Cliff Wale fishing for sockeye in Gitxsan territory, using a traditional dip net.
Crédit d'image: Janna Wale

La rés-ilience des Gitxsans

La résilience climatique comme Naadahahlhakwhlinhl (interconnexion)

Publié dans le cadre de notre série Perspectives Autochtones, une série de rapports de recherche sur le climat menée par des Autochtones produite en coopération avec le Centre for Indigenous Environmental Resources.

Cette étude de cas pose les bases d’une interprétation élargie et plus inclusive de la résilience en contexte autochtone.

Malgré les récents bouleversements occasionnés par les changements climatiques que nous subissons tous, nombreuses sont les Nations autochtones de Colombie-Britannique qui maintiennent un lien avec leur circuit d’activités saisonnières, ce cycle annuel d’activités de subsistance fondées sur le territoire qui a cours depuis des temps immémoriaux. En prenant ce cycle naturel comme pierre de touche pour l’adaptation et la poursuite d’activités fondées sur le territoire, l’application des valeurs et protocoles de chaque communauté à l’interprétation de la résilience en contexte peut mener à une démonstration holistique et ancrée de la rés-ilience (graphie soulignant la similitude entre les mots « réserve » et « résilience ») : la résilience comme nous l’entendons.

L’intégration des aspects sociaux et écologiques de la résilience enrichira le savoir approfondi sur le mode de vie durable et les stratégies d’adaptation réussies que détiennent les peuples autochtones. Inclusives et ancrées, ces interprétations de la rés-ilience peuvent mener à des politiques plus progressives, plus pertinentes et plus efficaces en environnement. Forts d’une longue histoire d’équilibre, de connexion et d’harmonie avec la nature, les peuples autochtones ont prouvé l’efficacité d’une résilience ancrée dans l’écologie. Cette étude de cas est une suite du travail entrepris dans mon mémoire de maîtrise, qui porte sur la résilience climatique dans les communautés autochtones. Elle est éclairée par ma connaissance de la résilience climatique autochtone en tant que femme gitxsane ainsi que des entrevues et sondages auprès des membres de la communauté. Cette étude s’appuie sur le travail mené par d’autres spécialistes gitxsans.

Lip Seksinhl Jebin (ramassez vos dégâts)

Les changements climatiques – le réchauffement de l’atmosphère causé par l’utilisation de combustibles fossiles – sont responsables de la multiplication généralisée des phénomènes météorologiques extrêmes, des feux de forêt, des maladies transmises, des organismes nuisibles et des espèces disparues. Même si la majorité des émissions à l’origine des changements climatiques sont le fait des puissances colonisatrices, leurs conséquences négatives touchent de manière disproportionnée les peuples autochtones (Abate et Kronk, 2013; Donatuto et coll., 2014; Green et Minchin, 2014; Vinyeta et coll., 2015; Chisholm Hatfield et coll., 2018). On peut tracer un lien entre le réchauffement intense des cinquante dernières années et les émissions mondiales de gaz à effet de serre d’origine anthropique, causées par l’extraction et l’utilisation des combustibles fossiles (Organisation des Nations Unies, 2020; GIEC, 2020). Ce phénomène, qui a profondément redessiné le territoire gitxsan, a commencé à transformer le circuit d’utilisation saisonnier de la Nation gitxsane. Ces changements aux cycles et aux variations annuelles, le circuit saisonnier, sont un exemple qui s’ajoute aux nombreuses conséquences du manque d’équilibre et d’harmonie dans nos relations avec la Terre.

En raison de cette absence de connexion entre la société et l’écologie, la compréhension eurocentrique de la résilience qui domine aujourd’hui est aux antipodes des visions du monde centrées sur la parenté et les relations des Autochtones. Autrement dit, selon ces visions du monde, les humains et la nature ont le même héritage et les mêmes ancêtres. Ainsi, les parents ou la famille sont compris comme l’ensemble des éléments naturels de la vie (Salmon, 2000). D’un point de vue eurocentrique, la résilience est plutôt abordée sous l’angle de l’adaptation et des changements par rapport à un seuil critique (Berkes et Ross, 2012). Ici, peu de place pour les relations profondes entretenues par les peuples autochtones et leurs territoires ni pour la vocation de protection et le sens des responsabilités qui les accompagnent. Enfin, ce point de vue ne tient pas compte de la force et de la résilience dont font déjà preuve les peuples autochtones, ces survivants qui ont continué de se développer malgré la colonisation et les changements climatiques passés.

