L’alliance Bagida’waad : sortir de la brume pour tracer une nouvelle voie

S’adapter aux répercussions des changements climatiques sur les Grands Lacs

Publié dans le cadre de notre série Perspectives Autochtones, une série de rapports de recherche sur le climat menée par des Autochtones produite en coopération avec le Centre for Indigenous Environmental Resources.

Natasha Akiwenzie, de la Première Nation de Lac Seul, et Andrew Akiwenzie, de la Première Nation des Chippewas de Nawash, sont témoins des effets des changements climatiques et des pratiques coloniales depuis longtemps. En 2018, après plusieurs revers et difficultés attribuables aux changements climatiques, ils ont fermé leur entreprise de pêche commerciale à Neyaashiinigmiing, en Ontario, pour lancer l’alliance Bagida’waad, un organisme environnemental à but non lucratif. Leur objectif : étudier et faire connaître les répercussions des changements climatiques sur les eaux et l’environnement du lac Huron et de la baie Georgienne, inciter les jeunes de la communauté à mettre par écrit les récits des Aînés et encourager une intendance plus active des terres et des eaux.

Cette étude de cas utilise la méthode d’autoethnographie autochtone, ou l’art du récit, qui vise à aborder les enjeux de justice sociale et à favoriser le changement social en amenant les chercheurs autochtones à redécouvrir leur propre voix en tant que « forces de libération culturelle » (Whitinui, 2013). Traditionnellement, le savoir anishinaabe se transmet par contage oral, souvent autour d’un feu ou d’un repas. Aussi Natasha Akiwenzie se trouve-t-elle au cœur de cette autoethnographie, qui raconte son histoire dans le contexte élargi des répercussions climatiques sur la région des Grands Lacs. Sa passion transparaît dans son récit, qui parle notamment de l’histoire de sa famille, propriétaire d’une pêcherie anishinaabe confrontée aux conséquences des changements climatiques. L’histoire de Natasha Akiwenzie se termine par des appels à l’action et des recommandations à l’intention de divers groupes œuvrant de l’échelle locale à internationale.

Contexte historique et culturel

La Nation ojibwée de Saugeen englobe la Première Nation non cédée des Chippewas de Nawash et la Première Nation des Chippewas de Saugeen. Vivant sur des réserves de la péninsule Saugeen (Bruce), ces deux communautés se situent à environ 60 km l’une de l’autre : la communauté de Saugeen est dans le coin sud-ouest de la péninsule, et celle de Nawash, à environ une heure du côté de la baie Georgienne. Dans les dossiers d’intérêt conjoint, elles s’unissent sous le nom de Nation ojibwée de Saugeen. Au total, les deux réserves comptent environ 1 500 résidents. Depuis des temps immémoriaux, la Nation pratique la pêche sur son territoire traditionnel pour la consommation, les cérémonies et le troc. Encore aujourd’hui, elle détient des droits de pêche dans les alentours de Saukiing Anishinaabekiing. Mais sa santé et sa viabilité, de même ses lieux d’importance culturelle et spirituelle et son économie, dépendent de la santé des terres et des eaux sur le territoire traditionnel de Saukiing Anishinaabekiing, qui englobe la péninsule Saugeen (Bruce) et les eaux qui la bordent.

L’histoire de Natasha Akiwenzie : commencement

En 2003, mon mari et moi avons lancé une petite entreprise de pêche commerciale du grand corégone et du touladi dans les eaux de la baie Georgienne. Nous vendions nos prises dans les marchés fermiers locaux et régionaux, et notre entreprise a connu un essor rapide. Mais au fil des ans, les vents et les tempêtes se sont aggravés, rendant la navigation de plus en plus compliquée et dangereuse. Sans compter le réchauffement de l’eau et le rétrécissement de la couverture de glace hivernale sur le lac, qui se répercutaient négativement sur l’écologie et les populations de poissons. Ainsi, en 2018, nous avons pris la décision difficile de fermer l’entreprise pour lancer l’alliance Bagida’waad, un organisme sans but lucratif enregistré ayant pour mission de promouvoir les études et la sensibilisation sur les répercussions des changements climatiques sur les eaux et l’environnement du lac Huron et de la baie Georgienne, d’inciter les jeunes à mettre par écrit les récits des Aînés et d’encourager une intendance plus active des terres et des eaux.

