RÉSUMÉ
Étant entendu que les changements climatiques augmentent le risque de feux de forêt, il s’ensuit que les individus, les collectivités et les gouvernements devront en faire davantage pour protéger les habitations en milieu périurbain, soit les secteurs résidentiels établis en bordure de zones naturelles. Le programme FireSmart Canada est un outil efficace et reconnu qui appuie les mesures locales éclairées et qui permet d’augmenter les capacités et les connaissances de la population. Il faut toutefois le compléter par des outils réglementaires et financiers pour réduire les dommages matériels.
LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES AUGMENTENT LES RISQUES DE FEUX DE FORÊT
Les changements climatiques font grimper les températures et assèchent l’atmosphère, ce qui augmentera probablement la fréquence, l’intensité et la durée des feux de forêt dans de nombreuses régions du Canada. Des études montrent en effet que le nombre de journées sèches et venteuses, propices à la déclaration et à la propagation d’incendies, pourrait augmenter de 50 % dans l’ouest du Canada et de 200 % dans l’est du pays (Atlas climatique du Canada, 2020). On constate déjà d’ailleurs une augmentation des incendies de forêt, et la superficie brûlée moyenne dans les dernières années correspond au double de ce qu’elle était au début des années 1970 (Ressources naturelles Canada, 2016).
Les feux de forêt peuvent être dévastateurs et coûteux pour les collectivités et les individus. On estime par exemple que l’incendie de Fort McMurray en 2016 a coûté 9 milliards de dollars en dommages physiques, financiers, psychologiques, environnementaux et sanitaires (Snowdon, 2017). Plus de 2 400 structures ont été détruites et 85 000 personnes déplacées dans ce qui fut la plus grande évacuation de l’histoire du Canada (Westhaver, 2017). La montée fulgurante des problèmes de santé mentale (dépression, idées suicidaires) chez les élèves de la 7e à la 12e année dix-huit mois après la catastrophe (Brown et coll., 2019) montre bien les profondes répercussions sociales de ce sinistre.
La fumée de feux de forêt peut aussi nuire à la santé de personnes qui ne se trouvent pas à proximité de l’incendie : réduction de la fonction respiratoire, bronchite, exacerbation de l’asthme, risque accru de décès. Ce problème touche particulièrement les femmes enceintes, les enfants, les personnes âgées et les personnes atteintes de problèmes cardiovasculaires ou respiratoires (Centre de contrôle des maladies de la Colombie-Britannique, 2020). Ainsi, une exposition prolongée à la fumée, comme celle qu’ont vécu les résidents de la Colombie-Britannique et de la Californie en 2018, augmente le risque de troubles de santé immédiats et futurs. Or, les personnes qui vivent dans des zones propices aux feux de forêt peuvent être exposées à la fumée à répétition.
Une augmentation de la fréquence et de l’intensité des incendies entraînera la multiplication de ces tragédies traumatisantes. Comme le montre la figure 1, la superficie du milieu périurbain au Canada est estimée à 32,3 millions d’hectares, et 60 % des villes, villages et communautés rurales au pays seraient susceptibles de subir un feu de forêt (Canada Wildfire, 2018).
COMMENT PEUT-ON RÉDUIRE LES RISQUES LOCALEMENT?
Après l’incendie de Fort McMurray, on s’est demandé pourquoi certaines maisons avaient résisté au feu et d’autres non : dans certains cas, toutes les maisons d’un quartier avaient été détruites sauf une. Selon des évaluations détaillées, la plupart des maisons avaient pris feu à cause de braises folles et non à cause d’un contact direct avec les flammes (Westhaver, 2017). Les maisons qui ont résisté présentaient des caractéristiques qui les protégeaient des braises ou ne comportaient pas d’éléments favorisant l’ignition (feuilles dans les gouttières, balcon en bois).
En comparant les bâtiments après l’incendie, les experts ont découvert que ceux qui avaient été épargnés présentaient un niveau de risque faible à modéré pour 20 facteurs d’ignition. Les autres présentaient surtout un niveau de risque élevé à extrême. Aucun facteur de risque prédominant n’a été relevé; l’examen a plutôt révélé qu’une seule faiblesse pouvait entraîner la destruction de la maison (Westhaver, 2017). Par exemple, une corde de bois ou des buissons près de la maison, des gouttières pleines de feuilles séchées, une pelouse longue, des débris de bois dans le jardin, un revêtement de bois, un balcon en bois ou un toit peu résistant au feu.
