisation, qui ne comportait « aucune description ou trajectoire d’élaboration de politiques pour les communautés autochtones, ne permettant pas l’obtention d’un consentement libre, préalable et éclairé », était au mieux sous la moyenne (Deranger, E., communication personnelle, 19 février 2021).
Les politiques actuelles le montrent : l’exclusion des peuples autochtones dans l’élaboration de politiques climatiques est le résultat d’un manque d’effort dans l’établissement de relations. En cherchant à résumer mon processus d’intégration d’une équipe qui analyse les politiques fédérales du Canada, j’ai examiné plus attentivement l’étincelle qui a mis le feu aux poudres, étant donné que je m’étais associée au projet à mi-parcours. Une chose était sûre : ce n’est pas un événement isolé, mais plutôt une suite d’histoires douloureuses et carrément irrespectueuses de mobilisation, de consultation et d’extraction des connaissances sur de nombreuses années. Bien qu’il n’en soit pas question spécifiquement dans cette étude de cas, nul besoin de creuser très loin pour trouver des anecdotes de processus de mobilisation irrespectueux des peuples autochtones.
La structure du Cadre pancanadien a été chapeautée par des groupes de travail qui ont éludé une mobilisation et une consultation véritables. Dans la composition même de ces groupes, les Autochtones ont été tenus à l’écart : le rapport Decolonizing Climate Policy in Canada révèle que « les peuples autochtones ont été structurellement exclus » des groupes de travail (ICA, 2021). En outre, le principal problème quant à la mobilisation – constaté trop souvent lorsqu’il est question de mobilisation de tous types avec le gouvernement –, était le peu de temps accordé, insuffisant pour permettre une réponse étayée (ICA, 2021). Au cœur du problème? Le manque de représentation autochtone en lui-même. « Ce n’est pas de l’inclusion, c’est du paraître. » : voilà la réponse des leaders autochtones à la politique de l’Alberta qui a servi de cadre et de guide de pratiques exemplaires au Cadre pancanadien (Deranger, E., communication personnelle, 19 février 2021).
Le Cadre pancanadien et Un environnement sain et une économie saine ont peut-être des objectifs climatiques admirables, mais ils ratent leurs cibles – et c’est peu dire – en matière de mobilisation, d’inclusion et d’accommodement des Autochtones (ICA, 2021). « Selon mon expérience directe, il n’y a aucun intérêt, tant au provincial qu’au fédéral, de trouver des moyens d’intégrer concrètement les droits et le savoir autochtones, pour véritablement orienter les politiques. Des solutions concrètes passent par des relations et par des efforts considérables » (Deranger, E., communication personnelle, 19 février 2021). C’est à la suite de cette expérience que le besoin d’une analyse et d’une critique rigoureuses de l’élaboration des politiques climatiques fédérales s’est nettement fait sentir. La mobilisation des Autochtones découlait davantage d’une opération d’image et de plan de communication des organismes gouvernementaux que d’une volonté d’établir des relations équitables et significatives.
L’inclusion d’organismes politiques autochtones comme l’Assemblée des Premières Nations, l’Inuit Tapiriit Kanatami et le Ralliement national des Métis ne constitue pas une consultation en bonne et due forme. S’il s’agit d’un premier pas important dans l’établissement de relations avec des organismes politiques autochtones, il ne faut pas perdre de vue que la mobilisation et les relations commencent à l’échelle de la communauté. Lorsqu’on se concentre sur les organismes politiques autochtones, on confirme cette réticence à sortir du statu quo dans la consultation (Wildcat, 2009). Le savoir ancestral autochtone n’est pas l’apanage des organismes politiques; il réside avec la population du territoire. De plus, le fait que les gouvernements n’incluent que les organismes politiques aux discussions sur les enjeux climatiques montre à quel point ils sous-estiment les connaissances traditionnelles autochtones et les années d’apprentissages inhérentes à une connaissance intime du territoire. Les résultats de Decolonizing Climate Policy in Canada confirment l’hypothèse que la consultation avec les organismes politiques autochtones était au mieux insuffisante et que ces derniers n’étaient pas considérés comme des décideurs (ICA, 2021). Au fil de notre analyse des politiques du Cadre pancanadien et d’Un environnement sain et une économie saine, le manque de compréhension et de reconnaissance des répercussions historiques et de l’interrelation des enjeux autochtones est apparu évident. Selon le rapport, « les plans fédéraux sur le climat omettent de traiter l’industrie des combustibles fossiles comme un facteur du changement climatique; un violateur des droits des Autochtones et un contributeur majeur à la vulnérabilité des communautés et des nations autochtones par le biais des impacts sur les eaux, les terres, les moyens de subsistance et les systèmes alimentaires » (ICA, 2021 p. 11).
Les enjeux autochtones liés aux changements climatiques prennent leur source dans le colonialisme; les présenter comme solution d’atténuation dans les politiques climatiques est à tout le moins erroné. Le soutien aux avenues de décolonisation et au renversement des habitudes actuelles dans l’élaboration de politiques constitue un pas vers la réconciliation. Il ne s’agit pas de remettre en question le travail acharné de ceux et celles qui œuvrent au sein d’organismes gouvernementaux et d’organisations environnementales, ou des alliés du domaine de la justice climatique. Le nœud du problème, c’est plutôt les relations entre les peuples autochtones et les colonisateurs du Canada (Whyte, 2019). Constamment sollicitées pour leur expertise sur les politiques, les organisations environnementales se penchent rarement sur leurs propres lacunes. Il ne faut pas en conclure qu’elles devraient parler au nom des peuples autochtones. Elles devraient toutefois créer et leur réserver un espace propice à la mise en valeur de leur savoir, en reconnaissant l’espace qu’elles occupent et en se demandant si ce dernier devrait faire une place à la voix autochtone.
La correction des inégalités dans les systèmes mêmes qui régulent l’île de la Tortue est littéralement une nécessité. On ne peut plus tolérer l’incapacité à établir des relations appropriées ni l’utilisation de cadres qui ne répondent pas à ce besoin (Wildcat, 2009). Lors de l’analyse, nous avons également remarqué que la motivation qui pousse les colonisateurs à extraire des ressources ne s’arrête pas à l’ensemble de notre parenté dans le monde naturel ni à tout ce que notre Terre sacrée recèle et continue d’offrir, mais s’étend jusqu’à la connaissance même de ce territoire qui nous a été donné au fil des générations ainsi que des cérémonies utilisées pour le guérir. La réparation d’une relation brisée demande du temps et des efforts, et commence par de l’intégrité (Whyte, 2019).
Incapacité d’intégrer les systèmes de connaissances autochtones et l’interconnexion du sacré
La première étape d’une consultation significative consiste à rétablir les relations avec les peuples autochtones, et à tenir compte de leurs droits et de leur pouvoir. Pour ce faire, il faut d’abord que les colonisateurs arrêtent de tenir pour acquis que les peuples autochtones seront toujours disponibles pour leur expliquer le sacré. Nous sommes fatigués. Il est épuisant émotionnellement de se trouver dans une pièce remplie de gens qui cautionnent le racisme systémique, les préjugés coloniaux et les idéologies colonialistes que nous combattons depuis si longtemps. Les efforts non reconnus que les peuples autochtones doivent faire pour donner un cours accéléré sur les systèmes de connaissances autochtones sont rarement, voire jamais, intégrés à l’obligation d’accommoder, sans parler du point de vue des Autochtones sur des mesures d’accommodement comme l’offre spirituelle de tabac (McGregor, 2014). Dans des cadres de politiques comme le Cadre pancanadien et Un environnement sain et une économie saine, on décèle une volonté d’indiquer qu’il y a eu consultation des peuples autochtones. Toutefois, en tant qu’Autochtone, je n’y vois aucune preuve de consultation véritable : ce ne sont que des sentiments et des formules creuses. Les mots utilisés dans les deux politiques ne s’attaquent pas aux problèmes structuraux et au déséquilibre du pouvoir avalisés aujourd’hui par le gouvernement.
