Crédit d'image: Ivan Sovic

L’action suscite l’espoir: Assurer une reconstruction sur des fondations résilientes dans la région du canyon du Fraser en C.-B.

Les approches politiques peuvent aider à construire, et reconstruire, les communautés afin qu’elles soient résistantes aux conditions météorologiques d’aujourd’hui et de demain.

La région du canyon du Fraser est le centre d’une nation autochtone, les Nlaka’pamux. La ville de Lytton est au centre géographique de cette nation. En 2021, une sécheresse survenue au printemps et au début de l’été a été un précurseur d’un dôme de chaleur dans la région du Nord-Ouest du Pacifique. Une température record de 49,6 °C a été enregistrée le 29 juin. Le lendemain, la totalité de la ville de Lytton a brûlé en 21 minutes (BBC News, 2021). Cinq mois plus tard, une rivière atmosphérique régionale a emporté toutes les routes d’accès, sauf une. En décembre, le froid extrême et la neige profonde ont paralysé la région. Même si ces événements de 2021 étaient sans précédent, ils n’étaient pas inattendus. Les avertissements mondiaux au sujet des impacts climatiques se multiplient depuis les années 1980. Il est maintenant évident que l’humanité ne compose plus avec des « conditions idéales pour la vie », faisant face à des pics temporaires de conditions météorologiques extrêmes qui pourraient devenir permanents, ce qui aurait des conséquences substantielles pour la santé et le bien-être humains (McMichael et coll., 2017).

L’incendie de Lytton a déjà montré que les fondations au Canada sont fragiles. Les gouvernements colonisateurs passés (Karl, 2005) ont pris des décisions en adoptant une approche misant sur le fait de s’atteler à tout prix à la tâche. Ainsi, les bâtiments, les systèmes et les économies établis n’étaient pas durables ni résilients. Le Canada a également été bâti sans tenir compte des vies, des styles de vie et des objections des populations autochtones, faisant fi des impacts négatifs sur l’environnement et les générations futures. Certains gouvernements colonisateurs antérieurs ont justifié leurs décisions en citant l’efficacité et la recherche du profit. Les gouvernements actuels doivent réparer les fautes commises dans le passé et adopter une approche différente quand vient le temps de prendre des décisions pour notre avenir collectif. Cette approche ne doit pas chercher à tout prix à s’atteler à la tâche. Elle doit protéger les gens et les communautés, en sachant que les changements climatiques sont réels et que leurs impacts augmentent en termes de fréquence, de durée et d’intensité.

Les gouvernements doivent également tenir compte des enjeux historiques attribuables aux décideurs passés qui ont ignoré les enjeux, les ont évités ou les ont laissés aux générations futures. Ce risque demeure, puisque les gouvernements actuels peuvent conserver un état d’esprit axé sur le statu quo, ne reconnaissant pas que les impacts climatiques sont réels et prennent de l’ampleur, ou ne prenant pas suffisamment rapidement des mesures pour protéger les gens et les communautés. Si nous ne surmontons pas notre paralysie collective quand vient le temps de lutter contre les impacts climatiques (Rand, 2014), nous allons retarder la planification de l’adaptation jusqu’à ce qu’il soit trop tard. Nous devrons donc passer en mode d’intervention débilitant. En bref, nous devons éviter de ne rien faire maintenant, de tenter notre chance et de laisser les générations futures faire les frais de ces impacts. Personne n’est à l’abri des impacts croissants des changements climatiques. Lorsque nous prenons, en toute conscience, la décision de faire de l’environnement la priorité, nous gagnons tous au change et, surtout, nos enfants et nos petits-enfants gagnent au change.

Première visite de Tina et Patrick Michell de retour à leur maison à Lytton, C.-B. le 25 juillet 2021. Crédit photo : Patrick Michell

Le rétablissement de la région du canyon du Fraser après les événements dévastateurs de 2021 est lent et fait l’objet de controverses (Partlow, 2022). Des tensions existent entre le camp voulant reconstruire rapidement et celui voulant reconstruire en mieux. Le rétablissement est également limité par un processus en temps réel visant à rectifier les décisions gouvernementales passées, décisions qui ont laissé à la prochaine génération la responsabilité de créer des communautés durables (Olsen, 2023).

Une compréhension renouvelée du rôle et des fonctions des fondations physiologiques requises pour assurer la qualité de vie est essentielle pour le rétablissement. Ces fondations prennent la forme de l’air pur, de l’eau, de la nourriture et du logement. Il s’agit de besoins à satisfaire avant de combler d’autres besoins (McLeod, 2018) et, surtout, d’assurer un rétablissement approprié, ce qui n’a pas été fait la première fois.