LE PROGRAMME FIRESMART DE L’ALBERTA
L’étude sur l’incendie de Fort McMurray recommande entre autres de réduire la vulnérabilité des bâtiments par des programmes comme FireSmart. Ce programme, créé par l’association multidisciplinaire albertaine à but non lucratif Partenaires en protection (PEP), aide les collectivités et les particuliers à prendre des moyens pour réduire les risques de dommages liés à un feu de forêt. Il vise à augmenter les capacités et les connaissances des résidents des zones à risque. Né en Alberta, le programme FireSmart a été adopté par la suite dans d’autres provinces et à l’échelle nationale (FireSmart Canada, 2018a). Il reçoit du financement du fédéral et des gouvernements provinciaux et territoriaux ainsi que des compagnies d’assurance (Institut de prévention des sinistres catastrophiques, 2019).
FireSmart recommande de retirer les éléments augmentant le risque d’ignition, notamment les balcons et les revêtements de bois, sur 10 mètres autour de la maison (Figure 2). À plus long terme, les propriétaires qui en ont les moyens peuvent investir dans des solutions plus coûteuses comme un matériau de toit plus résistant (FireSmart Canada, 2019a; 2018a; 2018b). Pour plus de détails, voir le tableau dans cette étude de cas.
Pour aider les propriétaires à prendre des décisions judicieuses, FireSmart recrute des pompiers formés pour évaluer les bâtiments et proposer des mesures de prévention simples ainsi que les investissements possibles à plus long terme. Ils visitent à nouveau la propriété après quelques années pour évaluer les progrès. FireSmart Alberta a aussi développé une application qui permet aux propriétaires d’évaluer eux-mêmes leur bâtiment. L’application donne aussi accès à des ressources d’information et à des réseaux d’experts.
Par exemple, certains types de toits sont plus résistants au feu que d’autres. Les matériaux de classe A, comme le bardeau d’asphalte, la fibre de verre, la terre cuite, le béton et le métal (lorsque l’ancien toit est retiré), sont les plus sûrs. Les matériaux de classe C, tels que les bardeaux de cèdre, ont une faible résistance au feu (FireSmart Lesser Slave Region, 2020). (FireSmart Lesser Slave Region, 2020). Une information claire permet aux propriétaires de demander des matériaux et des techniques résistants au feu.
Le programme FireSmart encourage aussi des collectivités entières à se doter d’un plan, à suivre leurs progrès et à investir dans la réduction des risques. Plus les propriétés d’un milieu donné adoptent les pratiques FireSmart, plus la chaleur et la vitesse des feux peuvent être réduites (FireSmart, 2019b). La ville de Canmore, en Alberta, a remporté le prix de protection de la collectivité FireSmart en 2019. Sa stratégie de mitigation des feux de forêt comprend des activités FireSmart pour la ville et une évaluation à jour des risques, des cartes sur le type de combustible et sur le comportement potentiel des feux de forêt ainsi que des options d’aménagement de la végétation. Elle présente aussi des recommandations pour chacun des sept domaines abordés par FireSmart : aménagement de la végétation, développement, sensibilisation du public, réglementation, coopération interorganisme, formation polyvalente et planification des mesures d’urgence (Canmore, 2020).
QUELLE AUTRE MESURE PEUT ÊTRE PRISE?
Si utiles soient-ils pour les propriétaires, les programmes FireSmart placent le fardeau de la protection sur les individus et les collectivités locales; or ce n’est pas tout le monde qui peut agir. Les propriétaires n’ont pas tous les moyens de se payer un nouveau toit ou un nouveau revêtement. Les collectivités défavorisées ou isolées et les communautés autochtones peuvent aussi avoir des ressources limitées et des dossiers plus pressants.
Réviser les codes de construction et les règlements
En 2016, un examen fédéral-provincial a montré que la plupart des collectivités ne participaient pas activement au programme FireSmart (Conseil canadien des ministres des forêts, 2016). Les experts se demandent si les gouvernements provincial et fédéral ne devraient pas jouer un rôle plus actif dans la promotion de la résilience en cas de feux de forêt puisque
les efforts individuels ont des bienfaits pour le public (Westhaver, 2017; Tymstra et coll. 2019). Québec est la seule province ayant des normes pour guider les collectivités locales dans la réduction de ces risques (Tymstra et coll. 2019). Dans la plupart des provinces et des municipalités, le code de construction n’exige pas l’utilisation de matériaux ignifuges, ce qui augmente les coûts de rénovation pour les propriétaires qui cherchent à réduire les risques. De nouveaux codes nationaux sont en cours d’élaboration pour tenir compte des risques découlant des changements climatiques, mais plusieurs années pourraient passer avant que les codes provinciaux ne soient modifiés (La Presse canadienne, 2020; Institut de prévention des sinistres catastrophiques, 2019). La National Fire Protection Association avait proposé qu’on adopte des codes plus sévères pour les milieux périurbains en 2011, mais l’idée avait alors été rejetée en raison des problèmes d’application (La Presse canadienne, 2012). En l’absence de codes adaptés, FireSmart Canada, la Canadian Homebuilders Association et le Centre Intact d’adaptation au climat collaborent à la création d’une liste de recommandations FireSmart pour les promoteurs et les propriétaires construisant en milieu périurbain (Moudrak, 2020).
