Initialement publié par le Toronto Star
Ces temps-ci, tout le monde parle de moments où « ça passe ou ça casse » en matière de changements climatiques : on a qualifié 2021 d’année décisive, et la COP26 était le sommet du dernier espoir (pour être honnête, j’en ai moi-même parlé en ces termes, et je maintiens mon point : c’était un moment charnière.) Après tout, il n’y a pas de mal à employer cette figure rhétorique, car on ne saurait trop insister sur l’importance et l’urgence d’agir face aux changements climatiques.
Mais voici la vérité : en matière de politiques climatiques, aucune année n’est réellement décisive. Cet enjeu n’est pas un cours avec une note de passage. C’est plutôt comme un laboratoire à l’échelle de la vie : la plupart du temps, les changements se produisent graduellement, en une série de petites améliorations. Une politique est revue, l’opinion publique évolue sur certains points, et ces petites victoires finissent par s’accumuler.
Et parfois, il y a une grosse année, comme 2022 pourrait l’être pour le Canada.
Un premier moment décisif est pour bientôt : d’ici la fin mars, le Canada devrait établir son premier plan de réduction des émissions, comme l’exige la Loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité. Steven Guilbeault, récemment nommé ministre de l’Environnement et du Changement climatique, a tout un défi à relever, car le pays a besoin d’un plan ambitieux pour atteindre la cible fédérale de 40 à 45 % de réduction des émissions d’ici 2030. Il faudra un plan complet qui envoie des signaux clairs à tous les secteurs et établit des mesures permettant les réductions substantielles requises pour atteindre la carboneutralité d’ici 2050.
Mais même avec un plan ambitieux, le pays doit aussi se préparer aux effets des changements climatiques, qui commencent déjà à se manifester. Le Canada se réchauffe deux fois plus vite que la moyenne planétaire; les vagues de chaleur et les inondations meurtrières de 2021 en Colombie-Britannique ont catapulté la protection contre les extrêmes climatiques au sommet ou presque des priorités gouvernementales. La première Stratégie nationale d’adaptation sera publiée à l’automne. Elle devra à la fois faire état des besoins d’adaptation et présenter des politiques applicables capables d’améliorer la résilience climatique du Canada de façon concrète et mesurable.
Outre cette politique phare, il faudra en 2022 s’attaquer aux priorités d’adaptation immédiates dans tous les ordres de gouvernement. Pensons à l’accès à des données à jour sur les risques climatiques comme les inondations, à l’actualisation accélérée des codes du bâtiment et aux investissements visant à protéger les plus vulnérables.
À l’heure où les marchés mondiaux prennent conscience de la transformation requise pour lutter contre les changements climatiques, le Canada a du rattrapage à faire en ce qui a trait à la divulgation de renseignements financiers liés au climat. Il faut des règles qui demandent aux entreprises de mesurer et de déclarer les effets potentiels de la transition vers la carboneutralité et des changements climatiques sur leur rentabilité. Ces changements réglementaires, élément essentiel d’un mouvement plus vaste vers une économie résiliente à faibles émissions, sont en passe de devenir la norme mondiale. Les investisseurs, bailleurs de fonds et assureurs ont ainsi un meilleur portrait qui les aide à rediriger les capitaux vers des entreprises et des projets en phase avec les impératifs d’atténuation des changements climatiques et d’adaptation.
Ainsi, en 2022, il est temps que le Canada rende obligatoire la divulgation détaillée de renseignements financiers liés au climat pour veiller à ce que les entreprises et les marchés financiers canadiens reconnaissent et prévoient les risques associés à la transition vers une économie sobre en carbone et aux répercussions des changements climatiques. S’il tarde trop, le Canada pourrait ensuite avoir du mal à attirer des capitaux étrangers.
L’année pourrait être le théâtre de changements majeurs, d’où l’importance de rappeler que les politiques touchent des humains de chair et de sang, leur santé, leur bien-être, leur gagne-pain, leur foyer et leurs espoirs. Le gouvernement fédéral continue de mener des consultations sur les moyens de faire prospérer l’économie dans cette nouvelle évolution vers la carboneutralité, pour le bien de tous. Les plans provinciaux et fédéraux attendus en 2022, axés sur une transition concrète, pourraient apporter une aide et des ressources tangibles aux collectivités et aux travailleurs touchés. Enfin, n’oublions pas que la Stratégie nationale d’adaptation présentera des mesures que les gouvernements peuvent appliquer pour protéger la population, les milieux de vie et les emplois dans un contexte de climat plus en plus instable.
Il ne fait aucun doute que 2022 nous réserve quelques surprises. (Rien de trop sensationnel, espérons : je crois qu’on aspire tous à un peu moins de drame dans nos vies.) Ne nous surprenons pas si c’est une année importante en matière de politiques climatiques pour le Canada, mais évitons la redite du fameux « ça passe ou ça casse ». Cette année, préparons-nous à aller de victoire en victoire : nous ferons d’importants progrès sur de nombreux fronts en politique climatique, ce qui entraînera d’encore plus grands progrès dans les années à venir.