Publié initialement dans Canada’s National Observer.
Entre la hausse des loyers, le coût des hypothèques et les primes d’assurance, le fardeau financier s’alourdit énormément pour les ménages canadiens. Afin de rendre le logement plus abordable, le pays met les bouchées doubles pour construire des millions de nouvelles maisons. Cependant, il est crucial que ces logements soient non seulement une solution à la crise actuelle, mais aussi sécuritaires et abordables pendant encore des décennies. Autrement dit, il faut songer sérieusement aux conséquences des changements climatiques qui découlent de l’utilisation des combustibles fossiles avant de bâtir quoi que ce soit.
Pour des logements abordables qui résistent au temps, on doit tenir compte des effets crescendo du réchauffement planétaire – surtout des inondations et des feux incontrôlés plus fréquents et plus ravageurs – au moment d’en choisir l’emplacement et la conception. Si, dans la course effrénée à la construction, ces facteurs sont mis de côté, les gouvernements risquent de miner leurs propres objectifs d’abordabilité tout en laissant la population canadienne injustement démunie face au danger de perdre son toit.
Face à la crise du logement, la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) estimait en 2022 qu’il fallait construire 5,8 millions de nouvelles habitations pour 2030, soit 3,5 millions de plus que prévu actuellement. Pour d’autres, ces chiffres sont trop bas : la CIBC a récemment avancé qu’il fallait ajouter au moins un million de logements à l’estimation de la SCHL, et le Bureau du défenseur fédéral du logement prévoit que le Canada aura besoin de 9,6 millions de nouveaux logements dans la prochaine décennie pour que les gens qui en ont le plus besoin puissent se loger.
Devant cet enjeu, les gouvernements provinciaux et fédéral créent des incitatifs ou facilitent le processus d’approbation des demandes d’aménagement ou de changement de zonage pour augmenter la densité. Bien qu’on accroisse ainsi l’offre de logement, il n’en demeure pas moins que cette précipitation pourrait être une nouvelle page d’un chapitre déjà désolant pour le Canada, qui autorise la construction de logements dans des zones très exposées aux dangers climatiques, ce qui exacerbe la vulnérabilité nationale.
Les inondations sont déjà un risque climatique monumental pour le logement au pays. On compte actuellement plus de 1,5 million de logements situés dans des zones à haut risque d’inondation. Parmi les aléas climatiques, les inondations sont celles qui coûtent le plus cher au Canada : elles représentent 80 % des demandes d’aide financière en cas de catastrophe du Canada et totalisent une perte en dommages assurés qui avoisine les 800 millions de dollars par an au cours des 10 dernières années.
Les inondations peuvent entraîner un choc financier considérable pour les ménages comme pour les gouvernements, puisque la plupart des logements à haut risque d’être submergés ne peuvent obtenir une assurance adéquate. Les propriétaires se retrouvent donc soit démunis, soit forcés de demander l’aide des gouvernements. Comme le montre une récente analyse de la Banque mondiale, les aménagements dans des zones à haut risque d’inondation au Canada ont augmenté de 60 % entre 1985 et 2015. On peut donc difficilement se permettre d’exposer plus de ménages aux inondations juste pour bâtir plus et en moins de temps.
Les feux incontrôlés sont aussi une menace de plus en plus sérieuse pour le secteur du logement. D’ailleurs, comme les conditions qui les favorisent se font plus courantes qu’autrefois et comme les aménagements se poursuivent dans les zones périurbaines, le nombre de logements perdus et de communautés endommagées ou détruites augmente. La catastrophe qu’a été le feu incontrôlé de 2016 à Fort McMurray a détruit plus de 2 400 logements et déplacé plus de 85 000 personnes. Il s’agit de la facture la plus salée qui soit liée à une catastrophe de l’histoire du Canada, soit environ 4,11 milliards de dollars de dommages directs aux habitations et aux commerces. Si les nouveaux logements s’étalent vers les zones à risque élevé d’incendie, les coûts sociaux et économiques seront faramineux.
Mais comment abriter les futurs logements des risques importants des changements climatiques qui se multiplient? Les gouvernements doivent prendre les devants et fixer intelligemment où et comment il faut construire ces habitations.
Un bon point de départ serait un corpus largement accessible pour s’informer sur les risques climatiques. Ce qu’il manque au Canada, ce sont des renseignements à jour et classés par emplacement sur les aléas du climat – comme les inondations et les feux incontrôlés – ce qui handicape les gouvernements, les promoteurs et les acheteurs. Difficile alors de prendre les bonnes décisions face à cette lacune que le gouvernement fédéral devrait combler, en plus de soutenir les provinces et les territoires dans leurs efforts de cartographie.
Les gouvernements devraient également se pencher sur le fait que les acheteurs comme les locataires ignorent les risques qu’ils encourent dans leur nouveau logement. Un sondage récent a révélé que 94 % des personnes qui vivent dans des zones à haut risque d’être submergées au Canada n’en savent rien. Pour sensibiliser la population, les gouvernements devraient accélérer la cartographie des zones exposées à des risques climatiques dans le pays, qu’il s’agisse d’inondation, d’incendie, d’érosion côtière ou de fonte du pergélisol.
Quand on aura bien étudié la face cachée de l’iceberg, les gouvernements devraient s’assurer qu’aucun logement ou quartier ne s’implante dans des zones où les risques climatiques sont exponentiels. D’une province, d’un territoire ou d’une municipalité à l’autre, on est plus ou moins fermes sur la prévention des aménagements dans ces secteurs. Chaque administration doit se doter de politiques rigoureuses et cohérentes pour éloigner les nouveaux aménagements des zones à haut risque et pour imposer des mesures de protection pour les constructions à faire dans des zones à risque modéré.
Quant aux programmes de financement de logement ou d’infrastructure à l’échelle fédérale, provinciale et territoriale, il faut s’assurer qu’ils n’aient pas l’effet délétère d’encourager plutôt que de décourager. Il y a eu quelques efforts récemment, mais les programmes ne tiennent toujours pas suffisamment compte des risques et de la résilience climatiques dans leurs critères de financement. La conséquence? Les initiatives fédérales et provinciales incitent à construire dans des zones à haut risque.
Toutefois, il existe des outils pour changer la donne. Par exemple, à la prochaine mouture du Fonds d’atténuation et d’adaptation en matière de catastrophes, le gouvernement fédéral devrait se garder de financer des infrastructures comme les levées et les murs d’endiguement qui, en définitive, poussent à bâtir proche de zones qu’on sait dangereuses.
Si les gouvernements laissaient les nouveaux logements s’ériger là où ils sont exposés aux risques climatiques, ils poseraient le décor d’une catastrophe future, à même de balayer les grandes avancées en abordabilité des logements. Les événements récents montrent déjà que la construction dans les zones exposées aux inondations et aux feux incontrôlés entraîne des pertes dévastatrices pour les ménages et les communautés, en plus de peser lourdement sur des gouvernements chargés de réparer les dégâts.
C’est un tournant décisif pour le pays, à l’aube des nouvelles vagues d’aménagement encouragées par le gouvernement. Des millions de logements sont déjà à risque, la pression s’accentue pour bâtir dans des zones dangereuses, et la probabilité ainsi que l’étendue des catastrophes prennent de l’ampleur… Bien choisir où et comment construire, ce n’est plus une simple question de planification efficace. C’est une nécessité qui mettrait bien des gens – et leur toit – à l’abri du danger.