Par définition, les élections sont le moment où ressortent les différences entre les partis politiques.
Or, sur la question des changements climatiques, ce qui sortait du lot à la dernière élection fédérale, ce n’est pas ce qui distinguait les partis, mais plutôt ce qui les unissait. Pour la première fois, tous les grands partis avaient un programme détaillé sur la question. Tous s’engageaient à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 et étaient pour réduire significativement les émissions de carbone d’ici 2030.
Après des années de débat sur la nécessité d’agir ou non, cette fois, les partis ont plutôt parlé stratégies.
En confiant un troisième mandat à Justin Trudeau et aux Libéraux, les Canadiens leur demandent de pousser leur politique climatique encore plus loin. Ce mandat arrive à un moment critique, l’objectif étant non seulement de réduire les émissions du Canada, mais aussi de garantir la prospérité à long terme du pays en jetant les bases d’un avenir sobre en carbone, puis carboneutre.
Trois facteurs essentiels sont réunis pour permettre à ce gouvernement réélu de renforcer sa politique climatique comme jamais auparavant.
1. Les Canadiens sont prêts.
Après avoir vu les conditions météorologiques extrêmes de l’été 2021 – provoquées par les changements climatiques – mettre en péril la santé et le bien-être de nombreuses familles, les Canadiens désirent avec plus d’ardeur que le pays mette les bouchés doubles pour réduire ses émissions de carbone.
2. Pour la première fois, la lutte aux changements climatiques fait l’objet d’une loi.
Avant d’ajourner pour l’été, le Parlement a adopté en juin la toute première loi nationale sur la responsabilisation climatique : la Loi sur la responsabilité en matière de carboneutralité. Outre cimenter la cible de carboneutralité du Canada, cette loi établit des années jalons juridiquement contraignantes tous les cinq ans d’ici 2050 et de nouvelles structures de gouvernance et mesures de responsabilisation pour aider le gouvernement à garder le cap.
Bien entendu, la carboneutralité ne s’atteint pas à coup de lois. Il faudra trimer dur. Toutefois, d’après ce qui se fait ailleurs dans le monde, on constate que parce qu’elles jettent des bases claires, renforcent la transparence et la responsabilisation, s’accompagnent de conseils d’experts indépendants et prévoient des rapports d’étape réguliers, ces lois sont bénéfiques.
Aspect important de la nouvelle loi : la constitution du Groupe consultatif pour la carboneutralité, un organisme indépendant dont le mandat est de conseiller et d’orienter le ministre de l’Environnement et du Changement climatique sur l’atteinte de la carboneutralité. Ce groupe maintenant formé, le gouvernement fédéral doit élaborer le plan de réduction des émissions qui permettra d’atteindre la cible de 2030, lequel doit comprendre un objectif intermédiaire pour 2026.
Il est à noter que ce plan doit être terminé dans les six mois suivant l’obtention de la sanction royale, ce qui correspond à la fin de l’année civile, une date butoir approchant à grands pas.
3. Nous savons ce qui doit être fait.
Selon le rapport Vers un Canada carboneutre de l’Institut climatique du Canada, ainsi que d’autres études, pour atteindre la cible de 2030, il faut principalement miser sur les « valeurs sûres », c’est-à-dire les solutions pour lesquelles les technologies sont déjà éprouvées, comme les bâtiments écoénergétiques, la production d’électricité propre et l’utilisation de cette électricité pour alimenter les voitures. D’ailleurs, bon nombre des promesses électorales du nouveau gouvernement (tarification du carbone, interdiction de vente de véhicules à essence neufs, investissements dans le réseau électrique) consistent à développer ces valeurs sûres.
Le secteur privé s’est mis de la partie. Une multitude d’entreprises canadiennes et internationales prennent des engagements et se dotent de plans pour la carboneutralité, motivées entre autres par la demande grandissante des actionnaires et investisseurs pour plus de transparence et d’ambition.
Si nous disposons désormais de bases solides pour l’élaboration du plan de réduction des émissions d’ici 2030, il reste encore plusieurs questions sur lesquelles le nouveau gouvernement doit se pencher. Par exemple, resserra-t-il le modèle de tarification du carbone fédéral pour en accroître la rigueur et l’efficacité? Le plan contiendra-t-il aussi des mesures favorisant le développement et l’adoption de « paris risqués », c’est-à-dire des solutions misant sur des technologies non éprouvées ou incertaines qui joueront un rôle modéré en 2030, mais qui pourraient changer complètement la donne dans notre quête de la carboneutralité? Prévoira-t-on des stratégies et du soutien dans le plan pour aider les travailleurs et les communautés à saisir les nouvelles occasions et à ressortir prospères de la transition énergétique mondiale? Et enfin, comment le gouvernement fédéral collaborera-t-il avec les autres pouvoirs publics (gouvernements provinciaux, territoriaux et autochtones et municipalités) et éventuellement les acteurs internationaux lors de la création de son plan?
Tournant la page sur l’élection, le Canada entre dans ce qui doit être le chapitre de planification et de concrétisation des efforts de réduction des émissions de carbone le plus intensif de son histoire.
Il est temps de se mettre au travail. Ensemble.
Rick Smith et Peter Nicholson sont respectivement président et président du conseil d’administration de l’Institut climatique du Canada.
Initialement publié par le magazine Maclean’s.