Comme l’indique l’avertissement au début de cette étude de cas, une relation réussie avec les Autochtones passe par la compréhension de leurs systèmes de connaissances sacrés, et c’est aux colonisateurs d’entreprendre le travail, la recherche et les discussions nécessaires à l’acquisition de cette compréhension. J’utilise souvent des analogies lorsque je raconte une histoire, car les histoires sont souvent racontées aux enfants pour leur apprendre des choses et les aider à comprendre l’Histoire (Deloria, 2015). Le Canada est l’intimidateur et l’abuseur qui a blessé les peuples autochtones et suscité une méfiance justifiée. Aujourd’hui, ce même intimidateur et abuseur demande pardon et exige la confiance, mais ne fait que le strict minimum pour en être digne.
Il est crucial d’intégrer les systèmes de connaissances autochtones pour comprendre l’histoire orale et le savoir ancestral sur le territoire. L’équilibre et l’interrelation doivent toujours être célébrés. La déconnexion actuelle au sacré renforce la mentalité coloniale de la hiérarchie du pouvoir et le droit présumé à l’extraction (LaDuke, 2020). L’endoctrinement de la religion a poussé la science occidentale hors du monde du sacré. La déconnexion entre le sacré et la science se constate partout dans la science occidentale, qui tente de remplacer le savoir traditionnel par des mots comme « animisme » et « épigénétique ». C’est grâce à notre savoir ancestral et à notre histoire orale que nous savons que les créations de la Terre sont des êtres vivants et sensibles, et que nos connaissances se transmettent par la mémoire filiale. Par la transmission de cette histoire, nous commençons à combler ces lacunes. Bien qu’on ne s’attende pas des colonisateurs qu’ils étudient et apprennent le sacré, on s’attend tout de même à ce que ce système de connaissances reçoive le respect et la compréhension qu’il mérite, et qu’on ne tente pas de l’écraser par des mots et des paradigmes coloniaux (LaDuke, 2020). Le savoir traditionnel et l’histoire orale doivent être considérés comme aussi valides que les données et les recherches des scientifiques colonisateurs (McGregor, 2014).
Prochaines étapes
La critique du Cadre pancanadien et d’Un environnement sain et une économie saine présentée dans le rapport Decolonizing Climate Policy in Canada a été produite en deux phases. La première portait sur l’analyse des lacunes, d’un point de vue autochtone, des deux documents. La deuxième se consacrera à mettre en lumière les politiques climatiques autochtones et à leur donner une place. Pour définir les orientations de la deuxième phase, nous avons créé un conseil consultatif d’experts autochtones provenant des cinq biomes du Canada, qui prêteront leur voix au territoire.
La formation du conseil consultatif est le fruit d’une observation : trop souvent, les consultations intègrent des représentants qui proviennent presque seulement d’organisations nationales autochtones. Ce faisant, on perpétue l’idée que les Premières Nations, les Inuits et les Métis sont un groupe homogène et que leurs représentants peuvent parler au nom des centaines de nations uniques d’un océan à l’autre. Cette idée donne également du poids à la définition d’un Autochtone en vertu de la Loi sur les Indiens, qui exclut beaucoup de gardiens du savoir des Premières Nations qui, sans avoir le statut d’Indien inscrit, ont un rôle à jouer. Cette forme d’« inclusion » est problématique et n’intègre pas directement l’ensemble des points de vue traditionnels et ancestraux des Autochtones sur les initiatives d’atténuation des changements climatiques.
Par la création d’un conseil consultatif, nous chercherons à pallier ce problème en sélectionnant des membres qui proviennent des cinq écosystèmes biotiques distincts connus sous le nom de biomes du Canada. C’est notre intention de donner aux terres un représentant qui transcende les frontières – celles du politique, des traités, des territoires et des langues. Il y aurait un représentant autochtone du biome traditionnel, qui en aurait l’expérience directe et qui aurait des liens avec la communauté, et veillerait à ce que les solutions soient axées sur le territoire. De plus, nous avons ajouté un représentant de la jeunesse. C’est au sein des systèmes de connaissances autochtones que nous continuons d’avancer et que nous faisons une place pour la prochaine génération de leaders. Le conseil consultatif, en collaboration avec Indigenous Climate Action, formulera les engagements nécessaires à des politiques climatiques justes et bien fondées pour l’ensemble des peuples autochtones et non autochtones.
Le chemin qui s’ouvre devant nous est jonché des échecs et erreurs du passé, et personne n’a la réponse qui permettrait la réconciliation au Canada. Fruit d’une série d’initiatives et d’un équilibre entre les idées, la réconciliation nous offre l’occasion d’intégrer une approche à double perspective. Cette étude de cas, ce point de vue d’une nehiyaw iskwew, se penche sur les tentatives pathétiques du gouvernement actuel visant à restaurer l’intégrité de ses relations avec les peuples autochtones. Ce même gouvernement a le luxe de disposer de ressources dans sa langue sur l’établissement de relations avec plusieurs nations, tandis que mes Ancêtres et professeurs doivent encore et toujours se démener avec des traductions difficiles à interpréter. Comme mes professeurs le disent, le travail n’est jamais terminé.
Remerciements/Kinanáskomitináwáw
À celle qui nous a donné la vie, notre Terre, qui m’a appris et m’a guidée.
Je souhaite exprimer ma plus sincère gratitude à tous les Aînés et gardiens du savoir qui m’ont guidée spirituellement et dans le cadre de cérémonies. J’aimerais souligner la contribution de Victor Tssessaze, pour sa relecture des passages de ce document portant sur la spiritualité. J’aimerais remercier l’équipe d’Indigenous Climate Action de son travail admirable et acharné pour notre Terre mère, notamment Eriel Deranger et Lindsay Monture.
Je veux remercier Jen Gobby, cette merveilleuse alliée dans le travail de décolonisation des actions climatiques, qui m’a gracieusement invitée à participer à la décolonisation des politiques climatiques. Je souhaite également remercier les jeunes autochtones qui, dans l’adversité, poursuivent la lutte de nos Aînés et protègent la terre et les eaux. Je souligne la participation de Carlie Kane qui m’a énormément aidée pour cette étude de cas.
À mon mari, Tyler, et mes enfants, Dominic, Zoe et Elena. Votre amour me nourrit.
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« Pour qu’un pays puisse se targuer d’avoir un plan économique complet, il lui faut d’abord un plan climatique exhaustif », a affirmé Jonathan Wilkinson, ministre de l’Environnement et du Changement climatique du Canada lors d’un sommet des dirigeants de la Chambre de commerce du Canada en avril 2021. Notre avenir se trouve là, à l’intersection de la planification climatique et de la planification économique.
Cet article traite de l’application des principes de l’économie autochtone (regroupés sous le néologisme anglais « indigenomics »), dans un nouveau modèle de développement axé sur l’autodétermination, le bien-être collectif et la réconciliation autochtones, face aux risques et possibilités de la transition vers une économie mondiale sobre en carbone. Nous porterons une attention particulière aux enjeux autochtones de justice climatique, de souveraineté, d’autodétermination et de gestion des risques et explorerons les systèmes de connaissances et de données autochtones traditionnels ainsi que l’importance d’habiliter les peuples autochtones à éclairer la lutte contre les changements climatiques.
Qu’entend-on par « économie autochtone »?
Le nouveau concept proposé s’inspire des principes qui sous-tendent les économies autochtones depuis des millénaires et les intègre aux pratiques commerciales modernes.
L’objectif est d’attirer l’attention sur la pertinence des perspectives autochtones dans l’économie actuelle.
Il faut s’approprier consciemment un espace – voire le créer – où faire avancer l’économie autochtone émergente d’aujourd’hui. C’est essentiellement une affirmation de la place qui revient de droit aux Autochtones dans le monde moderne, une sorte d’appel ou d’invitation à plonger dans une vision du monde autochtone qui s’articule autour des concepts et de l’expérience de la croissance et du progrès.
l faut s’approprier consciemment un espace – voire le créer – où faire avancer l’économie autochtone émergente d’aujourd’hui.
