L’invasion de l’Ukraine par la Russie a bousculé les marchés de produits essentiels, particulièrement ceux des minéraux critiques pour la transition mondiale vers une économie sobre en carbone. Ce dernier bouleversement, en plus de la hausse de prix de nombreux minéraux critiques en 2021, pourrait compromettre la course mondiale vers la carboneutralité.
Le Canada dispose d’un potentiel énorme pour pallier ce problème. Mais pour devenir une source mondiale de minéraux critiques, il devra d’abord voir à deux points : la valorisation des partenariats autochtones et l’élimination des obstacles au financement privé.
Qu’est-ce qu’un minéral critique?
Les minéraux critiques pour la transition, peu nombreux, sont des éléments essentiels à la production des technologies et du matériel nécessaires pour bâtir une économie carboneutre. Par exemple, le lithium est une composante fondamentale des batteries de véhicules électriques, le tellure est crucial pour la production de panneaux solaires, et le platine est un catalyseur idéal pour les piles à combustible à hydrogène.
Comme l’explique l’Agence internationale de l’énergie, la demande de minéraux critiques augmentera considérablement au fil de la transition; le véhicule électrique moyen requiert six fois plus de minéraux qu’une voiture traditionnelle, et un parc éolien terrestre, neuf fois plus qu’une centrale au gaz.
L’invasion russe de l’Ukraine a creusé l’écart entre l’offre et la demande mondiales de ces minéraux. Les prix ont atteint des sommets jamais vus en mars 2022, alors que l’on craignait de perdre l’accès aux vastes réserves de la Russie. La demande a également explosé, de multiples pays européens cherchant soudainement à remplacer le pétrole et le gaz russes par de l’énergie sobre en carbone.
Heureusement, grâce à sa grande expérience d’exploitation minière et à ses réserves avérées de minéraux critiques, le Canada peut amortir cette crise de la demande mondiale.
En effet, il a le potentiel de créer des dizaines de milliers d’emplois au pays et d’exporter partout dans le monde les minéraux nécessaires à la transition. Mais le secteur minier devra contourner des écueils majeurs.
Libérer le potentiel
Il sera impossible d’exploiter les minéraux critiques à la transition sans partenariats sincères avec les peuples autochtones.
Les réserves de minéraux critiques se concentrent essentiellement autour de collectivités éloignées et autochtones, et bien que ces dernières années aient vu des partenariats fructueux entre des peuples autochtones, des sociétés minières et des gouvernements, le bilan historique n’est pas rose. Souvent, les sociétés minières excluaient complètement les Autochtones des consultations et des décisions concernant les projets sur leurs territoires traditionnels, polluant leurs terres et causant des torts irréparables à leurs cultures – avec le consentement implicite du gouvernement. Même aujourd’hui, l’exploitation minière demeure une industrie à forte intensité carbonique dont les graves répercussions sur l’environnement doivent être atténuées.
Si les gouvernements doivent expier leurs fautes passées par la réconciliation, force est de reconnaître que les structures de gouvernance actuelles sont encore inadéquates et doivent être harmonisées avec la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA).
Les sociétés minières doivent aussi se conformer à la DNUDPA et appliquer le principe de consentement préalable libre et éclairé, non seulement parce qu’il s’agit d’une obligation morale et désormais légale, mais aussi parce que leur résultat net en dépend. De plus en plus, les investisseurs boudent les entreprises qui négligent leur responsabilité envers les communautés autochtones, celles-ci s’exposant à des actions en justice de groupes autochtones susceptibles de retarder, voire d’empêcher l’exploitation des mines.
Toutefois, des initiatives prometteuses font miroiter une meilleure approche : des ententes sur les répercussions et les avantages, comme celles avec la Nation des Cris de Wemindji et les Premières Nations du nord de la Saskatchewan. Ces ententes favorisent l’investissement dans les collectivités locales, la formation des résidents autochtones et l’implication continue des Autochtones tout au long des projets. Pour renforcer les partenariats, les futurs projets de minéraux critiques pourraient proposer aux Autochtones une participation en capital et donner à leurs leaders une voix dans les processus décisionnels, du début à la fin.
