Texte publié à l’origine dans l’Ottawa Citizen.
Le Bureau du directeur parlementaire du budget du Canada vient de poser un geste crucial qui se fait attendre depuis longtemps : pour la première fois, le chien de garde officiel des finances nationales a chiffré les coûts des changements climatiques pour l’économie canadienne, démontrant que l’aggravation des répercussions climatiques vient freiner la croissance économique. Il s’agit d’un premier pas essentiel vers la réduction des risques économiques pour le Canada dans un monde en réchauffement.
Il reste encore bien du chemin à faire, mais les récentes mesures prises par l’Australie et le Royaume-Uni peuvent nous mettre sur la bonne voie.
Au Canada, les projections économiques à long terme se basent essentiellement sur les moyennes historiques de productivité. Or, ces mesures ne tiennent pas compte du changement rapide du climat observé en ce moment, lequel entraîne des catastrophes de plus en plus fréquentes et coûteuses. Les projections se basent donc implicitement sur l’hypothèse d’un avenir sans amplification des répercussions climatiques, malgré le fait que cet avenir nous échappe désormais étant donné la croissance continue des émissions. Qui plus est, les budgets gouvernementaux ne font qu’effleurer le sujet de l’incidence des changements climatiques.
C’est un problème, car on ferme les yeux à la fois sur le prix pourtant bien réel que paie l’économie canadienne et sur les retombées économiques qu’auraient la réduction des émissions et l’amélioration de la résilience, pour ne voir que le coût des politiques. Le résultat? On sous-estime les bienfaits d’une action politique proactive en matière de climat, et on s’attarde sur les coûts de l’action en ignorant ceux de l’inaction.
Pour résoudre ce problème, on peut s’inspirer de pays plus avancés dans la prévision des coûts des changements climatiques, comme l’Australie et le Royaume-Uni. S’ils ont certes encore du travail à faire, les deux affichent déjà des progrès substantiels.
Le récent budget de l’Australie dresse le portrait détaillé des effets des changements climatiques sur les finances publiques, et il est loin d’être rose : baisse de productivité, détérioration des infrastructures, pression sur les dépenses publiques… Le document présente aussi une analyse des risques et occasions associés à la transition énergétique mondiale. De plus, l’Australie a pris le pari d’augmenter la capacité de sa Trésorerie à modéliser les conséquences économiques des changements climatiques. Une fois cette étape charnière franchie, le gouvernement sera mieux outillé pour tenir compte des risques climatiques dans ses décisions stratégiques et économiques.
Le Canada aurait avantage à emboîter le pas à l’Australie dès le prochain budget fédéral, en dressant un portrait détaillé des répercussions climatiques à prévoir et en intégrant une évaluation transparente de ces risques dans ses prochaines décisions stratégiques et économiques.
Au Royaume-Uni, pendant ce temps, l’Office for Budget Responsibility a commencé à tenir compte des effets des changements climatiques dans ses prévisions et intègre certaines de ces répercussions dans ses projections de base. Le Bureau du directeur parlementaire du budget du Canada devrait suivre cet exemple : son récent rapport pourrait servir à intégrer les effets du climat aux prévisions économiques de base. Après 2022, il faut cesser de traiter les changements climatiques comme un risque non pris en compte dans les projections budgétaires à long terme.
Il n’est plus viable d’ignorer les effets des changements climatiques : la facture, bien réelle, est colossale et siphonne déjà les fonds publics. Les études de l’Institut climatique du Canada révèlent que le Canada peut s’attendre à des pertes de 25 milliards de dollars d’ici 2025 en raison du réchauffement survenu depuis 2015, par rapport à un scénario de stabilité climatique. Cette somme équivaut à la moitié de la croissance du PIB projetée pour l’an 2025. D’ici 2050, les pertes pourraient s’élever à 100 milliards de dollars et entraîner la disparition d’un demi-million d’emplois. Déjà, la dévastation causée par les catastrophes toujours plus fréquentes et extrêmes coûte des milliards au gouvernement.
La pression combinée du ralentissement de la croissance et de la hausse des coûts force les gouvernements à faire des choix difficiles : creuser le déficit? réduire les services? augmenter les taxes? Il faudra décider, car une part croissante du budget se fait gruger par les effets du climat. Heureusement, les gouvernements ne sont pas sans ressources devant cette situation. En effet, le même rapport indique qu’une diminution des émissions à l’échelle mondiale et un investissement dans l’adaptation ici au pays pourraient réduire les coûts projetés de 75 %.
La prise en compte des changements climatiques doit être une priorité pour tout gouvernement se voulant un gestionnaire responsable de l’économie.