Partenariats autochtones : la clé pour honorer les engagements climatiques du Canada?

Les contributions autochtones aux projets d’énergie propre joueront un rôle central dans la transition vers une économie sobre en carbone.

Cet essai a été réalisé dans l’optique d’alimenter la recherche et les recommandations de notre rapport Ça passe ou ça casse: Transformer l’économie canadienne pour un monde sobre en carbone, dans le cadre de notre série Perspectives Autochtones présentant des initiatives menée par des Autochtones pour lutter contre et répondre aux conséquences des changements climatiques.

Je me présente : Anishnaabe Kwe de la Première Nation de Nipissing et ingénieure électricienne devenue PDG d’un conseil d’entreprises. Si je me suis inscrite en génie électrique, c’est que je voulais soutenir la participation à part entière des communautés autochtones au secteur énergétique. Bien que ma carrière ait changé dans les dernières années, mon objectif premier demeure d’encourager une telle participation chez les communautés et les entreprises autochtones, pour qui je crois toujours fermement que la transformation énergétique à venir représente une occasion d’affaires.

Avant de me joindre au Conseil canadien pour l’entreprise autochtone (CCEA), j’ai dirigé de 2014 à 2018 l’équipe responsable des relations avec les Premières Nations et les Métis au sein de la Société indépendante d’exploitation du réseau d’électricité de l’Ontario. Pendant ces quatre années, nous avons travaillé à définir les conditions qui assureraient aux Premières Nations et aux Métis de la province un rôle actif dans le secteur énergétique. Une grande partie de ce travail reposait sur l’approvisionnement des projets d’énergie renouvelable; nous avons modifié les politiques et les programmes pour garantir l’accessibilité de cet approvisionnement aux communautés autochtones ainsi que l’équité du processus. Le nombre de communautés intéressées à devenir promoteurs ou partenaires augmentait à chaque mouture, si bien qu’à la fin, c’est près de la moitié des Premières Nations et des Métis de l’Ontario qui contribuait à un projet d’approvisionnement renouvelable.

Les résultats de notre travail étaient fort prometteurs, mais la situation était et est encore loin d’être idéale. Plusieurs communautés qui avaient des idées de partenariats ou de projets n’ont pu les concrétiser, en raison d’une capacité de transport limité, d’un manque de compréhension de leurs collaborateurs sur les facteurs de réussite d’un partenariat ou même de restrictions imposées par la Loi sur les Indiens, qui limite l’autorité des Premières Nations sur leur propre territoire. Je suis convaincue que, si nous avions eu conscience et tenu compte dès le départ de tous les défis qui se poseraient et que nous avions su mieux habiliter les communautés à saisir les occasions d’approvisionnement, elles seraient beaucoup plus nombreuses à contribuer aujourd’hui à l’alimentation du réseau et à en tirer des revenus. Pour être en mesure d’accélérer la transition vers l’énergie propre d’une façon qui soutient et renforce les communautés et les entreprises autochtones, il faut que les leaders communautaires, les autorités de réglementation, les promoteurs et les décideurs de toutes les provinces et de tous les territoires prennent connaissance des obstacles rencontrés par les communautés et de leur point de vue.

Il y aura encore beaucoup d’occasions pour les peuples autochtones de participer aux projets énergétiques et pour les sociétés d’énergie d’encourager la croissance de l’économie autochtone, en Ontario et dans le reste du pays. Simplement dit, si les promoteurs, les décideurs et les partenaires potentiels ne tendent pas la main aux communautés autochtones ni ne prévoient de politiques pour faciliter leur accès à la propriété, le secteur de l’énergie propre ne pourra pas progresser.

Avec le CCEA, nous voyons bien que les occasions dans ce secteur se multiplient. Les communautés autochtones du pays tout entier bâtissent des partenariats ou des projets dans le secteur de l’énergie propre. L’économie autochtone connaît d’ailleurs une croissance rapide; le Canada compte aujourd’hui plus de 60 000 entreprises autochtones, dont plus de 35 % offrant des services de construction ou de production ou des services professionnels, scientifiques ou techniques – autant de domaines qui participent actuellement au secteur de l’énergie.

