10 Air propre
L’amélioration et la protection de la santé de la population sont des volets essentiels de la transition vers une croissance propre. Le climat a une influence sur la santé à cause des émissions que nous relâchons dans l’atmosphère, qu’il s’agisse de gaz à effet de serre qui contribuent aux changements climatiques ou de polluants atmosphériques nocifs pour la santé. Dans bien des cas, ces polluants et ces GES proviennent des mêmes sources. Il s’agit donc pour le Canada d’une excellente occasion d’améliorer la santé de sa population tout en accélérant la réduction des émissions de GES.
Statistique principale 10 : Qualité de l’air ambiant dans les villes canadiennes
Pour évaluer la qualité de l’air au Canada, nous tenons compte des données sur la qualité de l’air ambiant dans plusieurs villes canadiennes en ce qui a trait à quatre grands polluants atmosphériques (figure 10.1). Nous avons aussi inclus les normes canadiennes de qualité de l’air ambiant (NCQAA) pour 2020 et 2025 à des fins de comparaison; il s’agit des normes de référence pour la qualité de l’air au Canada (voir encadré 10.1). Bien que nous n’ayons de données que pour 2017-2018 (voir la section « Données manquantes »), l’objectif est de voir progresser la qualité de l’air ambiant au fil du temps.
Les données de la figure 10.1 mettent en lumière quelques tendances notables.
La plupart des villes canadiennes présentées dans la figure respectaient les NCQAA pour 2020 et 2025 en 2017-2018, à quelques exceptions près. Vancouver était la seule ville de la figure à excéder les NCQAA de 2020 pour le dioxyde d’azote; le niveau de NO2 excédait toutefois les NCQAA de 2025 à Edmonton et à Toronto. Deux villes ne respectaient pas les NCQAA de 2020 pour les particules fines (Edmonton et Vancouver). Aucune des villes recensées n’excédait les NCQAA pour l’ozone troposphérique (le smog), mais plusieurs s’en approchaient. Puisque les NCQAA se resserrent avec le temps, bien des villes et villages canadiens (dont plusieurs n’apparaissant pas dans la figure 10.1) devront améliorer la qualité de leur air ambiant pour s’y conformer.
Encadré 10.1 – Normes canadiennes de qualité de l’air ambiant
La qualité de l’air ambiant renvoie à la concentration de pollution pour un bassin atmosphérique donné. Elle fluctue selon les types et les quantités de polluants relâchés dans l’atmosphère locale. La pollution générée par l’activité humaine est l’une des principales causes d’une piètre qualité de l’air, mais les conditions météorologiques (vent, température, précipitations, etc.) et les catastrophes naturelles (feux incontrôlés, éruptions volcaniques) peuvent aussi l’altérer.
Afin d’améliorer la qualité de l’air au Canada, les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux ont élaboré des normes canadiennes de qualité de l’air ambiant. Bien qu’aucun niveau de pollution atmosphérique ne soit sans danger, les NCQAA établissent des normes de référence pour la qualité de l’air au pays, qui se resserrent tous les cinq ans.
Sources : CCME (2017).
La figure met aussi en lumière des variations considérables d’une ville à l’autre. Hamilton avait par exemple une des concentrations les plus élevées d’émissions de dioxyde de soufre (SO2) au pays (surpassée seulement par Trail, en Colombie-Britannique, et Saguenay, au Québec). Le secteur industriel (particulièrement les fonderies) est la principale source d’émissions de SO2 en Ontario et a probablement contribué à cette hausse des concentrations à Hamilton (Ont., 2016). Les niveaux de particules fines étaient presque deux fois plus élevés à Saskatoon et à Edmonton qu’à St. John’s et à Halifax, ce qui s’explique probablement par les feux incontrôlés et l’industrie lourde.
La qualité de l’air peut aussi varier considérablement au sein d’une même ville, comme l’illustre la concentration de dioxyde d’azote (NO2) à Vancouver, deux fois plus élevée que celle des autres villes. L’une des deux stations de surveillance de la ville est située dans un couloir de camionnage très passant doté de feux de circulation (Clark Drive et Knight Street) qui mène au port le plus achalandé du pays. Les concentrations de NO2 à cette station étaient presque deux fois plus élevées qu’au centre-ville de Vancouver (à seulement quelques kilomètres de là), ce qui fait augmenter la moyenne de la ville. Lorsqu’ils circulent en zone urbaine, les camions lourds peuvent émettre des émissions de NO2 équivalant à celles de 100 voitures (Badshah et al., 2019).
