La prophétie des quatre frères
Partagée par Elaine Alec
Au début des temps, quatre frères de chacune des quatre races vivaient en harmonie sur la même Terre. Dans nos Histoires, nous avons toujours évoqué les quatre couleurs de cette fratrie, celles de la roue de médecine : le noir, le rouge, le blanc et le jaune. Mais nos Aînés n’utilisaient pas ces mots – les couleurs et les races – de façon péjorative; avec ces Histoires, ils nous enseignent depuis des décennies les relations qui existent et les liens qui nous lient tous.
Chaque frère a reçu un don qu’il devait apprendre à maîtriser. Le Créateur a dit : « Partez apprendre à maîtriser vos dons, puis lorsque vous vous retrouverez, enseignez-vous ce que vous aurez appris. Soyez à l’écoute et apprenez les uns des autres, et le monde sera beau. Si vous ne partagez pas ces dons, que vous les gardez cachés, ou si vous ne vous écoutez pas, ce sera la guerre. »
Le Créateur a confié à chacun un enseignement. Certaines nations racontent que le Créateur a donné à chaque frère des instructions sur une tablette, et que les tablettes sont cachées quelque part. Ces tablettes portent les enseignements originaux dont le partage devait permettre aux peuples de vivre en harmonie sur Terre. Selon la légende, si un seul des frères oubliait ou rejetait ces enseignements, tous les humains en souffriraient, et la Terre en mourrait. Les tablettes seraient cachées en Arizona, au Tibet, en Suisse et sur le mont Kenya.
Le frère noir a reçu le don de l’eau; même dans le désert, il saurait toujours trouver de l’eau et en extraire les bienfaits. Le frère jaune a reçu le don de l’air, dans lequel il pourrait puiser discipline et force. Le frère blanc a reçu le don du feu, qu’il pourrait dompter pour créer des moteurs et des machines. Le frère rouge a reçu le don de la Terre; il apprendrait tout de la Terre, des lois de la Nature et des façons de les régénérer.
Le Créateur a dit aux quatre frères qu’ils seraient dispersés aux quatre coins du monde pour maîtriser leur don, et que ce qui les séparerait les rassemblerait à nouveau. Ainsi, il a frappé la Terre de son bâton, et la Terre s’est fragmentée. Les fragments se sont éloignés, et les trous se sont remplis d’eau – cette même eau qui réunirait un jour les frères.
Présentation
La crise climatique mondiale est l’enjeu le plus pressant auquel fait face l’humanité. Activistes, Gardiens du savoir et scientifiques réclament une intervention climatique rapide et concertée à tous les échelons (UNICEF, s.d.; Onjisay Aki, 2017; EEAS, 2021). Or, avec leurs modèles ancrés dans l’inégalité, l’exploitation et la dégradation de l’environnement, les structures de politiques coloniales nuisent à la lutte climatique (Deranger, 2021), en plus d’être mal conçues pour s’attaquer véritablement aux enjeux d’actualité (Jackson et Victor, 2019). La conception de politiques climatiques efficaces est en outre entravée par la divergence entre les approches autochtones de lutte contre les changements climatiques, ancrées dans les lois Sacrées et de la Nature et dans la Cérémonie, et les structures de politiques coloniales, souvent cloisonnées et superficielles. Il est impératif que les peuples autochtones et les gouvernements coloniaux s’unissent dans cette lutte et laissent les voix et les perspectives autochtones guider les politiques climatiques. Bien plus qu’un enjeu environnemental, les changements climatiques touchent la société, l’économie et l’organisation industrielle à l’échelle mondiale (Turner, 2022; Kyle, 2021). Les peuples autochtones savent que nous ne faisons qu’un avec la Terre et que nous devons donc tous tendre vers des structures de politiques climatiques et des modes de vie propices aux approches globales et interconnectées. Et comme le montre cette étude de cas, la Cérémonie sera indispensable dans cette quête.
