1. L’objectif de carboneutralité du Canada et la voie à suivre
Le Canada s’est engagé à réduire ses émissions de gaz à effet de serre pour atteindre la carboneutralité d’ici 2050. Pour appuyer les efforts en ce sens et garder le cap, le gouvernement fédéral a entériné cet objectif, créé un mécanisme de définition des jalons quinquennaux et établi un cadre de gouvernance.
Plus tôt cette année, l’Institut climatique du Canada a publié son premier rapport complet sur les implications concrètes de cet objectif, Vers un Canada carboneutre : s’inscrire dans la transition globale. Dans ce rapport, on simule plus de 60 scénarios pour l’avenir énergétique du Canada afin de déterminer si l’objectif est atteignable, selon l’utilisation de diverses combinaisons de solutions « valeurs sûres » et « paris risqués ».
Le plus important à retenir de ce premier rapport est que l’objectif de carboneutralité du Canada est atteignable et que, pour y arriver, il faut rapidement et massivement renforcer la production d’électricité propre et étendre l’électrification.
Cependant, l’infrastructure électrique actuelle du Canada, vieillissante, ne s’inscrit tout simplement pas dans l’objectif de carboneutralité. Plus particulièrement, les sources d’énergie renouvelable intermittentes, comme le solaire et l’éolien, essentielles à l’atteinte de l’objectif, posent un problème pour les réseaux électriques qui ne sont pas prêts à les intégrer. De plus, le cadre de gouvernance réglementaire, qui régit les réseaux provinciaux, est rigide et diverge souvent de l’objectif de carboneutralité, posant des barrières majeures à l’innovation. Le rôle des réseaux électriques dans l’atteinte de l’objectif est bien trop important pour qu’on puisse se permettre le statu quo une minute de plus – ce que le nouveau gouvernement fédéral a d’ailleurs reconnu dans ses récents engagements à soutenir le développement de réseaux plus propres.
Heureusement, le Canada n’est pas seul dans cette transition énergétique. Pour appuyer la décarbonisation, de nombreux pays mettent à niveau leurs infrastructures et réseaux électriques. L’Allemagne, par exemple, est une figure de proue depuis plus de vingt ans avec son engagement national à produire l’électricité à partir de sources renouvelables; la part provenant de ces sources étant passée de moins de 5 % à plus de 40 % depuis le début du siècle. Alors qu’elle continue de se fixer des objectifs encore plus ambitieux, notamment l’abandon progressif de toutes ses centrales au charbon (qui comblent toujours le quart de ses besoins énergétiques) et la carboneutralité dans toute l’économie du pays d’ici 2045, l’Allemagne possède désormais une vision et une expertise précieuses dont le Canada peut s’inspirer pour atteindre son propre objectif de carboneutralité.
2. Le leadership de l’Allemagne dans la transition énergétique mondiale
Depuis 2002, l’Allemagne se positionne comme leader en énergies renouvelables et en lutte contre les changements climatiques grâce à un éventail de mécanismes d’intervention fédéraux et étatiques regroupés sous la bannière die Energiewende (« la transition énergétique »). Au fil des ans, dans son rôle de pionnière, l’Allemagne a notamment été la première à déployer le solaire à l’échelle industrielle, innové en matière d’efficacité énergétique, conçu des solutions écologiques tant pour les maisons que pour l’industrie lourde, et mené des négociations politiques pour élargir ses objectifs de transition à toute l’Union européenne.
À certains égards, le Canada se lance dans l’aventure de la carboneutralité avec une énorme avance sur l’Allemagne, qui dépendait fortement des centrales au charbon alors que l’infrastructure canadienne est déjà à plus de 80 % sans émission grâce à l’abondance d’hydroélectricité et d’énergie nucléaire. Mais le portrait global du Canada cache un fort contraste entre les provinces aux réseaux essentiellement hydroélectriques et nucléaires et celles recourant principalement aux combustibles fossiles (Shaffer, 2021). Cela dit, les deux pays ont des réseaux largement structurés autour de grandes centrales qui produisent une électricité prête à distribuer. Le Canada pourrait apprendre beaucoup sur la meilleure façon d’accélérer sa transition en observant l’Energiewende de l’Allemagne, qui affronte depuis plus de dix ans les difficultés liées au déploiement des capacités d’énergie renouvelable intermittente et à la révision en profondeur des cadres réglementaires, juridiques et financiers.
