Introduction
La modeste thermopompe est un sujet chaud d’actualité.
Alors que la transition énergétique progresse à grands pas sur la scène mondiale, l’importance de l’électrification des systèmes de chauffage et de refroidissement est devenue une priorité pour les gouvernements poursuivant des objectifs plus ambitieux en matière d’émissions de gaz à effet de serre et de carboneutralité. En conséquence, la thermopompe a évolué à un rythme soutenu, passant des bas-fonds de l’efficacité énergétique au sommet de la planification des systèmes énergétiques dans le monde entier.
« Les thermopompes, alimentées par de l’électricité à faibles émissions, sont le catalyseur de la transition mondiale vers un chauffage sûr et durable », révélait l’Agence internationale de l’énergie (IEA, en anglais) dans son rapport technologique de novembre 2022 intitulé The Future of Heat Pumps (L’avenir des thermopompes). Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) des Nations unies et l’éminent cabinet de conseil mondial McKinsey se sont fait l’écho de ce soutien. L’invasion de l’Ukraine par la Russie ayant mis en évidence la dépendance de l’Europe à l’égard du gaz naturel russe, les ventes de thermopompes ont grimpé en flèche sur tout le continent, les ventes atteignant même le double dans certains pays européens au cours du premier semestre 2022 par rapport à la même période en 2021.
Alors pourquoi les thermopompes ont-elles suscité un tel engouement ? Avant tout, parce que le chauffage intérieur représente une proportion importante de la contribution de la planète à la crise climatique — l’IEA estime que 10 pour cent des émissions mondiales de dioxyde de carbone proviennent du chauffage des bâtiments — et que les thermopompes sont généralement carboneutres et nettement plus efficaces sur le plan énergétique que les systèmes de chauffage par combustibles fossiles ou plinthes électriques. Comme l’a souligné l’Institut climatique du Canada dans un rapport de 2022, « les thermopompes sont cruciales à la transition énergétique du Canada pour plusieurs raisons. Comme les thermopompes consomment de l’électricité plutôt que des combustibles fossiles, elles constituent un important levier pour la transition du Canada vers une électricité propre. En outre, leurs bilans énergétiques sont jusqu’à 70 pour cent inférieurs à ceux des technologies conventionnelles de chauffage domestique, ce qui se traduit par des économies pour les propriétaires et les locataires. »
Notons également qu’un sixième du gaz naturel brûlé chaque année à travers le monde est destiné au chauffage, une proportion qui atteint même le tiers en Europe, où l’Union européenne fait figure de précurseur mondial de la croissance du marché des thermopompes. Toutefois, la demande de thermopompes a aussi fortement augmenté en Amérique du Nord, au Japon, en Corée et en Chine. À l’heure actuelle, les thermopompes assurent 10 pour cent du chauffage des bâtiments dans le monde, les plus fortes proportions étant observées en Norvège (où 60 pour cent des bâtiments sont équipés de thermopompes), en Suède et en Finlande (où cette proportion dépasse les 40 pour cent). Quant au Canada, il ne figure pas encore parmi les pionniers mondiaux de l’adoption des thermopompes, en dépit de ses hivers glacials et de son abondance d’électricité propre (plus de 80 pour cent de l’électricité produite dans le pays est carboneutre). À l’heure actuelle, seuls 6 pour cent du chauffage résidentiel du pays sont assurés par des thermopompes.
Néanmoins, une exception notable se dégage — une anomalie qui fait l’objet de la présente étude. Dans les trois provinces maritimes, plus de 20 pour cent des ménages ont déjà recours à la thermopompe comme principale source de chauffage. Le Nouveau-Brunswick arrive en tête avec 32 pour cent, suivi de l’Île-du-Prince-Édouard avec 27 pour cent et de la Nouvelle-Écosse avec 21 pour cent. Et ces proportions augmentent beaucoup plus rapidement que toute autre source de chauffage principal dans la région. En Nouvelle-Écosse, par exemple, la proportion de ménages alimentés par thermopompes est passée de 6 pour cent à 21 pour cent depuis 2013.