L’étude de cas répond à la question suivante : « Comment la Cérémonie des Premières Nations du territoire que l’on appelle la Colombie-Britannique devrait-elle influencer les politiques climatiques? » Dans sa préparation, nous avons examiné nos expériences et nos apprentissages du rassemblement des Gardiens du savoir spirituel sur les changements climatiques (Naqsmist et BCAFN, 2024a). Sous la forme d’une Cérémonie de gouvernance de deux jours et demi sur le territoire des Tsleil-Waututh, en novembre 2023, l’événement a rassemblé des Gardiens du savoir de partout en Colombie-Britannique pour discuter de la crise climatique, de ses causes profondes et de ses répercussions sur la Terre et tout être, ainsi que pour partager des Histoires, des chants et des rituels de guérison. Il a aussi marqué le début de l’élaboration conjointe d’un programme de leadership climatique autochtone par les Premières Nations de la Colombie-Britannique et le gouvernement fédéral, un processus coordonné par l’Assemblée des Premières Nations de Colombie-Britannique (BCAFN) et financé par Environnement et Changement climatique Canada et Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada. L’objectif est ici d’utiliser le savoir des Premières Nations de la province pour créer un programme stratégique qui orientera les politiques, les programmes et le financement climatiques du gouvernement canadien, au moyen d’un mémoire au Cabinet. Ce mémoire éclairera également les décisions budgétaires fédérales (BCAFN, 2024).1
Le rassemblement s’ancrait dans les lois Sacrées et de la Nature grâce au processus du cercle, qui assure la parole à tous (fondé sur le fait que, dans la Nature, chaque être est essentiel à la santé de l’écosystème)2. Étaient aussi à l’honneur la prière et la reconnaissance des ancêtres, des animaux et de toute chose vivante, ainsi que les chants, les danses et les Histoires qui représentent le monde naturel et permettent de l’incarner dans la gouvernance. Naqsmist, une société de conseil autochtone, a pris des notes et des enregistrements vidéo afin de faire un résumé et d’élaborer un mandat pour la suite du travail. Le tout a mené à la rédaction du rapport Spiritual Knowledge Keepers Gathering on Climate Change (Naqsmist et BCAFN, 2024a) et du mandat ci-dessous (figure 1) :
Le 14e point du mandat nous demande de « tracer une nouvelle voie à suivre en harmonie avec mère Nature. » C’est là le nœud fondamental que la cérémonie a le pouvoir de dénouer. Afin de mieux comprendre cette dynamique, nous examinons plus loin l’héritage et les limites des politiques coloniales et leur transformation possible à l’aide d’approches décoloniales ancrées dans la Cérémonie et dans les lois Sacrées et de la Nature.
La cérémonie et son rôle central dans les politiques climatiques
« Les cérémonies visent à susciter une réponse au plus profond de soi, de son âme et de son esprit. Elles ont une grande valeur intrinsèque; on ne peut plus les traiter comme une simple question de politique. Il est temps d’agir. Il est temps de se lever et de se faire entendre, de se faire écouter. » — Chef héréditaire Robert Joseph (Naqsmist et BCAFN, 2024a)
Véritable mode de vie, la Cérémonie autochtone célèbre d’abord et avant tout ce qui nous relie à la Terre et à la Création. Les cérémonies varient souvent selon le lieu et peuvent prendre plusieurs formes. Elles sont « un mode de transfert des connaissances et un rappel des responsabilités que nous avons dans notre relation avec la vie » (Cajete, 2000). Elles sont aussi un protocole d’appartenance – l’appartenance à une famille, à un peuple, à la Terre et au Sacré – qui favorise l’interconnexion, la réciprocité et le respect dans l’équilibre et le renouveau (Kimmerer, 2013; Naqsmist et BCAFN, 2024a; Cajete, 2000).