Avant d’aller plus loin, j’aimerais vous raconter ma première expérience de pêche. Mon mari, Andrew, devait pêcher pour quelqu’un d’autre, qui avait eu un empêchement cette journée-là. Je me suis dit que je pouvais peut-être aider, même si je n’avais jamais pêché auparavant. Je me revois là, assise à l’avant du bateau, éblouie par la beauté autour de nous. L’eau claire clapotait doucement contre la coque. En route vers le premier filet, j’ai remarqué qu’Andrew semblait très calme et détendu. Nous sommes arrivés, et il m’a dit de rester assise et d’aider à sortir les poissons des filets. C’est à ce moment que j’ai réalisé que je n’avais aucune idée de ce qui m’attendait. Il a commencé à remonter les lignes. Finalement, un filet est apparu, et peu après, un poisson. Un énorme poisson. Andrew s’est mis à rire; il estimait que le poisson pesait environ 6 livres. C’était un corégone, qu’il m’a dit. Puis, un autre poisson est apparu – un autre corégone. Andrew avait sorti les poissons du filet pour les placer dans la caisse devant moi, mais ils bougeaient encore. J’ai pris le plus petit, je l’ai soulevé, et je l’ai jeté à l’eau. J’ai vu qu’Andrew avait arrêté de remonter le filet. Il m’a dit que je ne pouvais pas relâcher tous les poissons, qu’il me dirait lesquels jeter par-dessus bord. Un meunier est apparu. Celui-là, je pouvais le remettre à l’eau. Ensuite est venue une loquette, qui m’a uriné dessus. Heureusement, j’ai pu la jeter par-dessus bord elle aussi. Le poisson suivant était gros et magnifique. J’étais impressionnée. Andrew m’a demandé d’essayer de le sortir du filet. Je tentais de passer le filet par-dessus son énorme tête quand il a soudainement ouvert la bouche et mordu la peau entre mon pouce et mon index. Par chance, je portais des gants; je m’en suis donc tirée avec une belle égratignure. J’ai appris que c’était un touladi. Après cet incident, ça ne me dérangeait plus de laisser les poissons dans la caisse.

Au fil des ans, nous avons continué de prendre de l’expansion. En 2006, nous avons reçu une subvention et acheté une plate de 24 pieds dotée d’un moteur hors-bord et de nouveaux filets maillants. Le financement a été renouvelé l’année suivante, et nous avons acheté de longues tables en acier inoxydable, des éviers commerciaux, des caisses à poissons et une machine à glace en paillettes pour traiter nous-mêmes les poissons. La maison de la grand-mère d’Andrew, voisine de la nôtre, était vide depuis un moment; c’est là que nous nous sommes installés. En 2009, nous avons dû relever le défi de conformer nos installations aux normes d’inspection provinciales pour le traitement des poissons. Il a fallu refaire l’installation électrique, transformer les chambres à coucher en espaces de rangement, et aménager des planchers inclinés, des siphons de sol, des murs en plastique et des stations de lavage des mains. Nous avons terminé les travaux la deuxième semaine de septembre. Nous l’ignorions à l’époque, mais nous étions l’une des très rares installations autochtones de traitement des poissons à répondre à ces exigences dans le sud de l’Ontario, peut-être même la seule.

Nous avons d’abord vendu nos poissons à des grossistes de Wiarton, avant de vendre directement aux clients dans notre maison de Neyaashiinigmiing, puis dans des marchés fermiers régionaux. Tout ça, c’était nouveau pour nous. Je me rappelle le premier marché à Owen Sound; j’étais si nerveuse! Nos petits garçons de sept, six et quatre ans étaient là. Nous avions disposé des échantillons de poisson fumé, et les garçons distribuaient des cartes professionnelles. La table s’est vidée, et nous avons fait un peu d’argent – à peu près autant que si Andrew avait vendu le poisson à un grossiste. Nous sommes revenus tous les samedis, et chaque fois, nous rapportions moins de poisson à la maison. Notre clientèle se fidélisait. Mais il y a aussi eu des moments difficiles. Je me souviens de quelques occasions où des gens sont passés en demandant : « C’est du poisson autochtone? » Nous répondions fièrement par l’affirmative, mais leur réponse minait parfois notre confiance : « Je n’achète pas de poisson autochtone. » J’avais vécu du racisme auparavant, mais c’était plus difficile en public, dans un environnement où je devais être professionnelle. Mais la plupart des clients étaient géniaux, et nous avons appris à simplement sourire et leur souhaiter une bonne journée.