Alors que le reste du Canada s’efforce d’accélérer l’électrification de ses systèmes de chauffage, cette anomalie dans les provinces maritimes justifie un examen plus approfondi. Comment les provinces maritimes sont-elles devenues le fer de lance des thermopompes au Canada ? Quelles conditions, politiques et forces du marché ont favorisé cette adoption accrue, et quelles leçons sont à tirer pour inciter à l’adoption des thermopompes dans l’ensemble du pays ? Malgré le manque de données et d’analyses, la présente étude s’est appuyée sur la modeste documentation disponible, ainsi que sur des entretiens avec des fonctionnaires provinciaux et de services publics qui ont mis sur pied ces programmes d’avant-garde, pour brosser un tableau de référence du succès des thermopompes dans les Maritimes et dégager quelques leçons pertinentes à l’intention des décideurs politiques.
Après un survol de la technologie comme telle et une synthèse des tendances mondiales en matière de politique et de marché, la présente étude se penche sur les outils politiques, les forces du marché et les conditions sociales ayant favorisé l’émergence de l’adoption des thermopompes dans les Maritimes.
Concepts de base des thermopompes
Le marché des thermopompes est saturé de types et de marques différents qui fonctionnent tous, à peu de chose près, selon les mêmes principes. Les thermopompes sont essentiellement des systèmes d’échange de chaleur qui absorbent la chaleur d’un endroit et la transfèrent à un autre. Les climatiseurs fonctionnent selon ce même concept de base, mais les thermopompes ont l’avantage de fonctionner également en sens inverse — en plus de refroidir l’intérieur, elles peuvent absorber la chaleur de l’air extérieur, même froid, et la transférer à des espaces intérieurs.
Sur le marché canadien actuel, les principaux systèmes de thermopompes sont les thermopompes centrales à air,les thermopompes miniblocs sans conduit (« mini-split ») et les thermopompes géothermiques. Les thermopompes à air fonctionnent selon des concepts similaires à ceux des autres systèmes centraux de chauffage et de refroidissement : la thermopompe aspire la chaleur de l’extérieur vers une unité centrale, qui la diffuse ensuite dans le reste de l’intérieur par l’intermédiaire de conduits de chauffage. Le processus fonctionne également en sens inverse, aspirant la chaleur de l’intérieur d’un bâtiment et la diffusant à l’extérieur pour refroidir l’espace. Les miniblocs sont un autre type de thermopompe à air, mais ils conviennent mieux aux bâtiments qui ne disposent pas encore de systèmes de conduits. Dans ce cas, la chaleur est diffusée par un système de refroidissement vers et depuis des « éléments intérieurs » muraux. Les thermopompes géothermiques ont une technologie très similaire à celle des thermopompes à air, sauf qu’elles puisent la chaleur dans le sol-même au lieu de la puiser dans l’air.
Bien que tous les types de thermopompes puissent être configurés pour répondre aux besoins de chauffage de tout bâtiment ou presque, il est encore pratique courante au Canada de jumeler les thermopompes à un système d’appoint préexistant — soit une chaudière, soit un système de plinthes électriques (à ce jour, cette approche est la plus commune dans les provinces maritimes). Une nouvelle génération de thermopompes pour climat froid, introduites sur le marché depuis 5 à 10 ans, fonctionne à des températures aussi basses que -25 °C sans système d’appoint, et convient donc mieux aux hivers canadiens.
Contexte
Tendances mondiales
L’essor des thermopompes est d’envergure mondiale : les ventes ont grimpé de 15 pour cent dans le monde en 2021 et continuent leur ascension. L’Europe est le fer de lance, les pays de l’Union européenne ayant installé à eux seuls deux millions d’unités en 2021 — une augmentation annuelle de 34 pour cent — puis plus de trois millions en 2022, soit une augmentation annuelle supplémentaire de 40 pour cent. Si cet essor européen précède l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la tâche revêt aujourd’hui un caractère d’urgence beaucoup plus marqué.
Aux États-Unis, des incitatifs importants étaient aussi prévus pour les thermopompes dans l’Inflation Reduction Act (loi sur la réduction de l’inflation), qui offre des remises aux ménages à faibles et moyens revenus, ainsi que d’importants crédits d’impôt.
Tendances canadiennes
Au Canada, l’adoption des thermopompes a été plus sporadique et régionale, mais les plans fédéraux et provinciaux de réduction des émissions et d’électrification confèrent un rôle beaucoup plus important aux thermopompes à l’avenir.