La Cérémonie, en harmonie avec les lois Sacrées et de la Nature, est à la fois une politique en soi (c’est-à-dire un cadre qui oriente les décisions) et un concept bien plus large (une façon d’être, un sentiment, un processus continu de découverte et d’action par les relations). Nous abordons la Cérémonie avec respect et révérence envers le Créateur, et sollicitons permission et protection auprès des lois Sacrées et de la Nature. Le fait de lui faire une place dans les politiques favorise les relations positives les uns envers les autres et envers la Terre. La Cérémonie nous rappelle de faire preuve d’humilité et de penser à notre devoir plutôt qu’à notre dû. Ainsi, elle transpose les connaissances relationnelles en paramètres (principes, valeurs et intention) qui guident les processus décisionnels et l’allocation de ressources : c’est ce que le gouvernement du Canada appelle des politiques (CHIN, 2021).
Les cérémonies de gouvernance sont une occasion de se rassembler et de partager des Histoires. Chez les peuples autochtones, c’est le savoir de ceux qui ont habité la Terre avant nous qui dicte la façon dont nous l’occuperons pour les quatre prochaines saisons. En appliquant cette approche aux politiques climatiques, nous parvenons à une compréhension globale qui contribue à inscrire les décisions dans des systèmes de pensées plus vastes. La Cérémonie est un protocole et une pratique qui nous donne accès à cette façon de penser et d’être.
Divergences entre cérémonie et politique
« Nous avions des politiques dans nos cérémonies, dans notre quotidien. Des politiques extraites du monde naturel et de la création. Or, des instructions originales nous avaient été données. Comment sommes-nous censés les suivre, maintenant? Comment pouvons-nous faire, dans un contexte colonial? Je pense qu’il faut retourner à la Terre, écouter nos jeunes. Écouter nos Aînés. Où veulent-ils nous emmener? » — Ginnifer Menominee (ICA, 2023)
Les peuples autochtones ont toujours su comment agir en relation avec la Terre. Ils savent que la crise climatique est causée par la rupture entre l’humain et la Terre. Les politiques permettent d’opérationnaliser les valeurs, ce qui en fait l’outil parfait pour intégrer les perspectives autochtones aux solutions climatiques. Mais elles ne sont qu’un outil, et entre les mauvaises mains, elles peuvent devenir des armes. D’où l’importance de s’interroger sur les valeurs qui sous-tendent leur utilisation.
Par le passé, les politiques du Canada visaient à assimiler et à éradiquer les peuples autochtones. Par exemple, certaines minaient la gouvernance autochtone en ciblant les pratiques cérémonielles. Notamment, les potlatchs, organisés sur la côte nord-ouest, ont été bannis par le gouvernement fédéral de 1885 à 1950 par une politique (Acte à l’effet de modifier de nouveau « l’Acte relatif aux Sauvages, 1880 », article 3, cité dans Indigenous Corporate Training, Inc., s.d.). Outre ses répercussions sur la gouvernance autochtone, cette loi a entravé l’expression culturelle et révélé la puissance des politiques comme outils d’oppression (Monkman, Lenard, 2017).
D’autres politiques ont déplacé les peuples autochtones vers les réserves, ce qui a limité leur accès à leurs Territoires et par le fait même érodé leurs pratiques culturelles et leur connexion à la Terre. Dans certains cas, les terres choisies pour les réserves (généralement jugées inférieures par les colonisateurs) ont entraîné une inadaptation aux changements climatiques : les familles déménagées sur des plaines inondables en vertu de la Loi sur les Indiens sont plus vulnérables aux inondations, comme on a pu le voir tout récemment lors de la rivière atmosphérique de 2021 en Colombie-Britannique (Chakraborty et coll., 2021; Alderhill Planning Inc., 2022; Yellow Old Woman-Munro et coll., 2021).
Les politiques permettent d’opérationnaliser les valeurs, ce qui en fait l’outil parfait pour intégrer les perspectives autochtones aux solutions climatiques.