3. La NEW 4.0 et l’avenir des réseaux carboneutres
L’Allemagne entre dans la prochaine phase de l’Energiewende : atteindre 65 % d’énergie sans émission d’ici 2030, puis la carboneutralité à l’échelle nationale d’ici 2045 pour l’ensemble de la production et de la consommation d’énergie. Elle commence donc à s’attaquer aux problèmes techniques, logistiques et politiques les plus difficiles que pose la reconception de son réseau en vue d’une production intermittente et décentralisée et d’une grande capacité de stockage d’énergie. Dans cette optique, le ministère de l’Économie et de l’Énergie du gouvernement fédéral allemand a lancé en 2016 un programme de vitrine de l’énergie intelligente pour financer l’expérimentation de technologies numériques de nouvelle génération et ainsi contribuer à l’atteinte des objectifs de l’Energiewende. Un des projets financés était la Norddeutsche Energiewende 4.0 (« la transition énergétique du nord de l’Allemagne 4.0 », ou tout simplement « NEW 4.0 »).
La NEW 4.0 a été conçue par les autorités étatiques et locales du Schleswig-Holstein (État du nord de l’Allemagne) et de la ville libre de Hambourg pour mettre en valeur leur leadership dans la transition énergétique et créer des outils pour favoriser encore davantage l’utilisation de l’énergie renouvelable, non seulement dans l’État, mais aussi à l’échelle du pays. Le Schleswig-Holstein est le cœur de l’éolien en Allemagne, profitant des abondants vents côtiers et extracôtiers de la mer du Nord, en plus d’être un grand centre de fabrication d’éoliennes. Véritable porte-étendard d’une nation championne de l’énergie propre, le Schleswig-Holstein se tient en première ligne de la transition énergétique mondiale, ce qui en fait un modèle particulièrement fiable pour le Canada et sa quête de carboneutralité.
Les efforts de transition dans le nord de l’Allemagne se butent déjà à des obstacles que devrait également rencontrer le Canada. L’économie du Schleswig-Holstein est étroitement liée à celle de la grande ville industrielle et portuaire de Hambourg, immédiatement au sud, car il s’agit de sa principale consommatrice d’électricité. Cependant, les industries lourdes qui s’y trouvent et leurs émissions relativement importantes nécessitent plus que le simple ajout d’énergie éolienne au réseau. Par exemple, les exploitations industrielles de grande ampleur comme les fonderies d’aluminium et les usines d’acier ont besoin de l’approvisionnement fiable et sur demande des grandes centrales : transformer ces usines pour les rendre compatibles avec des technologies comme l’énergie éolienne intermittente et le stockage d’énergie exigerait qu’on repense toutes les facettes du marché énergétique et des procédés de production en question. Le réseau régional souffre déjà d’une congestion considérable dans les périodes de pointe de production d’énergie éolienne, congestion gérée sans grande efficacité par réacheminement et par bridage.
Le Canada peut s’attendre à rencontrer les mêmes problèmes d’intermittence, de congestion et de technologies désuètes et les mêmes barrières juridiques et réglementaires que le Schleswig-Holstein dans son accélération vers la carboneutralité. Le projet NEW 4.0 constitue une excellente étude de cas permettant aux autorités canadiennes d’anticiper et d’éviter les pièges évidents.
