Initialement publié par Options politiques
Les vagues de chaleur et les feux incontrôlés qui ont balayé bon nombre de pays d’Europe cet été le montrent clairement : il est temps d’accélérer la cadence en matière de réduction des émissions de polluants responsables des changements climatiques. Ce qui peut sembler moins évident, c’est que les feux d’Europe soulignent aussi les liens entre les pires effets des changements climatiques et tout un éventail de problèmes causés par d’autres polluants.
Tant les décideurs que la population ont tendance à envisager différents types de pollution en vase clos. Après tout, on pourrait bien se demander quel est le lien entre une tortue de mer étouffée par un sac de plastique, une personne asthmatique qui peine à respirer et un agriculteur subissant une sécheresse sans précédent. Pourtant, tous trois ont beaucoup en commun.
Prenons le sac de plastique : il est produit par l’industrie pétrochimique, dont les effets sur le climat, déjà importants, ne cessent d’augmenter. Le réchauffement climatique subséquent nuit à la qualité de l’air, car il crée les conditions idéales pour la formation d’ozone, un important polluant atmosphérique qui accroît la prévalence de l’asthme.
Les personnes asthmatiques (entre autres) éprouvent des problèmes respiratoires lorsque leur ville ou leur localité est envahie par la fumée d’un incendie, un événement de plus en plus fréquent puisque les changements climatiques augmentent le nombre et l’intensité des feux incontrôlés. Les particules créées par les feux transportent les toxines déjà présentes dans l’environnement ou libérées par la combustion des structures, qui sont ensuite absorbées par les poumons.
Cette exacerbation de la pollution atmosphérique – et de ses conséquences sur la santé – décrit bien le scénario observé ces derniers mois en Europe, où se sont succédé des vagues de chaleur attribuables aux changements climatiques.
Ainsi, beaucoup de problèmes de pollution sont interreliés. Les millions de tonnes de déchets plastiques qui aboutissent dans nos lacs et océans chaque année ne font pas qu’étouffer les tortues : en se décomposant, elles libèrent aussi un mélange toxique de composés chimiques ayant servi à assouplir, à colorer ou à façonner la matière.
De nouvelles études montrent que les déchets plastiques sont une source de plus en plus importante de méthane et d’éthylène, des composés qu’ils libèrent lorsqu’ils se décomposent sous l’action du soleil, et qui contribuent eux aussi aux changements climatiques. L’éthylène, un ingrédient clé des sacs de plastique, pourrait également expliquer l’incidence de cancer supérieure à la moyenne dans les localités voisines des installations de production.
Et n’oublions pas que les fibres de plastique voyagent. Au lavage, les vêtements faits de tissus pétrochimiques perdent des fibres qui se retrouvent dans les réseaux d’égouts. Une partie de ces fibres sera déversée dans les cours d’eau, tandis qu’une autre se retrouvera dans les boues qui pourraient être épandues dans les champs agricoles. Le problème, c’est qu’elles sont néfastes pour les organismes qui rendent nos terres productives et améliorent la capacité des sols à absorber le carbone.
Pour compenser la perte de productivité ainsi occasionnée, on utilise plus de pesticides et d’engrais artificiels, des intrants dont la production particulièrement énergivore émet beaucoup de gaz à effet de serre et contribue au problème des changements climatiques. C’est sans parler que ces produits libérateurs de toxines font grimper la quantité de pesticides dans l’assiette et nuisent à la biodiversité, notamment chez les pollinisateurs essentiels.
Ces boucles de rétroaction négative se produisent également dans les océans.
Selon une étude récente, la hausse de la température de l’eau (causée par les polluants responsables des changements climatiques) conjuguée à la présence de perturbateurs endocriniens (qui entrent souvent dans la composition des plastiques) a entraîné des problèmes de croissance chez les poissons, ce qui pourrait ébranler gravement la production alimentaire à l’échelle mondiale.
Plus près de nous encore, des études récentes ont démontré que les microplastiques sont absorbés par le corps humain, ce qui pose des questions de santé que les scientifiques ont à peine commencé à explorer.
La conclusion saute aux yeux : nous devons arrêter de considérer ces problèmes de pollution comme des enjeux distincts. La pollution de l’eau n’est pas indépendante de la pollution de l’air, et toutes deux ne sont pas sans lien avec les déchets plastiques. Le gobelet de café qui traîne dans le fossé à côté de la route engendre une multitude de dommages : pensons à l’énergie consommée et aux déchets engendrés par la production de son revêtement en plastique, aux combustibles fossiles utilisés pour fabriquer le papier à usage unique, aux composés chimiques qui s’infiltrent dans le sol et dans l’eau lorsque le gobelet se décompose, et au risque que ces éléments soient ingérés par les animaux sauvages ou par l’humain.
L’envergure et la complexité du problème n’ont pas aidé, mais nous commençons enfin à voir des propositions, à l’étranger comme au pays, qui pourraient s’avérer à la hauteur du défi.
Malgré les pressions causées par la guerre en Ukraine – ou plutôt, vu la volonté de se soustraire à la dépendance au gaz naturel russe –, l’Union européenne a redoublé d’ardeur pour mettre en place une stratégie de décarbonisation ambitieuse de son réseau électrique.
L’Organisation des Nations Unies a récemment adopté un plan visant la signature d’un traité mondial sur la réduction des déchets plastiques. Selon elle, il s’agirait de la plus importante entente environnementale depuis l’Accord de Paris sur les changements climatiques, signé en 2015.
Juste avant l’ajournement estival des travaux du Parlement, le Sénat du Canada a voté l’adoption de changements considérables à la Loi canadienne sur la protection de l’environnement. Il s’agit de la première modification d’envergure à la loi fédérale sur la pollution en deux décennies.
Dans les plans nationaux en matière de changements climatiques, on reconnaît de plus en plus que les émissions de gaz carbonique continueront probablement d’augmenter en l’absence d’une réforme des modes de production et de consommation actuels. Près de la moitié de la pollution responsable des changements climatiques dans le monde provient de la fabrication, du transport et de l’utilisation d’objets de la vie courante.
Les politiques d’« économie circulaire » qui visent la réduction des déchets plastiques, entre autres, jouent un rôle substantiel dans la diminution des émissions de gaz à effet de serre prévue par le récent plan européen en matière de climat pour la prochaine décennie. Bien que l’engouement pour les avantages écologiques de l’économie circulaire soit relativement nouveau au Canada, un rapport récent du Conseil des académies canadiennes donne un aperçu des possibilités.
Au début des années 2000, lorsque nous tentions de convaincre le gouvernement fédéral d’agir pour éliminer un composé toxique, on nous répondait : « Lâchez le morceau, on ne peut pas régler plus d’un problème de pollution à la fois. » Heureusement, les temps ont bien changé, et la nécessité de légiférer sur plusieurs fronts à la fois en matière de pollution n’a jamais été aussi évidente.