Tandis que dans l’économie occidentale traditionnelle, les échanges sont axés sur les transactions monétaires, la vision autochtone de l’économie prend plutôt appui sur les relations. Elle est à l’origine de la première économie de partage, de la première économie verte, régénératrice, collaborative, circulaire et consciente, de la première économie du don. L’économie autochtone est la toute première économie sociale.
Affirmer les principes de l’économie autochtone, c’est réclamer une place à la table de l’économie; c’est affirmer le droit des Autochtones d’accéder à l’économie et à la modernité, d’avoir voix au chapitre et de consentir. Ce concept est intimement lié à la création de points de pression juridiques pour favoriser l’inclusion économique, le resserrement des normes d’intendance, la prise collaborative de décisions et la prospérité réciproque.
L’inclusion économique, la réconciliation et l’égalité ne se défendront pas d’elles-mêmes; elles doivent être délibérément poursuivies. Divers outils stratégiques s’offrent aux gouvernements pour aider les Autochtones à saisir les possibilités économiques, dont celles qui émergent de la transition vers une économie sobre en carbone (tableau 1).
Interrelation entre les droits et connaissances autochtones et les changements climatiques
Le concept de justice environnementale renvoie aux répercussions des iniquités passées et présentes dans la distribution des coûts et des bénéfices de la dégradation de l’environnement, y compris ceux des changements climatiques. On note par exemple que les peuples autochtones assument souvent une partie considérable des coûts, mais ne profitent que très peu des avantages.
En effet, les effets cumulatifs à long terme des changements climatiques jouent sur un sentiment d’appartenance à l’environnement directement lié à l’identité de ces peuples. Par exemple, la salinisation des bassins d’eau douce augmente avec le niveau de la mer, ce qui réduit entre autres la sécurité alimentaire et l’accès aux remèdes traditionnels. Ainsi, les systèmes de connaissances autochtones constituent un fondement décisif pour les mesures d’adaptation et d’atténuation communautaires localisées qui visent à foncièrement pérenniser la résilience des systèmes socioécologiques à l’échelle locale, régionale et mondiale.
Il est de plus en plus admis que les droits et les systèmes de connaissances des peuples autochtones sont essentiels à la recherche de solutions pour combattre la crise et garantir la justice climatique. Les Autochtones ont un rôle central à jouer à l’échelle nationale et mondiale; ils sont les premiers à ressentir les effets des changements climatiques et gèrent plusieurs écosystèmes vitaux stockant de grandes quantités de carbone. En outre, leur mémoire du territoire remontant à plusieurs milliers d’années, ils remarquent immédiatement le moindre changement aux étendues de terres et d’eau. Gardiens de la nature depuis des millénaires, ils le resteront encore longtemps.
Les conceptions autochtones de la gestion des risques, des terres et des ressources, de la gouvernance et de la prise de décision ont été systématiquement dévalorisées dans l’évolution du Canada moderne. Cette mise à l’écart systématique de l’économie a aussi bouleversé les façons de vivre des Autochtones, leurs systèmes de connaissances étroitement liés à la nature et les cadres de gestion des ressources inhérents à leur mode de vie. Les cultures autochtones détiennent depuis toujours la clé d’une relation saine et durable avec l’environnement.
Comme l’exprime la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, le consentement libre, préalable et éclairé et l’autodétermination sont des piliers de la justice climatique, autour desquels doit s’articuler la lutte contre les changements climatiques. La Déclaration reconnaît aux peuples autochtones le droit de continuer à opérer en tant que nations distinctes et de pratiquer leur culture, chose de plus en plus difficile face à l’évolution rapide des écosystèmes qu’engendrent les changements climatiques.
La colonisation a entraîné la création du système de réserves, qui a fondamentalement coupé les peuples autochtones de leurs territoires en plus de les isoler économiquement. Les Autochtones se sont toujours sentis responsables de leur environnement, et la Loi sur les Indiens est venue leur arracher ce sentiment pour le remplacer par des structures externes imposées qui n’ont fait qu’accroître leur marginalisation.
Les peuples autochtones ne peuvent pas être laissés en marge de la transition vers une économie sobre en carbone et résiliente aux changements climatiques. Des changements subtils dans les saisons et les autres déséquilibres se font déjà sentir. Pour reprendre les mots d’Eriel Deranger, leader autochtone en matière de climat associée à Indigenous Climate Action : « Les peuples autochtones sont particulièrement bien placés pour anticiper les répercussions des changements climatiques, s’y préparer et y réagir; ils entretiennent une relation étroite avec l’environnement et y sont profondément connectés sur les plans spirituel, culturel, social et économique. » Mme Deranger souligne d’ailleurs que la science autochtone s’inspire d’une relation viscérale et durable avec le monde naturel : « On apprend à entretenir une relation différente avec l’environnement, et on découvre une nouvelle façon de voir le monde et de s’y identifier. »
Leadership autochtone en matière de climat
Il existe de nombreux exemples d’initiatives autochtones qui se fondent sur les principes de l’économie autochtone pour lutter contre les changements climatiques. En voici six qui prouvent que le leadership autochtone en matière de climat est en première ligne dans la lutte pour la justice environnementale :
Le groupe Indigenous Climate Action assure un leadership en temps réel dans l’établissement d’un comité consultatif sur la décolonisation des politiques climatiques. Vous vous demanderez peut-être ce qu’on entend par « décolonisation des politiques climatiques » : il s’agit d’une façon de contrer le caractère invasif et de compenser les faiblesses des politiques existantes. En ignorant les voix autochtones, les dirigeants ont écarté des perspectives importantes, ce qui a donné lieu à des politiques climatiques incomplètes et inéquitables. Un article récent – intitulé How Are Vulnerable Populations Impacted by Carbon Pricing Schemes in Canada? – fait d’ailleurs remarquer que la forte tendance à créer des structures de prix et des points de référence provinciaux au Canada ne tient pas compte des répercussions potentielles sur les populations vulnérables et les communautés autochtones.
L’alliance Coastal First Nations rassemble neuf Premières Nations de la Colombie-Britannique pour établir des structures de planification régionale des eaux, des terres et des ressources compatibles avec le développement d’économies autochtones viables, le tout dans l’objectif de renforcer le contrôle et la gestion des forêts et des pêcheries à l’échelle locale. En élaborant des plans de gestion et des cadres juridiques axés sur les écosystèmes et en habilitant les gardiens autochtones à assumer l’intendance des terres, Coastal First Nations a su ancrer ses systèmes de gouvernance et de gestion des ressources dans un cadre de développement durable à même de lutter contre la menace des changements climatiques. Combinant les données scientifiques aux connaissances traditionnelles, ces initiatives présentent de meilleures façons de s’adapter aux changements.
Les communautés autochtones établissent de plus en plus d’aires protégées et de conservation autochtones. Souvent appelées simplement « aires protégées autochtones » ou « parcs tribaux », ces aires de conservation sont chacune confiées à l’autorité d’une nation autochtone. Là où j’ai grandi, dans la région des Nuu-chah-nulth près de Tofino, il existe un tel endroit : le parc tribal des nations Tla-o-qui-aht. Ces nations se sont donné pour mission de reconnaître et de respecter les relations et les responsabilités anciennes de leur peuple au sein de la toile de la vie du parc ainsi que d’utiliser leurs enseignements traditionnels pour accueillir, équilibrer et orienter l’influence et l’incidence des nouveaux venus. Les gardiens locaux du parc s’occupent des « jardins ancestraux », notamment la plus grande forêt pluviale côtière ancienne encore intacte de l’île de Vancouver. De plus en plus nombreuses aux pays, les aires protégées et de conservation autochtones constituent un atout important pour l’inclusion des connaissances et des données autochtones dans les efforts régionaux de transition vers une économie sobre en carbone.
Le programme des gardiens autochtones occupe une place croissante dans les initiatives de conservation axées sur le climat. Dans ce cadre, des peuples autochtones assument l’intendance de terres et d’étendues d’eau traditionnelles au moyen de systèmes de gestion et de connaissances basés sur la nature. Ce programme met de l’avant leurs droits et responsabilités quant à la protection et à la conservation des écosystèmes dans le développement et le maintien d’économies durables.