Rétablir l’équilibre, ce n’est pas facile. Cela implique notamment d’envisager le territoire comme une relation et une responsabilité sacrée entre les ancêtres et la parenté (Turner et Clifton, 2009; Whyte, 2013; Whyte, 2014; Snively et Williams, 2016; Wilson et coll., 2019). L’élaboration de pratiques holistiques et efficaces qui reflètent la relation, la responsabilité et l’appartenance passe par une étape fondamentale : une définition et une interprétation de la rés-ilience reflétant la force, la responsabilité et les relations avec le territoire.

En première ligne de cette crise environnementale, les communautés autochtones s’adaptent aux changements climatiques avec l’esprit de résilience dont ils ont fait montre de manière répétée tout au long de l’histoire.

Daxgigethhl get elhl la’oo’m (la population était en santé il y a longtemps)

Le peuple Gitxsan (ou Gitksan) provient de la région côtière du nord-ouest, et vit au confluent non cédé des rivières Skeena, Nass et Bulkley en Colombie-Britannique. Son territoire montagneux et très boisé est enclavé dans la zone biogéoclimatique continentale à cèdre et à pruche (figure 1). Il occupe 33 000 km2 au nord-ouest de la province, une superficie légèrement supérieure à celle de la Belgique (Main-Johnson, 1997). Peuplant cette zone pratiquement depuis le retrait des glaciers il y a environ 15 000 années, les Gitxsans font preuve de résilience depuis des temps immémoriaux. Aujourd’hui, ce peuple compte six communautés : Gitanmaax, Gitwangak, Gitsegukla, Gitanyow, Anspay’axw et Sik-e-dahk.

Figure 1 : Carte illustrée du territoire. Comportant plusieurs points d’intérêt, elle présente les quatre clans gitxsans. Carte de Brett Huson, illustrée par Natasha Donovan (https://www.bretthuson.ca/gitxsan).
Figure 1 : Carte illustrée du territoire. Comportant plusieurs points d’intérêt, elle présente les quatre clans gitxsans. Carte de Brett Huson, illustrée par Natasha Donovan (https://www.bretthuson.ca/gitxsan).

Culturellement, les Gitxsans ont des points communs avec les Nations du Nord-Ouest Pacifique. Le gitxsan est une langue tsimshianique, famille de langues parlées sur les territoires non-cédés du nord-ouest de la Colombie-Britannique et du sud-est de l’Alaska. Comme les autres peuples côtiers, les Gitxsans maintiennent un système de célébrations, autour de quatre pdeeks (clans) matrilinéaires : Giskgaast (épilobe), Lax Gibuu (loup), Lax Skiik (aigle) et Lax Seel (grenouille). Articulé autour des huwilp (maisons), ce système régit de nombreux aspects du quotidien, dont l’accès aux ressources et au territoire et la responsabilité. Le calendrier gitxsan comporte 13 lunes (mois). Les noms évocateurs de ces lunes font allusion aux phénomènes naturels qui se produisent durant ce mois et aux réponses des Gitxsans à ces changements et événements sur le territoire (tableau 1). Les 13 lunes du cycle saisonnier se divisent en quatre saisons : Gwooyim (le printemps – mars, avril, mai); Sint (l’été – juin, juillet, août); Xwsit (l’automne – septembre, octobre); et Maadim (l’hiver – novembre, décembre, janvier et février).