Lancer des consultations significatives
Une étude de Walker (2020) souligne aussi l’importance de tenir des consultations significatives lors de la mise en œuvre des programmes FireSmart, particulièrement lorsque le risque de feu de forêt s’étend sur plusieurs municipalités dans un petit périmètre. Lorsque la région de La Ronge, en Saskatchewan, a adopté le programme, par exemple, certains membres des communautés autochtones et de la collectivité ont exprimé des réserves quant aux coupes de végétaux dans les zones où étaient cueillies des plantes médicinales et où se déroulaient des programmes d’éducation sur les richesses naturelles.
Limiter l’étalement urbain
De nombreuses villes continuent de mordre sur les espaces naturels parce que les promoteurs cherchent des terrains abordables, ce qui augmente les risques et les coûts totaux associés aux feux de forêt (McMahon, 2018). En effet, rares sont les autorités publiques qui sont prêtes à limiter la construction, et les cartes faisant état des zones propices aux feux de forêt sont encore une denrée rare (Institut de prévention des sinistres catastrophiques, 2019).
Investir dans la réduction des risques
Face à la nouvelle réalité des feux de forêts, les pouvoirs publics ont surtout adopté jusqu’ici des mesures réactives, investissant dans les interventions de lutte contre les incendies et dans la reconstruction. Or, la prévention est manifestement beaucoup plus rentable (International Association of Wildland Fire, 2020). De plus, les stratégies d’encadrement des risques les plus efficaces consistent à la fois à réduire le potentiel d’ignition des maisons (par des programmes comme FireSmart) et à adopter des pratiques d’aménagement forestier qui réduisent la probabilité et la gravité des incendies (Calkin et coll., 2014). Compte tenu que ces incendies sont appelés à être de plus en plus nombreux, il pourrait s’avérer particulièrement judicieux pour les autorités fédérales, provinciales et municipales d’investir de façon massive et préventive dans ces types de stratégies intégrées afin de réduire les répercussions de ce fléau pour les Canadiens.
CONSEILS FIRESMART POUR LES PROPRIÉTAIRES D’UN BÂTIMENT EN MILIEU PÉRIURBAIN
REMERCIEMENTS
Cette étude de cas a été préparée par Rachel Samson de l’Institut climatique du Canada, avec la contribution de Jonathan Arnold, Ryan Ness et Dylan Clark. L’Institut souhaite souligner la contribution de:
Blair Feltmate
Président, Groupe d’experts sur les résultats de l’adaptation et de la résilience aux changements climatiques, Institut climatique du Canada et Président, Centre Intact d’adaptation au climat, Université de Waterloo
Natalia Moudrak
Directrice, Résilience face aux changements climatiques Centre Intact d’adaptation au climat, Université de Waterloo
Laura Stewart
Spécialiste FireSmart, ministère de l’Agriculture et de la Foresterie de l’Alberta
Maureen G. Reed, Ph. D.
Professeure distinguée et directrice adjointe, affaires académiques Cotitulaire de la chaire UNESCO en diversité bioculturelle, durabilité, réconciliation et renouveau
École d’environnement et de développement durable
Heidi Walker
Candidate au doctorat, Université de la Saskatchewan École d’environnement et de développement durable
RÉFÉRENCES
Atlas climatique du Canada. 2020. Les incendies de forêt et le changement climatique. https://atlasclimatique.ca/les-incendies-de-foret-et-le-changement-climatique.
Brown, M. R. G., V. Agyapon, A. J. Greenshaw et coll. 2019. « After the Fort McMurray wildfire there are significant increases in mental health symptoms in grade 7–12 students compared to controls ». BMC Psychiatry, vol. 19, no 1. https:// doi.org/10.1186/s12888-018-2007-1.
Calkin, D. et coll. « How risk management can prevent future wildfire disasters in the wildland-urban interface ». Proceedings of the National Academy of Sciences. Janvier 2014, vol. 111, no 2, p. 746-751; DOI : https://doi.org/10.1073/ pnas.1315088111.
Canada Wildfire. 2018. Mapping Canadian wildland fire interface areas. https://www.canadawildfire.org/mapping-wui.
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FireSmart Canada. 2019b. Ignition Zone. https://www.firesmartcanada.ca/firesmart-communities/firesmart-canada-community-recognition-program/ignition-zone/.
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FireSmart Lesser Slave Region. 2020. FireSmart for Homeowners. https://livefiresmart.ca/homeowners/.
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