Les communautés autochtones du pays tout entier bâtissent des partenariats ou des projets dans le secteur de l’énergie propre

Notamment, les études du CCEA révèlent que les peuples autochtones du Canada créent neuf fois plus d’entreprises que leurs pairs non autochtones, et que les entrepreneurs autochtones reconnaissent de plus en plus l’importance de l’innovation (Conseil canadien pour l’entreprise autochtone, 2019). En 2016, plus de 60 % d’entre eux (63 % précisément) ont mis à jour leur offre de produits et services ou leurs processus, une hausse considérable par rapport aux 49 % de 2010 (Conseil canadien pour l’entreprise autochtone, 2016). En outre, plus d’une dizaine de fournisseurs d’énergie du pays se sont inscrits au programme Relations progressistes avec les Autochtones du CCEA, s’engageant ainsi à employer des Autochtones, à les approvisionner et à les soutenir, et à établir des relations avec eux.

On observe actuellement une croissance de l’intérêt, de la motivation et des entreprises; c’est là une occasion en or de faire participer de manière concrète les communautés et les entreprises autochtones au secteur de l’énergie du Canada et à la transition vers une économie propre. Si plusieurs partenariats sont le résultat de politiques provinciales, il ne faut pas oublier ceux qui sont nés de réparations amorcées par des entreprises, par exemple la centrale électrique Peter Sutherland et les organisations comme NRStor, qui favorise l’établissement de relations solides avec les Six Nations de la rivière Grand dans le projet de stockage Oneida.

Centrale électrique Peter Sutherland

En mars 2017, Ontario Power Generation (OPG) et son partenaire Coral Rapids Power, une filiale en propriété exclusive de la Nation Taykwa Tagamou, ont ouvert la centrale électrique Peter Sutherland Sr. Ce projet est le résultat d’un règlement des griefs entre les deux parties quant à d’autres projets hydroélectriques réalisés par OPG sur le territoire traditionnel de la Nation. Source fiable d’électricité propre, la centrale est située sur le ruisseau New Post, à environ 75 km au nord de Smooth Rock Falls, toujours sur le territoire traditionnel de la Nation Taykwa Tagamou, qui détient 35 % des parts de la centrale. Nommée en l’honneur d’un aîné respecté de la Nation décédé en 1998, cette centrale compte deux blocs d’alimentation produisant 28 mégawatts d’électricité renouvelable à faible coût (assez pour alimenter 28 000 maisons). Ce partenariat a donné lieu à des contrats de plus de 50 millions de dollars pour les entreprises de la Nation et a mis à contribution environ 50 membres de la communauté.

Société en commandite simple Oneida Energy Storage

La société en commandite simple Oneida Energy Storage est un partenariat de NRStor Inc. et de la Société de développement des Six Nations de la rivière Grand. Elle constitue un exemple concret de partenariat d’énergie renouvelable autochtone ayant un grand potentiel de contribution à l’évolution énergétique du Canada. La Société de développement des Six Nations de la rivière Grand n’en est pas à son premier projet d’énergie renouvelable, et ce partenariat en parts égales illustre bien les avantages de renforcer les capacités des communautés. Avec l’aide de la Banque de l’infrastructure du Canada, Oneida Energy Storage et une équipe de leaders de l’industrie travaillent à réaliser une analyse de projet en vue de créer la plus grande installation de stockage d’énergie au Canada. Ce projet offrirait une source fiable d’électricité propre au réseau de l’Ontario, emmagasinant l’énergie renouvelable pendant les périodes de faible demande et la redistribuant pendant les périodes de pointe. De plus, Oneida Energy Storage compte créer pour les membres des Six Nations des postes de stagiaires qui pourraient déboucher sur des occasions de formation et d’emploi.

Programmes d’approvisionnement en énergie renouvelable de l’Ontario

De 2009 à 2018, l’Ontario s’est alimenté en énergie renouvelable grâce à deux programmes principaux : le Programme de tarifs de rachat garantis et le Programme d’approvisionnement de grands projets d’énergie renouvelable.

Lancé en 2009, le Programme de tarifs de rachat garantis a connu cinq versions. Il s’agissait d’un programme d’offre standard dont les tarifs variaient selon le type de combustible. Chaque nouvelle version visait à réduire les coûts pour les contribuables et à ajuster les dispositions en fonction des commentaires reçus et des leçons tirées pour mieux atteindre les objectifs stratégiques. Au début du programme, le gouvernement souhaitait assurer la participation active des communautés autochtones au secteur énergétique de l’Ontario. Au lancement de la cinquième version, cette priorité était appuyée par les mesures suivantes :

