Inondations, feux incontrôlés, vagues de chaleur et sécheresses sont de plus en plus courants. Chaque fois qu’ils se produisent, nous nous demandons inévitablement : « Est-ce à cause des changements climatiques? » Or il semblerait que nous ne posons pas la bonne question; ce serait un peu comme se demander, à l’époque de l’apogée des stéroïdes dans la ligue majeure de baseball, si le quarantième coup de circuit de l’un des joueurs était attribuable à la prise de substances améliorant la performance. Dans les deux cas, en mettant l’accent sur un événement isolé, on oublie l’essentiel : l’élément qui gonfle les statistiques, qui inscrit les phénomènes exceptionnels dans notre nouvelle normalité.
Il y a aussi peu que 15 ans, les scientifiques croyaient qu’il était impossible de déterminer si une catastrophe météorologique était causée par des changements climatiques d’origine anthropique. La physique de la météo était selon eux si complexe qu’il était tout simplement trop difficile de connaître précisément le rôle joué par les changements climatiques dans une inondation, une vague de chaleur, un feu incontrôlé ou une sécheresse. En 2004, des chercheurs ont cependant découvert qu’ils pouvaient analyser des données sur la météo et effectuer des simulations par ordinateur des changements climatiques pour déterminer l’influence du réchauffement planétaire – le « stéroïde » qui dope les variations naturelles de notre climat – sur les probabilités qu’un phénomène météorologique extrême en particulier se produise. Ainsi, au lieu de se demander si une vague de chaleur extrême est causée par les changements climatiques, ils évaluent les probabilités que les changements climatiques soient à l’origine d’un tel phénomène. Ils ne parviennent donc pas à confirmer ou à infirmer que les changements climatiques sont la cause d’une vague de chaleur, mais arrivent plutôt à une réponse du genre « les changements climatiques ont rendu la vague de chaleur 10 fois plus probable » ou « il y avait 90 % de chance que la vague de chaleur survienne en raison des changements climatiques. »
Au Canada, de nombreuses personnes se demandent si la récente canicule record dans l’Ouest et les centaines de feux incontrôlés qu’elle a provoqués sont attribuables aux changements climatiques. Il y a quelques semaines, les chercheurs soulignaient d’ailleurs déjà que les conditions climatiques à l’origine du dôme de chaleur dans l’hémisphère nord, qui a frappé une bonne partie de l’Ouest de l’Amérique du Nord pendant plusieurs jours, se produiraient plus fréquemment en raison des changements climatiques. De plus, un groupe de chercheurs spécialisés dans l’analyse d’attribution rapide des phénomènes météorologiques extrêmes vient tout juste de confirmer que la chaleur extrême aurait été pratiquement impossible sans l’influence des changements climatiques d’origine anthropique.
Des études antérieures sur l’attribution ont montré des liens entre les changements climatiques et bon nombre des catastrophes météorologiques les plus dévastatrices au Canada des 10 dernières années :
- Le feu incontrôlé de 2016 à Fort McMurray était de 1,5 à 6 fois plus probable en raison des changements climatiques;
- La saison de feux incontrôlés extrême qu’a connue la Colombie-Britannique en 2017 était de deux à quatre fois plus probable, et la surface incendiée multipliée par 7 à 11;
- La vague de chaleur de 2018 ayant provoqué 74 décès au Québec aurait été presque impossible sans les changements climatiques;
- Les changements climatiques ont rendu plus probables les pluies diluviennes ayant causé les inondations de 2013 en Alberta;
- La sécheresse extrême en 2015 dans l’Ouest du Canada est partiellement attribuable au redoux de la fin de l’hiver et à la diminution du manteau neigeux, deux phénomènes vraisemblablement causés par les changements climatiques.
La plupart des études qui portent sur les répercussions des changements climatiques au Canada – y compris les nôtres – examinent leurs effets à long terme, dans 30, 50, voire 80 ans. Il s’agit d’un travail crucial, puisqu’il nous faut comprendre ce que l’avenir nous réserve pour nous y préparer convenablement. Cependant, des projections de répercussions qui se concrétiseront dans plusieurs dizaines d’années ne motivent généralement pas l’action immédiate. C’est ici que la science de l’attribution entre en scène : elle nous montre que les changements climatiques ne sont pas qu’un phénomène distant, qu’ils sont plutôt déjà bien enclenchés. Elle nous signale qu’il n’y a plus de temps à perdre. Ainsi, il faut à la fois réduire considérablement nos émissions sans attendre pour limiter le réchauffement climatique et nous préparer à la chaleur extrême et renforcer notre résilience face aux variations qui nous attendent, causées par des émissions passées et présentes.
L’attribution de phénomènes est l’un des domaines de la science du climat qui connaît la croissance la plus rapide. Le MIT Technology Review l’a d’ailleurs fait inscrit à sa liste des 10 technologies révolutionnaires de 2020 qui nous aideront à résoudre d’importants problèmes mondiaux. Les scientifiques ont maintenant mené plus de 400 études d’attribution qui, dans 70 % des cas, indiquent que les phénomènes et tendances météorologiques extrêmes étaient plus probables ou plus intenses à cause des changements climatiques anthropiques.
Alors, pouvons-nous lier les phénomènes météorologiques extrêmes aux changements climatiques? La réponse est oui. La science de l’attribution a déjà montré comment les températures extrêmes récentes au Canada sont alimentées par les changements climatiques. Voilà qui devrait nous donner l’impulsion d’investir sans attendre dans la réduction des émissions et la préparation au réchauffement mondial qui nous attend.