Le processus de rétablissement compte d’autres volets qui sont, parfois, ignorés. Ayant accumulé des traumatismes, les résidents de la région devront surmonter leur peur, leur colère et leur tristesse individuelles qui, malgré le passage du temps, continuent d’accabler le rétablissement et d’y nuire. Ensuite, ils doivent collaborer pour atteindre l’objectif commun, qui est de conceptualiser, de concevoir, de financer et de bâtir une communauté résiliente face aux conditions météorologiques d’aujourd’hui et de demain, permettant de satisfaire les besoins de base des résidents dans un avenir qui sera déstabilisé par d’autres événements climatiques.

Même si le présent document met l’accent sur l’expérience vécue à Lytton, le problème ne touche pas uniquement Lytton. Partout au Canada, on compte 62 000 communautés ayant le même niveau de risque que celui de Lytton en 2021 (Cohen et Westhaver, 2022). L’histoire du rétablissement de Lytton est donc importante pour l’ensemble des Canadiens.

Cependant, puisqu’ils ont dû composer avec de multiples phénomènes météorologiques extrêmes pendant une très courte période (Michell, 2021), les habitants se trouvent dans une position unique pour devenir l’une des premières régions résilientes au Canada. Si les Premières Nations du Canada participent à toutes les conversations sur l’utilisation des terres et des ressources (Assemblée générale des Nations Unies, 2007), cela aidera à surmonter les comportements acquis et renforcés, en plus d’éviter de répéter les erreurs du passé. Les Premières Nations peuvent fournir des données utiles dans le cadre des approches décisionnelles axées sur la prise de décisions pour investir dans nos fondations collectives et veiller à ce que tous les Canadiens puissent composer avec les tempêtes à venir (River Voices, 2020).

Dès 2010, la Bande indienne de Kanaka Bar, l’une des 15 communautés qui constituent la Nation Nlaka’pamux, a mis de côté la colère et le ressentiment intergénérationnels qu’elle avait accumulés depuis la colonisation, et a fait en sorte de permettre à la communauté d’assurer un nouvel avenir plus résilient (Michell, 2020). En 2015, la communauté autochtone a codifié un énoncé de vision qui se lit comme suit : « Kanaka Bar est résolue à utiliser ses terres et ses ressources pour maintenir une communauté autonome, durable et prospère » (Bande indienne de Kanaka, 2015). Peu de temps après, elle a élaboré le plan d’évaluation des impacts climatiques et de transition de la communauté. Voici des données sur les décisions et mesures que Kanaka Bar a prises pour accroître la résilience communautaire pour les quatre fondations physiologiques, soit l’air pur, l’eau, la nourriture et le logement, afin qu’elle soit prête à affronter les conditions météorologiques de demain. Il s’agit de mesures qui peuvent être reproduites et appliquées à plus grande échelle dans les communautés partout au pays.

Les Nlaka’pamux vivent au même endroit depuis plus de 8 000 ans, ce qui leur a permis d’acquérir une connaissance explicite collective ou de connaître la météo locale et régionale, les tendances saisonnières et les cycles écosystémiques. Au cours des années 1980, des résidents du canyon du Fraser ont observé des changements sur le terrain qui étaient contraires à ces connaissances. En 1992, les scientifiques climatiques leur ont donné un nom, celui de changements climatiques anthropiques. L’air, les terres et l’eau partout dans le monde retiennent la chaleur à un taux jamais vu, produisant des événements météorologiques survoltés ou extrêmes qui ont des répercussions sur le savoir autochtone acquis depuis des milliers d’années et les infrastructures et systèmes postcoloniaux qui ont été conçus en tenant compte des conditions météorologiques d’hier. Des modifications et effondrements écosystémiques se produisent sur le terrain (Chambers et coll., 2021), ce qui insuffle un degré élevé d’incertitude à la vie d’aujourd’hui et aux préparatifs pour l’avenir. Lorsque les gens n’ont pas les renseignements nécessaires, ils s’inquiètent. Partout dans le monde, les représentants de la santé conviennent que la peur à l’égard des changements climatiques et de leurs impacts suscite un stress et une anxiété. Les diagnostics en matière de santé mentale pour l’anxiété climatique, l’écoanxiété et la solastalgie1 sont désormais en hausse.