Si certains gouvernements et ministères revoient leurs approches pour l’établissement et la gestion des relations avec les peuples autochtones, l’analyse des plans climatiques canadiens de Reed et coll. (2021) révèle des échecs répétés dans le respect des droits autochtones à l’autodétermination, au consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause ou à des relations de nation à nation dignes de ce nom. Loin d’être le seul, le programme de leadership climatique autochtone des Premières Nations de Colombie-Britannique en est néanmoins un exemple parfait : il prévoit environ deux ans de « dialogue constructif » avec les Premières Nations pour élaborer un mémoire au Cabinet fédéral, dont la version provisoire fera probablement l’objet d’une consultation interministérielle (gouvernement du Canada, 2020) avant d’être soumise à l’examen du Cabinet pour une décision, un processus encadré par des règles de confidentialité. Bien que la confidentialité permette aux ministres de s’exprimer librement, ce qui favorise la bonne gouvernance (Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada, 2014), elle limite aussi la transparence des décisions qui se répercutent sur les peuples autochtones, et empêche les titulaires de droits et détenteurs de titres autochtones de participer à la décision, ce qui nuit aux visées collaboratives du dialogue constructif et de l’élaboration conjointe. Selon une personne consultée récemment, « le Canada n’atteint jamais ses objectifs d’inclusivité en raison de ce processus du Cabinet. Ce n’est que lorsque cet obstacle sera éliminé que le Canada pourra nous considérer comme des personnes à part entière et respecter nos droits » (Naqsmist et BCAFN, 2024b).
Cette exclusion marginalise les perspectives et la gouvernance autochtones, ainsi que la reconnaissance, la protection et l’application des droits autochtones, qui offrent pourtant des réponses aux questions sous-tendant nombre de politiques climatiques. Pour aller vers une approche qui aiderait les peuples autochtones au lieu de leur nuire – et qui lutterait réellement contre la crise climatique –, Indigenous Climate Action conclut que « les politiques doivent s’articuler autour de nos visions du monde et de nos approches de gouvernance diversifiées, [qui sont] fondées sur nos relations avec la Terre, notre savoir ancestral et notre souci des générations futures » (ICA, 2022). Afin de corriger le problème de gouvernance soulevé et de progressivement placer le savoir, la gouvernance et les façons d’être autochtones au cœur des politiques climatiques, il serait avisé d’ancrer l’élaboration et la mise en application des politiques climatiques dans la Cérémonie.
La lumière
« La Cérémonie concentre l’attention pour la transformer en intention. Le fait de nous unir pour revendiquer nos idées devant notre communauté nous responsabilise. Les cérémonies transcendent l’individu pour trouver un écho au-delà du monde humain. Ces actes de révérence sont puissamment pragmatiques; ce sont des cérémonies qui magnifient la vie. » — Robin Wall Kimmerer (2013)
Les Gardiens du savoir au rassemblement ont fait valoir que, pour régler la crise climatique, nous devrons nous acquitter de nos devoirs, les uns envers les autres, et envers la Création. Bien adaptée au contexte avec les protocoles convenables, la Cérémonie ouvre la porte à une façon d’être qui nous lie à tout ce qui nous entoure et nous aide à mieux voir, déléguer et assumer nos responsabilités.
Cette force de connexion de la Cérémonie rappelle la langue nsyilxcen (Syilx Okanagan), dans laquelle le mot tmixʷ se traduit approximativement par « toute chose vivante », et le mot tmxʷulaxʷ, par « Terre ». Selon Jeanette Armstrong, tmixʷ se traduit littéralement par « force vitale », et tmxʷulaxʷ, par « lieu de la force vitale ». Les humains font partie de la force vitale, « par le paradigme social de l’autochtonie [qui promeut] la réciprocité dans la régénération de toutes les formes de vie d’un lieu » (Armstrong, 2012).