Le projet
Le projet NEW 4.0, réalisé de 2016 à 2020, est défini comme un « plan de transition énergétique » appliqué dans « une région modèle pour l’Energiewende ». Outre les objectifs techniques, le but était de démontrer qu’une région entière de l’Allemagne (soit l’État fédéré du Schleswig-Holstein et la ville libre voisine de Hambourg) serait en mesure de fonctionner à 100 % à partir d’énergies renouvelables dès 2035.
Au lancement du projet, en 2016, déjà plus de 60 % de la capacité du réseau régional provenait d’énergies renouvelables et le secteur de l’énergie propre employait plus de 18 000 travailleuses et travailleurs, plaçant le Schleswig-Holstein à l’avant-garde de la transition énergétique en Allemagne (et en Europe) : un modèle robuste pour poursuivre le développement du réseau. La région connaît également les coûts les plus élevés – sur près de 1,2 milliard d’euros de coûts à l’échelle nationale, environ le tiers est attribuable au Schleswig-Holstein et à Hambourg en raison d’inefficacités du réseau et du déséquilibre entre l’offre et la demande (des coûts gonflés par la dépendance plus marquée de la région à la production non acheminable).
La NEW 4.0 a réuni 60 partenaires des secteurs public et privé, y compris des exploitants de réseaux, des services publics, des organismes gouvernementaux locaux et régionaux, des entreprises technologiques (notamment Siemens Gamesa, Acciona, Nordex et Vattenfall) et d’importants producteurs d’acier, d’aluminium, de cuivre et de produits chimiques. Le financement total du projet pour cinq ans tournait autour de 80 millions d’euros, dont 45 millions provenaient du ministère de l’Économie et de l’Énergie fédéral allemand.
Le cadre conceptuel de la NEW 4.0 était inspiré du concept de « forum d’innovation », le nord de l’Allemagne servant de région modèle où mettre à l’essai des nouveautés : applications, modèles d’affaires, mécanismes de marché et technologies. Cet espace d’expérimentation contrôlé a accueilli simultanément environ 20 projets de démonstration avec, comme noyau, la « plateforme énergie » : un outil numérique de gestion de la tarification et de la charge sur le réseau régional basé sur une technologie de chaîne de blocs et utilisant la flexibilité de l’offre et de la demande pour stabiliser le réseau, générer des économies et améliorer l’efficacité tant pour les fournisseurs d’électricité que pour les consommateurs. La plateforme permet aux gros clients industriels, aux exploitants de technologies de stockage, aux fournisseurs de combustible à hydrogène, aux installations productrices de chaleur et aux petits producteurs d’électricité de négocier l’offre et la demande excédentaires sur un marché libre. Quiconque veut avancer vers la carboneutralité se doit d’élaborer des outils qui permettent ce type de gestion de la charge.
La NEW 4.0 a prouvé le concept de réseau propre : d’un point de vue technique, une économie fortement industrialisée peut très bien fonctionner entièrement avec de l’énergie renouvelable et d’autres technologies propres actuellement sur le marché.
Werner Beba, professeur en administration des affaires à l’Université des sciences appliquées de Hambourg (HAW Hamburg) et coordonnateur de projet pour la NEW 4.0, a résumé la visée première du projet comme suit : « Nous avons franchi la prochaine étape importante [vers une énergie à 100 % renouvelable] en mettant à l’essai une collaboration entre le secteur de l’électricité et ceux du chauffage et de l’industrie. Des plateformes de marché fonctionnelles ont été créées pour réduire la congestion sur le réseau, gérer intelligemment l’approvisionnement en énergie et exploiter les volumes d’électricité bridés. Nous avons utilisé de l’électricité verte en remplacement du gaz naturel, du charbon et du mazout pour le chauffage et les activités industrielles. Nous avons mis à l’essai l’utilisation d’hydrogène dans les secteurs de l’industrie, du chauffage et de la mobilité, contribuant ainsi à réduire encore davantage les émissions de gaz à effet de serre. Outre les innovations techniques, nous avons pu déterminer les facteurs clés pour assurer une vaste acceptation sociale. »
La NEW 4.0 a démontré qu’il était possible de fournir de l’électricité, comme l’explique le rapport abrégé sur le projet, « sur demande, à différents clients, à tout moment et dans la quantité requise, tout en assurant la stabilité de fréquence du réseau. » (Beba et coll., 2020) Le projet est un test concluant de la compatibilité entre les grands consommateurs du secteur industriel de Hambourg et la filière éolienne du Schleswig-Holstein. En bref, la NEW 4.0 a prouvé le concept de réseau propre : d’un point de vue technique, une économie fortement industrialisée peut très bien fonctionner entièrement avec de l’énergie renouvelable et d’autres technologies propres actuellement sur le marché. La NEW 4.0 a également révélé certaines lacunes non techniques (économiques, juridiques, bureaucratiques et politiques) des réseaux actuels qui doivent être comblées de toute urgence pour que l’Allemagne (ou même le Canada) puisse atteindre ses objectifs de carboneutralité. Ces lacunes sont présentées plus en détail à la section 5.