Pour réduire le stress découlant de l’incertitude associée aux impacts futurs des changements climatiques, la Bande indienne de Kanaka Bar, qui est située à 18 kilomètres au sud de Lytton, a réalisé, en 2015, un plan d’occupation du sol pour le bassin versant de la communauté (Bande indienne de Kanaka Bar, 2015) et, en 2018, un plan d’évaluation des changements climatiques et de transition (Kanaka Bar Climate Change Assessment and Transition Plan, 2018). Depuis, elle a investi dans trois stations météorologiques, sept stations d’évaluation du niveau d’eau et une station de surveillance de la qualité de l’air. Ces outils créent, chaque jour, des données communautaires propres au site sur la qualité de l’air, la vitesse et la direction du vent, la température, les précipitations et l’hydrométrie. Ils s’ajoutent aux connaissances autochtones, au lieu de les remplacer. En outre, ils aident à établir les prévisions communautaires, s’ajoutent aux systèmes de prévision météorologique avancée, et facilitent la préparation aux situations d’urgence et la planification de l’intervention.

La surveillance météorologique propre à un site aide à améliorer les plans d’avertissement et d’intervention, offrant aux communautés un préavis aussi long que possible pour se préparer aux phénomènes météorologiques extrêmes, afin qu’elles puissent se préparer à des pics de chaleur, de vent, de pluie et de froid extrêmes et se rétablir plus rapidement. Cela permet aux communautés de connaître avec plus de précision et d’avertissement le moment où les besoins physiologiques ne seront pas comblés, c’est-à-dire lorsqu’il existe un risque pour la santé et la sécurité en raison de l’air, de l’eau ou de la chaleur non sécuritaires ou un risque pour le logement. Les données propres à un site servent également lors de la conception et de la construction de nouvelles infrastructures ou de la réparation des infrastructures existantes, afin qu’elles puissent résister aux conditions météorologiques dans une région particulière. Plus les communautés ont un nombre élevé de renseignements météorologiques et climatiques, plus leurs plans d’avertissement et d’intervention seront judicieux et plus leurs résidents seront protégés.

     Recommandation: 

  • Tous les ordres du gouvernement (y compris autochtones, fédéral, provinciaux, territoriaux, municipaux) devraient adopter des politiques qui soutiennent la mise en commun des ressources et le partage de renseignements, et la coordination parmi différents ordres du gouvernement devrait être établie et mise en œuvre de manière à permettre aux communautés de comprendre les risques régionaux et propres aux sites et d’obtenir et d’installer collectivement un nombre supérieur de stations de surveillance de l’air, des vents, de la température et des précipitations propres à un site, afin de produire des données météorologiques régionales.

Dans la région du canyon du Fraser, les cours d’eau de surface s’assèchent. Les périodes sèches régionales durent plus longtemps, alors que la demande ne change pas. Les habitants qui ont des permis d’utilisation des eaux de surface doivent désormais composer avec des scénarios qui se répètent dans lesquels le niveau d’eau est faible ou nul. En 2021, les puits d’eau souterraine commençaient à manquer également d’eau. Même s’ils n’ont jamais manqué d’eau, cette situation pourrait se produire bientôt.

Lors de sa construction, Lytton tirait son eau de surface du ruisseau Lytton. Pendant des années, la ville a dû accroître l’approvisionnement en eau avec des pompes à eau (de puits et de la rivière Thompson). Lorsque l’incendie de Lytton a interrompu l’approvisionnement en électricité dans la région, la ville et la région étaient sans eau, puisque la capacité visant à dévier, à stocker et à produire de l’eau potable n’existait plus.

La région du canyon du Fraser envisage un plan régional pour partager les renseignements et l’infrastructure hydraulique, afin d’éviter que la crise de l’eau de 2021 se reproduise.

Dans cette région, l’hydrométrie n’est pas le problème, en raison de la sécheresse de 2021 et les phénomènes de rivière atmosphérique qui ont suivi (ayant déversé de trop grandes quantités de précipitations en même temps). La question est plutôt à savoir comment planifier et établir une nouvelle capacité de stockage de l’eau fiable et durable, malgré les événements météorologiques extrêmes.

Les communautés Nlaka’pamux ont existé là où, selon les observations, le soleil, les vents, l’eau et les saisons stables et prévisibles ont permis de produire des écosystèmes sains, et elles continueront d’y exister. C’est en raison de la proximité des sources d’eau douce accessibles en tout temps pour assurer la santé écosystémique, s’abreuver, cuisinier, élever des animaux, veiller à l’irrigation et se protéger contre les incendies que les Autochtones ont choisi d’y vivre, de là l’expression « l’eau comme source de vie ». La vie des Nlaka’pamux a changé lors des contacts avec les explorateurs européens. Lorsque la période initiale caractérisée par des relations mutuelles entre les Autochtones et les explorateurs a pris fin (Manuel et Posluns, 1974), la loi et les politiques coloniales se fondant sur le déni et l’oppression ont été imposées. Cette situation a existé pendant des générations.