C’est pourquoi la Cérémonie de gouvernance est davantage axée sur le processus que sur les résultats; elle aide à ancrer les participants dans une révérence incarnée pour la Terre et la Création. En honorant cette façon de vivre, l’esprit et les décisions s’harmonisent avec l’intention. Historiquement, chaque personne apportant sa propre intention, le groupe n’entreprenait la recherche de solutions qu’après avoir entendu tout le monde.
La Cérémonie représente la connexion à l’identité autochtone, à l’intention individuelle et collective dans le lieu de la force vitale. Le respect des droits autochtones passe par celui de la Cérémonie, qui favorise les relations avec la Terre et la Création. Ainsi, dans les espaces tant autochtones que coloniaux, les institutions, les organes de gouvernance et les structures et relations politiques, économiques et sociales doivent donc être fondés sur la Cérémonie.
Si l’on revient aux 13 premiers points du mandat des Gardiens du savoir à la lumière de ces informations, on constate que chacun s’inscrit dans une solution climatique plus vaste. La Cérémonie rend les relations entre les différents points plus importantes que les points pris individuellement. C’est que chacun d’entre nous, à titre de composantes du lieu de la force vitale, doit apporter sa contribution saine pour veiller à la santé du système tout entier. Cela nous encourage à transcender les barrières personnelles et structurelles pour atteindre l’interconnectivité au profit de toute chose.
Les enjeux en lien avec la Terre et les relations sont propres à chaque communauté; nous aurons donc besoin de solutions adaptées pour aborder efficacement notre relation complexe avec mère Nature. Le choix autodéterminé d’une Première Nation d’exécuter – et le soutien des gouvernements envers – l’un ou l’autre des points du mandat est une forme d’action climatique, car tous les points sont interreliés. Une approche fragmentée se limitant aux priorités climatiques coloniales ne respectera jamais réellement les droits autochtones. La Cérémonie nous rappelle pourquoi les approches autochtones, ancrées dans les traditions et les priorités de chaque communauté et dans la révérence envers la Terre, sont si essentielles.
Si la voie à suivre n’est pas toujours claire, nous savons néanmoins que rien n’est possible sans la Cérémonie; liant les humains à la Terre, elle est toute désignée pour servir de fondation aux politiques climatiques et pour tous nous y ancrer
La priorité qu’accorde la Cérémonie à la réciprocité et à la responsabilité, deux concepts qu’elle renforce, est critique. Elle nous rappelle notre rôle dans la Création : les lois Sacrées et de la Nature nous enseignent comment exister dans le monde et nous porter responsables et garants de nos actions. Si la voie à suivre n’est pas toujours claire, nous savons néanmoins que rien n’est possible sans la Cérémonie; liant les humains à la Terre, elle est toute désignée pour servir de fondation aux politiques climatiques et pour tous nous y ancrer.
La voie à suivre
Face à la crise climatique, la Cérémonie est nécessaire à l’adaptation et à l’atténuation parce qu’elle nous permet de nous replacer dans le contexte des lois Sacrées et de la Nature et d’harmoniser nos actions avec les besoins de mère Nature. Les processus d’élaboration de politiques doivent donc être éclairés par la Cérémonie et le savoir autochtone. La Cérémonie met au jour les lacunes des politiques proposées et nous aide à trouver les mots pour exprimer nos émotions en lien avec les échecs systémiques. Nous ne pouvons guérir sans reconnaître, et la Cérémonie nous permet de reconnaître certaines insuffisances des politiques climatiques canadiennes par rapport aux perspectives autochtones.
Sachant cela, l’élaboration de politiques climatiques efficaces requiert une approche holistique, ancrée avec intention dans le lieu et dans la Cérémonie. À partir des réflexions de Naqsmist sur le rassemblement, nous avons préparé les recommandations suivantes à l’intention des décideurs de toutes les cultures et de tous les ordres de gouvernement :
- Les politiques climatiques doivent s’appuyer sur l’application continue de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA).