  • Les garanties de paiement requises à plusieurs étapes du processus ont été revues à la baisse pour les projets dirigés par des communautés autochtones afin de tenir compte des obstacles au financement rencontrés, surtout dans les secteurs fortement réglementés et dans lesquels il est dispendieux de se lancer.
  • En plus des prix normaux du Programme de tarifs de rachat garantis, les projets autochtones avaient droit à une réduction du prix par kilowattheure proportionnelle aux parts de propriété détenues par la communauté.
  • Dans chaque contrat d’approvisionnement, une quantité prédéterminée de mégawatts était mise de côté pour les projets détenus à plus de 50 % par une communauté autochtone.
  • Des points de priorité étaient accordés aux projets ayant reçu une résolution d’appui d’une communauté autochtone locale ou agissant comme hôte.
  • Les projets réalisés sur le territoire d’une Première Nation bénéficiaient d’un sursis après la date butoir en raison de l’incapacité pour les Premières Nations de louer des terres à un promoteur sans l’approbation du gouvernement fédéral.

Créé en 2013, le Programme d’approvisionnement de grands projets d’énergie renouvelable visait à offrir un processus d’approvisionnement compétitif pour les projets d’une capacité supérieure à 500 kilowatts. Il a repris de nombreuses dispositions du Programme de tarifs de rachat garantis. Il prévoit aussi l’obligation de consulter les communautés locales et donne priorité aux promoteurs qui dépassent toutes les exigences en ce sens, par exemple en présentant une résolution d’appui du conseil de bande ou une preuve de participation autochtone au capital-actions.

  • Après la première série d’évaluations, 16 contrats ont été octroyés, pour un total de 454 mégawatts. Des 16 projets retenus, 13 comptaient une Première Nation parmi leurs partenaires, dont 5 où celle-ci possédait plus de 50 % des parts.
  • Au total, 15 communautés autochtones différentes ont participé aux projets menés à bien dans le cadre du Programme d’approvisionnement de grands projets d’énergie renouvelable. De plus, deux des projets reposaient sur un partenariat conjoint de six Premières Nations vivant en région éloignée qui dépendaient du diesel pour survivre et avaient prévu d’utiliser les recettes pour construire des systèmes d’énergie propre dans leurs collectivités.

Pour une première version du Programme, ces résultats sont excellents. Cependant, ce succès est largement dû aux progrès accomplis grâce aux différentes versions du Programme de tarifs de rachat garantis. Une énorme partie du chemin parcouru est aussi attribuable à d’autres programmes provinciaux habilitant les communautés autochtones à renforcer leurs capacités en couvrant les coûts liés aux partenariats et à l’élaboration des projets. Ces programmes de financement visaient à permettre aux communautés autochtones de poursuivre les objectifs suivants :

  • Établir des plans énergétiques communautaires en évaluant les options et en consultant leurs membres.
  • Amortir les coûts relatifs aux exigences juridiques et financières pour établir un partenariat.
  • Encourager un membre de la communauté à se spécialiser dans les projets et les partenariats énergétiques.
  • Appuyer la consultation et la préparation des communautés en vue de projets d’énergie renouvelable futurs ou potentiels.

Malheureusement, le nouveau gouvernement provincial a annulé plusieurs des grands projets d’énergie renouvelable de ce programme d’approvisionnement. Néanmoins, il existe encore en Ontario et ailleurs au pays plusieurs occasions de partenariat dans les domaines du transport, du stockage d’énergie et de l’innovation technologique. Si je devais repenser ces programmes aujourd’hui, je ferais trois recommandations pour favoriser des partenariats autochtones fructueux.

1. Prévoir plus de temps dans le processus

Il ne suffit pas d’encourager les promoteurs et les communautés à devenir partenaires. Il faut du temps pour que les relations se renforcent et que les communautés puissent discuter des répercussions des projets avec leurs membres; ce temps doit être prévu dans le processus. Un partenariat fécond requiert la création de liens de confiance et de relations solides, ce qui ne se fait pas en un clin d’œil.

Je viens d’une collectivité très bien établie qui a connu une croissance économique substantielle : c’est que nous avons pris la décision, après de nombreuses consultations communautaires, d’utiliser les fonds transférés en fiducie pour investir dans l’énergie renouvelable. Ces consultations ont eu lieu en présentiel (dans la réserve et ailleurs) et en ligne. Le feu vert n’a été donné qu’une fois tous les votes ratifiés par les membres. La décision de sélectionner un partenaire a aussi requis bon nombre de consultations communautaires en personne. Le projet a exigé un investissement de temps et d’argent considérable pour le personnel et les élus de la collectivité, qui doivent s’occuper non seulement du développement énergétique et économique, mais aussi souvent de la santé mentale, de l’éducation, du logement et des services aux aînés.

