Récemment, la production d’électricité propre a vraiment surpassé les attentes. On a assisté à des expansions record de l’utilisation des énergies renouvelables à travers le monde, éclipsant les prédictions des spécialistes. Les investissements mondiaux dans l’énergie solaire, par exemple, vont bientôt dépasser les investissements totaux de la production de pétrole, pour la première fois de l’histoire.
Ici, au Canada, la production d’énergies renouvelables monte en flèche à des endroits comme l’Alberta, où elle a été encouragée à la fois par la réglementation gouvernementale et les forces du marché, ce qui a aidé à éliminer la dépendance au charbon cette année et à stimuler du coup d’énormes investissements dans des projets d’envergure gigawatt. La pause de l’Alberta sur les énergies renouvelables est en décalage avec ces progrès remarquables. Il s’agit d’une pause sur des milliards de dollars d’investissements et d’emplois qui en découlent.
Malgré ce récent revers, l’une des plus importantes politiques sur l’électricité propre devrait bientôt arriver : le règlement sur l’électricité propre (REP) du gouvernement fédéral, qui veut favoriser la carboneutralité des émissions d’électricité canadiennes. Le but est de jeter les bases d’une économie carboneutre d’ici le milieu du siècle avec un pilier réglementaire intelligent et efficace, qui établit une norme applicable dans le secteur de l’électricité pour rendre le réseau carboneutre. Le règlement serait complément des autres mesures de réduction des émissions : crédits d’impôt incitatifs, bourses et autres outils d’investissement pour l’électricité propre (voir ici une analyse détaillée par province) ainsi que différentes politiques, notamment pour les véhicules zéro émission et la tarification du carbone.
Comme nous l’avons déjà dit, l’électricité propre est essentielle aux futurs investissements des entreprises et emplois au pays; elle est cœur de toute trajectoire réaliste vers les cibles nationales d’émissions. Un récent sondage a également montré que la population canadienne considère ce règlement comme un élément important de la transition vers un réseau électrique carboneutre d’ici 2035.
Bien menée, la volte-face vers l’électricité propre permettra aux Canadiens d’économiser. Selon notre analyse, les Canadiens dépenseront en moyenne 12 % de moins en énergie d’ici 2050 en remplaçant les combustibles fossiles par de l’électricité propre dans leurs habitations, leurs véhicules et leurs entreprises.
En attendant l’officialisation du règlement, nous avons relevé cinq éléments à surveiller qui pourraient influencer la capacité de réduire les émissions de façon rentable dans le secteur de l’électricité.
1. Comment seront traitées les installations alimentées au gaz construites après 2025 selon le règlement? Devront-elles être soumises à la norme de rendement en 2035 ou plus tôt?
Selon la version préliminaire du cadre proposé l’année dernière, la norme de rendement des émissions sera établie à près de zéro à partir de 2035 (probablement des tonnes d’équivalent CO₂ par gigawattheure d’électricité générée). Une centrale qui dépasserait ce niveau d’émissions devrait suspendre ses opérations pendant une période « prescrite », dont la durée reste à déterminer. Cette même centrale devrait payer le prix du carbone émis ou acheter des crédits carbone pour les émissions résiduelles permises selon la politique.
Pour les centrales mises en service en 2025 ou après, le gouvernement fédéral a signalé qu’elles seront soumises au règlement seulement à partir de 2035. L’intention exprimée dans la norme proposée est que cela découragerait la mise en œuvre de projets à fortes émissions dans cet intervalle en raison de la nécessité pour ces unités de « résoudre les implications financières de l’obligation de se conformer aux obligations du REP, même lors du développement initial du projet. »
Le problème, c’est que d’attendre à 2035 pour mettre ces règlements en vigueur pour ces types de projets, au lieu de les appliquer plus tôt par phases ou autrement, risque d’augmenter les émissions d’ici 2035.
2. Pour combien de temps la durée de vie « prescrite » des installations au gaz actuelles sera-t-elle prolongée? Qu’est-ce que cela signifie pour les différentes provinces qui continueront d’exploiter ces installations après 2035?
Dans la version préliminaire du cadre, on note que les installations au gaz naturel construites avant 2025 auront un traitement spécial selon la réglementation, qui leur permettra de continuer leurs opérations pour une courte période « prescrite » après 2035. La durée n’est pas précisée.
Il va sans dire que la durée de vie exacte prescrite pour chaque installation est grandement importante. Cette information déterminera à la fois l’ampleur des émissions résiduelles après 2035 et la durée de leur prolongation, et par le fait même, la quantité d’émissions à compenser pour demeurer carboneutre. Elle déterminera également pendant combien de temps, et jusqu’à quel point, chaque province dépendra de la production d’une certaine quantité de gaz naturel après 2035.