Lune gitxsane (mois approximatif)Traduction française
K’uholxs (janvier)Lune des histoires et des célébrations
Lasa Hu’mal (février)Lune du peuplier qui craque et de l’ouverture des sentiers
Wihlaxs (mars)Lune de l’ours noir qui marche
Lasa Ya’a (avril)Lune du saumon chinook qui retourne chez lui
Lasa ‘Yanja (mai)Lune des arbres en bourgeons et des fleurs en éclosion
Lasa Maa’y (juin)Lune de la récolte et de la préparation des baies
Lasa Wiihun (juillet)Lune du pêcheur
Lasa Lik’i’nxsw (août)Lune du grizzli
Lasa Gangwiikw (septembre)Lune de la chasse à la marmotte
Lasa Xsin Laaxw (octobre)Lune de la pêche à la truite fructueuse
Lasa Gwineekxw (novembre)Lune de l’acclimatation au froid
Lasa ‘Wiigwineekxw (décembre)Lune des grosses tempêtes et du froid mordant
Tableau 1 : Les lunes des Gixtans et leurs traductions approximatives. Soulignons que la treizième lune, Ax Wa, est la lune du chaman. C’est la deuxième pleine lune du mois et elle varie d’année en année.

Chez les Gitxsans, l’interprétation de la résilience est empreinte d’une compréhension holistique de la gestion de l’écosystème. Le peuple connaît sa place au sein du territoire et a un sens des responsabilités envers ce dernier. Les membres de la communauté avec lesquels je me suis entretenue ont souligné les concepts de connexion, de respect, d’holisme, d’équilibre et de cérémonie, qui contribuent à la bonne gestion des territoires. Lorsqu’on les questionne sur leur interprétation de la résilience, les Gitxsans emploient beaucoup de mots se retrouvant dans la roue de la philosophie gitxsane (figure 2), qui guide leurs valeurs et par le fait même leurs interactions avec le circuit saisonnier sur le territoire. Ces valeurs respectées dans le cycle saisonnier sont fidèles au respect du territoire et de la communauté. C’est d’ailleurs ce qui sous-tend le rôle de gardien et le sens des responsabilités qui leur ont permis de vivre écologiquement depuis des millénaires.

Figure 2 : La roue de la philosophie des Gitxsans, représentative des valeurs de ce peuple (Smith, 2004)
Figure 2 : La roue de la philosophie des Gitxsans, représentative des valeurs de ce peuple (Smith, 2004). Cliquez pour agrandir.

Comme l’explique M. J. Smith, universitaire gitxsan, « La spiritualité de notre peuple est [holistique] : elle est intimement connectée à tout ce qui se trouve dans la nature. Les animaux, l’eau, les roches, les arbres et la terre : tous ont un esprit et sont des cadeaux du créateur… Comme notre peuple englobait tout ce qui pousse sur le territoire, il respectait le territoire et le considérait comme sacré (2004) ». Non seulement les enseignements, protocoles et cérémonies s’articulant autour de la roue de la cérémonie renforcent l’identité gitxsane, mais ils servent également de guide aux bonnes relations avec le territoire. Autrement dit, la roue résume le mode de vie durable adopté par les Gitxsans depuis des millénaires, honorant l’harmonie, l’équilibre et l’interconnexion dans la relation avec le territoire. Ces enseignements nourrissent la rés-ilience de la Nation, que je comprends aujourd’hui comme l’observation des changements qui se produisent sur le territoire et le travail de défense des enseignements transmis depuis des temps immémoriaux.

Aa’t’ikshl ‘wii t’ism wis (une tempête s’en vient)

Comme pour beaucoup d’autres Nations, la Loi sur les Indiens et les pensionnats ont limité l’autorité du peuple gitxsan sur sa communauté, sa gouvernance et sa gestion du territoire et des ressources. Malgré cela, les systèmes de célébrations ont perduré, et la gouvernance héréditaire demeure largement intouchée. Au sein du territoire, on retrouve à la fois des formes coloniales et traditionnelles de gouvernance. Comme bien d’autres Nations autochtones de la Colombie-Britannique, les Gitxsans sont au diapason des cycles annuels de variations saisonnières. Leur vie et leur culture suivent le rythme des cycles saisonniers (figure 3), qui influencent les zones où nous, le peuple gitxsan, vivons, chassons, cultivons et mettons en pratique tous les aspects de notre culture.

Figure 3 : Le cycle saisonnier des Gitxsans, et les activités par saison (Main-Johnson, 1997). Lune des Gitxsans par Brett Huson (https://www.bretthuson.ca/gitxsan).
Figure 3 : Le cycle saisonnier des Gitxsans, et les activités par saison (Main-Johnson, 1997). Lune des Gitxsans par Brett Huson (https://www.bretthuson.ca/gitxsan). Cliquez pour agrandir.