évaluation de la vulnérabilité face aux changements climatiques de Kanaka, qui prévoit une hausse de l'intensité, de la durée et de la fréquence des tempêtes extrêmes.

Une fois établis, les états coloniaux et provinciaux ont supervisé l’affectation de parcelles de terrain en fief simple (propriété privée) aux nouveaux arrivants, ce qui comprenait des permis d’utilisation des eaux se fondant sur le principe « premier arrivé, premier ayant droit » à certaines fins, comme l’eau pour s’abreuver, l’irrigation et les retombées économiques, sans vraiment, voire aucunement, tenir compte des habitants initiaux ou des écosystèmes qui comptent sur l’eau depuis des millénaires. Les titres et droits inhérents aux terres de la nation et à l’eau ont été ignorés. Puisque les affectations des réserves fédérales ont été définies après la Confédération, les permis d’utilisation des terres et des eaux dans les réserves prévues par la Loi sur les Indiens (s’il y a lieu) étaient réservés à de petites superficies, se trouvant dans des endroits inappropriés et ne convenant pas au logement et à l’agriculture. Ainsi, la majorité des communautés de Nlaka’pamux ont été déplacées et ont dû vivre dans de très mauvaises conditions. Elles ont été forcées à adopter un mode réactif face au colonialisme et à composer avec les impacts de ces conditions pendant des générations.

Le système hydrique de Kanaka Bar est alimenté par gravité, afin que l’eau puisse circuler pendant des pannes de courant. Kanaka a également investi dans la production d’énergie solaire, d’énergie éolienne et, dans une certaine mesure, l’hydroélectricité renouvelable à petite échelle. Elle peut donc, s’il y a lieu, changer la source d’énergie pour l’usine de traitement de l’eau potable existante pour qu’elle continue de fonctionner pendant une panne de courant.

Crédit photo : Kanaka Bar Indian Band

Kanaka a également doublé son stockage d’eau de surface en fonction des prévisions relatives aux besoins actuels et à court terme. Elle a créé des plans pour quadrupler le stockage si la demande devait augmenter. Enfin, Kanaka dispose de systèmes de stockage et de distribution d’eau potable distincts des eaux brutes (bornes-fontaines mauves et robinets). Elle a donc accès à un approvisionnement important en eaux non traitées pour l’irrigation et la protection contre les incendies. Tous les éléments ci-dessus ont pris en compte les besoins à court, à moyen et à long termes de la communauté en matière d’eau et, ce qui est encore peut-être plus important, ont diminué l’écoanxiété actuelle, en fournissant aux générations actuelles et futures les connaissances nécessaires pour veiller à ce qu’elles aient, sans égard aux conditions météorologiques, un approvisionnement en eau, l’une des fondations physiologiques les plus importantes.

Pour établir un plan de transition et d’adaptation significatif, réaliste et réalisable en ce qui concerne les changements climatiques, il faut avoir de l’eau. Alors qu’il est impossible de contrôler les conditions météorologiques, il est possible d’atténuer leurs impacts. Pour tirer des leçons de l’exemple de Kanaka Bar, les communautés devraient envisager ce qui suit lorsqu’elles créent un plan de sécurité de l’eau durable :

  • Hypothèses: Ne pas tenir pour acquise la sécurité de l’eau individuelle, communautaire ou régionale. Les communautés devraient comprendre où se trouve leur source d’eau et assurer une planification tenant compte de la rareté.
  • Pertinence: Comprendre les permis d’utilisation des eaux. Où ont-ils été délivrés? S’appliquent-ils encore aujourd’hui? Est-il encore possible de s’approvisionner en eau? Quelles sont les solutions de rechange raisonnables pour accéder à de l’eau si l’approvisionnement est épuisé?
  • Quantité: Installer des stations d’évaluation de la quantité pour l’eau de surface et l’eau souterraine, et obtenir des données empiriques pour faciliter les prévisions relatives à la rareté de l’eau et la possibilité qu’il n’y ait pas d’eau certaines journées.
  • Collaboration: Rencontrer les commissions de l’eau régionales pour discuter du niveau certain de l’eau, y compris le stockage, la conservation, le relâchement temporisé et la distribution d’eau potable en cas de panne du système, et assurer une planification. Partager les connaissances, les ressources et les plans pour atténuer les pénuries et accélérer le rétablissement.
  • Résilience: Concevoir, construire ou réparer les infrastructures matérielles pour qu’elles résistent aux conditions météorologiques d’aujourd’hui et de demain. Ainsi, une rivière atmosphérique ou un feu incontrôlé ne couperaient pas l’approvisionnement en eau.
  • Systèmes hybrides: Examiner les options de traitement de l’eau potable qui ne dépendent pas du réseau pour fonctionner et séparer les eaux brutes des systèmes d’eau potable.