Nos produits devenaient de plus en plus populaires. À la fin de 2007, nous vendions notre poisson dans trois marchés de Toronto : Riverdale, Dufferin Grove et Brickworks. Andrew s’occupait de la plupart des marchés, et nous avons pu embaucher quelqu’un pour nous aider à traiter le poisson. Je restais à la maison pour fumer le poisson en prévision du prochain marché et pour m’occuper des garçons. Andrew pêchait les jours où il était à la maison. Nous étions très occupés, mais c’était gratifiant parce que nous avions la satisfaction de contribuer à nourrir plus de 600 familles par semaine.[1]  En 2008, Slow Food Toronto nous a invités, avec des chefs, des journalistes et d’autres marchands, au Terra Madra Salone del Gusto, un festival gastronomique international à Turin, en Italie. Nous avons sauté sur l’occasion. C’était incroyable de voir de la nourriture du monde entier réunie en un même endroit. En 2016, nous vendions nos produits aux marchés Wychwood et St. Lawrence, deux marchés majeurs de Toronto. Les clients aimaient que nos poissons soient locaux ou natifs des Grands Lacs, qu’il s’agisse de spécimens sauvages plutôt que de produits d’élevage, et que nous pêchions, traitions, fumions et vendions le tout nous-mêmes!

Des espèces de poissons locales sont conservées dans un fumoir.
Des espèces de poissons locales sont conservées dans un fumoir.

L’arrivée de la brume

L’expansion de notre entreprise s’est poursuivie, mais au fil des ans, nous avons continué d’observer et de vivre des changements environnementaux rendant la pêche plus difficile que jamais. L’un des premiers que nous avons remarqués : la prolifération de la moule zébrée. (Il s’agit d’une espèce envahissante qui cause beaucoup de dommages dans les Grands Lacs; elle élimine le plancton dans l’eau, privant ainsi les espèces de poissons indigènes d’une source de nourriture essentielle.) Andrew avait pour habitude de frapper le filet contre la coque du bateau pour faire tomber les amas de moules et les renvoyer au fond de la baie.

En plus de la moule zébrée qui bouleversait l’écosystème de la baie, nous avons noté une hausse de la quantité d’algues. Et plus il y en avait, plus il était difficile de nettoyer les filets. Nous ne pouvions pas laisser les algues sur les filets parce qu’elles les alourdissaient et les rendaient visibles pour les poissons. Parfois, les filets étaient si lourds d’algues que nous avions du mal à les sortir de l’eau. En 2010, nos employés devaient consacrer plusieurs heures au nettoyage à la fin de leur quart pour qu’Andrew ait des filets propres à son expédition suivante.

Légende : Couverture de glace annuelle maximale sur le lac Huron, de 1973 à 2016 (Service canadien des glaces). Les barres bleues indiquent le pourcentage de couverture maximale, et la ligne noire représente la tendance linéaire sur 43 ans.

Avec les années, nous avons aussi remarqué que l’eau se réchauffait et que la couverture de glace hivernale rétrécissait sur le lac. Le printemps 2010 est arrivé, et dans mes souvenirs, c’était l’une des premières fois où je n’avais presque pas vu de glace pendant l’hiver. Andrew a pu recommencer à pêcher dès la mi-mars, ce qui était bien parce que nous n’avions presque plus de poisson congelé.

Légende : Température de l’eau dans le lac Huron. Données fournies par John Anderson, Ph. D., spécialiste des sciences de la mer à la retraite, ancien employé du ministère des Pêches et des Océans et de l’Université Memorial de Terre-Neuve.