Le programme RELAW reconnaît les liens changeants qui unissent la législation aux terres autochtones. Les participants s’inspirent des histoires traditionnelles et de la sagesse des aînés pour résumer les principes juridiques qui encadrent la gouvernance des terres, des ressources et de l’environnement dans les traditions législatives d’une communauté, notamment en rédigeant une loi, une politique, une entente ou un plan qui s’inscrit dans ces traditions et en le soumettant à l’approbation de cette même communauté. Enfin, le programme œuvre à élaborer et à mettre en marche un plan pour adopter et appliquer les lois de la nation relativement à un enjeu précis d’environnement ou d’exploitation des ressources. Le droit autochtone occupe une place de plus en plus grande dans l’orientation des solutions, des politiques et des mesures locales de lutte contre les changements climatiques.
Le projet carbone de la forêt du Grand Ours est cogéré par neuf Premières Nations côtières. Plus importante initiative en son genre au monde, ce projet de carbone forestier permet d’acheter des crédits carbone provenant d’aires forestières protégées dont l’exploitation commerciale avait précédemment été anticipée, prévue ou approuvée. De grandes quantités de carbone sont stockées dans la vaste forêt ancienne de la forêt pluviale du Grand Ours, qui s’étend sur les parties nord et centrale de la côte du Pacifique ainsi que sur l’archipel Haida Gwaii. Cette forêt représente plus du quart des forêts pluviales côtières tempérées restantes dans le monde. C’est le leadership autochtone qui est à l’origine de ce projet carbone; les peuples autochtones de la région habitent le territoire depuis plus de 14 000 ans, et leurs lois et pratiques d’utilisation des terres sont ancrées dans la certitude que la clé du succès collectif réside dans la santé des écosystèmes océaniques et forestiers. Les initiatives autochtones de réduction du carbone joueront un rôle essentiel dans le parcours du Canada.
Intégration de l’économie autochtone aux plans économiques et climatiques
Aux paroles du ministre Wilkinson – « Pour qu’un pays puisse se targuer d’avoir un plan économique complet, il lui faut d’abord un plan climatique exhaustif » –, j’ajouterais « et des systèmes de connaissances autochtones ».
L’économie autochtone prend appui sur nos relations avec nous-mêmes, avec les autres, avec la Terre et avec notre passé et notre avenir. La notion d’interconnexion propre aux perspectives autochtones repousse les limites du temps relativement au développement communautaire et à la prise de décisions. Les principes sous-jacents des modèles économiques émergents, comme l’économie verte, s’harmonisent avec les valeurs et les façons d’être autochtones, qui reposent d’abord sur la volonté de ne pas oublier comment entretenir une relation saine avec ses pairs et avec la Terre.
Il est impossible de faire la transition vers une économie verte ou sobre en carbone sans reconnaître la nécessité d’une réconciliation économique avec les peuples autochtones. Pour opérer une telle réconciliation, il faut d’abord assurer aux communautés autochtones les fonds, les ressources et les occasions dont elles ont besoin pour réussir; il faut saisir les multiples occasions que présentent l’énergie propre et les autres possibilités de croissance économique entourant la lutte contre les changements climatiques.
Il est temps de faire place à l’économie autochtone dans la planification économique et climatique.
Fondatrice de l’Indigenomics Institute, Carol Anne Hilton prodigue des conseils aux entreprises, aux gouvernements et aux Premières Nations. Membre de la nation Hesquiaht et descendante des Nuu-chah-nulth, elle a grandi sur la côte ouest de l’île de Vancouver. Elle détient une maîtrise en administration des affaires et est issue de 10 000 ans de tradition du potlatch. Elle habite aujourd’hui à Victoria, en Colombie-Britannique.
Publié dans le cadre de notre série Perspectives Autochtones présentant des initiatives menée par des Autochtones pour lutter contre et répondre aux conséquences des changements climatiques.
Malgré sa petite taille, le bourdon joue un grand rôle dans notre système alimentaire et dans l’écosystème au sens large. Dans cette étude de cas vidéo, Gregory Dugas, un jeune Autochtone du Mi’kma’ki (du côté de la Nouvelle-Écosse) nous parle de son travail de protection et d’élevage du bourdon dans le cadre du Mi’kmaq Pollinator Project.
Gregory explore le lien entre l’essor des parasites et le réchauffement climatique (entre autres facteurs) et l’effet dévastateur de ces parasites, dont la gallérie, sur les colonies. En se fondant sur ses recherches sur le terrain, il suggère au gouvernement provincial de mettre à l’essai l’installation de trappes sur les ruches artificielles pour empêcher les parasites d’y entrer et ainsi préserver les populations de bourdons.
Gregory Dugas est un jeune apiculteur qui se passionne pour la protection du bourdon, de l’abeille mellifique et de leurs cousins d’ici. Il réside en Nouvelle-Écosse, non loin de sa communauté natale : la Première Nation de Millbrook.
Partout au Canada, la santé des gens est façonnée par leur situation économique et sociale.
Dans les prochaines années, elle dépendra aussi des répercussions des changements climatiques, par exemple le réchauffement planétaire et l’augmentation de la pollution atmosphérique et des dangers associés au climat.
Les politiques d’adaptation aux changements climatiques passent souvent à côté d’une notion essentielle : les répercussions de ces changements ne sont pas équitables, et la majorité des risques sont causés par la société, et non par l’environnement lui-même.
Pour mettre au point des politiques climatiques plus solides et équitables, il importe que les décideurs comprennent l’effet combiné des répercussions climatiques, du racisme environnemental et des déterminants structurels de la santé sur le bien-être et la santé des gens, et surtout des membres de groupes racisés et marginalisés, qu’il s’agisse de communautés autochtones, noires ou autres.
La présente étude de cas révèle le lien entre, d’une part, les déterminants structurels de la santé et, d’autre part, la vulnérabilité aux changements climatiques et le racisme environnemental dans deux communautés de la Nouvelle-Écosse : les Afro-Néo-Écossais et les Mi’kmaqs.
Introduction
Dans les prochaines années, les changements climatiques auront de plus en plus de conséquences sur la santé de la population canadienne. Pour réduire ces effets – dont les communautés commencent déjà à faire les frais –, nous devons nous doter de politiques d’adaptation fondées sur des données probantes. Les politiques en vigueur ne sont cependant pas toujours aussi rigoureuses ni étayées qu’on pourrait le souhaiter.
Au Canada, ces politiques font généralement l’impasse sur deux concepts importants. D’abord, les conséquences des changements climatiques ne sont pas équitables, parce que la plupart des risques sont attribuables à la société et non à la nature. Ensuite, les principaux déterminants de la santé découlent de facteurs structurels comme l’origine ethnique, le statut (réfugié ou immigrant), la pauvreté, l’éducation, la sécurité alimentaire et l’accès à de l’eau, à un air et à un sol sains.
Pour créer des politiques climatiques solides et accroître notre résilience, il est essentiel de réfléchir à la manière dont les déterminants de la santé, les répercussions climatiques et le racisme environnemental interagissent et influencent la santé et le bien-être.
À partir d’écrits et d’études de cas provenant des recherches et des activités de représentation auxquelles j’ai participé dans les neuf dernières années avec les communautés mi’kmaqs et afro-néo-écossaises, je présenterai ici certains des déterminants structurels de la santé pour lesquels il est le plus urgent d’agir pour ces groupes.
Les communautés dont il est ici question ne représentent qu’un échantillon d’une réalité marquée par le racisme, les iniquités sanitaires et les conséquences des changements climatiques, une réalité que l’on observera non seulement ailleurs en Nouvelle-Écosse, mais aussi au Canada. Les récits et les constats de ces communautés nous aident à comprendre les relations entre les changements climatiques et les iniquités raciales et socioéconomiques.
Légende : Image tirée du documentaire L’eau sale, coproduit par Ingrid Waldron, Ph. D., et inspiré de son livre There’s Something in the Water.