Ces approches peuvent également servir à concevoir des politiques. Elles ont de vastes répercussions pour tous les Canadiens et les ordres du gouvernement.

L’incendie de Lytton est un exemple des préoccupations relatives à la fragilité et à la sécurité alimentaires. Des magasins ont été détruits pendant l’incendie. Des routes ont été fermées. Une panne de courant prolongée a fait en sorte que les familles dont les résidences avaient été épargnées par l’incendie ont perdu le contenu de leur réfrigérateur et de leur congélateur. Les familles qui avaient déshydraté ou mis en conserve leurs aliments et dont les stocks dans la cave et le sous-sol avaient survécu à l’incendie se trouvaient dans une meilleure situation, car leurs stocks de nourriture n’ont pas été touchés par la panne de courant prolongée. Des centres de dons de nourriture ont été organisés. Cependant, l’approvisionnement adéquat, la diversité et la qualité variaient en fonction des dons. Dans le cas de ceux qui peuvent se déplacer, les déplacements nécessaires pour se rendre aux magasins dans les villes sont devenus une nouvelle norme coûteuse.

Pendant plus de 8 000 ans, le climat et les écosystèmes en découlant dans le canyon du Fraser ont fourni aux habitants d’origine un accès à des viandes fraîches, à des fruits, à des légumes, à du poisson, à des médicaments, à des outils et à des vêtements. Une langue, une culture, des lois et une forme d’art ont été établies. Les protocoles pour la collecte de nourriture, la préparation, l’entreposage et la cérémonie étaient bien connus. Les surplus étaient vendus.

La politique coloniale a codifié des interdictions visant les Autochtones quand vient le temps d’accéder à leur territoire traditionnel et de mettre en pratique leurs anciennes coutumes, y compris la vente de nourriture aux autres ou l’échange de nourriture avec les autres (Karl, 2005). Ces interdictions ont imposé de la souffrance à de nombreuses générations, en plus de susciter une dépendance envers l’État. Pour empirer les choses, alors que la loi coloniale a interdit l’esclavage, les nombreuses générations forcées de quitter leurs familles pour fréquenter des pensionnats ont souvent dû travailler dans les champs. Parallèlement, les politiques fédérales, comme la politique des exploitations paysannes dans les Prairies, ont réglementé la production agricole dans les réserves (Carter, 1990; Ladner, 2009). Des conversations avec la communauté montrent que certains termes, comme l’exploitation agricole et l’agriculture, sont associés à des stigmates pour certains Autochtones, en raison des fautes historiques. Maintenant que les restrictions archaïques et draconiennes ont été levées, les Autochtones retournent dans leurs territoires, où ils observent que la contamination de l’air, du sol et de l’eau touche les aliments traditionnels, tout comme la chaleur, la sécheresse et la surexploitation. Des changements écosystémiques se produisent actuellement dans la région du canyon du Fraser, y compris une baisse des stocks de saumon sauvage du fleuve Fraser (Chambers et Hocking, 2021). Les grandes cultures classiques sont en difficulté en raison des sécheresses et de la chaleur trop élevée. Malheureusement, il n’y a pas eu d’adoption des jardins communautaires ou résidentiels qui assureraient une sécurité alimentaire accrue à l’échelle requise. On continue donc de dépendre des autres pour se procurer des aliments. Cette situation empirera alors que les phénomènes météorologiques extrêmes et leurs impacts augmenteront en termes de fréquence, de durée et d’intensité.

En 2016, Kanaka Bar a réalisé une évaluation de l’alimentation dans la communauté. Parmi les principales constatations, il y avait le fait que les gens ne comptent plus sur les systèmes alimentaires communautaires, mais plutôt sur l’approvisionnement et les fournisseurs tiers (Berezan, 2016). En sachant que les magasins disposent actuellement de stocks de produits essentiels (lorsque c’est possible) pour un maximum de trois jours et que les tablettes se vident lorsque les routes ferment, Kanaka a investi dans un éventail d’initiatives en matière de sécurité alimentaire, y compris l’agriculture dans un environnement contrôlé, ce qui permet à la communauté de cultiver des fruits et des légumes toute l’année, sans égard aux conditions météorologiques.