Les vents forts étaient aussi de plus en plus courants; on voyait davantage d’avertissements sur la page Web des prévisions maritimes. De temps en temps, il y avait même des avis de coup de vent. Non seulement ces conditions météorologiques menaçaient les œufs et les larves de corégone, mais elles rendaient aussi la navigation beaucoup plus dangereuse pour les pêcheurs. Les journées à 10 nœuds se faisaient de plus en plus rares. Il m’était arrivé à quelques reprises de me rendre anxieusement sur la rive pour guetter le bateau, mais voilà que cette routine devenait plus fréquente. Souvent, Andrew partait sur l’eau avant même que je sois complètement réveillée. J’entendais le vent et je voyais les arbres osciller. J’inspirais profondément. Tout ce que je pouvais faire, c’était de surveiller l’horloge et d’essayer de ne pas trop m’inquiéter. Je ne sais pas s’il avait conscience de l’ampleur de mon soulagement lorsque, par les matins très venteux, je me rendais dans l’installation voisine et le voyais debout dans l’entrée.

En contraste, les matinées brumeuses étaient toujours tranquilles. Lorsque je voyais le brouillard s’étendre lentement sur la terre et glisser sur l’eau, j’étais soulagée; là où il y a du brouillard, les vents sont calmes.

Légende : Vitesse et fréquence des vents sur le lac Huron. Données fournies par John Anderson, Ph. D., spécialiste des sciences de la mer à la retraite, ancien employé du ministère des Pêches et des Océans et de l’Université Memorial de Terre-Neuve.

À l’automne et à l’hiver 2014, nous avons compris que nous avions un problème. Pendant l’été, les nombreuses journées très venteuses nous avaient obligés à annuler beaucoup de marchés. Cet automne-là, les avertissements de vent fort se sont succédé, occasionnellement entrecoupés d’avis de coup de vent. Andrew avait besoin de deux jours de suite pour pêcher : le premier pour mettre les filets à l’eau et le deuxième pour les remonter. Moi, il me fallait assez de poissons pour allumer les fumoirs trois jours avant un marché. Nous errions sur la rive en espérant que le vent se calmerait un peu. Il y avait des accalmies toutes les quelques semaines, mais elles étaient trop courtes pour faire des provisions pour l’hiver.

En 2015 et en 2016, les conditions météorologiques ont continué de jouer contre nous. Nous passions beaucoup plus de temps sur la rive, et lorsque nous arrivions à pêcher, nous devions nous battre avec les algues ou nous presser de partir avant que le vent se lève.

La quantité et le type de poissons dans nos filets ont aussi beaucoup changé. Au début, nous prenions environ 24 à 32 corégones et 4 à 6 touladis presque à tout coup. Mais en 2012, si Andrew attrapait toujours le même nombre de poissons, les touladis prenaient de plus en plus de place; nous en prenions entre 22 et 28 pour 6 à 10 corégones. Et la plupart des touladis étaient petits – environ 3 livres. Nous avons dû créer un nouveau produit pour utiliser les petits poissons, car nous croyons en l’importance de ne pas gaspiller ce qui nous est offert. Les petits touladis étaient découpés en filets, puis fumés et émiettés en petits morceaux qu’on appelait des « bouchées fumées ». Nos clients en raffolaient, mais tout bas, nous angoissions. En 2018, nos prises devenaient de plus en plus étranges : seulement 1 à 3 corégones et 18 à 26 touladis.

Un brouillard à couper au couteau

Tous les samedis, c’était la même question : pourquoi n’y avait-il plus de corégone et pourquoi les vents gagnaient-ils en force? Nous expliquions aux gens que la couverture de glace dont dépendent les jeunes corégones rétrécissait, que les changements climatiques aggravaient les vents et les tempêtes, et que les pêcheurs en étaient directement témoins. Nous leur disions que la température dans la baie augmentait au détriment de la qualité du poisson. Ils écoutaient, mais malheureusement, beaucoup s’inquiétaient davantage de leur souper maintenant que le corégone n’était plus une option.

