L’après COVID-19 — la série blogue
Alors que le pays se dirige vers la reprise économique de l’après pandémie, l’Institut examine les choix politiques à venir pour le Canada.
L’idée d’une relance verte a de quoi enthousiasmer. Comme le gouvernement s’apprête à débloquer des milliards de dollars des fonds publics pour ranimer une économie comateuse, pourquoi donc ne pas faire d’une pierre deux coups et créer des emplois tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre? Ou relancer l’activité économique de façon qu’elle soit plus résiliente aux changements climatiques?
Mais il y a un hic : bien que les mesures de relance verte aient beaucoup de sens, elles ne constituent pas à elles seules une solution complète, ni à la situation économique, ni aux défis environnementaux. Une nuance, certes, mais cela pèse lourd dans les discussions stratégiques qui s’amorcent petit à petit.
Une récession inédite
Pour commencer, laissez-moi clarifier que les « mesures de relance » dont il est question ici sont les mesures à long terme destinées à donner un coup de fouet à l’activité économique dans certaines provinces. Elles ne s’intègrent pas dans le court terme, alors que la priorité est de contenir l’épidémie de la COVID-19 et d’éviter le désaveu du système de santé. C’est après que viendra la relance. Les fermetures ont mené à un taux de chômage impressionnant, et les dispositifs gouvernementaux peuvent venir donner ce second souffle nécessaire.
Les mesures de relance verte tournent généralement autour de la fabrication locale et des emplois dans la construction. Cette injection de fonds dans l’infrastructure et le parc immobilier peut facilement être liée aux objectifs de lutte contre les changements climatiques. Au Canada, par exemple, les bâtiments étaient responsables de 13 % des émissions de gaz à effet de serre en 2018. L’infrastructure paye d’ailleurs les frais des risques climatiques, qu’il s’agisse des inondations, des feux de forêt ou des phénomènes météorologiques extrêmes.
Or la récession actuelle semble différente des autres. Comme Mike le faisait remarquer, la plupart des emplois perdus ne sont pas dans la construction ou la fabrication, mais dans les services et l’éducation. Bien que les derniers chiffres montrent une reprise naissant dans d’autres secteurs, cette récession semble toucher le marché du travail d’une façon considérablement différente de ce qu’on observait en 2009.
Une différence qui pourrait toutefois se révéler intéressante pour une relance verte. La modernisation des immeubles ne peut aider directement les travailleurs des services qui sont sans emploi. Pas plus qu’elle ne vient résoudre les interruptions qui surviennent soudainement dans les chaînes d’approvisionnement, alors que les PME sont de plus en plus nombreuses à fermer pour de bon.
Il ne s’agit pas ici d’exclure de la reprise les programmes d’infrastructure verte ou de modernisation. Car si la crise a d’abord fait des ravages dans les secteurs des biens et services, elle commence maintenant à étouffer la demande : un travailleur sans emploi dépensera moins, une entreprise en situation de précarité reportera ses investissements. Les dépenses publiques en infrastructure et les investissements peuvent effectivement mettre un baume sur ces effets secondaires et servir en même temps les objectifs climatiques. Mais ne perdons pas de vue qu’ils ne s’attaquent pas à la souche de la crise économique actuelle.
La relance verte, pas une politique climatique
Une réduction considérable des émissions ne sera possible que si les gouvernements instaurent un ensemble de règlements limitant les émissions et une tarification du carbone suffisante pour motiver la transition vers les solutions vertes existantes et la création d’autres solutions à moindre coût. De fait, les subventions, elles, coûtent cher et ne sont efficaces que dans une certaine mesure : trop souvent, elles sont accordées à des particuliers ou à des entreprises pour des actions qui auraient été mises de l’avant de toute façon. Les bienfaits des mesures de relance peuvent justifier les coûts élevés, mais l’environnement n’en bénéficiera pas davantage.
De la même façon, la résilience de notre société face aux changements climatiques ne viendra pas sans action politique réfléchie. Le code du bâtiment peut aider nos villes à résister aux inondations et aux incendies, tout comme la limitation de la construction dans les zones à haut risque peut épargner les coûts de réparation des dégâts.
Le financement d’une infrastructure propre et résistante ne peut assurément pas nuire, mais il ne remplacera jamais ces mesures. Si le Canada souhaite continuer de progresser vers ses objectifs climatiques, il ne doit pas remettre à plus tard ou, pour ensuite, laisser tomber les politiques climatiques.
Des dépenses pour le climat justifiables autrement que par la relance économique
L’infrastructure, par exemple, requiert souvent un coup de pouce gouvernemental, mais elle peut renforcer la productivité économique. Parallèlement, elle a aussi un rôle à jouer dans la réduction des émissions et la résilience. La construction de réseaux de recharge pourrait accélérer l’adoption des véhicules électriques, tout comme les mesures de protection physique contre les inondations peuvent être plus que rentables grâce à la réduction du risque.
Il en va de même pour certaines actions contribuant à la réduction des émissions des gaz à effet de serre, qui peuvent se révéler plus que bénéfiques pour la santé de la population. Pensons à l’électrification, qui, en réduisant les émissions et la pollution, limite le risque de maladies respiratoires, particulièrement pour les personnes vulnérables. Quant aux enveloppes des bâtiments, elles peuvent atténuer les effets des vagues de chaleur sur les résidents.
En d’autres mots, nombreuses sont les actions pour le climat dont les avantages valent largement les coûts, que nous soyons en période de récession ou non.
Une pierre… un coup
Si les mesures de relance peuvent aussi favoriser la transition progressive vers un avenir prospère et sobre en carbone, tant mieux. Mais n’allons pas croire que l’action gouvernementale doit à tout prix répondre aux deux critères.
Nous qui proposons des politiques climatiques intelligentes devons faire preuve de circonspection. Les mesures vertes enthousiasment le plus lorsqu’elles visent à redresser la situation économique et qu’elles ne resserrent pas l’étau sans cesse autour des mêmes mauvais élèves. Il faut continuer d’explorer des propositions qui vont en ce sens. On s’y affaire d’ailleurs partout dans le monde, comme le fait le nouveau groupe de travail pour une reprise durable au Canada.
Il ne faut pas tomber dans le piège de croire que les politiques climatiques sont valables uniquement quand il s’agit de s’attaquer à une deuxième crise. Pandémie ou pas, elles se doivent d’être de plus en plus strictes. À bien des égards, les règlements et politiques de tarification (beaucoup moins attrayants, disons-le) qui permettront la transition à long terme revêtiront tout autant d’importance, sinon plus, que les investissements publics. C’est d’autant plus vrai que les gouvernements feront face à une énorme pression budgétaire engendrée par les mesures d’urgence adoptées pour limiter les dégâts de la COVID-19.
Dans l’immédiat, la crise de la COVID-19 exige en effet des injections de fonds rapides et importantes. Les dépenses publiques auront fort probablement aussi un rôle à jouer dans la relance économique. Mais cela ne veut pas dire qu’il s’agit toujours de la meilleure solution pour les questions climatiques.
Certes, certains objectifs peuvent être servis à la fois par des politiques et des investissements. Mais ne négligeons pas les politiques qui apporteront une solution aux problèmes susceptibles de perdurer une fois passée la crise actuelle.
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