Les projets de la NEW 4.0
La NEW 4.0 regroupait environ 100 sous-projets dans toute la région, notamment 20 projets de démonstration à grande échelle, comme :
- des démonstrations d’application de nouvelles technologies (batteries, chauffage, stockage d’hydrogène, appareils électroménagers intelligents, etc.);
- des systèmes de réponse à la demande améliorant la flexibilité pour les gros consommateurs industriels;
- des plateformes numériques pour le commerce à court terme des surplus d’énergie entre les producteurs et les consommateurs.
Voici en détail quelques-uns de ces projets, potentiellement les plus pertinents pour la transition énergétique du Canada.
La plateforme énergie
Créée par Hamburg Energie, principal fournisseur de services publics à Hambourg, la plateforme énergie est une application numérique utilisant la chaîne de blocs pour « permettre le commerce régional rapide d’énergie renouvelable flexible, et ainsi contribuer à la stabilité du réseau et à la sécurité de l’offre tout en valorisant au maximum les surplus d’énergie éolienne et d’autres sources renouvelables. » Parmi les participants à ce projet de démonstration, on compte trois des plus grandes opérations industrielles à Hambourg : ArcelorMittal (acier), TRIMET (aluminium) et Aurubis (cuivre). Servant de place de marché pour les producteurs et les consommateurs d’énergie renouvelable, la plateforme énergie a permis aux consommateurs de négocier directement avec les producteurs pour combler leur demande prévue en électricité.
Exploiter la puissance de pointe de l’éolien
Dans la petite ville de Norderstedt, en périphérie de Hambourg, la compagnie d’électricité locale, Stadtwerke Norderstedt, s’est jointe à la NEW 4.0 avec un projet de démonstration des stratégies et technologies de gestion de la charge pour tirer avantage des surplus en énergie éolienne abordable. Le projet offrait à quelque 1 000 résidents des tarifs réduits sur l’électricité pendant les périodes de production de pointe d’énergie éolienne, soit de 0,05 à 0,15 € par kWh (par rapport aux tarifs normaux pouvant atteindre 0,30 €). Les résidences participantes étaient équipées d’un interrupteur connecté à quatre prises où étaient branchés de gros électroménagers. Ceux-ci étaient mis sous tension automatiquement pendant la période de pointe. Il s’agissait surtout de lave-vaisselle et de laveuses, mais aussi de chargeurs de téléphone, de vélos électriques et même de voitures électriques. Au cours des 20 mois de la démonstration, les 1 000 résidences ont utilisé 371 MWh d’énergie qui, autrement, auraient été perdus. En moyenne, cela représentait environ 10 % des besoins en énergie de chaque maison.
