Cet article a précédemment été publié dans le Hill Times.
Le mois de janvier est rarement un moment où on entend parler de feux incontrôlés, mais les feux dévastateurs à Los Angeles ont ramené ce problème dans les manchettes.
Il y a à peine six mois dans les Rocheuses au nord de la frontière, une catastrophe semblable, quoiqu’à plus petite échelle, a capté l’attention mondiale. Le feu de forêt de l’été dernier à Jasper en Alberta a lancé un avertissement très clair : le Canada doit immédiatement améliorer ses mesures de préparation et de prévention face à la menace incendiaire grandissante.
Après la saison des feux record de 2023, 2024 était en voie de finir au deuxième rang des pires années depuis 1995. Le feu incontrôlé de Jasper a à lui seul causé 880 millions de dollars en pertes assurées, détruit ou endommagé gravement plus d’un tiers de la ville, et entraîné l’évacuation de 25 000 personnes.
Les catastrophes comme celle de Jasper ne sont pas atypiques : ce sont des indicateurs. Le risque de feu incontrôlé s’accroît sous l’effet des changements climatiques, des politiques désuètes et des efforts d’adaptation insuffisants. Sans action vigoureuse, les impacts et les coûts ne feront qu’augmenter. Heureusement, les gouvernements et les municipalités possèdent de puissants outils de gestion des risques.
Nous avons des leçons importantes à tirer de ces désastres, afin d’aider les collectivités à les éviter ou à les atténuer.
Que s’est-il passé à Jasper?
Comme à Los Angeles, le feu de Jasper n’est pas sorti de nulle part : les experts sonnaient l’alarme depuis longtemps au sujet des risques élevés et grandissants de feux incontrôlés dans la région, exacerbés par l’accumulation de combustible après l’extinction de brasiers antérieurs ainsi que d’arbres morts d’infestations de dendroctone du pin. Avant les incendies de l’année dernière, Parcs Canada avait pris des mesures de réduction des risques de feux incontrôlés, comme l’éclaircissement de la forêt, le brûlage dirigé, l’aménagement de coupe-feux et la restriction de la végétation admise dans les nouveaux quartiers de la ville.
En réponse à ces feux dévastateurs, Parcs Canada a imposé des restrictions plus strictes sur l’aménagement de la ville, notamment l’interdiction du bardage et des toitures en bois, la mise en place de zones tampons obligatoires en matériaux non inflammables autour des maisons, et l’obligation de planter les nouveaux conifères à au moins 10 mètres des bâtiments.
Ces mesures d’efficacité attestée sont importantes, mais il reste des failles critiques. Le règlement sur le zonage de Jasper n’établit toujours pas d’exigences exécutoires sur les zones où bâtir pour réduire l’exposition aux feux incontrôlés. Même si la nouvelle réglementation sur l’aménagement encourage l’utilisation des mesures Intelli-feu pour les nouvelles habitations, comme l’installation de toitures et protège-gouttières en métal, ces mesures ne sont pas obligatoires.
La structure de gouvernance particulière de Jasper ajoute une couche de complexité à la gestion des risques de feux incontrôlés. Comme la ville est située au sein d’un parc national, elle se charge des services locaux comme les services publics et les programmes sociaux, mais c’est Parcs Canada qui reste responsable de l’aménagement du territoire et de la gestion de la forêt. Après les feux de l’été dernier, le gouvernement fédéral a adopté une nouvelle loi attribuant à la municipalité l’autorité en matière d’aménagement du territoire afin d’accélérer la reconstruction.
Cette complexité n’est pas unique à Jasper. Hors des parcs nationaux, la gestion de la forêt relève de la compétence provinciale tandis que les responsabilités liées à l’aménagement du territoire sont partagées de diverses manières entre les municipalités et les provinces. Peu importe comment ces responsabilités sont structurées, coordonner le travail de réduction des risques de feux entre les différents ordres de gouvernements reste toujours un défi.
La leçon à tirer est claire : la difficulté de la coordination mène à une approche fragmentée qui laisse des failles dans les politiques de protection des collectivités exposées à la dévastation des feux incontrôlés. Le danger ne fera que grandir si les gouvernements ne collaborent pas pour harmoniser leurs politiques, clarifier leurs rôles et mettre en place des mesures de réduction des risques.
