Crédit photo : Johannes Ko
Les Canadiens ont la réputation d’être prudents. Politesse, compromis, juste milieu… Ils n’aiment pas trop faire des vagues, préférant tenir droite la barre du gouvernail.
Malheureusement, dans la lutte contre les changements climatiques, notre nature n’est pas notre meilleure arme.
Nous savons que notre climat se réchauffe, et ce, deux fois plus vite qu’ailleurs selon la moyenne mondiale. Dans le Nord canadien, c’est même trois fois plus vite. Les phénomènes météorologiques extrêmes sont de plus en plus fréquents. Parallèlement, la planète s’unit pour abandonner les combustibles fossiles, ce qui modifie le paysage des investissements et la demande d’une façon qui touche considérablement l’économie canadienne.
Mais pour chaque tendance, on observe de l’incertitude : on ne connaît pas la gravité de ce qui nous attend, ni la vitesse à laquelle la transition économique mondiale s’effectuera.
Et la prudence canadienne a poussé certains acteurs à dire qu’il vaut mieux attendre un peu et laisser les autres pays tester leurs technologies et politiques d’abord, le temps de recueillir plus d’information sur les effets des changements climatiques et de la transition mondiale avant de prendre des mesures préparatoires décisives.
Mais c’est une stratégie risquée : l’incertitude, additionnée à des risques élevés, commande d’en faire plus – pas moins.
Un avenir climatique peu reluisant
D’après les scientifiques, il faut atteindre la cible de zéro émission nette d’ici 2050 si nous voulons maintenir le réchauffement de la planète sous les 2 degrés Celcius et éviter de graves problèmes climatiques. À l’heure actuelle, le monde s’est déjà réchauffé de 1 degré par rapport à l’ère préindustrielle; et si rien n’est fait, les dernières prévisions estiment qu’il se réchauffera de 3 degrés en moyenne d’ici la fin du siècle. Avec la multiplication des émissions mondiales d’année en année, il deviendra difficile de renverser la situation.
Nous savons déjà qu’un réchauffement de 3 degrés entraînerait de graves problèmes climatiques, mais il faut aussi reconnaître que la situation pourrait s’avérer encore pire que prévu. En effet, les points de bascule qui accélèrent le réchauffement et font monter le niveau de la mer seront peut-être atteints plus tôt que nous le pensons. Et qui dit réchauffement océanique, incendies de forêt et fonte du pergélisol dit multiplication des émissions de gaz à effet de serre. De surcroît, l’effondrement des calottes glaciaires pourrait faire monter le niveau de la mer et se traduire par une fonte des glaces marines plus rapide que prévu. Dans un monde décloisonné, ces répercussions pourraient créer une réaction en chaîne qui intensifierait les changements climatiques.
Une transformation économique à nos portes?
Il n’est pas trop tard, mais le défi est de taille. Plus de 60 pays, dont le Canada, se sont déjà engagés à atteindre la cible de zéro émission nette d’ici 2050. Le coût de l’énergie renouvelable et des batteries qui font rouler les véhicules électriques baisse plus vite que prévu. Chaque année, de nouvelles technologies propres au potentiel révolutionnaire voient le jour. Les villes et les États américains prennent des décisions audacieuses pour réduire les émissions, malgré l’inaction du gouvernement fédéral. À l’échelle mondiale, la Chine est devenue le premier investisseur dans l’énergie renouvelable; et en 2017, elle était à l’origine de près de la moitié de l’investissement mondial en la matière, de l’ordre de 280 milliards de dollars américains.
Chose certaine, la concertation mondiale à ce chapitre bénéficiera à nos enfants et petits-enfants, mais la vitesse et l’ampleur de la transformation économique nécessaire à l’atteinte des cibles climatiques mondiales pourraient anéantir les entreprises trop lentes à s’ajuster. En revanche, la transition vers une économie sobre en carbone apporte son lot de débouchés pour les mieux préparés.
L’Agence internationale de l’énergie dresse un portrait probable de l’énorme transformation énergétique mondiale qui nous attend. Dans son scénario de développement durable (graphique du milieu, ci-dessous), le déclin de la demande pour le charbon, le pétrole et le gaz surviennent beaucoup plus tôt que dans les scénarios où seules les politiques actuellement en place sont prises en compte. Résultat : une réduction marquée des émissions de gaz à effet de serre.
La demande d’énergie primaire mondiale et les émissions de CO2 qui en découlent – trois scénarios
Source : World Energy Outlook 2019 de l’Agence internationale de l’énergie
Que nous réserve l’avenir?
L’avenir est incertain. Mais qu’en est-il pour le Canada exactement? Faut-il se préparer au pire et s’adapter aux changements climatiques? Ou miser sur la préparation à une rapide transformation économique mondiale? La réponse : il faut faire les deux.
Devant l’incertitude et les risques élevés, les investisseurs essaient de se protéger en répartissant leurs investissements de façon à limiter les pertes, mais sans tenir compte du résultat. Et dans une situation d’incertitude à queue large, où de nombreux risques peu probables pourraient coûter très cher, les économistes disent qu’il faut agir aujourd’hui pour être protégés demain.
Le Canada gagnerait à apprendre de ces stratégies : c’est en agissant dès maintenant que nous serons prêts pour les futurs grands changements climatiques, mais aussi pour la transition mondiale vers la sobriété en carbone.
La certitude ne vaut pas l’attente
Par prudence, on peut être tentés de dire qu’il vaut mieux attendre de voir ce qui se passe avant d’agir, qu’il ne sert à rien pour le Canada de réduire ses émissions tant que les États-Unis ou la Chine ne le font pas. D’autres diront qu’il est inutile d’investir dans l’adaptation aux changements climatiques sans avoir d’abord pris toutes les mesures nécessaires pour réduire nos émissions.
Mais dans les faits, ce seraient là des stratégies très risquées pour le Canada. Nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre : notre pays se réchauffe à une vitesse folle, et notre petite économie dépend du commerce tout en étant perméable aux chocs économiques mondiaux et aux variations du cours des produits de base et de la demande mondiale. Si nous attendons, il sera trop tard.
Il faut se libérer du statu quo. Si nous continuons de faire des investissements à long terme qui ne tiennent pas compte des changements climatiques et de la transformation économique mondiale, nous risquons de nous retrouver devant des actifs délaissés et des solutions coûteuses, sans compter que nous pourrions rater des occasions de créer de l’emploi pour les Canadiens. Après tout, un nouveau secteur ne se bâtit pas du jour au lendemain.
Dans toutes les sphères de leur vie ou presque, les Canadiens ont un penchant pour la prudence, ce qui leur a bien servi. Mais lorsqu’il est question des changements climatiques, l’attitude passive est en fait – et cela peut paraître contre-intuitif – la plus risquée. L’heure est au changement. Et pour que notre population s’épanouisse d’un bout à l’autre du pays, en dépit de la tempête à l’horizon, il faudra faire des choix réfléchis. Sinon, quelqu’un d’autre les fera pour nous.