Comme le rapportait l’Institut climatique du Canada en 2022, « Au cours des 15 dernières années, le nombre de thermopompes installées dans les foyers canadiens a augmenté de façon soutenue, à savoir de 400 000 à 850 000. Toutefois, au cours de la même période, la proportion de chauffage domestique assurée par les thermopompes a seulement augmenté de quatre à six pour cent. Pour atteindre les prévisions du plan de réduction des émissions, leur proportion dans la charge totale de chauffage devra doubler au cours des huit prochaines années, et assurer plus de 10 pour cent du chauffage domestique. » Pour y parvenir, il est indispensable d’adopter des politiques ciblées afin d’envoyer des messages clairs aux marchés et aux consommateurs canadiens.
Certains de ces messages sont d’ores et déjà en place. La ville de Vancouver et la province de Québec ont toutes deux introduit des interdictions partielles sur les systèmes de chauffage à combustible fossile. À Vancouver, ces interdictions visent toutes les installations, qu’elles soient nouvelles ou de remplacement, dès 2025; au Québec, elles visent toutes les nouvelles constructions dès la fin de 2023. Les plus récentes données sur les installations ont quant à elles révélé qu’en 2018, près de 80 pour cent des thermopompes en exploitation au Canada se trouvaient dans les deux provinces les plus peuplées, le Québec et l’Ontario, même si, proportionnellement, les thermopompes représentaient moins de 10 pour cent des systèmes de chauffage en général. (En 2021, les thermopompes étaient le principal système de chauffage de 11 pour cent des ménages québécois et de 2 pour cent des ménages ontariens). Au cours de la même période, une nouvelle tendance a émergé : l’anomalie des Maritimes. Les taux d’installation précurseurs au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse et à l’Île-du-Prince-Édouard illustrent le mieux la façon d’intensifier l’adoption des thermopompes au Canada. Examinons ce tableau de plus près.
Anomalie des Maritimes
Origines et contexte
Le phénomène de l’adoption des thermopompes dans les Maritimes est une anomalie à la fois récente et rapide. Au Nouveau-Brunswick, les thermopompes étaient la principale source de chauffage de 17 pour cent des foyers en 2017, et de 32 pour cent en 2021. En Nouvelle-Écosse, la proportion est passée de 14 pour cent en 2017 à 21 pour cent en 2021. Enfin, à l’Île-du-Prince-Édouard, la progression la plus notable, la proportion est passée de seulement 9 pour cent en 2017 à 27 pour cent en 2021.
Bien que l’émergence des Maritimes comme précurseur du marché des thermopompes fût une réalité incontournable, cette région présentait des conditions de marché, de politique et de société qui jouaient en faveur de cette technologie. Selon le gouvernement fédéral, la pauvreté énergétique (la prévalence des ménages et des communautés confrontés à des défis financiers majeurs pour répondre à leurs besoins énergétiques domestiques) était très élevée dans cette région — soit au moins le double de la moyenne canadienne. De plus, le climat des provinces maritimes est des plus propices aux thermopompes, y compris les anciens modèles non spécialement conçus pour les climats froids; en effet, le climat modéré de l’océan Atlantique signifie que la région est rarement confrontée à des conditions de froid extrême. Enfin, les principales sources de chauffage domestique — chaudières au mazout et plinthes électriques — comportent des qualités qui rendent leur remplacement par des thermopompes avantageux ou relativement simple. Dans le cas du mazout, qui prédomine en Nouvelle-Écosse et à l’Île-du-Prince-Édouard, les prix sont volatils. Dans le cas des plinthes électriques, qui prédominent au Nouveau-Brunswick, de grands panneaux électriques existent déjà dans les maisons traditionnelles et peuvent être adaptés aux thermopompes sans qu’il soit nécessaire d’installer de nouveaux câbles ou de procéder à des mises à niveau dispendieuses.