Énergie = aluminium + acier
Dans les grandes usines d’aluminium et d’acier de Hambourg, les projets de la NEW 4.0 ont introduit des systèmes pour coordonner la forte demande industrielle en énergie avec l’offre en énergie renouvelable intermittente. À l’usine d’aluminium de TRIMET, dix fours de fusion ont été dotés d’échangeurs thermiques et de systèmes de contrôle spéciaux permettant d’augmenter et de réduire la production en fonction des fluctuations dans l’offre d’énergie éolienne. En cas de surplus d’énergie, la production pouvait augmenter : les échangeurs thermiques dissipaient l’excès de chaleur pour maintenir les températures élevées nécessaires à la fusion de l’aluminium. En cas de pénurie d’énergie, les échangeurs agissaient comme des isolants pour empêcher les fours de refroidir; ils faisaient en quelque sorte office de batteries pour l’usine. Si les 270 fours de l’usine de TRIMET étaient équipés d’échangeurs thermiques, ce serait l’équivalent d’une batterie pouvant stocker 3 800 MWh d’énergie éolienne pendant plusieurs jours, réduisant le besoin d’arrêter les éoliennes en périodes de grands vents.
En parallèle, à l’usine d’acier ArcelorMittal de Hambourg, deux sous-projets de la NEW 4.0 mettaient à l’essai des moyens d’adapter la production à un approvisionnement en énergie renouvelable intermittente. Le premier portait sur la production « en décalage » pour augmenter le rendement des fours de fusion pendant les périodes venteuses, ce qui s’est prouvé techniquement faisable, mais économiquement absurde dans les conditions de marché actuelles de la région. L’autre cherchait à déterminer s’il était viable de remplacer une partie de l’offre en gaz naturel utilisé pour les fours de fusion par de l’électricité de sources renouvelables.
Stockage à grande échelle
Dans le nord du Schleswig-Holstein, près de la frontière danoise, une coentreprise (composée du fournisseur de services publics néerlandais Eneco et du fabricant de batteries Mitsubishi) a mis sur pied la plus grande installation de stockage par batteries aux ions lithium en Europe. L’installation de 48 MW et de 50 MWh a été placée près de grands parcs éoliens et solaires et où les connexions au réseau sont excellentes. Bien qu’elle puisse approvisionner plus de 5 000 maisons pendant 24 heures, l’installation de stockage n’a jusqu’à maintenant été utilisée que pour équilibrer la charge et améliorer la stabilité du réseau régional.
Énergie = hydrogène
Ce projet de la NEW 4.0 combinait une installation de stockage par batteries de 2,7 MWh, un électrolyseur et une station de recharge d’hydrogène afin de vérifier s’il était possible d’utiliser l’hydrogène pour réduire le bridage de l’énergie éolienne sur les réseaux allemands. Les éoliennes du nord de l’Allemagne produisent environ 80 % de l’énergie bridée dans tout le pays en raison de la production par grands vents qui surcharge le réseau. Ce défi pourrait être surmonté par le stockage de l’énergie éolienne et sa conversion en hydrogène pour les secteurs de la mobilité et du chauffage.
5. Les réseaux de nouvelle génération au service de la carboneutralité au Canada
L’objectif de la NEW 4.0 était de servir de modèle à l’infrastructure énergétique future de l’Allemagne en vue d’atteindre l’objectif national de carboneutralité d’ici 2045. La NEW 4.0 était axée sur d’importantes mises à jour, innovations, reconceptions et modifications réglementaires requises pour bâtir des réseaux adaptés à la transition énergétique. De cette expérience de quatre ans, le rapport final du projet tire certaines leçons (Beba et coll., 2020), notamment les suivantes :
- Il ne suffit pas d’étendre le réseau. Pour assurer la fiabilité d’un réseau sans émission, il faut décentraliser la gestion de la charge, utiliser des technologies de stockage novatrices et mettre sur pied des marchés pour l’électricité qui favorisent la flexibilité, et tout cela, à faible coût.
- La technologie existe. Le rapport explique que « nous avons actuellement les installations, les instruments de marché, l’infrastructure de TIC et le savoir-faire nécessaires » pour bâtir des réseaux adaptés à un futur 100 % renouvelable. La flexibilité requise afin d’éviter le bridage, de trouver des acheteurs pour les surplus d’énergie renouvelable et de surmonter les pénuries peut être assurée par différents intervenants, ce qui améliorera la stabilité du réseau et éliminera la congestion.