Influence des déterminants structurels de la santé sur la sensibilité aux changements climatiques
On emploie de plus en plus le terme « déterminants structurels de la santé » pour désigner les conditions sociales, économiques, politiques et environnementales favorisant les maladies (De Leeuw, Lindsay et Greenwood, 2015; Waldron, 2018a, 2019). Ce concept s’apparente à celui des « déterminants sociaux de la santé », qui fait référence au lien entre la santé d’une personne et ses conditions matérielles, par exemple sa situation de vie ou de travail (Davidson, 2015). L’adoption d’un cadre de référence axé sur le caractère structurel des déterminants exige cependant une vision systémique. Les conditions matérielles influençant la santé sont enracinées dans des systèmes qui sont hors du contrôle des gens (politiques économiques et sociales, système judiciaire, etc.) et qui discriminent depuis longtemps les populations racisées et marginalisées (De Leeuw, Lindsay et Greenwood, 2015; Waldron, 2018a, 2019). Par exemple, plusieurs éléments participent aux disparités sanitaires persistantes distinguant les Afro-Néo-Écossais du reste de la population, notamment le manque d’accès aux soins médicaux dans les communautés afro-néo-écossaises rurales jusqu’à la fin des années 1930, la transmission de maladies héritées des premiers colons africains et la discrimination raciale remontant à l’époque de l’esclavage en Nouvelle-Écosse.
« Un revenu, ça équivaut à la santé. Je remarque que, souvent, les personnes qui vivent dans la pauvreté ne sont pas en mesure de bien manger ou d’acheter des médicaments. Ça arrive beaucoup aux aînés de notre communauté. Si aucun emploi n’est disponible, comment les gens vont-ils se nourrir? Comment vont-ils subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille? Comment peuvent-ils rester en bonne santé s’ils ne peuvent acheter leurs médicaments? Cette situation entraîne des sentiments dépressifs, de l’anxiété et du stress. Le stress, c’est perturbant, et ça peut tuer les gens. »
Pour une étude menée récemment, un membre de la communauté afro-néo-écossaise de Lincolnville a expliqué le rapport entre la santé, la pauvreté, la sécurité alimentaire, l’emploi et l’accès aux services de santé (Waldron, 2016).
Le revenu et l’emploi sont d’importants déterminants structurels de la santé puisqu’ils influencent l’accès à un logement, à des aliments et à des soins de santé appropriés. On observe dans les communautés mi’kmaqs et afro-néo-écossaises davantage d’instabilité du revenu et des taux de pauvreté plus élevés. Frank et Saulnier (2017) signalent que les taux de pauvreté tendent à être plus hauts dans les communautés à prédominance afro-néo-écossaise, notamment dans East et North Preston où, respectivement, 38,9 % et 40 % des familles vivent dans la pauvreté. Dans le recensement de 2006, le taux de chômage chez les Mi’kmaqs vivant sur une réserve était de 24,6 %, comparativement à 9,1 % dans l’ensemble de la population néo-écossaise (Office des affaires autochtones, s.d.; Statistique Canada, 2011; Waldron, 2018a.)
La pénalisation et la discrimination dans le système judiciaire font aussi partie des conditions sociales et économiques influençant la santé. En 2014 et 2015, environ 12 % des jeunes placés en établissement de détention pour la jeunesse et 7 % des adultes incarcérés étaient mi’kmaqs, bien que ce groupe ne représente qu’environ 4 % de la population générale (Luck, 2016). Un rapport sur les interpellations publié par Wortley en 2019 a révélé que les Afro-Néo-Écossais étaient six fois plus à risque d’être arrêtés par la police que les personnes blanches (Wortley, 2019). Les taux de pénalisation supérieurs, qui sont alimentés par des préjugés racistes, font en sorte qu’à toutes les étapes du système de justice pénale, les personnes racisées subissent du racisme et de la violence. Au Canada, on observe davantage de problèmes de santé chez les détenus pour de nombreux marqueurs, notamment les troubles de l’humeur, les maladies transmissibles et la mortalité, particulièrement par suicide (Kouyoumdjian et coll., 2016).
L’éducation est fortement corrélée à la sécurité d’emploi et du revenu et, donc, à la capacité d’une personne à accéder aux ressources favorisant la santé et le bien-être, par exemple la sécurité alimentaire et du logement. Les Mi’kmaqs et les Afro-Néo-Écossais ont moins de chances que les autres Néo-Écossais de terminer leurs études secondaires ou d’aller à l’université. Parmi les Afro-Néo-Écossais de 25 à 64 ans, 77,7 % ont obtenu un certificat ou un diplôme, tandis que cette proportion est de 85,3 % dans la population de la Nouvelle-Écosse (Affaires afro-néo-écossaises, s.d.). Quelque 12 % des Mi’kmaqs de 25 à 64 ans sont titulaires d’un diplôme universitaire, tandis que cette proportion est de 20 % dans la population générale (Office des affaires autochtones, s.d.; Statistique Canada, 2011).
On reconnaît par ailleurs de plus en plus que le stress et les traumatismes associés au racisme affectent le bien-être et la santé des personnes racisées, même en l’absence d’autres facteurs de risque (McGibbon, Waldron et Jackson, 2013). L’Association canadienne de santé publique signale que le racisme systémique, même s’il est subtil, nuit à tous les aspects de la vie. Il est associé à une moins bonne santé dans ces communautés, notamment en ce qui concerne l’hypertension, le taux de naissance de bébés de poids insuffisant, les cardiopathies, le diabète et la santé mentale (ACSP, 2018).
Dans beaucoup de populations racisées et marginalisées, les iniquités structurelles comme la pauvreté et la discrimination contribuent à la détérioration de l’état de santé global, ce qui les rend plus vulnérables aux conséquences des changements climatiques.
Influence des déterminants structurels sur l’exposition aux dangers climatiques
Au Canada et ailleurs, les communautés marginalisées – qu’elles soient autochtones, noires ou autres – sont plus exposées aux conséquences des changements climatiques (Simmons, 2020). Elles sont en effet plus susceptibles d’habiter des endroits où l’air est impur et où l’eau est contaminée par des usines polluantes, et courent plus de risques d’être touchées par des catastrophes climatiques attribuables, par exemple, à la hausse du niveau des mers ou à des tempêtes violentes, des inondations ou des vagues de chaleur intenses (Organisation des Nations Unies, 2019).
Le concept de racisme environnemental illustre bien le caractère inégal des répercussions de ces dangers. Selon cette idée, en raison de politiques inéquitables et injustes issues d’un racisme et d’un colonialisme historiques et persistants, les communautés marginalisées et racisées sont surreprésentées dans les milieux de vie pollués, contaminés ou touchés par les effets des changements climatiques (Konsmo et Kahealani, 2015; Pulido, 1996). Souvent, ces groupes n’ont pas non plus le pouvoir politique nécessaire pour s’opposer à l’établissement d’usines polluantes dans leur milieu, puisque leurs membres sont exclus de beaucoup des groupes environnementaux et des conseils d’administration, commissions ou organismes de réglementation qui prennent les décisions (Cryderman et coll., 2016; Deacon et Baxter, 2013; Scott, Rakowski, Harris et Dixon, 2015; Waldron, 2018a; Waldron, 2018b).
Les études épidémiologiques associent de plus en plus certaines des maladies (cancers, problèmes de santé reproductive, maladies de la peau, etc.) observées dans les communautés racisées – autochtones, noires ou autres – à leur surexposition à des polluants, à des contaminants et aux dangers climatiques. Dans le cadre du ENRICH Project, mon équipe de recherche a créé une carte recensant les sources de pollution industrielle et d’autres dangers environnementaux menaçant les communautés mi’kmaqs et afro-néo-écossaises de la Nouvelle-Écosse. On y situe les incinérateurs de déchets, décharges, centrales thermiques et usines de pâtes à papier ainsi que les zones contaminées par des matières nocives pour la santé qui sont à proximité de leurs territoires.