Le récent essor des thermopompes s’explique également par un engagement institutionnel en faveur de l’efficacité énergétique en général, lequel précédait l’intérêt porté aux thermopompes. En effet, le Nouveau-Brunswick exploite des programmes d’efficacité énergétique en continu depuis 2008, aujourd’hui regroupés sous l’ombrelle de son Secrétariat des changements climatiques. De même, l’Île-du-Prince-Édouard a créé son Bureau de l’efficacité énergétique (aujourd’hui intitulé Efficacité Î.-P.-É. ) en 2008. Quant à la Nouvelle-Écosse, le gouvernement provincial a créé son agence indépendante d’écoefficacité, Efficiency Nova Scotia (aujourd’hui appelée EfficiencyOne), en 2010.
Ces bureaux et programmes de promotion de l’efficacité énergétique ont joué un rôle majeur dans la récente campagne en faveur de l’installation de thermopompes. Ils ont en outre assuré cohérence et continuité lors des changements successifs de gouvernement. Et puisqu’ils offraient déjà une variété d’audits, de programmes et d’incitatifs pour promouvoir l’efficacité énergétique des ménages, ils avaient établi des relations solides et durables avec les habitants, les entrepreneurs locaux de systèmes de chauffage, les régulateurs et les entreprises de services publics. Le gouvernement du Nouveau-Brunswick, par exemple, disposait déjà d’une liste d’installateurs agréés avant d’intensifier ses programmes de thermopompes, et Efficacité Î.-P.-É. domine le pays au chapitre des audits énergétiques des ménages par habitant. En somme, les gouvernements des trois provinces avaient déjà l’expérience de la mise en œuvre de programmes d’efficacité énergétique avant l’essor des thermopompes, et les services publics, les organismes de réglementation, les entrepreneurs et les ménages s’étaient déjà engagés avec cohérence et continuité à améliorer, tant soit peu, l’efficacité énergétique de leurs foyers. Pour reprendre les propos d’un fonctionnaire provincial, la région s’était dotée d’une « forte culture » en matière d’efficacité énergétique avant l’adoption de politiques ciblées sur les thermopompes.
Essor des thermopompes : les incitatifs importent
Dans les trois provinces maritimes, de puissants incitatifs financiers sous forme de subventions et de remises ont été les principaux catalyseurs de la montée spectaculaire du nombre de thermopompes installées. Bien que les incitatifs à l’efficacité énergétique en général remontent aux premiers programmes d’amélioration de l’efficacité énergétique des maisons, lancés en 2007 par Ressources naturelles Canada, les incitatifs directs en faveur des thermopompes n’ont été mis en place que tout récemment.
Les premiers incitatifs ciblés importants ont rapidement démontré la forte demande pour les thermopompes dans la région. En 2015, Énergie NB, le principal service public d’électricité au Nouveau-Brunswick, a introduit une remise de 500 $ sur les thermopompes miniblocs. Quelque 13 000 ménages se sont inscrits au cours de la première année, après quoi l’incitatif a été considéré comme un succès dépassant son ambition initiale et a été revu à la baisse. En 2017, Énergie NB a lancé son Programme écoénergétique pour les maisons, qui offrait des subventions allant jusqu’à 4 000 $ pour une gamme d’améliorations de l’efficacité énergétique, y compris les thermopompes. La même année, EfficiencyOne, en Nouvelle-Écosse, a introduit des subventions d’efficacité similaires. Depuis, l’adoption des thermopompes a été rapide et soutenue dans ces deux provinces. L’Île-du-Prince-Édouard a pour sa part introduit ses premiers incitatifs directs pour les thermopompes en 2021, offrant des systèmes gratuits aux ménages dont le seuil de revenu annuel est inférieur à 35 000 $. Cette initiative a depuis revu ce seuil à la hausse, l’élevant d’abord à 55 000 $, puis à 75 000 $. En conséquence, l’adoption des thermopompes dans les trois provinces a connu une expansion rapide.
