Dans sa réponse aux changements climatiques, le Canada a oublié de penser à l’adaptation. Définie comme l’amélioration de la résilience climatique en tant que réaction ou préparation aux répercussions des changements, l’adaptation est largement laissée dans l’ombre, depuis des décennies, dans la conversation sur les changements climatiques, alors que tous les feux sont tournés vers la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Cet aspect reçoit aussi trop peu de financement : ces cinq dernières années, seulement 13 % des dépenses du fédéral liées aux changements climatiques ont financé des mesures d’adaptation.
Il est pourtant essentiel de lui faire une bien plus grande place dans les politiques et les initiatives canadiennes sur les changements climatiques. Si l’on veut réduire les coûts sociaux, économiques et environnementaux découlant d’un climat dont l’évolution présente de plus en plus de menaces, il faut investir massivement pour combler les lacunes en matière d’adaptation et de résilience.
Notre rapport La pointe de l’iceberg: composer avec les coûts connus et inconnus des changements climatiques au Canada, le premier d’une série sur les coûts des changements climatiques au Canada, montre que les catastrophes naturelles s’aggravent avec le temps à cause de deux facteurs qui se conjuguent : les changements climatiques et l’insuffisance de la résilience au climat. Quand on regarde les tendances des dommages causés par les phénomènes météorologiques, on voit clairement que le peu d’attention consacré à l’adaptation est une faiblesse importante des politiques et interventions canadiennes relatives au climat. Voici quelques faits parlants :
- Quatre des cinq catastrophes naturelles les plus coûteuses au Canada se sont produites depuis 2010.
- Au sommet de ce triste palmarès figurent les feux incontrôlés qui ont ravagé Fort McMurray en 2016, causant près de 11 milliards de dollars en dommages et en pertes d’exploitation, sans compter les répercussions sur la santé de la fumée toxique qui a recouvert l’Ouest canadien.
- Depuis 2010, le coût moyen des catastrophes naturelles (tels un feu ou une inondation) s’élève à 112 millions de dollars, alors qu’il était de 8 millions (en dollars courants) dans les années 1970.
- Entre 2010 et 2019, les coûts annuels totaux des catastrophes naturelles ont grimpé à plus de 5 % de la croissance annuelle du PIB canadien, alors qu’ils correspondaient en moyenne à 1 % entre 1980 et 2010.
Si les efforts de réduction des émissions de GES au Canada font du surplace ou sont en régression, c’est en grande partie à cause d’inquiétudes entourant leurs coûts pour l’économie, bien que ceux-ci n’aient en fait que peu d’incidence sur la croissance à long terme du PIB. Par exemple, le système ontarien de plafonnement et d’échange, aujourd’hui abandonné, ne devait coûter que 1,5 % de la croissance annuelle en 2020. Or, nous en faisons bien peu pour lutter contre les répercussions des catastrophes naturelles qui nous coûtent déjà plusieurs fois ce montant, un coût qui continuera de croître avec les changements climatiques si nous restons les bras croisés.
L’Institut climatique du Canada a décidé d’amener à l’avant-plan les coûts des changements climatiques. Dans un travail qui s’échelonnera sur plusieurs années, nous dévoilerons bon nombre des coûts actuels et anticipés pour le Canada, et démontrerons la nécessité d’injecter beaucoup plus de fonds dans l’adaptation. D’après nos recherches, les coûts quantifiables sont énormes et préoccupants en soi, mais ne constituent qu’une fraction des coûts possibles; la pointe de l’iceberg. Les coûts inconnus sont beaucoup plus inquiétants. Un nombre rapidement croissant de données indique que les changements climatiques entraîneront d’autres coûts importants qu’il nous est pour l’instant impossible d’estimer, associés par exemple à des crises de santé mentale, à la destruction d’identités culturelles autochtones, à la perturbation d’activités commerciales, à des défaillances de l’infrastructure essentielle, à la disparition d’animaux sauvages et à la perte de biodiversité.
Mais bonne nouvelle : les coûts des changements climatiques, connus comme inconnus, peuvent être évités. Pour nous prémunir contre les pires dommages à long terme, il est essentiel de réduire la pollution causée par les émissions de gaz à effet de serre. À court et moyen terme, par contre, le Canada devra affronter d’importants changements climatiques, causés par les émissions mondiales du passé, qui ne sont plus renversables. Il devra donc s’adapter, et rapidement. Les gouvernements, les entreprises et les collectivités doivent reconnaître les risques inévitables des changements climatiques et intégrer l’adaptation et l’amélioration de la résilience dans la prise de décisions.
Il a été démontré encore et encore que l’adaptation – lorsqu’elle est planifiée et mise en œuvre avec soin – réduit les répercussions des changements climatiques et évite des coûts et permet d’offrir de multiples avantages sociaux, économiques et environnementaux. Le Canada a cependant beaucoup de retard à rattraper sur les plans de l’adaptation et de la résilience. Étonnamment, la plupart des grands projets d’infrastructure, de développement urbain et d’installations industrielles dans le pays ne tiennent toujours pas compte de l’évolution du climat et des risques connexes. Et c’est seulement depuis cette année qu’on travaille à modifier le Code national du bâtiment pour prendre en compte les changements climatiques.
Les coûts de ces changements sont faramineux et ne cessent de croître, et nous perdons rapidement du terrain. Dans La pointe de l’iceberg, l’Institut recommande trois mesures que le Canada pourrait prendre pour accentuer rapidement l’adaptation aux changements climatiques :
- Les gouvernements de tout le pays devraient évaluer les risques climatiques et augmenter le financement des mesures d’adaptation dans toutes les activités et tous les programmes.
- Le gouvernement fédéral devrait convier les autorités provinciales, territoriales, autochtones et municipales à élaborer une approche d’adaptation concertée qui utiliserait au mieux les ressources collectives.
- Les gouvernements et les organismes de réglementation financière devraient améliorer la divulgation des risques climatiques pour inciter les marchés et les appareils administratifs à favoriser l’adaptation, à renforcer la résilience et à éviter la création de nouveaux risques.
Comme nous n’avons pas de temps à perdre, nous ne devons pas laisser nos lacunes dans notre compréhension des impacts et des coûts du changement climatique ainsi que des solutions d’adaptation mettre un frein à nos efforts pour combler ces besoins pressants. Il nous faut aller de l’avant en fonction de ce que nous savons aujourd’hui et suivre une approche prévoyant un apprentissage et une amélioration continus.
Nous devons, tous ensemble, agir rapidement pour remédier aux lacunes du pays en ce qui concerne l’adaptation et la résilience. La réduction des émissions de gaz à effet de serre est essentielle, mais c’est seulement en assurant aussi notre adaptation que nous pourrons éviter les coûts des changements climatiques qui se pointent à l’horizon et menacent notre sécurité, notre bien-être et notre prospérité.