Comme mentionné plus haut, le Programme d’approvisionnement de grands projets d’énergie renouvelable de l’Ontario exigeait la consultation des communautés locales. Après approbation suivant la demande de prix, une liste de promoteurs qualifiés était publiée pour que les communautés puissent constater par elles-mêmes la viabilité des partenariats potentiels. Cependant, du temps où je travaillais pour la Société indépendante d’exploitation du réseau d’électricité, plusieurs communautés déploraient que, malgré un processus de demande de propositions s’étendant sur six à huit mois, on ait attendu les quatre dernières semaines pour leur darder une demande de partenariat.

2. Renforcer les capacités et préparer les communautés autochtones au rôle de partenaire

Beaucoup de communautés se disent mal outillées pour répondre aux demandes de partenariat dans les délais impartis par les promoteurs, et bien qu’on puisse continuer de répéter qu’il faut du temps pour bâtir des relations fructueuses, il est très difficile d’imposer quoi que ce soit. À la lumière de ces faits, que peut-on faire pour mieux préparer les communautés? Il faut assurer leur implication précoce dans la planification énergétique et infrastructurelle ainsi que dans les projets proposés, pour qu’elles disposent des mêmes informations que les promoteurs potentiels, ou mieux, qu’elles assument elles-mêmes le rôle de promoteur.

Les peuples autochtones sont un exemple pour la protection de l’environnement depuis un temps immémorial. L’interconnectivité qui existe entre leurs communautés, leurs cultures et leurs façons de vivre en harmonie avec la nature se reflète dans la loi et sert d’assise aux droits et aux responsabilités autochtones. Les valeurs environnementales de ces peuples, leur considération des conséquences sur les droits relatifs à l’eau et issus de traités et leur respect des lois de la nature les distinguent radicalement de la plupart des autres partenaires potentiels. Et bien qu’on en parle souvent, les promoteurs ne semblent pas saisir toute la portée de cette distinction. Les organisations non autochtones considèrent-elles jamais les effets qu’aura un projet ou une décision dans sept générations, c’est-à-dire sur la génération née en 2215? Il faut prendre le temps d’examiner et d’évaluer toutes ces répercussions, et le processus décisionnel est d’autant plus difficile avec les nouvelles technologies dont les effets à long terme sont méconnus, comme les technologies d’élimination des déchets nucléaires. En habilitant les communautés à étudier ces effets, nous les aiderons à prendre de meilleures décisions pour l’avenir dans la concrétisation des projets.

En outre, les communautés autochtones ne disposent pas du soutien nécessaire pour contribuer et participer aux conversations préalables au lancement de projets d’investissement. Elles auraient notamment besoin de financement pour embaucher un spécialiste de l’énergie à temps plein, pour couvrir les frais juridiques et financiers relatifs à l’évaluation des modèles de financement et de propriété et pour établir des plans de mobilisation ou une structure de gouvernance communautaires.

3. Ne pas avoir peur de poser des questions

Je sais que certains ont parfois peur de se mettre les pieds dans les plats, surtout lorsqu’il est question de communautés ou d’enjeux autochtones, mais cette peur ne sert qu’à mettre un frein aux conversations, à l’apprentissage collectif et à la progression du pays. Il est plus important que jamais de maintenir le dialogue.

Enfin, dernier point important : les peuples autochtones ne sont pas unidimensionnels. Nous ne sommes pas que des protestataires, que des écologistes; nous sommes des artistes, des ingénieurs, des médecins, des avocats. Nous étions déjà des entrepreneurs et des gens d’affaires avant la Confédération, échangeant et négociant, transportant des produits d’une nation à l’autre, et nous continuerons de l’être sans jamais oublier les besoins et le bien-être des sept prochaines générations.

Chi Miigwetch

Tabatha Bull est une Anishnaabe Kwe de la Première Nation de Nipissing. Présidente et PDG du Conseil canadien pour l’entreprise autochtone, elle œuvre à rebâtir et à renforcer les relations qui mèneront à la réconciliation ainsi qu’à assurer la prospérité de l’économie autochtone pour le bien du pays tout entier. Ingénieure électricienne, elle éclaire le secteur de l’énergie du Canada, siégeant au conseil d’administration de la Société indépendante d’exploitation du réseau d’électricité de l’Ontario, au Conseil consultatif Énergie positive, au conseil consultatif de MaRS Energy et au programme de politiques énergétiques de l’Institut C.D. Howe.