Les articles suivants sont particulièrement pertinents pour nos recommandations : 1, 2, 3, 4, 5, 8, 11, 12, 13, 15, 18, 19, 20, 22, 24, 25, 26, 27, 29, 31, 32, 34, 35, 37, 38, 39, 43, 44 et 45. De manière générale, l’annexe de la DNUDPA doit guider l’application de ces articles pour assurer la convenance de cette approche du respect des droits autochtones (Organisation des Nations Unies, 2007).
- Les gouvernements fédéral et provinciaux doivent soutenir les Premières Nations et fournir des ressources ciblées pour des cérémonies respectueuses de la culture et autodéterminées.
Les Premières Nations et les autres groupes autochtones devraient continuer de pratiquer leurs cérémonies et de les promouvoir comme outil relationnel, entre les humains et avec la Terre. En outre, la Cérémonie doit faire partie intégrante et constante de tout processus d’élaboration conjointe ou de consultation entre les gouvernements canadiens et les Premières Nations. Toutes les parties impliquées dans la création de politiques devraient jouer un rôle actif ou d’observation dans la Cérémonie, selon le cas. Il faudra notamment financer la participation de Gardiens du savoir aux processus d’élaboration de politiques, en reconnaissance du savoir que leur confèrent leurs expériences spirituelles et avec la Terre, de même qu’appuyer les communautés dans leurs cérémonies et rites de passage à l’âge adulte, afin de créer de nouvelles générations de Gardiens du savoir qui préserveront et renforceront la connexion humaine avec la Terre. Toutefois, il faudra aussi prendre garde à ne pas dénaturer, panautochtoniser ou diluer les processus cérémonieux. La Cérémonie ne doit pas devenir un outil d’inclusivité de façade; elle doit être comprise et pratiquée comme une responsabilité continuelle envers les lois et les protocoles Sacrés et de la Nature.
- Les gouvernements fédéral et provinciaux doivent laisser les Premières Nations guider l’élaboration autochtone/allochtone de politiques et de lois climatiques.
Un processus guidé par les Premières Nations est un processus équitable et axé sur une participation respectueuse des droits qui favorise des espaces de discussion sûrs tenus par des éducateurs, des guides et des leaders spirituels autochtones (Shallard et Wale, 2023). Les peuples autochtones doivent exercer leur droit au consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause lorsqu’une politique se répercute sur leur droit à leurs terres, à leurs territoires ou à leurs ressources; des pratiques cérémonielles adaptées à la culture et au contexte doivent être incorporées dès le début. Les processus d’élaboration de politiques pourraient entre autres incorporer des éléments de réflexion et de partage des réflexions, dans une optique de transparence sur l’inclusion et le respect du savoir autochtone, notamment sur les façons d’accroître cette inclusion et sur le poids de ce savoir dans les décisions. Qui plus est, nombre de Premières Nations et de groupes autochtones disposent déjà de lois (lois Sacrées et de la Nature, parfois sous forme de traditions écrites ou autres) en lien avec le climat, lois qui doivent être respectées dans les processus de gouvernance collaborative avec les gouvernements canadiens. Bien qu’il existe des obstacles systémiques majeurs aux relations de nation à nation sincères dans l’élaboration de politiques climatiques, y compris au sein du Cabinet fédéral, la Cérémonie permet aux perspectives autochtones de contextualiser et d’orienter les échanges, en plus de faciliter l’apprentissage interculturel et de promouvoir une approche axée sur le cœur et la Terre et pouvant évoluer graduellement.
- Au fil du temps, les gouvernements fédéral et provinciaux devront procéder à un changement de paradigme pour articuler l’élaboration de politiques climatiques autour de la santé de la Terre, grâce au respect et à l’incorporation de la Cérémonie et des lois Sacrées et de la Nature dans les processus décisionnels et les approches de mise en œuvre.