Le ENRICH Project est une initiative de collaboration communautaire où sont étudiés les effets des sources de produits toxiques situées à proximité des communautés mi’kmaqs et afro-néo-écossaises de la province. Le site Web du projet présente une carte situant ces lieux et d’autres dangers environnementaux de la Nouvelle-Écosse.
Exposition et sensibilité : une boucle de rétroaction
Il existe un lien important entre les déterminants structurels de la santé et le racisme environnemental. Ces deux facteurs concourent effectivement à accroître l’exposition et la sensibilité des communautés racisées et marginalisées aux conséquences des changements climatiques.
À cause de l’héritage laissé par le racisme et la colonisation, beaucoup de ces communautés font face à des iniquités sanitaires persistantes qui les rendent plus sensibles aux conséquences climatiques. En raison du racisme environnemental, bon nombre de ces groupes seront par ailleurs plus exposés à des dangers climatiques potentiellement nocifs.
En réfléchissant à la manière dont les iniquités sanitaires structurelles et le racisme environnemental alimentent cette corrélation, on pourra se doter de politiques climatiques plus solides et plus équitables.
Dans les prochaines sections, nous analyserons certains des principaux déterminants structurels de la santé découlant d’iniquités sociales, économiques, politiques et environnementales qui touchent les communautés mi’kmaqs et afro-néo-écossaises.
Déterminants structurels de la santé dans les communautés mi’kmaqs
Les Mi’kmaqs, ou L’nu, sont les premiers habitants du Mi’kma’ki (que l’on appelle aujourd’hui la Nouvelle-Écosse). Ils s’y sont établis il y a plus de 11 000 ans (Sipekne’katik, s.d. a). Leur territoire va des provinces maritimes à la péninsule gaspésienne, au Québec (Sipekne’katik, s.d. a). Ce peuple compte 13 bandes, ou Premières Nations, qui ont chacune leur chef et leur conseil. Les plus grands des 13 groupes établis en Nouvelle-Écosse sont la nation Eskasoni, avec 4 314 membres, et la nation Sipekne’katik, avec 2 554 membres (Affaires autochtones et du Nord Canada, 2014; Sipekne’katik, s.d. b).
Les iniquités associées à diverses structures sociales (éducation, emploi, justice pénale, environnement, etc.) entraînent des problèmes de santé physique et mentale chez les Mi’kmaqs de la Nouvelle-Écosse et dans les communautés autochtones du Canada.
Les politiques d’urbanisme et d’aménagement ont fait en sorte que les communautés mi’kmaqs sont surexposées aux sources de pollution industrielle et à divers dangers environnementaux. En Nouvelle-Écosse, ces populations ont été victimes de racisme environnemental à plusieurs reprises. En voici quelques exemples.
Sydney, cap Breton
Les étangs de goudron de Sydney, un dépôt de déchets dangereux situé sur l’île du Cap-Breton, ont contribué à déclencher les premières préoccupations concernant les injustices environnementales au Canada. Les Mi’kmaqs avaient l’habitude de chasser aux abords du ruisseau Muggah et de pêcher dans son estuaire, là où l’eau se jette dans le port de Sydney. De 1901 à 1988, la Sydney Steel Corporation a exploité dans la région – et sans contrôle environnemental – une aciérie, aujourd’hui fermée. Plus d’un million de tonnes de particules ont été libérées, et plusieurs milliers de tonnes de goudron de houille ont été déversées dans l’estuaire durant cette période. Certains de ces produits chimiques sont des carcinogènes connus (Lambert, Guyn et Lane, 2006); à cause de ces rejets, le taux de cancer mesuré chez les résidents de Sydney et des environs dépasse de 45 % la moyenne néo-écossaise. Il s’agit du plus haut taux au Canada (Nickerson, 1999).
La Sydney Steel Corporation a généré des quantités considérables de déchets toxiques, mais peu d’argent a été investi pour moderniser les installations ou répondre aux préoccupations des travailleurs quant à leur santé et leur sécurité (Campbell, 2002). En 1974, Environnement Canada a révélé que la pollution atmosphérique issue des opérations de cokage était de 2 800 à 6 000 % supérieure aux normes nationales (Barlow et May, 2000). Comme l’a démontré Campbell (2002), au fil des ans, on a vu plusieurs tentatives de réhabilitation de cet ancien site industriel. En 1980, après la découverte par le ministère fédéral des Pêches et des Océans des niveaux élevés de substances chimiques cancérogènes et de métaux toxiques (comme le mercure, le cadmium et l’arsenic) chez les homards du port de Sydney, on a établi la nécessité d’atténuer les risques environnementaux posés par la production d’acier à Sydney (Campbell, 2002).
En mai 2004, les gouvernements du Canada et de la Nouvelle-Écosse ont annoncé le versement d’une somme de 400 millions de dollars sur dix ans pour réhabiliter les étangs de goudron de Sydney et réduire les risques pour l’écologie et la santé humaine (Walker, 2014). La décontamination s’est terminée en 2013 avec la création du parc Open Hearth, situé sur le terrain où se dressait auparavant l’aciérie (Morgan, 2015).
Première Nation de Pictou Landing
Boat Harbour, un estuaire tranquille situé à proximité de la Première Nation de Pictou Landing, a été propice à la chasse et à la pêche jusqu’en 1967, où, en vertu d’une entente provinciale, une installation de traitement des effluents de la Northern Pulp située en amont a commencé à y rejeter des sous-produits de la fabrication de pâtes et papiers (Idle No More, 2014; Thomas-Muller, 2014; Waldron, 2018a). Le déversement de milliards de litres d’effluents non traités et de divers contaminants industriels dans Boat Harbour a entraîné d’importants coûts écologiques et sanitaires. Parmi les régions sociosanitaires du Canada, celle de Boat Harbour se range au troisième rang pour le taux de cancer par personne (Mirabelli et Wing, 2006; Soskolne et Sieswerda, 2010). D’autres études ont révélé un lien probable entre cette usine et la grande prévalence de maladies respiratoires à Pictou Landing (Reid, 1989). On peut aussi en partie associer à la pollution générée pendant des années par la fabrication de pâte kraft blanchie l’incidence et l’abondance d’une multitude d’autres problèmes de santé (saignements nasaux, cancers, etc.) (Reid, 1989).
Première Nation de Sipekne’katik
La Première Nation de Sipekne’katik, qui vit dans le comté de Hants, près de Shubenacadie en Nouvelle-Écosse, s’oppose actuellement à la création par Alton Natural Gas Storage d’une installation de stockage de gaz naturel et d’une canalisation d’évacuation de saumure à proximité de la rivière Shubenacadie (Hubley, 2016; Waldron, 2018a, 2021). Cette canalisation rendrait possible l’entreposage de gaz naturel dans des cavernes de sel souterraines situées en bordure de la rivière Shubenacadie. Or, on a constaté aux États-Unis un haut taux de défaillance pour les projets de stockage de gaz naturel liquéfié dans des cavernes de sel, et on les juge dangereux en raison des risques d’explosion, de fuite et de dégagement de gaz comme du méthane (Howe, 2016; Hubley, 2016).
À l’automne 2014, le promoteur entreprend le projet, rapidement bloqué par l’opposition grandissante des résidents. Après l’obtention par Alton Gas d’approbations environnementales du gouvernement provincial pour plusieurs demandes de permis, le projet reprend en janvier 2016 (Nouvelle-Écosse, 2016; Waldron, 2018a, 2021). Au fil de l’année 2016, l’opposition au projet s’intensifie. Les membres de la Première Nation de Sipekne’katik soutiennent qu’ils n’ont pas été consultés adéquatement, qu’ils n’ont pas donné leur permission à la reprise du projet, qu’ils n’ont pas eu le temps d’examiner les propositions ni d’évaluer les répercussions environnementales, et qu’ils n’ont pas été informés suffisamment à l’avance (voire pas du tout) de la tenue d’audiences publiques où ils auraient pu exprimer leurs inquiétudes avant la reprise du projet (Howe, 2016; Hubley, 2016). En mars 2020, un juge de la Nouvelle-Écosse invalide l’approbation du projet et ordonné à Alton Gas de poursuivre ses échanges avec la Première Nation (Grant, 2020).