- Les cadres financier et réglementaire ne sont pas adaptés. Le rapport indique : « Ce qu’il manque, ce sont des modifications au cadre juridique et aux incitatifs financiers pour mettre en œuvre de manière rapide, économique et efficace les plus récentes solutions technologiques et commerciales. » Les règles, règlements et structures tarifaires des réseaux allemands ne permettent pas de créer de nouveaux marchés pour ces innovations et d’encourager le déploiement de nouvelles technologies. L’aspect financier n’est tout simplement pas compatible actuellement, et le cadre réglementaire dans lequel fonctionne l’infrastructure électrique n’a pas évolué aussi rapidement que les avancées technologiques. Comme l’indique Oliver Arendt de l’Université des sciences appliquées de Hambourg, gestionnaire de projet pour la NEW 4.0, le projet a produit le même résultat que les quatre autres projets financés par l’initiative fédérale Smart Energy Showcase : « Nous devons repenser notre façon de payer l’électricité. » L’approche actuelle de tarification en Allemagne, même après les 20 ans d’Energiewende, ne crée toujours pas un contexte économique favorable aux technologies et systèmes qui améliorent la flexibilité et contribuent aux objectifs de carboneutralité, plus particulièrement par rapport à la façon de répartir les revenus entre les différents intervenants.
- Les intervenants du secteur industriel ont un important rôle à jouer. « L’industrie est l’un des grands moteurs de la décarbonisation et d’une protection efficace du climat, » indique le rapport final de la NEW 4.0, et les participants du secteur industriel ont démontré que leur consommation pouvait être synchronisée avec la production d’énergie renouvelable grâce à des technologies intelligentes et des mécanismes de marché flexibles. « Les grands consommateurs industriels d’électricité sont techniquement capables d’utiliser rapidement les surplus d’énergie éolienne et, à l’inverse, de réduire leur consommation lorsque la production d’énergie verte est faible. »
- Il est urgent d’améliorer l’analyse des données. En raisondeseffets des changements climatiques sur la production d’énergie renouvelable, les exploitants de réseaux électriques ont besoin de données supplémentaires pour mieux répondre aux changements à court terme. Ces données doivent pouvoir être analysées en temps réel pour permettre une production complexe et décentralisée et améliorer la flexibilité de l’offre et de la demande. Elles doivent également, sur tous les fronts, être de qualité supérieure et recueillies en plus grande quantité pour permettre la création d’un réseau sans émission.
Thorsten Müller, fondateur de la Fondation pour le droit de l’environnement et de l’énergie, qui a supervisé les travaux de la NEW 4.0 sur les conditions du marché et le cadre réglementaire, a résumé les principales leçons du projet comme suit : « D’abord, comme prérequis de base, nous avons besoin de beaucoup plus d’énergie de sources renouvelables et devons créer les conditions préalables nécessaires dans la législation sur l’énergie, l’aménagement et l’approbation; sans quoi il ne sera pas possible d’atteindre la carboneutralité. Nous devons utiliser l’électricité de sources renouvelables dans les secteurs du chauffage, du transport (terme à retenir : couplage des secteurs) et de l’industrie. Ensuite, nous devons restructurer le secteur de l’énergie de sorte à mettre constamment l’accent sur les énergies renouvelables fluctuantes et à attribuer une valeur réelle à l’efficacité. Finalement, nous devons regrouper différents sous-secteurs très isolés en un système énergétique unifié et refondre en profondeur la législation pour en faire un outil de contrôle : moins de contradictions et de complexité, et plus de cohérence et d’intersectionnalité. »
Les leçons pour le Canada
Bien entendu, l’Allemagne n’est pas le Canada sur les plans géographique, énergétique, économique et politique. Plus important encore, le gouvernement fédéral allemand a beaucoup plus d’autorité en matière de politiques énergétiques que le gouvernement canadien. Néanmoins, les tentatives de préparation des réseaux canadiens à la transition énergétique ont mis au jour des défis et occasions similaires à ceux qu’a relevés la NEW 4.0. Malgré les différences, le Canada peut apprendre énormément des efforts de l’Allemagne dans sa quête de carboneutralité.