3. Quelles seront les règles applicables à la poursuite de l’exploitation des installations au gaz (au-delà de leur durée de vie prescrite) pour équilibrer les énergies renouvelables?
Le règlement fédéral proposé reconnaît que « l’utilisation continue du gaz naturel peut être nécessaire, surtout en cas d’urgence et dans certaines circonstances pour compléter les énergies éolienne et solaire variables, mais cette utilisation devrait diminuer au fil du temps avec l’évolution des technologies. »
Les installations qui aident à équilibrer les énergies renouvelables seront soumises à au moins deux limites, encore à préciser : l’une voulant qu’elles émettent « moins de [valeur à déterminer] kilotonnes par an » et l’autre voulant qu’elles fonctionnent « moins de [valeur à déterminer] heures par an ».
Des questions se posent alors : quelles sont les limites d’heures d’exploitation permises et d’émissions totales annuelles? Comment seront gérées ces émissions? Est-ce que les exploitants seront soumis à des paiements de conformité en cas de non-respect?
Encore une fois, ces dispositions serviront à déterminer la quantité d’émissions résiduelles permises par année après 2035. Elles sont également liées au prochain élément à surveiller.
4. Comment les émissions après 2035 seront-elles gérées en vertu du règlement et autrement?
Il est fort probable que le secteur de l’électricité au Canada continue de produire une certaine quantité d’émissions de gaz à effet de serre après 2035, même avec l’entrée en vigueur du règlement. Il faut plutôt se demander quelle quantité sera produite exactement, et quoi faire pour la gérer.
Actuellement, la solution des paiements et celle des crédits carbone sont toutes deux envisagées pour gérer les émissions qui continueront d’être produites après 2035. Permettre les deux signifierait qu’une certaine partie des entités réglementées choisiront la conformité par compensation financière et, par conséquent, créeront des émissions résiduelles.
Les recettes issues du paiement des pénalités de conformité par les services publics concernés seront-elles redistribuées aux contribuables ou utilisées par les gouvernements pour générer des émissions négatives compensatrices permettant d’atteindre la carboneutralité? Si ces fonds ne servent pas à l’atteinte de la carboneutralité, le gouvernement fédéral utilisera-t-il des classes de financement distinctes ou d’autres moyens d’obtenir ces compensations pour tenir sa promesse? De quelle façon le gouvernement pourra-t-il garantir que les compensations sont d’assez bonne qualité pour arriver à des émissions réellement carboneutres?
5. Quelles mesures seront prises en dehors de la portée du règlement?
L’une des questions les plus importantes en dehors de la portée du règlement, c’est de savoir si le gouvernement fédéral complémentera celui-ci en abandonnant l’approche actuelle consistant à appliquer le système de tarification du carbone industriel au secteur de l’électricité – connu sous le nom de système de tarification fondé sur le rendement – et en appliquant plutôt le prix total du carbone au secteur.
Il existe de bonnes raisons d’utiliser un système de tarification du carbone fondé sur le rendement, mais la plupart d’entre elles ne s’appliquent pas à l’électricité, de sorte que ce changement stratégique serait judicieux. Il permettrait de réaliser des réductions rentables et complémenterait le règlement. Le gouvernement pourrait alors utiliser les recettes issues du prix total du carbone payé par les services publics et les redistribuer aux contribuables pour maintenir des coûts à la baisse.
Déverrouiller un avenir d’électricité propre, fiable et abordable
Dans le budget fédéral sont prévus des dizaines de milliards de dollars en nouveau soutien qui accélérera considérablement les tendances pour la construction de réseaux plus grands, plus propres et plus intelligents dans les provinces et les territoires de tout le pays. Et comme le montrent nos recherches, la transition vers l’électricité propre peut aider à alimenter en électricité propre, fiable et abordable les ménages canadiens, qui payeront l’énergie moins cher qu’aujourd’hui.
Le règlement est une pièce importante de l’engrenage vers cet avenir pour le Canada. Le cadre réglementaire devra viser un équilibre entre la nécessité d’une électricité propre et la nécessité d’un approvisionnement fiable et abordable. Il faudra faire des compromis; il sera donc essentiel de surveiller la quantité d’émissions résiduelles autorisée par le règlement au nom de la flexibilité et, par extension, l’ampleur des compensations nécessaires pour que le secteur devienne véritablement carboneutre.