Autrement dit, comme le veut le 14e point du mandat, tous doivent travailler ensemble pour bâtir une nouvelle relation avec mère Nature. Ainsi, un changement de paradigme sera nécessaire dans la transition de décisions et de politiques axées sur la personne et le profit vers des décisions et des politiques axées sur la Terre, le climat et les lois Sacrées et de la Nature. Ce changement devra s’opérer dans des espaces tant coloniaux qu’autochtones; la Cérémonie est un outil rassembleur qui nous aide à mieux mener notre vie. Les ministères dont les mandats sont en conflit devraient s’unir et consulter les peuples autochtones de bonne foi sur les enjeux du monde naturel qui, comme nous l’a appris le présent document, touchent tous les ministères, car les humains font partie du monde naturel. La participation à la Cérémonie est un acte de bonne foi; puisqu’on la retrouve dans de plus en plus d’initiatives de gouvernance conjointe entre les peuples autochtones et les gouvernements canadiens, nous avons espoir de voir se produire de petits changements à l’échelle individuelle qui entraîneront éventuellement des changements systémiques pour le bien de tous et de la Terre. En outre, le financement d’initiatives de recherche sur les collaborations entre les communautés autochtones, le milieu universitaire et les gouvernements pourrait améliorer notre compréhension des façons dont la Cérémonie et les politiques peuvent se combiner pour promouvoir non seulement le leadership climatique des Premières Nations, mais aussi le changement de paradigme voulu. Nous espérons que, tranquillement, l’expansion de la Cérémonie dans les espaces de gouvernance réduira le fardeau de la participation des Autochtones à des initiatives isolées qui ne correspondent pas à leurs perspectives du monde et présentent une transparence et une responsabilisation lacunaires, et encouragera de meilleures relations et interrelations entre les Premières Nations, les autres communautés autochtones et les gouvernements canadiens.
Conclusion
C’est qu’avec le temps, la Cérémonie nous rappellera qui nous sommes
Nous croyons que les bons protocoles et la Cérémonie – même en l’absence d’une voie à suivre ou de résultats clairs – ont le pouvoir de continuer à dégager les éléments qui nous permettront de réformer les politiques climatiques coloniales pour entreprendre une lutte efficace contre la crise climatique. C’est qu’avec le temps, la Cérémonie nous rappellera qui nous sommes, et nos gestes refléteront cette nouvelle compréhension.
Au bout du compte, la valeur de la Cérémonie ne se trouve ni dans la pensée ni dans l’analyse logique, mais plutôt dans les expériences et la connexion qui appellent à l’action. Comme l’explique le Kukpi7 Fred Robbins, « nous devons connaître notre Territoire – l’endroit où le soleil se lève et se couche, les façons dont le vent souffle le matin et le soir. La Terre est une chose qui ne se possède pas, on ne peut qu’éprouver un sentiment d’appartenance envers elle » (Naqsmist et BCAFNa, 2024). Ce sentiment d’appartenance, c’est ce que les Gardiens du savoir cherchent à nous faire comprendre. Comme dans la prophétie des quatre frères, ils ont un don à partager. Mais ce don saura-t-il nous rassembler?
Références (cliquez pour agrandir)
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Notes
- Note : Nous reconnaissons que chaque peuple autochtone a des pratiques cérémonielles et de gouvernance qui lui sont propres. En outre, bien que les processus du programme de leadership climatique autochtone des Premières Nations de Colombie-Britannique soient fondés sur les distinctions et axés sur les Premières Nations seulement, le présent document utilise à la fois les termes Premières Nations et Autochtones, selon la source ou le contexte.
- Selon John Borrows, les lois Sacrées nous viennent « du Créateur, des histoires de la création ou d’enseignements anciens révérés qui ont résisté à l’épreuve du temps » (2010), tandis que les lois de la Nature « s’appuient sur des observations du monde physique […] et des règles qu’on essaie de tirer de son comportement pour la réglementation et la résolution de conflits » (2010).