Vue aérienne du jardin communautaire de la communauté Kanaka Bar. Crédit photo : Kanaka Bar Indian Band

Kanaka dispose également de terrains vacants défrichés et aménagés en vue d’activités d’aquaculture, ou d’élevage de protéines de poisson dans la communauté, au lieu d’épuiser les stocks de saumon sauvage. Kanaka a aussi acheté des terres hors réserves auprès d’agriculteurs et de propriétaires qui n’exploitent plus leurs propriétés pour obtenir des protéines qui ne sont pas exigeantes en eau et qui ne nécessitent pas une grande quantité de nourriture, comme le lapin, le porc, la volaille (tous les types), la chèvre et, à l’avenir, le daim. En prenant ces mesures, Kanaka a fait des progrès considérables pour mettre un terme à la dépendance à l’égard de l’épicerie. Les surplus de viande, de fruits et de légumes de Kanaka sont également offerts à la région, dans le nouveau centre communautaire, qui est branché au réseau, mais qui est également alimenté par énergie solaire au moyen d’un stockage considérable dans des batteries.

La société canadienne se fonde sur l’importation des biens nécessaires, plutôt que sur la production ou la fabrication de ceux-ci par nous-mêmes. Cela fait en sorte que la nourriture, l’une des fondations physiologiques, est vulnérable. Il s’agit également d’un comportement acquis qui peut être rapidement renversé, comme le montre l’approche adoptée par Kanaka Bar. Les gouvernements peuvent changer leur priorité. Au lieu de favoriser la croissance de l’économie et du PIB, ils peuvent les stabiliser au moyen d’investissements stratégiques ruraux et régionaux dans des systèmes de culture, de transformation, de stockage et de distribution d’aliments résilients, efficaces et efficients pour assurer la sécurité alimentaire. On cherche ainsi à s’assurer que les communautés veillent à ce qu’elles aient accès à une source sûre d’alimentation, même si la météo se déchaîne.2 

Parmi certaines étapes initiales de planification de la sécurité alimentaire que tous les ordres du gouvernement devraient suivre ensemble, il y a les suivantes :

  • Fuite économique: réaliser une étude sur la fuite économique en alimentation, afin de déterminer d’où vient notre nourriture, de prendre en considération les désirs par rapport aux besoins, et d’évaluer les impacts des phénomènes météorologiques extrêmes sur l’approvisionnement et les coûts. Il faut comprendre ce dont nous avons besoin pour vivre, et le produire ici!
  • Souveraineté alimentaire: soutenir la production, la transformation et l’entreposage régionaux des aliments au moyen d’incitatifs et d’un soutien financier direct. Assurer une sécurité alimentaire régionale, afin qu’il y ait toujours une source adéquate d’aliments de qualité à proximité, pour veiller à ce que les gens ne manquent jamais de rien.
  • Banque de crédit agricole: obtenir des terres arables non exploitées auprès de propriétaires incapables d’exploiter leurs terres ou réticents à le faire, avant de les louer à des taux très faibles aux agriculteurs ou d’embaucher des travailleurs (locaux ou étrangers) pour cultiver les aliments dont nous avons besoin.
  • Souveraineté, sécurité et résilience alimentaire: il faut faire de l’exploitation agricole et de l’agriculture un enjeu national et provincial de sécurité alimentaire, et promouvoir un plan alimentaire résilient. Nous avons les terres et les ressources nécessaires pour produire plus que ce que nous pouvons consommer. Nous pourrions donc exporter nos surplus. Cependant, nous devons nous assurer d’avoir la nourriture dont nous avons besoin avant de placer à l’avant-plan l’économie. 
  • Centres alimentaires: faire des investissements stratégiques dans les magasins ayant pignon sur rue et les entrepôts régionaux d’aliments frais et transformés, afin que les résidents qui doivent composer avec un phénomène météorologique extrême ou se rétablir après un tel événement puissent avoir facilement accès à un approvisionnement en aliments et en eau.

Lors de l’incendie de la municipalité, Lytton a perdu tous ses bâtiments en un peu plus de 20 minutes. Elle doit donc reconstruire une communauté entière. Choisira-t-elle de reconstruire d’une manière résiliente, afin de tenir compte des conditions météorologiques d’aujourd’hui et de demain?