Parallèlement à ce dossier, cette communauté s’inquiète depuis longtemps de la contamination de son eau. Les membres de la nation avaient accès à de l’eau saine jusqu’en 2012, où la nappe phréatique a été contaminée par du creusage à la carrière de sable et de gravier de la Nouvelle-Écosse, située à proximité. Lors d’une rencontre que j’ai organisée en 2014 (Waldron, 2014), des résidents ont parlé des méthodes dangereuses sur le plan environnemental employées par cette entreprise pour dégager et nettoyer le sable. Il a notamment été question de creusage jusqu’à la nappe phréatique qui alimentait cette communauté, une opération qui a entraîné des déversements vers leurs installations et la contamination de grands réservoirs d’eau. Les habitants ont reçu un avis d’interdiction de consommer l’eau avant que le ministère des Affaires autochtones ne se charge d’en livrer. Quoi qu’il en soit, comme on ne s’est pas attaqué à la racine du problème – le fait que la carrière est située tout près du territoire de cette nation –, les problèmes de contamination de l’eau perdurent (Donovan, 2015; Waldron, 2014).
Première Nation d’Acadia
La Première Nation d’Acadia vit dans le comté de Yarmouth, (sud-ouest de la Nouvelle-Écosse). Durant une rencontre que j’ai organisée en 2013, les membres de la nation se sont dits inquiets des risques sanitaires posés par le parc à ferraille qui est situé dans leur communauté :
« Notre communauté, notre réserve, est bâtie sur une décharge. Quand on a commencé à creuser pour ameublir le sol, pour pouvoir mettre de l’engrais ou autre chose, on a trouvé des pièces de voitures. J’en ai appris un peu plus sur cette histoire. Quand la bande a acheté ce territoire, le terrain était contaminé. Je ne sais pas combien ils ont payé à l’époque, probablement trois quarts de million de dollars, je ne sais pas… Mais peu importe, le territoire qu’a acheté la bande servait de cimetière de voitures. Là où sont construites les maisons, il y avait des centaines de voitures » (Waldron, 2014; Waldron, 2018a).
On a utilisé ce terrain comme parc à ferraille automobile pendant plus de 60 ans. Il s’agit d’une source d’anxiété pour les résidents, qui y associent les hauts taux de cancer constatés dans leur communauté (Waldron, 2014).
Les cas des Premières Nations de Sydney, de Pictou Landing, de Sipekne’katik et d’Acadia ne sont que quelques exemples d’un vaste phénomène de racisme environnemental existant en Nouvelle-Écosse et au Canada. Les changements climatiques pourraient avoir sur les Mi’kmaqs des répercussions semblables à celles du racisme environnemental, qui accroît l’exposition des communautés marginalisées aux dangers, ce qui mine la santé et le bien-être globaux de ces personnes et qui augmente leur vulnérabilité aux conséquences futures.
La prochaine section présente d’autres exemples de racisme environnemental, cette fois dans les communautés afro-néo-écossaises.
Déterminants structurels de la santé dans les communautés afro-néo-écossaises
Des personnes d’ascendance africaine vivent en Nouvelle-Écosse depuis près de trois cents ans, ce qui en fait la première communauté noire du Canada. Les Afro-Néo-Écossais descendent d’esclaves et d’esclaves affranchis africains, de loyalistes noirs des États-Unis, de colons néo-écossais de Sierra Leone, de Marrons de la Jamaïque et de réfugiés de la guerre de 1812. La majorité des Afro-Néo-Écossais et des personnes d’ascendance africaine vivent encore aujourd’hui dans les régions rurales et isolées en raison du racisme institutionnel qui dominait au début de la colonisation du territoire (Black Cultural Centre for Nova Scotia, s.d.; Waldron, 2018a).
Au cours des 70 dernières années, le racisme environnemental a eu des effets néfastes sur la santé des communautés afro-néo-écossaises. Ceux de ses membres qui vivent à proximité de sites toxiques estiment qu’il faut attribuer à ces derniers le taux élevé de cancer dans leurs rangs. Au fil de mes recherches, j’ai constaté que les Afro-Néo-Écossais de Shelburne, Lincolnville, et North et East Preston attribuaient à la présence de divers dangers environnementaux près de leurs communautés depuis des décennies les taux élevés de cancer, de troubles hépatiques et rénaux, de diabète, de maladies cardiaques et respiratoires, d’éruptions cutanées et de stress psychologique (Waldron, 2014, 2015, 2016; 2018a; 2018b, 2020a, 2020b, 2020c, 2020d). Sont présentés aux sections suivantes des exemples concrets de racisme environnemental envers les communautés afro-néo-écossaises, ainsi que leurs répercussions sur la santé.
Africville
S’il ne fallait donner qu’un exemple de communauté afro-néo-écossaise ayant subi ségrégation, racisme et racisme environnemental, ce serait probablement Africville. Situé juste au nord d’Halifax sur les berges du bassin de Bedford, le village a été établi au milieu des années 1800 par des réfugiés noirs ayant fui la guerre de 1812 (Allen, s.d.; Fryzuk, 1996; Nelson, 2001; Waldron, 2020d). Cette communauté a été victime de nombreuses injustices de toutes sortes. Par exemple, même si la Ville d’Halifax percevait des impôts à Africville, elle n’y offrait aucun service public ni infrastructure de base pourtant présents dans d’autres secteurs de la municipalité : rues pavées, approvisionnement en eau potable, réseau d’égout, transport public, collecte des déchets, installations de loisirs, services d’incendie, éclairage de rue ou protection policière adéquate (Allen, s.d.; Fryzuk, 1996; Municipalité régionale d’Halifax, s.d.; Nelson, 2001; Tavlin, 2013; Waldron, 2020d).
Dès les années 1800, la Ville a choisi Africville pour plusieurs installations indésirables, comme des abattoirs, un hôpital spécialisé dans les maladies infectieuses et des fosses d’enfouissement de déchets humains (Mackenzie, 1991). En 1947, elle a changé le zonage du secteur pour en faire une zone industrielle, ce qui lui a permis de construire une décharge à ciel ouvert en 1950, que de nombreux membres de la communauté considéraient comme une menace sanitaire (Waldron, 2018a). En 1964, le Conseil municipal a voté pour relocaliser les résidents d’Africville afin de construire des usines et des infrastructures. En 1970, toutes les maisons du village avaient été rasées par des bulldozers et les résidents, réinstallés de force dans d’autres secteurs de la ville (Waldron, 2020d). Dans les années qui ont suivi, les nuisances environnementales se sont succédé sur le site : abattoir, usines de coton, de goudron, d’engrais, et de concassage de pierre et de charbon, prison, trois réseaux de voies ferrées (Allen, s.d.; Fryzuk, 1996; Nelson, 2001; Waldron, 2018b, Waldron, 2020d).
Shelburne
Le site d’enfouissement de Morvan Road est situé à proximité de la communauté afro-néo-écossaise du sud de Shelburne depuis les années 1940 (Waldron, 2020d). Recevant des déchets industriels, médicaux et résidentiels, il a finalement été fermé en 2016 grâce aux pressions de la communauté (Waldron, 2018a). Même s’il s’agit d’une grande victoire, le site continue d’avoir des répercussions sanitaires et environnementales à Shelburne puisqu’il ne fait l’objet d’aucun plan de remise en état (Delisle et Sweeney, 2018). Une résidente de Shelburne ayant participé à mon étude sur les iniquités en matière d’hygiène de l’environnement dans les communautés afro-néo-écossaises attribue les taux élevés de cancer et de troubles hépatiques et rénaux chez ses concitoyens à la décharge située à proximité de sa communauté.
Lincolnville
Lincolnville est un autre exemple de racisme environnemental de longue date envers les communautés afro-néo-écossaises. Cette petite communauté rurale du comté de Guysborough, au nord-est de la Nouvelle-Écosse, a été établie en 1784 par des loyalistes noirs (NSPIRG, s.d.). En 1974, un site d’enfouissement de première génération a été créé à un kilomètre de cette communauté (Waldron, 2018a). Ses effets sur la santé sont inconnus, mais les résidents croient que le taux de cancer des habitants est bien au-delà des niveaux acceptables (Waldron, 2018a).