Pour terminer, les données de la figure 10.1 montrent bien que la pollution atmosphérique ne se limite pas aux grandes villes. Les niveaux d’ozone à Whitehorse arrivent par exemple au quatrième rang sur les 15 villes étudiées. De même, de petites collectivités rurales du sud-est et du nord-est de la Colombie-Britannique avaient les niveaux de particules fines les plus élevés au pays en 2017-2018 (non illustrés dans la figure). Les importants feux de forêt ayant fait rage pendant ces deux années sont probablement la principale cause d’émissions de particules fines élevées, même s’il est possible que les émissions liées à l’industrie forestière et à l’exploitation de ressources aient également contribué à la piètre qualité de l’air. De nombreuses collectivités autochtones sont aussi aux prises avec une mauvaise qualité de l’air à cause de leur proximité avec des installations industrielles et de la dépendance des collectivités éloignées aux groupes électrogènes diesel (MacDonald, 2012; RCAANC, 2012; MaRS, 2015).
Même si la qualité de l’air au Canada est relativement bonne comparée à celle d’autres pays, les niveaux de pollution atmosphérique présentés à la figure 10.1 comportent des risques importants pour la santé, même dans les collectivités qui respectent les normes de qualité de l’air officielles. L’exposition à court terme à la pollution atmosphérique, même à de faibles concentrations, peut causer de l’essoufflement, de la toux et des douleurs à la poitrine (Respiratory Health Association, 2019). En cas d’exposition régulière et prolongée, ces risques pour la santé augmentent : cancer, maladies pulmonaires, arythmie cardiaque, maladies cardiovasculaires et même décès prématuré (Santé Canada, 2019; Wang et al., 2018; OCDE, 2014).
La pollution atmosphérique peut aussi aggraver des problèmes existants. De nouvelles données liées à la pandémie de COVID-19 suggèrent par exemple que les niveaux de pollution atmosphérique élevés ont aggravé la maladie (Wu et al., 2020). La hausse des niveaux de pollution atmosphérique peut aussi exacerber les effets des changements climatiques (encadré 10.2).
Encadré 10.2 : Les changements climatiques exacerberont le problème de pollution atmosphérique
La qualité de l’air diminue avec l’élévation de la température. Par exemple, la concentration d’ozone troposphérique (un important composant du smog) augmente avec le soleil et la chaleur. Vu l’augmentation de la température du globe, le nombre de jours aux niveaux de pollution atmosphérique élevés au Canada pourrait augmenter, annulant une partie des progrès réalisés au cours des dernières décennies dans la réduction des polluants atmosphériques.
Les niveaux de fond élevés de pollution atmosphérique provenant des bâtiments, du transport et de l’industrie aggravent aussi les effets sur la santé de la fumée des feux incontrôlés. À l’été 2018, par exemple, l’épaisse fumée qui recouvrait le Grand Vancouver a entraîné une baisse importante de la qualité de l’air, exposant plus d’un million de résidents à un avis record de 22 jours sur la qualité de l’air. La fumée des feux de forêt, combinée à une météo chaude et sèche, a probablement été exacerbée par les niveaux de fond de pollution atmosphérique provenant des bâtiments, du transport et de l’industrie. Puisque les risques de feux incontrôlés au Canada augmentent avec l’intensification des changements climatiques, l’exposition à un air de piètre qualité augmente en parallèle.
Sources : Metro Vancouver (2019); Lancet Countdown et Association canadienne de santé publique (2017); Reid et al. (2016).
Dans bien des cas, les répercussions sur la santé se font particulièrement sentir dans les populations présentant d’autres facteurs de risque, par exemple les enfants, les aînés et les personnes ayant des problèmes de santé. Chez les enfants, l’exposition à la pollution atmosphérique peut augmenter le risque de problèmes respiratoires et nuire au développement cognitif, par exemple en affaiblissant les facultés intellectuelles, la mémoire et les compétences comportementales (Heissel et al., 2019). Les données semblent également indiquer que certains polluants atmosphériques (comme le carbone noir et les particules) peuvent nuire au développement prénatal, ce qui augmente les risques d’autisme, de retard du développement, de quotient intellectuel faible, d’anxiété, de dépression, de TDAH et de cerveau de taille réduite (Bové et al., 2019; Payne-Sturges et al., 2018; The Lancet Neurology, 2019; Fu et al., 2018; de Prado Bert et al., 2018). Chez les personnes âgées, la pollution atmosphérique est associée à des problèmes respiratoires et à des risques accrus de démence, de maladie de Parkinson et de sclérose en plaques (Sunyer et al., 2015; Chen et al., 2017).