L’architecture et les services techniques des Nlaka’pamux pour les routes, les ponts, les fossés, les bateaux, l’énergie et le logement existent depuis des décennies, bien avant les contacts, comme l’ont observé les premiers explorateurs européens dans la région (Lamb, 1960). Avec la colonisation et la confédération, les Nlaka’pamux ont dû quitter le lieu qu’ils occupaient initialement pour vivre en tout temps dans des réserves, dans des maisons en charpente construites sur le sol. Aucune norme ne s’appliquait à la construction de telles maisons qui devaient être construites de la manière la plus élémentaire possible. Elles ne sont pas convenables quand vient le temps de résister aux phénomènes météorologiques extrêmes d’aujourd’hui. Maintenant, les Nlaka’pamux, comme tout le monde, doivent trouver une façon de concevoir et de construire des logements abordables, résilients (à la chaleur, aux vents, à la pluie et au froid), écoénergétiques et constructibles. Kanaka Bar reconnaît les défis associés à la politique après contact pour le logement. Pendant des années, elle a cherché à rénover et à réparer des structures existantes déficientes. Aujourd’hui, toutes les constructions neuves de Kanaka Bar se fondent sur une conception passive et doivent répondre à des exigences en matière d’efficacité énergétique de niveau élevé. Selon le code du bâtiment de Kanaka Bar, la conception et la construction doivent respecter les normes les plus élevées en matière d’efficacité. Des représentants des propriétaires doivent être sur les lieux, pendant la construction, afin de veiller à ce que les travaux respectent les exigences de la communauté. Kanaka Bar construit des actifs durables pour ses enfants et petits-enfants. Il s’agit d’actifs résilients face aux changements climatiques. La communauté ne souhaite pas construire des actifs qui feront l’objet plus tard d’un flip immobilier pour obtenir un gain en capital.

En outre, un nouveau lotissement résidentiel présentement en construction, portant le nom de Crossing Place, est branché au réseau. Cependant, il disposera de sa propre capacité de production d’électricité et de stockage dans des batteries. Ainsi, les résidents futurs pourront s’éclairer, se chauffer, se climatiser et disposeront de systèmes de circulation d’air fonctionnels si le réseau tombe en panne. En mai 2022, Kanaka Bar a rencontré de nouveaux fournisseurs qui ont partagé de l’information sur les matériaux de construction correspondant aux critères des communautés quand vient le temps de veiller à la résilience des nouvelles infrastructures face aux phénomènes météorologiques extrêmes (River Voices, 2022).

Le passage du temps n’a pas été facile pour les résidents déplacés de Lytton. Cependant, ils comprennent qu’ils disposent d’une deuxième chance et, qu’avec le soutien approprié du gouvernement, ils peuvent reconstruire en mieux. Tout d’abord, la ville a été construite sur le village autochtone de Tl’kemstin. L’incendie de Lytton a donné l’occasion aux résidents de réaliser une initiative jamais faite, c’est-à-dire réaliser des travaux d’archéologie pour trouver des artéfacts et créer des plans d’atténuation pour la reconstruction qui minimiseront les impacts futurs sur les sites non perturbés. Ensuite, à la suite de la publication d’un premier rapport du genre (GHD, 2021), chaque propriété a été nettoyée. Les propriétaires ont reçu un certificat d’autorisation confirmant que les sols ont été inspectés et que les terres avaient été nettoyées, qu’elles n’étaient plus contaminées et qu’elles n’affichaient plus de toxines dégagées par l’incendie du 30 juin 2022. Une charrette de constructeurs a eu lieu en avril 2023, tout comme une conférence sur la construction en mai 2023, afin de discuter des meilleures étapes à suivre pour la reconstruction. La première construction n’a pas encore été déterminée. La communauté dispose maintenant d’options et doit faire un choix. Elle doit décider de ne pas reproduire les mêmes structures et systèmes perdus ou suivre l’exemple de Kanaka, en reconstruisant de manière à ce que les nouvelles infrastructures résistent aux impacts des changements climatiques.

Crédit photo: Kanaka Bar Indian Band
Crédit photo: Kanaka Bar Indian Band

Parmi les étapes que tous les ordres du gouvernement devraient prendre en considération pour veiller à ce que le logement soit résilient face aux impacts climatiques :

  • Examen des règlements et des codes de construction : les codes du bâtiment, les règlements et les politiques en matière d’infrastructures doivent tenir compte des prévisions météorologiques propres au site de demain pour assurer la résilience face au climat. En outre, les assureurs devraient envisager de tenir compte de ces rajustements, afin que la reconstruction après une catastrophe soit résiliente ou résistante aux incendies, à la chaleur, aux vents, à la pluie et au froid.
  • Logement gouvernemental: les gouvernements devraient envisager de reprendre des terres de propriétaires, de sociétés et de spéculateurs qui les utilisent à des fins d’investissement, afin de construire des logements sociaux sûrs et résilients pour les populations vulnérables dont le risque face aux impacts climatiques est plus élevé en raison d’un accès inexistant au logement approprié.
  • Construction pilote: la région du canyon du Fraser dispose de terres abandonnées et sous-utilisées réservées à l’usage du gouvernement. Lytton a aussi de multiples parcelles aménagées prêtes pour la construction qui peuvent servir à la construction montrant différentes options de construction, enveloppes et systèmes plus résilients face aux impacts climatiques. 
  • Retourner les terres: si les analyses de rentabilisation ne permettent pas de justifier la construction privée ou si les gouvernements fédéral ou provinciaux sont incapables d’acquérir ou de construire les résidences nécessaires ou sont réticents à le faire, il faut remettre aux Autochtones des terres en fief simple, afin de bâtir des logements pour location inclusifs, durables et résilients.