En 2018, nous avons ouvert le congélateur et constaté qu’il ne nous restait assez de poissons que pour un seul marché. Nous avons dû prendre des décisions difficiles : nous allions fermer l’entreprise, et le prochain marché serait notre dernier. Des années plus tôt, nous avions convenu que, si les poissons nous semblaient un jour en danger, nous cesserions nos activités, car nous ne voulions pas être ceux qui pêcheraient le dernier spécimen de la baie Georgienne. Mais jamais nous n’aurions cru que ce jour viendrait de notre vivant ou de celui de nos garçons.

Le cœur lourd de ces décisions, j’avais l’impression d’être sur l’eau, dans un bateau perdu dans le brouillard. Je m’élançais vers un avenir incertain, mais je m’efforçais de croire que tout s’éclairerait.

Nous avons dû nous rendre à l’évidence : la disparition du corégone et les changements climatiques étaient hors de notre contrôle. Nous ne pouvions régler ces problèmes seuls. Ç’a été parmi nos pires moments.[1]  Nous laissions derrière non seulement notre mode de vie, mais aussi la communauté des marchés, nos collègues marchands et nos clients, qui nous suivaient depuis très longtemps et avaient vu nos garçons grandir.

Toucher terre : la fondation de l’alliance Bagida’waad

En décembre 2017, quelqu’un m’a transmis un formulaire de demande pour une subvention fédérale du Programme de surveillance du climat dans les collectivités autochtones. J’en ai parlé avec Andrew, et nous avons décidé de demander du financement pour une station météorologique et une manche à vent. Dans l’une des sections de la demande, il fallait résumer les effets des changements climatiques dans notre collectivité. Je connaissais les répercussions sur les eaux – la température de l’eau augmentait et la couverture de glace hivernale disparaissait –, mais j’avais besoin que quelqu’un d’autre me parle des changements sur les terres.

Une connaissance m’a mise en contact avec une personne du comté de Bruce reconnue pour ses projets environnementaux. J’ai téléphoné à cette femme du nom de Victoria Serda, qui habitait Port Elgin à l’époque. En l’appelant, j’avais comme seul objectif de remplir ma demande, ce que nous avons fait – Victoria m’avait aidée à demander ma première subvention fédérale.

Mais après plusieurs longues discussions, Victoria, Andrew et moi-même avons entrepris de fonder un groupe environnemental à but non lucratif. Nous avons formé un conseil d’administration composé de pêcheurs, d’écologistes, de scientifiques et de jeunes autochtones, qui font tous partie de mon équipe de soutien. La majorité des membres du conseil appartiennent à la Nation ojibwée de Saugeen. J’ai assumé la direction du groupe, que nous avons nommé l’alliance Bagida’waad. Cela signifie « ils ont lancé un filet » en anishinaabemowin. Les choses ont déboulé plutôt rapidement, mais c’était positif. Nous avons enregistré l’organisme avec la mission de promouvoir les études et la sensibilisation sur les répercussions des changements climatiques sur les eaux et l’environnement du lac Huron et de la baie Georgienne, d’inciter les jeunes à mettre par écrit les récits des Aînés et d’encourager une intendance plus active des terres et des eaux.

L’alliance Bagida’waad occupe aujourd’hui une place importante dans ma vie. Elle m’a aidée à passer de mon ancienne vie d’entrepreneuse et membre d’une famille de pêcheurs à mon nouveau rôle de sensibilisation aux changements climatiques et à leurs effets sur le grand corégone. Elle touche à divers sujets très sérieux, comme la préservation des rives naturelles, les espèces envahissantes, la perte d’habitats, la sécurité alimentaire, et bien sûr les changements climatiques et le déclin du grand corégone. Ses initiatives sont variées : nettoyage des rives sur le territoire traditionnel de la Nation ojibwée de Saugeen, webinaires sur l’environnement, cours d’anishinaabemowin en ligne, boutique virtuelle, ateliers de fabrication de filets, stage d’une semaine avec des étudiants collégiaux, ateliers de poterie, projet de revitalisation d’un ruisseau, et plantation de végétaux comestibles. Elle a même organisé un super repas de partage communautaire en octobre 2018. L’alliance concentre notamment ses activités dans la mobilisation, la sensibilisation et l’intendance des jeunes. Elle emploie des technologies novatrices et des médias numériques pour rejoindre son public et interagir avec lui. Par exemple, elle publie des images captées par des drones, organise des séances d’apprentissage en réalité augmentée près du ruisseau et coordonne des randonnées écologiques virtuelles pour les Aînés.