« C’est un fait connu, toutes les communautés adjacentes peuvent apercevoir le site d’enfouissement au sud. Un grand nombre de personnes vivant près de là sont décédées du cancer, ou souffrent ou ont souffert d’une panoplie de troubles de santé : diverses formes de cancer, pression artérielle élevée, détérioration des réflexes nerveux, troubles cérébraux, hépatiques et rénaux. » (Waldron, 2016)
En 2006, la municipalité du district de Guysborough a fermé le site d’enfouissement pour en ouvrir un de deuxième génération au même endroit. Y sont acceptés les déchets de tout le nord de la Nouvelle-Écosse et du cap Breton. Selon des organisations environnementales de la région, on y a enfoui des déchets dangereux, comme des transformateurs et des résidus de déversements pétroliers en mer. La communauté craint donc que la quantité de substances cancérigènes (cadmium, phénol, toluène, etc.) qui s’infiltrent dans l’eau potable dépasse les limites acceptables (Benjamin, 2008). Selon les résidents de Lincolnville ayant pris part à une de mes études, la santé de la communauté s’est dégradée depuis la création du site d’enfouissement de première génération; ils ont notamment observé une augmentation du taux de cancer et de diabète.
« Si on la compare à avant 1974, année d’ouverture du site d’enfouissement, la santé de la communauté semblait meilleure à l’époque. Depuis 1974, nous remarquons qu’elle tend à se dégrader. Il nous semble que les gens meurent plus jeunes. Ils contractent des types de cancer dont nous n’entendions pas parler avant 1974. On dirait qu’il y a de plus en plus de cancers de l’estomac, et le diabète augmente. Les gens se retrouvent avec des tumeurs. Nous ne comprenons pas quelles sont les causes de tout ça. La municipalité dit que c’est impossible que ce soit le site d’enfouissement. Mais si la proximité d’une décharge nuit à la santé ailleurs, pourquoi ne nuirait-elle pas à la nôtre aussi? » (Waldron, 2016)
North et East Preston
D’autres exemples de racisme environnemental peuvent être observés à North Preston et East Preston, dans l’est de la Municipalité régionale d’Halifax. À l’été 1991, l’autorité métropolitaine était à la recherche d’un nouveau site pour l’enfouissement des déchets d’Halifax et de Dartmouth. Au nombre des lieux retenus figuraient quatre sites près de secteurs où vivaient depuis longtemps des communautés afro-néo-écossaises. Lorsque l’autorité métropolitaine a finalement arrêté son choix sur East Lake, les Afro-Néo-Écossais du secteur étaient scandalisés (Fryzuk, 1996; Waldron, 2018). Les habitants de North Preston et East Preston, qui s’opposaient à la décision, ont déposé une plainte officielle, faisant valoir que l’autorité n’avait pas tenu compte des facteurs sociaux, culturels et historiques lors du processus de sélection.
Une résidente de North Preston présente à une réunion que j’ai organisée en 2013 s’inquiétait d’un possible lien entre la pollution aquatique et atmosphérique causée par le site d’enfouissement près du centre communautaire de North Preston et les taux élevés de cancer, de diabète, de maladies cardiaques, de troubles respiratoires et d’éruptions cutanées dans la communauté.
« Durant des années, une partie de la communauté était approvisionnée en eau par un réseau qui n’avait pas été purgé pendant plusieurs décennies parce qu’on assurait le traitement chimique de l’eau… mais je crois que la concentration de chlore y était trop élevée. Selon moi, c’est pour cette raison que le taux de cancer est si élevé depuis des dizaines d’années. Je pense aussi que la piètre hygiène environnementale dans la communauté est due à la décharge et que les cendres volantes ont contribué au taux élevé de troubles respiratoires. » (Waldron, 2014).
Les études de cas sur les communautés mi’kmaqs et afro-néo-écossaises présentées sont autant de preuves du lien entre l’origine ethnique, les industries polluantes et autres nuisances environnementales et l’état de santé de la population. D’autres études canadiennes appuient la thèse voulant que ce phénomène ne se limite pas à la Nouvelle-Écosse : partout au pays, des communautés racisées ont été disproportionnellement exposées à des risques sanitaires, puisqu’elles sont plus susceptibles que les autres d’être entassées près de sites d’enfouissement et d’autres dangers environnementaux (Atari, Luginaah, Gorey, Xu et Fung, 2012; Sharp 2009; Teelucksingh, 2007; Waldron, 2014, 2015, 2016, 2018a).
Conclusion
Ces études de cas montrent à quel point la santé des communautés mi’kmaqs et afro-néo-écossaises dépend de la qualité de l’air, de l’eau et du sol. La pollution industrielle et la dégradation de l’environnement ont déjà nui à la santé des communautés et des écosystèmes. Si les décideurs refusent de voir que les groupes marginalisés sont particulièrement touchés et de trouver des solutions, les changements climatiques risquent de les atteindre tout aussi inéquitablement.
Les décideurs et responsables des politiques en santé et en environnement de la Nouvelle-Écosse et du Canada doivent commencer à réfléchir à la manière d’enrayer les iniquités sociales, économiques, politiques et environnementales qui minent l’état de santé des Mi’kmaqs et des Afro-Néo-Écossais, ainsi que des membres d’autres communautés racisées (Autochtones, Noirs et autres). La présente section propose une avenue pour s’attaquer aux déterminants structurels de la santé dans ces communautés.
En nous penchant sur les déterminants structurels de la santé abordés ici, nous pouvons nous rapprocher de notre objectif d’atteindre l’équité en santé au Canada et de cultiver notre résilience face aux changements climatiques. L’équité en santé s’articule autour de trois grands principes :
L’égalité d’accès aux soins de santé, quelle que soit sa situation socioéconomique, physique ou géographique.
Le droit universel à la meilleure santé possible en fonction de sa physiologie.
L’accès à des soins de santé de même qualité pour tous. Autrement dit, les fournisseurs de soins de santé doivent déployer les mêmes efforts et respecter les mêmes normes élevées pour tout le monde, sans égard aux différences sociales, économiques ou culturelles (Braveman et Gruskin, 2003).
L’équité en santé et la justice environnementale pour les Mi’kmaqs, les Afro-Néo-Écossais et les membres d’autres communautés autochtones et noires du Canada passent par la modification progressive des politiques et dépendent des décisions des ministères de la santé et de l’environnement. Ceux-ci peuvent poser plusieurs gestes pour enrayer les iniquités en santé (y compris en matière d’hygiène de l’environnement) dans les
En nous penchant sur les déterminants structurels de la santé, nous pouvons nous rapprocher de notre objectif d’atteindre l’équité en santé au Canada et de cultiver notre résilience face aux changements climatiques.communautés autochtones et noires.
Dans un premier temps, il est capital que les ministères de la santé et de l’environnement recueillent des données désagrégées concernant l’état de santé des communautés autochtones et noires et l’emplacement des dangers environnementaux au pays.
Dans un deuxième temps, les ministères de la santé doivent accroître la représentation des Autochtones et des Noirs en embauchant davantage de professionnels de la santé de ces communautés et en les recrutant pour des postes de gestion ou d’élaboration de politiques, afin qu’ils siègent aux comités qui font changer les choses en amont.
Dans un troisième temps, il importe d’adopter une loi sur la justice environnementale s’accompagnant d’outils, de stratégies et de politiques visant à éliminer les conditions et décisions injustes et inéquitables qui font que certaines communautés sont davantage exposées aux dangers environnementaux ou moins bien protégées.
Enfin, il faut inclure une étude d’impact sur l’équité en santé dans l’évaluation environnementale et le processus d’approbation afin que soit examiné et traité l’effet cumulatif du racisme environnemental sur la santé des communautés autochtones et noires, phénomène qui découle d’iniquités socioéconomiques, politiques et environnementales de longue date.
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