La figure 10.1 illustre bien qu’une large part de la population canadienne est régulièrement exposée à des niveaux nocifs de pollution atmosphérique (Santé Canada, 2017; 2019; CCME, 2017). Plus de 70 % des Canadiens vivent en zone urbaine, où les concentrations de polluants atmosphériques sont les plus élevées (StatCan, 2019; Landrigan et al., 2017). Près d’un tiers des Canadiens vivent à moins de 100 mètres d’une grande artère et à moins de 500 mètres d’une autoroute; plus de 10 % des écoles primaires et plus de 35 % des établissements de soins de longue durée sont à moins de 50 mètres d’une grande artère ou d’une autoroute (Brauer et al., 2013). De plus, bon nombre de Canadiens sont exposés à la pollution transfrontalière provenant des États-Unis, particulièrement les habitants du Québec et de l’Ontario (ECCC, 2017).
Les frais médicaux associés à la pollution atmosphérique sont élevés. Selon une estimation de l’Institut international du développement durable (2017), les coûts associés aux particules fines et à l’ozone troposphérique au Canada totalisaient entre 26 et 48 milliards de dollars en 2015. Une analyse approfondie de Santé Canada (2019) révèle que la pollution atmosphérique provoque chaque année environ 14 600 décès prématurés, ce qui représente un coût de 114 milliards de dollars, soit 7 % du PIB canadien.1
La réduction des risques de santé découlant de la pollution atmosphérique au Canada est étroitement liée aux mesures prises pour contrer les changements climatiques. En fait, pour améliorer la qualité de l’air dans les années à venir, l’une des possibilités les plus intéressantes serait de profiter des avantages connexes des politiques visant principalement la réduction des GES. Les politiques d’atténuation touchant le transport, la production d’électricité à partir du charbon, les bâtiments et l’extraction pétrolière et gazière peuvent aussi réduire considérablement la pollution atmosphérique. Le tableau 10.1 montre les recoupements entre les sources d’émissions de GES et celles de polluants atmosphériques.
Les gouvernements canadiens ont déjà fait des progrès en adoptant des politiques encadrant à la fois la pollution atmosphérique et les émissions de GES. L’élimination progressive de l’électricité produite à partir du charbon en Ontario a par exemple réduit les émissions de SO2 du secteur de l’électricité de la province de 99,7 %, et celles de NOX, de 86 % (Ont., 2019). Par conséquent, la province est passée de 53 jours de smog en 2005 à zéro en 2014.2 Cette mesure a aussi permis de réduire les émissions de GES du secteur de l’électricité de 87 %. On compte quelques autres politiques notables portant sur la pollution atmosphérique ou le climat, dont des normes d’efficacité pour les véhicules et la machinerie lourde et le remplacement des combustibles fossiles par des sources d’énergie renouvelables (ECCC, 2016; 2018).
Il n’en demeure pas moins qu’il est possible d’en faire davantage pour purifier l’air et réduire les GES. Il est à noter que les émissions de particules ont augmenté au Canada entre 2005 et 2017, surtout à cause d’une augmentation des émissions de poussières (hausse de 44 %) et des émissions générées par le secteur minier et le secteur gazier et pétrolier (hausse de 30 % et de 29 %, respectivement). Le lien entre politiques climatiques et pollution atmosphérique est ici d’une grande importance : les particules sont parmi les polluants atmosphériques les plus nocifs pour la santé humaine, et le charbon noir, un polluant climatique de courte durée de vie, est l’un des principaux composants des particules fines.3
Les mesures qui réduisent les niveaux de particules peuvent entraîner d’importants avantages en ce qui a trait au climat et à la qualité de l’air, particulièrement dans les régions urbaines où l’exposition est particulièrement élevée. Les véhicules utilitaires lourds comptent par exemple pour 15 % du parc automobile canadien, mais produisent 42 % des émissions de dioxyde de carbone et 52 % des émissions de particules du secteur (Kodjak, 2015). Les politiques qui favorisent un rendement du carburant accru ou l’adoption de véhicules électriques ou de véhicules à pile à combustible hydrogène pourraient considérablement améliorer la qualité de l’air, tout en réduisant les émissions de GES.4
Cependant, la réduction des GES ne permet pas toujours d’améliorer la qualité de l’air. Les politiques climatiques favorisant la combustion de biomasse, par exemple, peuvent augmenter les émissions de particules. À l’inverse, les technologies qui éliminent les polluants atmosphériques du secteur industriel augmentent parfois la consommation d’énergie et de ce fait les émissions de GES. Il sera donc important de tenir compte de l’incidence des politiques de GES sur les polluants atmosphériques pour profiter pleinement des effets bénéfiques pour la santé de la transition vers 2050 (Koornneef et al., 2011).