L’alliance Bagida’waad occupe aujourd’hui une place importante dans ma vie. Elle m’a aidée à passer de mon ancienne vie d’entrepreneuse et membre d’une famille de pêcheurs à mon nouveau rôle de sensibilisation aux changements climatiques et à leurs effets sur le grand corégone.

Bagida’waad emploie une approche fondée sur les forces dans tous ses projets (Brough et coll., 2004). Les Anishinaabeg ont toujours misé sur l’humour pour raconter des histoires difficiles. De plus, l’humour est un outil essentiel à la décolonisation et un élément central de l’éducation et de la pédagogie autochtones (Leddy, 2018). Pour moi, il rend les enjeux complexes un peu plus amusants ou intéressants. Une fois, j’ai nettoyé la rive en costume de dinosaure gonflable. Tant de jeunes se sont arrêtés pour me demander ce que je faisais ou m’ont apporté des déchets juste pour voir mon costume de plus près. Les adultes aussi venaient me parler, et acceptaient de bonne grâce d’aider un peu ou de prendre une carte professionnelle.

Andrew et Natasha Akiwenzie en 2020. Photo : Victoria Serda

C’est un sujet important, les déchets et la propreté des cours d’eau. Mais il est tout aussi important de montrer aux gens comment aider et d’ajouter une touche de gaieté dans le nettoyage des rives! Cela rend la corvée plus mémorable et la transforme en activité attendue.

Nos publications sur les réseaux sociaux en tant qu’Aquaman sont un autre exemple de notre utilisation de l’humour pour parler des changements climatiques et de l’environnement. Des études le confirment : lorsqu’on martèle des messages clairs et simples sur la science du climat, on favorise la rétention d’information et on rejoint davantage le public. Nous tâchons de prendre à cœur ces leçons dans notre travail.

Le brouillard commence à se dissiper. Les deux pieds ancrés sur terre, je me sens enfin plus légère.

Mobiliser et sensibiliser les jeunes

Je sais que mes forces, ce sont les chiffres et les dates. Dans l’équipe de soutien, certains excellent en rédaction, en compréhension de documents juridiques ou en identification des plantes. J’adore trouver ce qui anime les gens et les encourager à vivre leur passion, quelle qu’elle soit. Je suis toujours impressionnée de voir où cela peut nous mener.

En 2019, nous avons lancé un projet pour inciter les jeunes de la Nation ojibwée de Saugeen à mettre par écrit les connaissances et les récits des Aînés pêcheurs sur les changements climatiques. En octobre 2019, nous avons établi un partenariat avec James Stinson, affilié au Dahdaleh Institute of Global Health Research et au Young Lives Research Lab de la Faculté d’éducation de l’Université York, afin d’élargir notre approche de la recherche et de la sensibilisation auprès des jeunes.

En mars 2020, nous avons conjointement reçu une subvention d’engagement partenarial du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) pour un projet visant à encourager la production jeunesse de courts métrages documentaires sur les changements climatiques et la santé de la planète. Ce projet s’est récemment couronné par un festival cinématographique virtuel durant lequel ont été présentées sept créations, dont six versées dans Youth Climate Report, une banque en ligne de films produits par des jeunes. Associée à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), cette banque répertorie aujourd’hui plus de 600 œuvres de jeunes de 18 à 30 ans illustrant les études, les perturbations et les solutions tangibles relatives aux changements climatiques. Les films ajoutés à Youth Climate Report sont projetés chaque année lors des conférences des Nations Unies sur les changements climatiques, où ils sont utilisés comme ressources par les décideurs de l’ONU. Un film créé l’an passé par Christopher Akiwenzie, mon fils aîné, portait expressément sur la couverture de glace des Grands Lacs et la disparition du grand corégone. Grâce à une subvention de développement de partenariat du CRSH, nous continuerons ces trois prochaines années de mobiliser les jeunes avec M. Stinson par l’intermédiaire de notre projet « Planetary Health Partnership: Anishinaabe youth guardians, land-based learning, and the practice of living well with the world ». Ce dernier élargit et approfondit la collaboration en cours avec l’Université York pour explorer la protection des terres et l’apprentissage par l’expérience des Autochtones comme modèle de revitalisation culturelle, d’intendance environnementale et de lutte climatique.