Dans les Maritimes, les incitatifs provinciaux ont depuis été « juxtaposés » à des programmes fédéraux pour stimuler davantage les taux d’adoption, en particulier après l’introduction de l’Initiative canadienne pour des maisons plus vertes en 2020, qui offrait des subventions allant jusqu’à 5 000 $ pour l’installation de thermopompes, et du Programme pour la conversion abordable du mazout à la thermopompe (OHPA) en 2022, qui offrait des remises de 5 000 $ sur les thermopompes aux ménages qui chauffent leur foyer au mazout (soit le système de chauffage le plus commun en Nouvelle-Écosse et à l’Île-du-Prince-Édouard). Les nouvelles subventions de l’OHPA s’ajoutent aux remises de 5 000 $ accordées par la Nouvelle-Écosse dans le cadre du programme EfficiencyOne, tandis que le Nouveau-Brunswick, où très peu de ménages utilisent des chaudières à mazout, offre désormais, dans le cadre de son Programme écoénergétique amélioré, des systèmes miniblocs gratuits aux ménages dont le revenu annuel est inférieur à 70 000 $. (Ce programme est un effort conjoint du gouvernement provincial et Énergie NB.)
Leçons tirées de l’anomalie observée dans les Maritimes
La leçon la plus simple à tirer de l’anomalie des Maritimes est que rien n’importe plus que des incitatifs puissants, surtout s’ils sont destinés aux ménages à faible revenu pour qui l’obstacle du coût initial des systèmes de thermopompes est particulièrement intimidant. Par contre, l’argent seul n’est pas un gage de réussite. Dans les trois provinces, les incitatifs pour les thermopompes ont été intégrés à d’autres mesures d’efficacité énergétique ou introduits parallèlement à celles-ci. La réalisation d’audits énergétiques approfondis a certes permis de recenser les ménages qui bénéficieraient le plus de l’installation d’une thermopompe, mais aussi de nouer des relations entre les organismes publics et les habitants. Le fait d’offrir des remises sur l’isolation et d’autres initiatives d’économie d’énergie parallèlement aux remises sur les thermopompes a permis de s’assurer que les systèmes fonctionnent efficacement une fois installés — engendrant par là même des économies pour les habitants et une grande satisfaction chez les clients à l’égard des nouveaux systèmes de chauffage.
Les fonctionnaires des trois provinces ont également souligné l’importance d’une communication claire. Dans certaines régions, les économies réalisées grâce aux thermopompes sautent aux yeux. Au Nouveau-Brunswick, par exemple, où Énergie NB répond aux besoins énergétiques de la plupart des ménages, les économies réalisées étaient bien en vue sur les factures d’électricité. Cependant, pour les clients qui passent d’une facture semestrielle de livraison de mazout à une facture mensuelle d’électricité plus élevée, une explication plus claire des économies réalisées s’avère utile.
Dans un contexte plus large, rappelons que le passage d’une source de chauffage éprouvée à une source nouvelle et peu familière est une décision majeure pour un ménage canadien. La psychologie comportementale de ce type de changement est sans équivoque : la plupart des gens ont tendance à surévaluer les systèmes dont ils disposent par rapport à une nouvelle approche (un phénomène connu sous le nom d’« effet de dotation ») et à résister à l’idée de devenir des adeptes précoces (en raison de la tendance au statu quo et de nombreuses autres aversions communes à la prise de risques). Tout obstacle ou problème imprévu en cours de route est susceptible de ralentir l’adoption de la technologie à plus grande échelle.
L’anomalie des Maritimes présente aussi bien des exemples de communications efficaces que d’omissions en matière de communication, tous riches d’enseignements.
Côté efficacité, les trois provinces semblent avoir bien réussi à recenser les fournisseurs et les installateurs fiables, et à communiquer les avantages évidents des thermopompes gratuites ou assorties d’une généreuse remise. Bien que ces mesures n’aient pas entièrement éliminé le problème des entrepreneurs peu scrupuleux qui installent des systèmes insuffisants (comme nous le verrons plus loin), elles ont sensiblement réduit le nombre de clients insatisfaits.
Dans le cas du Nouveau-Brunswick, le déploiement des thermopompes a été si efficace que les installateurs assument eux-mêmes une partie de la tâche — par exemple, en offrant leurs propres formules de financement et remises saisonnières, en plus de rabais et de subventions. En Nouvelle-Écosse, le déploiement des thermopompes dans un contexte de flambée des prix du pétrole a incité les propriétaires potentiels à promouvoir les thermopompes comme une caractéristique avantageuse de leurs immeubles locatifs. Le réchauffement climatique a également pesé dans la balance : dans une région où très peu de ménages ressentaient auparavant le besoin d’utiliser un climatiseur, la fonction supplémentaire de refroidissement intérieur des thermopompes est aujourd’hui très attrayante. (Dans les régions plus chaudes du pays, cet aspect de l’argumentaire de vente sera probablement encore plus attrayant).