Élaborer une trousse d’outils d’adaptation aux feux incontrôlés
Si, pour bien des municipalités, le risque de feu incontrôlé ne peut peut-être pas être entièrement éliminé, il peut être réduit de manière significative. Les gouvernements peuvent mettre à profit un large éventail d’outils et d’approches afin d’améliorer les efforts d’adaptation à cette réalité. Leur trousse d’outils a trois grands volets :
- Réduction des risques pour les nouveaux aménagements : Les administrations peuvent réduire le risque d’incendie futur en régissant l’emplacement et les méthodes de construction des nouveaux aménagements. Les gouvernements provinciaux et territoriaux jouent un rôle central en renforçant les politiques d’utilisation du territoire afin de limiter l’aménagement en zone à très haut risque pour plutôt le rediriger en lieu sûr. Le gouvernement fédéral peut en faire de même pour les terres fédérales, notamment dans les parcs nationaux. Les provinces et territoires peuvent aussi modifier leurs codes du bâtiment afin d’exiger une conception, une construction et un aménagement paysager qui réduisent les risques d’incendie. Les municipalités, lorsqu’elles en ont l’autorité, peuvent prendre des règlements sur le zonage pour faire appliquer des normes locales plus strictes quant aux emplacements et méthodes de construction des nouvelles habitations.
- Rénovation des maisons et bâtiments selon le programme Intelli-feu : La protection des constructions existantes dans les zones propices aux feux incontrôlés est aussi cruciale, mais elle est plus dispendieuse et complexe. Tous les ordres de gouvernement peuvent investir dans la rénovation des maisons et autres bâtiments à risque afin de les doter de matériaux résistants aux flammes et d’un périmètre défensif : il leur suffit d’élargir les programmes comme Intelli-Feu. Appliquer les mesures à une communauté ou un quartier entier plutôt qu’à une seule propriété à la fois peut faire toute la différence entre un feu auquel on peut survivre et des pertes catastrophiques.
- Investissement dans la réduction des risques de feu incontrôlé au niveau territorial : Les provinces et les territoires jouent un rôle central dans la gestion des risques de feux incontrôlés sur de grands territoires, tout comme le gouvernement fédéral le fait pour les terres fédérales. Tous peuvent mettre en place des programmes de gestion de la forêt, comme l’éclaircissement du combustible, le brûlage dirigé et l’aménagement de coupe-feux, afin de réduire l’intensité et la propagation des feux, surtout près des centres urbains. Les gouvernements peuvent aussi encourager les méthodes de gestion du feu des communautés autochtones comme le brûlage culturel, un outil de gestion du territoire et de protection des aires de peuplement qui a fait ses preuves depuis des siècles. La généralisation de ces pratiques à l’échelle territoriale nécessitera une collaboration et un financement sans précédent – et parfois une dérogation aux pratiques conventionnelles de gestion de la forêt –, mais elles sont essentielles aux efforts d’adaptation face à la menace des feux incontrôlés.
De la crise à l’action : combiner les outils à tous les niveaux
La fréquence et l’intensité croissante des feux incontrôlés nécessitent une intervention coordonnée et immédiate de tous les ordres de gouvernements, par la réglementation des nouveaux aménagements, par la rénovation des maisons et des quartiers existants et par la gestion du territoire forestier.
L’inaction aura un coût de plus en plus grand. Les feux de forêt et de brousse incontrôlés, favorisés par les changements climatiques, sont de plus en plus fréquents, et la saison des feux de 2025 arrivera plus vite qu’on le pense. La dévastation de Los Angeles est un funeste augure de ce qui peut arriver lorsqu’un brasier incontrôlé s’étend à une région peuplée. Les événements récents à Los Angeles et à Jasper représentent un avertissement clair pour les décideurs canadiens : les approches fragmentées et la préparation insuffisante laissent la population en danger. En se servant de tous les outils disponibles, les gouvernements et les collectivités des régions vulnérables aux feux incontrôlés peuvent mieux se préparer et réduire leur risque d’incendie dans l’avenir.