Lors d’un webinaire que nous avons organisé en 2019, Victoria et moi avons rencontré Gwen MacGregor, une formatrice de l’Université de Toronto, qui nous a paru vraiment amicale et ouverte d’esprit; elle nous a proposé de la rencontrer en personne quelques semaines plus tard. Nous échangions principalement en ligne en raison de la COVID-19 et gardions le contact par courriel. C’était une vraie passionnée de l’environnement et de la lutte climatique. Elle voulait nous présenter une amie professeure à l’Université. Nous avons rencontré Marla Hlady et avons tout de suite su que nous voulions travailler avec ces femmes. J’ai été surprise qu’elles fassent toutes deux l’effort de venir nous voir en personne l’été dernier. Je connais la route entre ici et Toronto et je sais qu’elle est longue. Mais elles avaient cette volonté de bien faire les choses. Ensuite est venue l’idée de créer un cours sur le terrain pour les étudiants. Victoria et moi étions plutôt enthousiastes.

Nous avons établi une relation de confiance solide et nous sommes raconté beaucoup d’histoires, si bien qu’un projet conjoint pour les étudiants nous a semblé être la prochaine étape logique. Je me disais que les étudiants bénéficieraient immensément de ce cours que nous avions décidé de créer ensemble. Nous avons collaboré de bout en bout, prenant notre temps et discutant ouvertement à maintes reprises pour offrir aux étudiants une expérience bénéfique dans le respect de la collectivité et de l’environnement. Nous avons eu beaucoup de plaisir avec les étudiants ce printemps, et nous apprécions beaucoup les conversations que nous avons avec eux en classe. Chaque fois, j’avais hâte de faire connaître aux étudiants, à Gwen et à Marla l’environnement naturel et toute la beauté qui m’entoure à Neyaashiinigmiing.

Grâce à Bagida’waad et à ses partenaires, le brouillard se lève et la voie à suivre s’éclaircit.

Rendez-vous sur la rive

Notre planète a besoin de nous. La biodiversité disparaît lentement. Nous devons renouer avec le monde qui nous entoure et assurer aux générations futures la possibilité d’évoluer dans un climat stable. Nous devons nous soutenir les uns les autres pour opérer des changements positifs et laisser à nos prochains une planète plus saine que celle dont nous avons hérité. L’alliance Bagida’waad travaille à plusieurs projets sur l’environnement et la culture : nous avons restauré un ruisseau pour créer des aires ombragées pour les espèces aquatiques et combattre l’érosion de façon naturelle; nous organisons des randonnées écologiques pour raconter des histoires sur le rôle de l’écosystème et les liens qui nous unissent à la nature; nous recourons à la science citoyenne pour faire des analyses de l’eau et enseigner l’importance de surveiller l’évolution des eaux locales; et nous animons des discussions en ligne sur divers sujets, comme les espèces indigènes et envahissantes de plantes, de poissons ou d’insectes. Tous nos projets intègrent respectueusement les récits et la langue anishinaabeg.

Rendez-vous sur la rive : un costume vous y attend!

Recommandations de politiques et d’initiatives

Recommandations générales

  • Appliquer le principe de consentement préalable libre et informé en tout temps.
  • Établir et déployer un plan d’adaptation et de sensibilisation aux changements climatiques.

Organisation des Nations unies

  • Créer des programmes pour financer des initiatives communautaires auprès de jeunes autochtones et des projets de gardiens des terres.
  • User des connaissances écologiques autochtones pour élaborer une approche écosystémique intégrée et holistique de protection des espèces.