Avant, le rythme et les activités des saisons étaient prévisibles. Toutefois, comme c’est le cas un peu partout en Colombie-Britannique et dans le monde, le territoire gitxsan connaît des variations de température non sans effet sur les plantes et les animaux. Avec les changements climatiques, les saisons sont de moins en moins prévisibles, ce qui modifie le circuit saisonnier. La description des activités associées à chaque mois du cycle lunaire gitxsan ne correspond plus aux événements observés sur le terrain et ne reflète plus le mode de vie des ancêtres sur le territoire. Pour mieux comprendre ces changements de saisonnalité, j’ai interrogé quatre membres de la communauté gitxsane, et compilé 17 sondages écrits.

L’ensemble des participants ont évoqué les changements constatés sur le territoire des Gitxsans, qui se répercutent sur notre pratique des activités saisonnières.

On constate des changements dans les périodes de récolte et l’abondance des baies et des plantes médicinales, par exemple. La période d’éclosion a changé, obligeant les cueilleurs à choisir les variétés à récolter. Pendant la vague de chaleur de 2021, beaucoup de plantes ont montré des signes visibles de stress thermique. Résultat : une récolte de baies moins abondante. De plus en plus fréquents, ces événements destructeurs commencent à avoir des effets sur d’autres espèces qui dépendent de ces ressources. L’imprévisibilité dans la disponibilité des plantes exploitables et du fourrage a des répercussions sur l’orignal, dont la présence sur le territoire ne se fait pas aussi constante.

La récolte des myrtilles a lieu généralement à l’automne sur le territoire Gitxsan. Photo: Janna Wale.

C’est ce qu’on appelle un effet domino : un changement provoquant une série d’autres changements. Xadaa (l’orignal) est une espèce importante du territoire gitxsan; son cycle de recherche de nourriture dans la végétation chevauche souvent celui des Gitxsans. Aujourd’hui, on le voit moins souvent, et il n’occupe plus ses secteurs habituels. Cette accessibilité réduite à l’orignal ne fait pas que déstabiliser l’écosystème; elle commence également à nuire à la sécurité alimentaire des Gitxsans. Chaque année, la population de saumon décroît et son état de santé suit la même tendance. Pour les Gitxsans, le saumon revêt une importance culturelle. Riche en protéines, cette espèce peuple beaucoup d’histoires traditionnelles; on lui réserve d’ailleurs une place spéciale dans la salle des fêtes. Le petit nombre de saumons est une menace pour la sécurité alimentaire et l’important tissu culturel et identitaire.

Jarred sockeye salmon. Jarring is an important food preservation method that which helps the fish last for months to years. Photo: Gabriel Hernandez
Saumon sockeye en bocal. La mise en bocal est une importante méthode de préservation qui permet au poisson de durer des mois, voire des années. Photo: Gabriel Hernandez.
The inside of a smokehouse in Gitsegukla First Nation. Salmon strips are hung on trays and over beams, where they are slowly rotated over a slow smoking fire. Photo: Janna Wale.
L’intérieur d’un fumoir de la Première nation Gitsegukla. Les lanières de saumon sont suspendues sur des plateaux et au-dessus de poutres, où elles sont lentement tournées au-dessus d’un feu fumant lent. Photo: Janna Wale.

Ces changements modifient notre circuit saisonnier des activités, le mode même d’existence du peuple gitxsan sur le territoire (figure 4). De notre point de vue, les ressources ont une valeur intrinsèque – comme source de nourriture, d’économie et d’échanges, et comme lien culturel et identitaire. Un climat changeant « remet en question la croyance fondamentale sur la connexion entre les éléments du monde naturel ainsi que le moment où des modèles traditionnels se manifestent et des comportements se créent » (Chisholm Hatfield et coll., 2018). La vision gitxsane des saisons englobe la temporalité et la connexion : elle désigne un changement pansystémique, et la façon dont les interactions évoluent en relation les unes avec les autres.

Figure 4 : Perturbations du cycle saisonnier des Gitxsans selon des données empiriques (Wale, 2022). Lune des Gitxsans par Brett Huson
Figure 4 : Perturbations du cycle saisonnier des Gitxsans selon des données empiriques (Wale, 2022). Lune des Gitxsans par Brett Huson. Cliquez pour agrandir.

