Le gouvernement du Canada se base actuellement sur le coût social du carbone. Cet indicateur sert à estimer les bienfaits de la réduction des émissions, dans ses analyses de projets de règlement. Or, pour plusieurs raisons, les estimations utilisées sont trop basses.
Une prise de décision éclairée passe par une évaluation précise des bienfaits de la lutte contre les changements climatiques. En sous-estimant les avantages, le gouvernement risque d’opter pour des politiques insuffisantes par rapport aux mesures à préconiser selon les dernières connaissances scientifiques pour éviter de franchir le point de bascule des changements climatiques. De telles politiques risquent également de nous faire rater nos objectifs de réduction des émissions, comme celui d’atteindre la carboneutralité d’ici 2050.
Heureusement, des recherches menées dans les dix dernières années recèlent de bonnes idées pour améliorer l’estimation du coût social du carbone au Canada.
Utiliser le coût social du carbone pour démontrer les avantages de l’action climatique.
Depuis 1999, le gouvernement fédéral exige une analyse coûts-avantages pour toutes les propositions de règlements fédéraux d’importance. L’idée, c’est d’aider les décideurs, comme les ministres, à comprendre les répercussions potentielles des propositions sur l’environnement, les travailleurs, les entreprises et les consommateurs. Pour chaque nouvelle réglementation, les ministères doivent prouver que les avantages l’emportent sur les risques.
Pour quantifier les avantages des mesures climatiques, le gouvernement doit produire une estimation des dommages climatiques pour les générations actuelles et futures associés aux émissions de gaz à effet de serre (GES). Le coût social du carbone correspond à la valeur estimée des avantages de la réduction d’une tonne d’émissions de dioxyde de carbone (même si les émissions d’autres GES comme le méthane et l’oxyde nitreux ont aussi un coût pour la société).
C’est en 2010 qu’Environnement et Changement climatique Canada a commencé à quantifier les bienfaits de la réduction des émissions de GES dans ses analyses coûts-avantages. En 2012, il a adopté les valeurs des États-Unis en les modifiant, pour les réviser ensuite en 2016.
Pourquoi les estimations du coût social du carbone sont-elles trop basses?
Estimer le coût social du carbone, ce n’est pas simple. Il faut prévoir les émissions mondiales de GES à très long terme, analyser les effets climatiques comme le réchauffement et les inondations, évaluer la valeur financière des répercussions économiques, sanitaires et environnementales de ces effets, et établir la valeur que la société devrait attribuer aujourd’hui aux dommages à venir.
Des dizaines d’années de recherche et de débat font ressortir que le gouvernement sous-estime le coût social du carbone. Voici quelques raisons en vrac :
- Certaines répercussions des changements climatiques ne sont pas pleinement prises en compte dans la mesure. C’est le cas de la fonte du pergélisol, la maladie de Lyme, la productivité du travail, les feux incontrôlés et les répercussions sans valeur marchande, comme les effets des catastrophes naturelles sur la santé mentale, les tensions sociales et la perte de biodiversité.
- Les modèles ne tiennent pas compte du fait que des hausses de température relativement faibles pourraient avoir des effets dévastateurs sur les personnes pauvres et les personnes à faible revenu.
- Les taux d’escompte (soit, essentiellement, des taux plus élevés qui accordent une valeur moindre aux coûts futurs) pourraient entrer en contradiction avec nos valeurs sociales et hypothéquer les prochaines générations.
Se concentrer sur des valeurs centrales qui augmentent graduellement plutôt que sur des facteurs de risque à faible probabilité et à coût élevé pourrait se révéler une mauvaise stratégie de gestion du risque.
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Quel virage prendre au gouvernement?
Bien des décisions impliquées dans l’établissement du coût social du carbone relèvent davantage de l’art que de la science. Ce phénomène a été mis en évidence lorsque l’administration Trump a fait baisser drastiquement les valeurs des États-Unis en augmentant les taux d’escompte et en excluant les dommages à l’international pour ne tenir compte que des dommages à l’échelle nationale. Ainsi, les discussions au sujet des meilleures valeurs à utiliser doivent s’élever au-dessus des débats techniques.
Le gouvernement du Canada s’est souvent fié à l’expertise des chercheurs américains pour mettre à jour ses estimations du coût social du carbone. Il est probable que la future administration Biden révise les valeurs des États-Unis pour refléter les dernières données scientifiques. Entre-temps, les décideurs canadiens n’ont d’autre choix que d’utiliser des données incomplètes.
Une solution provisoire envisageable est d’utiliser un taux d’escompte inférieur. En effet, plusieurs études ont recommandé l’application de taux d’escompte réduits ou dégressifs aux analyses de politiques climatiques. Cela permettrait de refléter le caractère international, intergénérationnel et durable des changements climatiques. Les États-Unis ont utilisé divers taux d’escompte pour refléter l’incertitude quant à la meilleure valeur à adopter. Le taux d’escompte le moins élevé était de 2,5 %, soit légèrement plus bas que celui de 3 % actuellement en vigueur au Canada. Sur le graphique ci-dessus, on peut constater que même de légères modifications des taux d’escompte font varier considérablement les estimations moyennes de coûts sociaux du carbone. En 2020, le coût social du carbone pourrait bondir d’environ trente dollars canadiens par tonne.
Le Canada pourrait aussi envisager l’approche du Royaume-Uni. Au lieu d’utiliser le coût social du carbone, le Royaume-Uni évalue le rendement de ses politiques dans l’optique de l’atteinte de ses cibles d’émissions. Une recherche récente de Kaufman et coll. suggère d’ailleurs une approche similaire pour les États-Unis. Le remplacement de cet indicateur par une estimation à court terme des prix du CO2 serait cohérente avec l’atteinte de la carboneutralité d’ici 2050.
Quels sont les risques de l’inaction?
Si nous continuons d’estimer à la baisse les retombées de la lutte contre les changements climatiques, nous risquons d’adopter de mauvaises politiques dans des secteurs névralgiques pour nos objectifs climatiques à long terme. Nous risquons de prendre des mesures en accéléré pour rattraper notre retard. Le résultat serait une transition inefficace, occasionnant plus de coûts à long terme.
Pour adopter une bonne politique climatique, nos décideurs doivent disposer des données les plus fiables. Alors qu’un examen exhaustif s’impose, il convient d’envisager quelques adaptations à court terme pour dissiper la confusion entourant cette situation complexe.