Politiques fédérales

  • Soutenir les initiatives d’Autochtones et de jeunes pour la sensibilisation et la conscientisation aux changements climatiques et à la santé de la planète.
  • Promouvoir la vision à double perspective et le concept d’espace éthique voulant que le savoir autochtone et la science occidentale soient traités comme des systèmes de connaissances différents, mais complémentaires dans l’élaboration de politiques.
  • Financer des programmes de gardiens autochtones dans tous les territoires autochtones, notamment au moyen d’accords de contribution pluriannuels.
  • Établir davantage d’aires protégées et de conservation autochtones et de fiducies foncières communautaires autochtones.
  • Autochtoniser les politiques climatiques du Canada pour instaurer une relation mutuellement bénéfique entre la lutte climatique et la souveraineté autochtone.
  • Soutenir les solutions locales et autochtones pour rendre les pêcheries autochtones plus viables sur les plans de l’économie et de la subsistance (pêche durable ou transition vers d’autres rôles comme le partage de connaissances).
  • Appliquer le principe de consentement préalable libre et informé dans tous les ministères.
  • Promouvoir les aires de conservation gérées par des Autochtones.
  • Procéder à une revue complète des politiques et produire un rapport pour limiter le mouvement et la propagation des espèces envahissantes par divers vecteurs (entreprises de semences, nourriceries, bateaux de pêche commerciale, transport, etc.).
  • Créer une société d’État gérée par des Autochtones pour distribuer aux initiatives autochtones des fonds de soutien indépendants sur plusieurs années et des subventions pour la prestation de programmes.
  • Appliquer les principes du guide Inclusion, diversité, équité et accessibilité (IDEA) : pratiques exemplaires à l’intention des chercheurs.

Politiques provinciales

  • Établir une structure de cocréation et de cogestion pour l’ensemble des ressources.
  • Favoriser le choix de zones perturbées pour les nouvelles constructions.
  • Définir davantage d’espaces naturels protégés.
  • Créer et intégrer au programme scolaire des cours et des modules d’apprentissage autochtones sur le terrain.
  • Soutenir les réseaux alimentaires locaux, y compris les cuisines commerciales qui traitent des aliments locaux.

Gouvernements régionaux

  • Élaborer un plan pour limiter la propagation des espèces envahissantes.
  • Adopter une politique de barrages verts et de haies-clôtures pour encourager les agriculteurs à préserver ou à planter des arbres le long des routes, entre les champs et près des cours d’eau.
  • Réglementer et promouvoir la préservation des rives naturelles sur les propriétés riveraines.
  • Instaurer des frais pour les demandes d’aménagement afin de rémunérer les Autochtones chargés de les étudier.
  • Créer des éco-corridors pour la faune.

Gouvernements autochtones

  • Créer des éco-corridors pour la faune.
  • Établir des programmes de gardiens.
  • Collaborer avec des organisations de base à des projets de restauration écologique.

Gouvernements locaux : municipalités

  • Adopter des règlements municipaux autorisant et favorisant la plantation d’espèces comestibles (arbres, buissons, fines herbes et légumes) dans les parcs et les espaces publics.
  • Planter des espèces non envahissantes dans les parcs et les espaces publics, notamment des espèces utiles à la population.
  • Assurer aux marchés fermiers locaux les ressources nécessaires en espace, en visibilité et en personnel.
  • Créer des éco-corridors pour la faune.

Gouvernements locaux : conseils de bande

  • Créer des éco-corridors pour la faune.

Fondations, organisations caritatives et organismes à but non lucratif

  • Nommer au moins deux représentants de détenteurs de droits autochtones au conseil d’administration.
  • Établir un conseil consultatif autochtone.

Entreprises

  • Discuter des occasions d’affaires à venir avec les entreprises autochtones locales pour repérer les occasions de partenariat.

Établissements scolaires

  • Intégrer au système scolaire des cours et des modules d’apprentissage autochtones sur le terrain.

Références

Brough, Mark, Chelsea Bond et Julian Hunt. 2004. « Strong in the City: Towards a strength-based approach in Indigenous health promotion », Health Promotion Journal of Australia, 15 (3). https://doi.org/10.1071/HE04215.

Leddy, Shannon. 2018. « In a Good Way: Reflecting on Humour in Indigenous Education », Journal of the Canadian Association for Curriculum Studies, 16 (2) : 10-20. https://jcacs.journals.yorku.ca/index.php/jcacs/article/view/40348.

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