Ces changements dans le circuit saisonnier, la culture et la langue s’accompagnent d’un changement identitaire. La culture et l’identité sont enracinées dans le territoire et ces cycles. À l’heure où nous sommes confrontés à des changements sur le territoire, nous n’aurons d’autre choix que d’essayer d’adapter des pans de notre langue et de notre culture, et de notre savoir-faire et savoir-être sur le territoire. Il importe toutefois de comprendre que changement de relation ne rime pas forcément avec perte. La redéfinition de nos relations avec le territoire pour y inclure des pratiques contemporaines et l’adaptation aux changements climatiques en cours est au cœur même de la rés-ilience.

Les valeurs, concepts et modes d’existence autochtones ne se reflètent pas dans la manière dont les gouvernements envisagent la résilience. L’absence d’une définition inclusive des relations communauté-territoire, de l’appartenance, de la responsabilité et des liens centrés sur la parenté a contribué à l’iniquité des politiques climatiques et des stratégies, qui laissent beaucoup trop de pouvoir entre les mains du colonisateur. Les politiques dépourvues des notions de relations, de responsabilité et de responsabilisation envers le territoire ne font que servir le capitalisme, l’économie et l’extraction aux dépens de la communauté, de l’écologie, des relations et de la réciprocité.

Yukw na Hagwil yin (apprendre à marcher doucement)

La résilience est généralement comprise comme la capacité de se remettre de chocs et de stress (Summers et coll., 2016). En l’absence d’interprétations compatibles de cette valeur, ancrées dans les relations, Autochtones comme non-Autochtones sont moins à même de la pratiquer. Trop souvent, les définitions imposées de la résilience excluent les pratiques, les valeurs et les philosophies gitxsanes qui perdurent dans les salles de fêtes, les cérémonies, le savoir-faire et le savoir-être. Ces approches imposées de la résilience freinent également notre capacité à mettre en œuvre des solutions et stratégies d’adaptation créatives, applicables et universelles qui intègrent les expressions et visions du monde des Gitxsans. En gros, elles ne laissent pas la place à des relations et responsabilités centrées sur la parenté qui nourrissent la culture et la perspective de notre peuple.

Pour bien comprendre la rés-ilience des Gitxsans, il faut reconnaître la résilience dont ils ont toujours fait preuve, puis appliquer cette force à la lutte contre les changements climatiques. Selon ce que j’ai appris et ce qui m’a été enseigné, cette rés-ilience serait la capacité de tisser l’ensemble de nos acquis pour relever les défis actuels et à venir. Autrement dit, une résilience holistique qui mise sur la force. Tirant son origine du sentiment de responsabilité envers la préservation du territoire, elle existe en relation avec celui-ci, tout comme le peuple gitxsan. De plus, la rés-ilience des Gitxsans réside dans sa persévérance et sa capacité de survie. C’est sa capacité de maintenir des lois, cérémonies et protocoles de gestion traditionnels qui ont eu beaucoup de succès et à les adapter aux besoins, aux objectifs et aux aspirations d’aujourd’hui. Équilibrée, interconnectée et harmonieuse, elle s’ancre dans les relations et se base sur la vocation de gardien et de protecteur du territoire pour les générations futures. Il faut comprendre que comme pour les Gitxsans eux-mêmes, cette définition et interprétation de la rés-ilience est appelée à s’adapter, à s’étoffer et à évoluer[1].

En combinant les enseignements de la roue de la philosophie des Gitxsans et l’évolution temporelle du circuit saisonnier, nous parvenons à une signification de la résilience en contexte gitxsan. Le circuit saisonnier nous montre comment et quand exister sur le territoire, et la roue de la philosophie nous enseigne à nous comporter dans le respect de nos relations et responsabilités en tant que peuple centré sur la parenté. Ceci dit, l’élaboration de politiques climatiques efficaces doit être approchée de manière holistique : ces politiques doivent accorder une place aux responsabilités, à la responsabilisation et aux relations. Elles doivent intégrer des valeurs situées dans l’espace qui tiennent compte de l’intensité des changements constatés au sein du cycle saisonnier d’un bout à l’autre du « Canada ». Ce n’est qu’ainsi que la résilience deviendra source d’harmonie, d’équilibre et d’interconnexion, et seulement ainsi qu’elle reflétera la perspective des Gitxsans sur leur place au sein de la relation humain-écosystème.