Régler le manque de financement privé
La mobilisation de capitaux privés pour l’exploration et l’extraction de minéraux critiques sera aussi essentielle à la prospérité du secteur.
Le Canada demeure l’un des plus grands carrefours du financement minier; la Bourse de Toronto (TSX) et la Bourse de croissance TSX sont les principales portes d’admission en bourse pour les entreprises d’exploitation et d’exploration minière du monde entier.
Néanmoins, les projets miniers du Canada peinent à obtenir du financement, en raison de défis réglementaires, de retards coûteux, d’infrastructures insuffisantes et de coûts d’investissement initiaux élevés dans le Nord et les régions éloignées. Par exemple, un projet de mine de zinc sur le territoire des Premières Nations du Dehcho a été repoussé parce qu’il était difficile de faire approuver et construire une route hivernale. Similairement, la mine de cuivre Gibraltar de Taseko, en Colombie-Britannique, n’a pas pu ouvrir à la date prévue par manque d’infrastructures routières, ce qui a causé des mises à pied.
En outre, il est particulièrement difficile d’obtenir du capital expressément pour les activités minières visant la transition. Par exemple, le Canada n’a pas encore établi d’exigences pour la divulgation financière liée au climat ni de taxonomie stricte pour la transition. Un cadre d’investissement solide et mondialement reconnu renforcerait l’attrait social et environnemental d’investir au pays. D’ailleurs, on reconnaît de plus en plus l’importance d’intégrer à un tel cadre des indicateurs clairs pour la participation et la réconciliation autochtones.
Préparer l’industrie de demain
L’expansion rapide de l’exploitation des minéraux critiques permettrait de compenser les déclins anticipés dans d’autres secteurs pendant la transition et de remplacer les emplois prisés des secteurs à fortes émissions.
Au Canada comme à l’étranger, on peut s’attendre à une croissance importante de l’extraction de minéraux critiques et des secteurs qui en dépendent. Selon les modèles du rapport Ça passe ou ça casse, dans un scénario de transition à 1,5 °C, les sociétés minières vertes du pays verraient leurs profits augmenter en moyenne de 12 % d’ici 2030 (par rapport au scénario de statu quo), les plus performantes enregistrant même une hausse de 151 %. Les projections de la Banque mondiale prévoient que la demande planétaire en minéraux utilisés dans les technologies sobres en carbone pourrait augmenter de 500 % d’ici 2050.
Puisque la demande augmente rapidement, le Conseil des ressources humaines de l’industrie minière estime que le secteur pourrait devoir embaucher jusqu’à 80 000 personnes d’ici 2030. Les salaires du secteur minier excèdent déjà largement ceux d’autres secteurs, et les pénuries de main-d’œuvre continueront de les valoriser. Les carrières lucratives qui en résulteront deviendront une option de choix pour les travailleurs délaissant le secteur du pétrole et du gaz.
Définir la norme d’excellence
Les gouvernements provinciaux et fédéral reconnaissent de plus en plus les possibilités croissantes associées aux minéraux critiques. Notamment, dans son budget de 2022, le gouvernement du Canada prévoit 3,8 milliards de dollars pour mettre en œuvre sa stratégie sur les minéraux critiques (infrastructures essentielles, exploration, développement, crédits d’impôt), qui viendra renforcer les stratégies provinciales et territoriales existantes ou prévues.
Néanmoins, pour transformer les vastes réserves de minéraux du Canada en moteur de prospérité capable de soutenir la transition carboneutre, tous les ordres de gouvernement devront s’atteler de concert à la tâche d’abattre les nombreux obstacles sur le chemin.
Pour commencer, il serait pertinent de définir une norme d’excellence pour les déclarations et les indicateurs environnementaux, sociaux, de gouvernance et autochtones. Cela mettrait l’accent sur la nécessité d’une approche plus inclusive et responsable des investissements miniers et, par le fait même, pourrait contribuer à attirer du capital et à mobiliser des investissements.
En somme, avec la demande croissante et l’offre volatile de minéraux critiques pour la transition, le Canada peut devenir un chef de file mondial – pour peu qu’il parvienne à maximiser les partenariats autochtones et le financement privé.