Au Canada – comme en Allemagne –, les principaux défis ne sont pas technologiques, mais bien réglementaires, juridiques et structurels.
QUEST Canada, par exemple, un organisme non gouvernemental, s’est associé aux gouvernements du Canada pour accélérer la transition énergétique, notamment dans une récente collaboration avec le gouvernement de l’Ontario et Ontario Power Generation visant la mise sur pied d’un forum d’innovation sur l’infrastructure énergétique de la province. L’analyse de QUEST indique qu’au Canada – comme en Allemagne –, les principaux défis ne sont pas technologiques, mais bien réglementaires, juridiques et structurels (QUEST, 2021).
Les mandats de réglementation actuels au Canada ont une vision très étroite des coûts et des avantages, ce qui ne favorise ni l’innovation ni les changements nécessaires à l’accélération de la transition énergétique. « Pour encourager l’innovation, explique Eric Timmins de QUEST, il faut tenir compte des aspects autres que financiers. » Seulement, les autorités de réglementation sont confinées à leur mandat, et l’ensemble du système encourage un conservatisme prudent en matière d’innovation. Les décideurs devront prendre l’initiative d’encourager ces changements, notamment en envoyant des signaux clairs par une augmentation du prix du carbone et l’application de contraintes réglementaires. Et, pour compenser leur aversion au risque, ils devront créer des espaces permettant d’expérimenter, d’innover et de tester des concepts; c’est là qu’une approche similaire aux forums d’innovation de la NEW 4.0 prendra tout son sens.
S’il y a une grande leçon à tirer de la NEW 4.0, véritable exemple à suivre de l’Allemagne, c’est qu’elle met en lumière l’envergure titanesque des changements à apporter aux réseaux d’électricité pour atteindre la carboneutralité. Il existe de plus en plus de technologies de réduction des émissions, mais elles ne régleront pas la myriade de problèmes financiers, réglementaires et politiques à venir. Le système doit changer de sorte à encourager l’innovation et à récompenser adéquatement les stratégies qui accélèrent la transition. Pour y parvenir, les forums d’innovation créés par des projets comme la NEW 4.0 sont d’une aide inestimable, donnant aux innovateurs et aux autorités de réglementation un espace où ils peuvent démontrer la viabilité des outils de la carboneutralité.
Nous remercions la Konrad-Adenauer-Stiftung pour son soutien financier à la réalisation de cette étude de cas.
Références citées
BEBA, Werner, Matthias BOXBERGER, Janina GRIMM, Martin HEINS, Onnen HEITMANN, Kaja JUULSGAARD, Hanna NAOUMIS, Thorsten MÜLLER, Klaus SCHWEININGER et Matthias WENG. 2020. NEW 4.0: Showcasing the energy landscape of tomorrow. Renewable Energy Hamburg.https://www.ponton.de/downloads/New40Report.pdf
QUEST. 2021. A State of Renewal: Ontario’s Innovation Sandboxes. https://questcanada.org/wp-content/uploads/2021/09/A-State-of-Renewal-Ontarios-Innovation-Sandboxes-Sep-27.pdf
SHAFFER, Blake. 2021. Trajectoires techniques pour aligner les secteurs de l’électricité canadiens avec la carboneutralité. Institut climatique du Canada. https://choixclimatiques.ca/wp-content/uploads/2021/10/ICCC-Trajectoires-techniques-pour-aligner-les-secteurs-de-l_electricite-canadiens-avec-la-carboneutralite-par-Blake-Shaffer.pdf