En me basant sur cette recherche et cette interprétation de la résilience, je ferais donc les recommandations suivantes aux décideurs, tous ordres de gouvernement confondus :

  1. Intégrer une vision située dans l’espace aux politiques d’adaptation, de gestion de crise et de résilience climatiques. Une politique qui cadre avec les valeurs, les compréhensions et les philosophies de chacune des Nations se traduirait par une plus grande efficacité et de meilleurs résultats. De plus, elle permettrait de commencer à démonter certaines des hypothèses coloniales sur les relations humain-territoire ancrées dans les politiques fédérales, provinciales et territoriales.
  2. Inclure des considérations saisonnières dans la prise de décision. Tenir compte de la saisonnalité lorsque l’on cherche à augmenter la résilience serait bénéfique pour la résilience écologique comme la résilience sociale (dans le respect des ayookxw des Gitxsans et d’autres nations, qui suivent les variations saisonnières). Les politiques climatiques doivent être conçues pour tenir compte des changements et besoins de chaque Nation par saison, plutôt que de contenir des généralisations sur les circuits annuels.
  3. Axer la gestion sur les Naadahahlhakwhlinhl (interconnexions avec toutes les choses vivantes). La mauvaise gestion de nos ressources s’explique largement par la fracturation du territoire et de notre relation avec lui. Ces fractures se reflètent dans les structures gouvernementales coloniales et sont donc imprégnées dans les politiques. Les politiques climatiques efficaces sont intrinsèquement holistiques : elles reconnaissent notre responsabilité de garder le cap sur la vue d’ensemble sans toutefois négliger les petits objectifs intermédiaires.

De ce que j’en comprends, Yukw na Hagwil yin se traduit grosso modo par « apprendre à marcher doucement ». Dans la culture gitxsane, marcher doucement est un appel à faire attention à la façon dont on se comporte et dont on agit. Cette maxime nous apprend à penser à ce qui nous entoure, y compris les non-humains avec qui nous sommes en relation, et à la façon dont nos actions et nos paroles les affectent. Lorsqu’il est question de résilience aux changements climatiques, ce précepte est important. Apprendre à marcher doucement est un rappel de nos responsabilités envers nos enfants et nos petits-enfants, qui devront composer avec nos décisions et le monde que nous créons. C’est comprendre que nos actions en tant qu’humain, en tant que Gitxsans, ont un effet sur notre environnement, et que les décisions prises aujourd’hui se répercuteront sur les sept prochaines générations.

La clé, pour la suite des choses, est d’approcher la résilience aux changements climatiques avec la même force de caractère que celle de nos ancêtres. Appliquer les leçons du circuit saisonnier et savoir qu’il y a un temps pour chaque chose. Appliquer les leçons des valeurs et de la culture et savoir que la résilience est indissociable des identités autochtones. Regarder ce que nous, les Autochtones, avons traversé, et qui ne nous empêche pas d’être encore là.

Chaque Nation devra déterminer les valeurs, les forces et les protocoles balisant sa version de la rés‑ilience. Le colonialisme ayant touché chaque Nation du « Canada » de manière différente, les versions de la rés-ilience autochtone desquelles s’inspirer abondent. Nous revitalisons nos pratiques, nos langues et nos modes d’existence sur le territoire.

Renforcer sa résilience ne se fait pas en un jour. Je crois fondamentalement qu’en tant que peuples autochtones, nous sommes les mieux placés pour mener ce travail. Notre responsabilité : l’amener aussi loin que nous le pouvons, afin que la prochaine génération puisse reprendre le flambeau. Cette étude de cas et l’interprétation de la résilience que je donne ici s’inscrivent dans ma contribution à la grande aventure dans laquelle nous sommes tous embarqués.


[1]Ce sont mes propres interprétations, basées sur mes recherches et ce qu’on m’a enseigné. Je ne peux pas parler pour ma communauté ou ma Nation.