Pendant des années, l’action climatique a été freinée par une fausse dichotomie opposant économie et environnement, dans un combat entre deux adversaires irréconciliables. Verts contre financiers. Le portefeuille des Canadiens ou la sauvegarde de la planète.
Cette semaine, cette conception a volé en éclats. Il n’est plus question d’économie ou d’environnement, mais plutôt d’action climatique garante de prospérité ou d’inaction destructrice pour l’économie.
Les inondations et les coulées de boues qui touchent la Colombie-Britannique sont en passe de devenir la plus grande catastrophe climatique de l’année au Canada. Des entreprises se sont vues forcées de fermer : avec la rupture abrupte de leur chaîne d’approvisionnement, elles peinent à garder la tête hors de l’eau, au propre comme au figuré.
Une attaque terroriste visant de multiples points de notre réseau ferroviaire et routier n’aurait pas été plus destructrice pour l’économie de la Colombie-Britannique que la « rivière atmosphérique » engendrée par un climat de plus en plus instable. Au port de Vancouver, la circulation ferroviaire est bloquée et les pertes sont évaluées à plus de 300 millions de dollars par jour jusqu’au rétablissement du service.
Les inondations, feux incontrôlés et dômes de chaleur qu’a connus la province en 2021 ne peuvent plus être considérés comme anormaux ou exceptionnels. Avec le réchauffement climatique, ces phénomènes deviendront inévitables. Et comme le souligne Submergés, notre récent rapport, nous devons être prêts à intervenir d’urgence à grande échelle – comme nous le serions pour toute autre menace à notre sécurité nationale et économique.
Déjà, le climat et ses répercussions plombent notre économie et entravent notre croissance. Depuis 2010, le coût des événements catastrophiques attribuables au climat représente environ 5 à 6 % de la croissance annuelle du PIB canadien, une hausse par rapport à la moyenne de 1 % enregistrée au cours des décennies précédentes. Les pertes d’emploi causées par les inondations de 2013 au sud de l’Alberta ont coûté plus de 5 milliards de dollars à la province; pour la Colombie-Britannique, la facture s’annonce plus salée encore.
Les changements climatiques ont peut-être remporté cette manche, mais la partie n’est pas finie.
Nous devons nous préparer à ce qui s’en vient, et qui dit préparation, dit meilleure information. Quels sont nos points faibles, c’est-à-dire les régions, les populations et les infrastructures les plus vulnérables aux risques catastrophiques? Souvent, nous n’en savons rien, car au Canada l’information sur les risques climatiques, souvent inaccessible, est au mieux désuète. Par exemple, la dernière mise à jour des cartes britanno-colombiennes des zones inondables jouxtant les rivières Nicola et Coldwater autour de la ville évacuée de Merritt datait de 1989, soit de 32 ans. En moyenne, les cartes gouvernementales des zones inondables datent de 20 ans, et ne tiennent pas compte adéquatement des changements climatiques. Ce manque de données est encore plus considérable pour les menaces alimentées par le climat comme les feux incontrôlés. Le manque d’information et de transparence concernant les risques climatiques constitue un obstacle à notre préparation. Ils ne signent pas notre défaite.
La nécessité d’investir massivement dans les infrastructures résilientes au climat n’est plus à démontrer : nous n’avons qu’à regarder les autoroutes et chemins de fer engloutis par les eaux en Colombie-Britannique. La crise actuelle nous montre que de tels investissements seraient le moyen le plus efficace de protéger les services dont dépendent la population, les entreprises et l’économie. Le Canada a déjà un déficit d’infrastructures; les gouvernements, les services publics, les entreprises et les propriétaires ont du mal à entretenir celles qu’ils possèdent. Nous devons nous assurer de combler ce déficit avec une infrastructure carboneutre tournée vers l’avenir et conçue pour le climat d’aujourd’hui et de demain.
Dans un contexte où beaucoup de demandes à court terme semblent urgentes, il est difficile pour les municipalités, les provinces et le gouvernement fédéral de mettre de l’argent dans la modernisation des infrastructures pour contrer les risques à long terme. Mais une infrastructure adaptée au futur, c’est un bon investissement. Une nouvelle infrastructure dure de très nombreuses années, et il est beaucoup moins cher de construire maintenant pour un avenir carboneutre plus chaud que de construire pour un passé révolu.
Si les inondations catastrophiques de la Colombie-Britannique ont provoqué une prise de conscience dans la province, rappelons-nous que les perturbations liées au climat nuisaient déjà régulièrement à la productivité, à la mobilité, au commerce, aux communications et à l’approvisionnement en eau et en nourriture, phénomène qui se répercute sur la croissance économique et la santé et le bien-être de la population du Canada. Nous vivons dans un pays qui se réchauffe deux fois plus rapidement que la moyenne mondiale. Il est temps de composer avec cette réalité.
Cet éditorial est d’abord paru dans Maclean’s le 22 novembre 2021.