Une récente étude de Moody’s sur les conséquences économiques mondiales des changements climatiques révèle que le Canada pourrait être un « gagnant climatique », c’est-à-dire l’un des rares pays qui bénéficieraient du réchauffement de la planète. Selon Moody’s, le PIB du Canada pourrait augmenter de 0,3 % d’ici 2050, soit d’environ neuf milliards de dollars par année. D’autres études parlent d’une expansion des terres agricoles, d’une augmentation de la productivité économique et d’une diminution des décès associés au froid comme effets bénéfiques potentiels. Ces données en ont encouragé certains à affirmer que les investissements dans la réduction des émissions des gaz à effet de serre au pays représentent un gaspillage d’argent.
C’est en partie vrai, mais on ne peut se limiter à ces conclusions. Le Canada s’en tirera probablement mieux que d’autres pays, mais il est faux de dire qu’il profitera des changements climatiques. On doit se pencher sur les détails et sur le portrait global pour voir ce que ces études laissent de côté.
Sur quoi se penchent les études?
Les études qui prédisent que le Canada sera un « gagnant climatique » ne tiennent souvent pas compte de la complexité possible des effets des changements climatiques sur différents secteurs, différents endroits et différentes périodes de temps, et ignorent les autres façons de mesurer la richesse.
Les études basées sur des modèles macroéconomiques évaluant les effets économiques des changements climatiques négligent parfois beaucoup de données; elles s’appuient souvent sur des hypothèses hautement simplifiées sur le lien entre le réchauffement planétaire et les conséquences économiques, qui sont essentiellement arbitraires. L’étude de Moody’s, par exemple, ne tient pas compte des coûts des répercussions des changements climatiques comme les phénomènes météorologiques extrêmes et imprévisibles. Pourtant, on estime que les coûts des secours et de la reconstruction associés aux catastrophes météorologiques seront extrêmement élevés; les inondations, par exemple, pourraient coûter 17 milliards de dollars par année au Canada d’ici 2050. En ignorant ces répercussions, on peut largement sous-estimer les coûts réels des changements climatiques.
Plusieurs études mondiales sur l’agriculture prédisent des bienfaits des changements climatiques pour le Canada. Un modèle prévoit que la valeur de production des terres agricoles des prairies canadiennes pourrait augmenter de 1 à 4 %, ou jusqu’à quatre milliards de dollars par année. Or, ces études sont souvent très simplifiées et évaluent les bienfaits pour l’agriculture uniquement en fonction des augmentations prévues de la température, une approche réductionniste qui considère que le réchauffement prolongera la période de végétation des principaux produits agricoles et étendra le territoire propice à la culture. Ces études ne tiennent pas compte des effets plus précis des changements climatiques et d’autres facteurs cruciaux à la viabilité et à la productivité de l’agriculture : phénomènes météorologiques extrêmes plus fréquents, prolifération d’organismes nuisibles et de maladies, disponibilité de l’eau et qualité des sols.
Par ailleurs, on estime que les températures plus élevées seraient favorables au secteur du tourisme au Canada. Mais pour ce secteur aussi, la réalité est en fait plus complexe : les activités qui se pratiquent durant les périodes chaudes, comme le camping et le golf, pourraient tirer profit des saisons allongées, mais le ski et les autres sports d’hiver seront durement touchés.
Portrait global ignoré
Si quelques secteurs pourraient effectivement profiter des changements climatiques, ils seront beaucoup plus nombreux à en subir les répercussions. La foresterie et la production de bois d’œuvre, par exemple, pourraient enregistrer des pertes annuelles allant jusqu’à 17,5 milliards de dollars. En outre, les secteurs industriels et manufacturiers pourraient subir des perturbations majeures de leur chaîne d’approvisionnement et de leurs activités après des phénomènes météorologiques extrêmes. Et les pertes de productivité pourraient toucher un grand nombre de secteurs, étant donné que des températures plus élevées nuisent aux conditions de travail.
Certaines études ne modélisent pas non plus les répercussions à long terme. On prévoit que les répercussions climatiques et les coûts associés seront beaucoup plus importants durant la deuxième moitié du siècle. Ainsi, les études qui ne vont pas au-delà de 2050 négligent les répercussions les plus grandes et les plus coûteuses.
Enfin, la plupart des études économiques utilisent le PIB comme indicateur pour mesurer les coûts et les avantages des changements climatiques. Le PIB est un indicateur de la richesse, mais il est incomplet. Parfois, les catastrophes peuvent le faire augmenter temporairement en raison de l’argent dépensé pour le nettoyage et la reprise des activités, mais ce n’est pas une bonne façon de faire croître notre économie. Le PIB ne tient pas compte non plus d’aspects importants du bien-être, comme la santé humaine, les écosystèmes et les traditions autochtones, qui seraient tous frappés par les catastrophes naturelles et d’autres effets des changements climatiques. De plus, les bienfaits économiques d’une croissance du PIB associée aux changements climatiques – s’il en existe – se feront probablement sentir chez ceux qui s’en sortent bien, alors que les populations défavorisées subiront les contrecoups.
Les avantages ne suffiront pas
Plus de régions et de secteurs au pays seront touchés par les effets néfastes des changements climatiques que par leurs bienfaits, et ce, même si certains des bienfaits prévus se concrétisent. Le Canada sera peut-être moins durement frappé par les changements climatiques que d’autres pays, mais ce n’est pas une raison pour cesser la réduction des émissions et l’adaptation au climat en évolution.
Comment avoir une vision plus nuancée (et plus juste) de l’avenir du Canada? Il faudrait d’abord élaborer de meilleures méthodes pour comprendre les effets des changements climatiques sur le pays. De meilleures données, propres au lieu géographique, pourront aider le Canada à éviter complètement certains de ces coûts, et à se préparer à ceux qui sont inévitables. Notre rapport, La pointe de l’iceberg, présente une introduction aux coûts connus et inconnus des changements climatiques au Canada. Les prochains rapports se pencheront davantage sur ces coûts, notamment sur ceux associés à la santé, à l’infrastructure, au Nord et à l’économie nationale.