L’Institut a publié le 8 février un nouveau rapport, Vers un Canada carboneutre, explorant les trajectoires qui permettraient au Canada d’atteindre la carboneutralité d’ici 2050. Cet article se penche sur les effets de la carboneutralité sur la croissance économique et montre que cette croissance est tout à fait compatible avec un avenir carboneutre. Nous y présentons également nos observations sur les principaux défis des trajectoires carboneutres et les solutions qui s’offrent à nous.
Une économie canadienne florissante, tous scénarios de carboneutralité confondus
Pour mesurer la croissance économique, on utilise habituellement le produit intérieur brut (PIB), qui représente la valeur des biens et services produits par un pays dans une année donnée. Le PIB est loin de rendre compte de tous les aspects du bien-être économique, mais son utilisation, surtout en combinaison avec d’autres indicateurs, demeure révélatrice. La croissance économique n’est pas qu’une simple abstraction : pour la population, elle se traduit par des emplois et des revenus.
Nous avons analysé plus de 60 trajectoires vers la carboneutralité, et dans chacune d’entre elles, le PIB de 2050 est nettement supérieur à celui d’aujourd’hui. Comme l’illustre la figure ci-dessous, la croissance économique n’est pas freinée par la recherche de la carboneutralité. Le revenu des Canadiens devrait même augmenter.
Figure 1 : Évolution projetée du PIB au Canada dans plus de 60 scénarios de carboneutralité
La figure montre la fourchette de la croissance projetée du PIB (réel) de 2020 à 2050, pour tous les scénarios. Comme on peut le voir, l’écart des prévisions se creuse avec le temps. Ce n’est pas tellement surprenant : s’il n’est pas facile de prévoir la croissance économique sur deux ans, il est encore plus difficile de le faire sur 30 ans.
Soulignons que ces chiffres sous-estiment le potentiel de croissance à venir, car ils excluent une multitude d’avantages découlant de la transition carboneutre (réduction des dépenses en santé grâce à la purification de l’air et moins de congestion routière). De plus, notre modèle laisse de côté le potentiel de nouveaux secteurs émergents qui fabriqueraient des produits encore inexistants (mais qui pourraient devenir des facteurs importants d’ici 2050); il y a 30 ans, personne n’aurait pu imaginer l’économie numérique d’aujourd’hui. Pourtant, de nouvelles études plus représentatives de l’étendue des avantages de l’action climatique montrent que des transitions ambitieuses vers la sobriété carbone peuvent réduire encore le coût pour le PIB et favoriser une croissance encore plus substantielle de celui-ci.
La dernière étape, et non la moindre
Dans la figure précédente, un point en particulier fait exception dans cette tendance de croissance économique. À l’extrémité inférieure de la fourchette de prévisions, quelques scénarios prévoient plutôt un recul du PIB de 2045 à 2050. En d’autres mots, une contraction de l’économie du Canada serait à prévoir dans la dernière ligne droite de quelques-unes des trajectoires vers la carboneutralité. Ces scénarios pessimistes nous servent quelques mises en garde intéressantes et nous donnent des pistes utiles qui aideront le Canada à éviter cet écueil.
Le possible fléchissement de la courbe en 2045 souligne la complexité particulière que posera l’élimination des quelques dernières mégatonnes d’émissions de l’économie du Canada. D’ici 2045, les options de réduction d’émissions peu coûteuses auront été épuisées; il ne nous restera que les plus chères.
Sans la découverte de technologies qui viendront changer la donne, ces réductions seront particulièrement coûteuses. Les scénarios impliquant un recul marqué du PIB de 2045 à 2050 ont en commun une hypothèse importante : tous supposent que la plupart des paris risqués (solutions basées sur des technologies qui ne sont pas encore commercialement viables) ne s’avèrent pas rentables ou reproductibles à grande échelle. Un important facteur de ces scénarios pessimistes? L’absence de solutions à émissions négatives, utilisées pour éliminer le dioxyde de carbone et le stocker de manière permanente par des technologies comme la captation atmosphérique directe et la séquestration du carbone. L’absence d’autres paris risqués (biocarburants de deuxième génération, réseaux d’hydrogène) ne fait que complexifier encore la tâche.
Mais quelles sont les probabilités d’un tel dénouement? Dans le rapport, nous prenons soin de faire remarquer qu’il serait périlleux de mettre tous nos œufs dans le panier des paris risqués et d’ignorer les valeurs sûres. À l’opposé, il serait exagérément pessimiste de supposer la non-disponibilité de la plupart des paris risqués. Par exemple, même si elles ne sont pas reproductibles à grande échelle, les solutions à émissions négatives pourraient très bien servir ponctuellement à éviter les réductions d’émissions les plus coûteuses dans la trajectoire vers la carboneutralité.
En outre, les choix politiques du Canada peuvent favoriser la viabilité des paris risqués. Ils stimulent l’innovation de toutes sortes de façons, qu’on pense simplement par exemple aux investissements publics ou à la tarification du carbone. L’incidence sur le PIB dont il est question ici ne fait que mettre encore davantage en lumière les avantages de recourir aux paris risqués, surtout dans la dernière ligne droite de notre transition carboneutre.
Protéger nos arrières dans un contexte de transition mondiale
Notre analyse montre clairement que l’économie carboneutre du Canada sera plus vigoureuse que celle d’aujourd’hui. Les Canadiens y gagneront. Et si l’on tient compte des autres avantages de la transition – réduction des dépenses énergétiques, air purifié, meilleure santé, atténuation des effets des changements climatiques – ces gains sont encore plus évidents.
Il ne faut cependant pas croire que la prospérité d’une société carboneutre est assurée : il faudra des efforts considérables et concertés. Si certaines forces motrices de la trajectoire vers la carboneutralité nous échappent, plusieurs autres sont à notre portée. Et c’est par une gestion prudente du risque économique de la transition que nous jetterons les bases d’une croissance économique – doublée d’une réduction des émissions – jusqu’en 2050 et au-delà.