Pendant des milliers d’années, les communautés autochtones ont prospéré en fonction d’une relation symbiotique avec la terre3. Lorsqu’une communauté autochtone prospère, une région prospère aussi.

Ce sont les agissements de quelques-uns qui ont créé les conditions avec lesquelles nous devons composer aujourd’hui. Ce sont les agissements de nous tous aujourd’hui qui détermineront notre avenir collectif.

Cela exigera du leadership. Il reste de l’espoir. Les peuples autochtones ont survécu aux contacts et à la colonisation connue. Aujourd’hui, en raison de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, des recommandations de la Commission de vérité et réconciliation du Canada et de certains mouvements, comme Idle no More, exerçant des pressions publiques, les gouvernements au Canada n’adoptent plus une approche axée sur l’évitement. Ils ont adopté une approche axée sur la réconciliation se fondant sur de nouvelles relations et une collaboration significative (Union of British Columbia Indian Chiefs et Centre canadien de politiques alternatives, 2018). 

Il est impossible d’échapper à la logique selon laquelle les tendances actuelles en ce qui concerne les pics temporaires de conditions météorologiques extrêmes, comme la chaleur, les vents, la pluie ou le froid extrêmes, continueront, et leur fréquence, leur durée et leur intensité augmenteront. Même si nos gouvernements comprennent les risques météorologiques extrêmes, le coût financier associé au fait de reporter les mesures et la nécessité urgente de s’adapter aux impacts des changements climatiques et de les atténuer, ils ne prennent parfois pas les décisions suffisamment rapidement (Sawyer, Dave, Ness, Ryan, Lee, Caroline, et Miller, Sarah 2022). Les Canadiens peuvent surmonter les comportements acquis et renforcés grâce à la sensibilisation et à l’action. On n’a plus le temps de faire preuve de déni, d’hypocrisie, d’apathie et de complaisance. L’histoire du canyon du Fraser et le rétablissement et la reconstruction régionaux sont des exemples qui illustrent le risque associé au fait d’attendre trop longtemps avant de se préparer aux pires scénarios.

Sur le terrain à Lytton, lorsque les risques de contamination maintenant définis sont atténués et que les sites archéologiques sont remis en état et protégés, la reconstruction de la ville britanno-colombienne perdue en une journée ira de l’avant, avec les politiques gouvernementales, les ressources, le financement et la persévérance adéquats, en fonction d’une appréciation renouvelée de la nécessité de protéger les quatre fondations physiologiques de la vie : air pu, eau, nourriture et logement. Si elle est faite de manière appropriée, la reconstruction devrait fournir aux résidents du canyon du Fraser un degré de sécurité, d’abordabilité et de résilience qui leur permettra de prospérer et de maintenir une qualité de vie élevée, sans égard aux conditions météorologiques d’aujourd’hui ou de demain.

Nos décideurs doivent mettre de côté les principes et approches coloniaux maintenant dépassés qui font passer l’économie devant tout, et comprendre qu’ils doivent accorder la priorité aux fondations physiologiques lorsqu’ils prennent des décisions. Il s’agit d’une occasion, non seulement pour Lytton, mais pour le reste du pays. La communauté de Kanaka Bar montre que c’est possible. La transition climatique et l’adaptation aux changements climatiques ne sont pas un coût. Il s’agit d’investissements dans nos fondations collectives pour veiller à ce que tous les Canadiens puissent composer avec les tempêtes à venir.

L’action suscite l’espoir : Nos enfants et nos petits-enfants en valent la peine.


1 La solastalgie est « la détresse que produisent les impacts des changements environnementaux chez les gens qui affectent leur environnement immédiat ».

2 Annonces de mars 2023 par les gouvernements de la Colombie-Britannique et du Canada montrant qu’ils comprennent que les investissements dans la souveraineté et la sécurité alimentaires sont prioritaires, afin que les gens puissent se nourrir, malgré les conditions météorologiques.

3 Les Nlaka’pamux ont un dicton, « ce que vous faites à la terre, vous le faites à vous-même. Il faut donc prendre soin de la terre qui vous le rendra ».