Le Canada possède de bonnes données sur la qualité de l’air ambiant, mais les gouvernements peuvent améliorer le suivi des tendances en matière de pollution atmosphérique et de ses effets sur la santé humaine. Les données du Réseau national de surveillance de la pollution atmosphérique (Réseau NSPA) d’Environnement et Changement climatique Canada (utilisées à la figure 10.1) ne sont par exemple disponibles que pour 2017 et 2018 (ECCC, 2018a). Idéalement, ECCC rendrait publiques les données antérieures à 2017 tout en continuant de publier les données pour 2019 et les années suivantes, ce qui permettrait de dégager les tendances, ainsi que les régions où la qualité de l’air représente un risque important pour la santé. Il serait aussi utile de rendre la plateforme du Réseau NSPA plus accessible et conviviale, car il est actuellement difficile de trouver et de rassembler les données.
De plus, l’ajout de stations de surveillance donnerait une idée plus précise des tendances et des risques pour la santé à l’échelle locale. Le Réseau NSPA manque de données pour plusieurs grandes villes (ex. : émissions de NO2 et de SO2 à Montréal, Québec et Winnipeg) et pour les collectivités autochtones.
Mais la plus grande lacune est peut-être l’impossibilité de retracer les sources locales de pollution atmosphérique au Canada. ECCC publie des données exhaustives sur les sources de pollution atmosphérique dans son Inventaire national des rejets de polluants, mais cet ensemble de données ne couvre que les grandes sources d’émissions industrielles (fixes). Il ne comprend pas la pollution atmosphérique générée par les bâtiments commerciaux et résidentiels, la construction et les sources mobiles comme le transport, l’équipement mobile et les feux incontrôlés.5 D’autres ensembles de données d’ECCC présentent les émissions pour chacun de ces secteurs, mais ces données sont regroupées à l’échelle nationale et ne sont donc pas d’une grande utilité pour examiner les tendances locales. Les bases de données provinciales (lorsqu’elles existent) manquent aussi d’information sur les sources de pollution locales.
En l’absence de données de qualité sur les sources locales d’émissions, il est très difficile d’établir les causes de la pollution atmosphérique pour une collectivité donnée. Nous ne pouvons ainsi pas expliquer avec certitude pourquoi les niveaux de NOX sont deux fois plus élevés à Vancouver qu’ailleurs, ou pourquoi Hamilton est aux prises avec des concentrations extrêmement élevées d’émissions de SO2. De meilleures données locales permettraient aux décideurs et aux chercheurs de repérer les sources de pollution atmosphérique locales et d’accorder la priorité aux politiques qui s’attaquent à ces sources. De telles données permettraient aussi de déterminer quelles politiques offrent les meilleurs avantages pour le climat et la qualité de l’air.
Les gouvernements fédéral et provinciaux et les collectivités locales devraient avoir pour objectif ultime la modélisation de nouveaux bassins atmosphériques. Cette technique combine les données sur la qualité de l’air ambiant, les sources de polluants et les situations météorologiques pour mieux comprendre les interactions et les trajectoires des polluants dans l’atmosphère et les effets de la pollution de l’air ambiant sur la santé humaine. Les modèles créés permettent par exemple aux chercheurs d’estimer les taux de mortalité et de morbidité liés à la pollution atmosphérique dans chaque collectivité. On peut ensuite superposer ces résultats à d’autres données socioéconomiques pour observer les effets de la pollution atmosphérique sur les populations à risque (indicateur 9). Puisque la modélisation de bassins atmosphériques nécessite une forte puissance de calcul (et coûte cher), les gouvernements pourraient procéder à ce type d’analyses tous les cinq ou dix ans afin de repérer les constantes et les tendances.