Il y a cependant eu des erreurs et des omissions flagrantes, qui varient d’une province à l’autre. Un problème commun a été l’émergence d’installateurs « à la sauvette », peu fiables et empressés de profiter des généreux incitatifs. Les fonctionnaires de chaque province ont souligné l’importance de recenser les installateurs fiables et d’assurer une meilleure surveillance — l’ajout de normes de performance et d’installation aux codes de la construction est une recommandation répétée. Tous reconnaissent également qu’ils auraient pu consacrer davantage d’efforts à la consolidation et à la rationalisation des processus de demande et d’installation — à l’Île-du-Prince-Édouard, par exemple, les dernières modifications apportées au seuil de revenus minimums pour les systèmes de thermopompes gratuits ont généré une demande instantanée qui a rapidement dépassé la capacité de réponse de leur bureau, une omission qu’ils ont été contraints de corriger à la hâte. Aujourd’hui, la liste des demandeurs approuvés en attente d’une installation se chiffre en milliers. Enfin, les fonctionnaires du Nouveau-Brunswick ont noté que davantage d’efforts auraient pu être consacrés à l’explication des coûts et des exigences de l’entretien de routine.
Conclusion
Compte tenu de l’ensemble des mesures fédérales et provinciales mises en place au Canada pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, améliorer l’efficacité énergétique des bâtiments et électrifier le chauffage des locaux, l’anomalie des Maritimes sera sans doute bientôt considérée comme une avance plutôt que comme une aberration. Si les provinces du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse et de l’Île-du-Prince-Édouard ont été les premières à intensifier l’adoption de cette technologie, on s’attend à ce qu’elle devienne un système de chauffage commun d’un bout à l’autre du pays, soit comme option indépendante, soit comme complément aux systèmes de chauffage classiques. La nouvelle génération de thermopompes pour climat froid, dont les performances peuvent être assurées sans appoint, sauf dans le cas des plus violentes vagues de froid canadiennes, devrait contribuer à faire valoir la viabilité de cette technologie dans tout le pays. D’ici là, leurs progrès constituent un modèle solide.
Dans l’ensemble, les thermopompes trouvent facilement preneur dans les provinces maritimes grâce aux limites des technologies existantes, aux avantages évidents qu’elles offrent, à l’efficacité de programmes incitatifs bien conçus et faciles d’accès, aux effets amplificateurs positifs du bouche-à-oreille et à l’attrait bien établi des remises importantes accordées par les gouvernements sous forme d’incitatifs. Le reste du Canada gagnerait à tirer des leçons de leurs succès et de leurs erreurs, et à suivre leur exemple.
Remerciements
L’auteur tient à remercier les personnes interrogées et les autres experts ci-après pour le temps et l’expertise qu’ils ont consacrés à l’élaboration de la présente étude : Peter T. Craig d’EfficiencyOne (Nouvelle-Écosse) ; Jeff Hoyt et Susan Atkinson du gouvernement du Nouveau-Brunswick ; Beth Pollack d’Énergie NB ; Angela Banks, Brittany Ziegler et Erin Kielly du gouvernement de l’Île-du-Prince-Édouard; Leslie Malone de Dunsky Energy; et Sachi Gibson, Jonathan Arnold, Jason Dion et Kate Harland de l’Institut climatique du Canada.
La présente étude s’appuie également sur des informations, des analyses et des données de base contenues dans les publications suivantes :
Agence internationale de l’énergie (IEA), The Future of Heat Pumps, novembre 2022.
Agence internationale de l’énergie (IEA), Heating and Cooling Strategies in the Clean Energy Transition, mai 2019.
Anna Kanduth, Heat pumps can power major emissions reductions from buildings, Institut climatique du Canada, 17 novembre 2022.
Régie de l’énergie du Canada, Aperçu du marché : Thermopompes de plus en plus présentes, 21 février 2018.
Régie de l’énergie du Canada, Aperçu du marché : La thermopompe, de plus en plus répandue — Comment fonctionne-t-elle ?, 17 avril 2019.