Pour bien gérer, il faut d’abord mesurer. Dans un contexte où les changements climatiques se font de plus en plus dévastateurs, quels sont les meilleurs outils pour mesurer leurs répercussions et mettre en place des politiques pour protéger la population canadienne contre les phénomènes météorologiques extrêmes, les inondations et les feux?
Certaines répercussions des changements climatiques ont, malgré des coûts financiers qui semblent relativement bas, des coûts élevés sur le plan humain : décès, maladies… Il est plus difficile de calculer les coûts des effets de la chaleur extrême et de la fumée des feux incontrôlés sur la santé selon le modèle traditionnel de comptabilité économique que les coûts visibles et tangibles des dommages et de la destruction de maisons et d’autoroutes par les inondations. Par conséquent, les décideurs canadiens ont tendance à prévenir les dommages matériels en protégeant les infrastructures plutôt que la santé et le bien-être des gens, car les avantages de l’adaptation sont mieux comptabilisés par les outils économiques que les gouvernements utilisent pour évaluer leurs choix. Ainsi, les gouvernements risquent de sous-évaluer les mesures d’adaptation et d’effectuer une mauvaise attribution des ressources quant à la protection de la vie et de la santé.
Afin de contrer ce problème, le concept de valeur statistique d’une vie humaine (VSV) aide à établir la valeur financière des risques pour la vie humaine et ainsi à mieux orienter les décisions stratégiques visant à réduire au minimum les répercussions et les coûts des changements climatiques.
L’intégration de la VSV aux décisions stratégiques d’adaptation est une façon de répondre au problème. La valeur statistique d’une vie humaine sert à mesurer les avantages économiques d’une faible mortalité et d’une réduction des décès prématurés et se calcule selon le prix que le grand public est prêt à mettre pour éviter une vie perdue. Cette mesure est utilisée dans beaucoup de pays, dont le Canada, pour les décisions stratégiques nécessitant la considération des risques pour la vie humaine, comme les politiques de santé, de sécurité et d’environnement. Plusieurs pays d’Europe utilisent notamment la VSV pour évaluer les coûts et avantages de systèmes d’alerte précoce pour la chaleur et de la protection contre les inondations riveraines. Plus près de nous, aux États-Unis, l’Environmental Protection Agency (EPA) a utilisé la valeur statistique d’une vie humaine dans son analyse coûts-avantages afin de mesurer les avantages de la Clean Air Act. Ainsi, l’EPA a montré que le demi-billion de dollars utilisé pour la conformité réglementaire a généré entre 5,1 et 48,9 billions de dollars en avantages directs nets grâce à une atténuation des répercussions sur la santé et une réduction des incidences de décès prématurés.
Or les économistes et chercheurs dans le domaine des politiques publiques ne s’entendent pas tous sur le mérite de la VSV lorsque vient le temps de considérer les coûts en décès prématurés dans les décisions stratégiques. Par exemple, certains pensent que cette mesure prend parti pour les générations actuelles, ou qu’il n’est pas éthique d’attribuer une valeur économique à la vie humaine. Il ne faut pas confondre la valeur statistique d’une vie humaine avec la valeur d’une vie ou des besoins affectifs et le deuil de ceux qui perdent un être cher. Cependant, il vaut bien mieux d’utiliser une mesure imparfaite que de ne pas en utiliser du tout. La VSV est un outil utile permettant de considérer explicitement les risques pour la vie humaine liés aux dangers des changements climatiques lors de l’analyse des coûts-avantages de mesures stratégiques. En donnant une valeur économique aux vies en jeu, elle permet de mieux orienter les décisions stratégiques en matière d’adaptation.
Les gouvernements devraient utiliser la VSV lors de l’évaluation des coûts attribuables aux changements climatiques et de la prise de décisions d’adaptation pour éviter tout biais pour les options qui génèrent seulement des retombées économiques classiques. L’intégration de la VSV aux décisions stratégiques en matière d’adaptation permet une meilleure compréhension des répercussions climatiques et de leurs coûts réels, et jette les bases de politiques plus approfondies qui réduisent autant les coûts économiques qu’humains des changements climatiques.