Accélérer les procédures réglementaires, un impératif

Le budget 2023 reconnaît les possibilités de transformation du Canada dans la réponse des gouvernements, des technologies et des marchés aux changements climatiques. Il présente un plan made in Canada qui prévoit un savant mélange de tarification du carbone, de crédits d’impôt, de stratégies financières et de programmes ciblés pour canaliser les capitaux privés vers l’économie propre de demain. 

Mais ce n’est pas suffisant pour mettre les projets en chantier.

Pour s’assurer que ces investissements verts portent leurs fruits, tous les ordres de gouvernements doivent trouver le moyen d’accélérer les procédures d’évaluation d’impact et d’octroi des permis pour les projets de croissance propre, tout en respectant les droits et les titres des peuples autochtones et les grands objectifs de développement durable.

Bâtir maintenant, bâtir vite

Le monde est en train d’assembler rapidement les constituants essentiels d’une économie carboneutre capable de rivaliser avec les systèmes en place.

Depuis 2020, le solaire constitue l’un des moyens les plus économiques de produire de l’électricité, et les coûts continuent de baisser. Les véhicules électriques sont maintenant plus accessibles que leur pendant à essence sur le plan du cycle de vie. Et tout porte à croire que dans la prochaine décennie, le prix de l’hydrogène produit avec de l’électricité propre rivalisera avec celui des combustibles fossiles. 

Toutefois, le défi est d’une ampleur colossale. Pour créer l’économie carboneutre de l’avenir, il faut des lignes de transport, des mines de minéraux critiques et tout ce qui se trouve entre les deux. Seulement du côté des minéraux critiques, on prévoit que la demande sera six fois plus élevée d’ici 2040 par rapport à aujourd’hui, puisqu’ils sont indispensables à la fabrication des panneaux solaires, des batteries, des éoliennes et de bien d’autres technologies propres.

Et vu la conjoncture mondiale, le Canada n’a pas le luxe de prendre son temps. Il doit d’abord suivre l’étroite trajectoire qui mène à l’atteinte de ses objectifs climatiques pour 2030. Il est essentiel à sa réussite d’ériger rapidement l’infrastructure de la croissance propre. Ensuite, les pressions de la concurrence sont considérables, ajoutant à l’urgence. Le Canada est en compétition avec le reste du monde pour attirer les capitaux et les talents sur ses rives dans la course planétaire au développement de l’économie propre.

Par ailleurs, concernant les minéraux critiques, le Canada a une échéance assez précise à respecter. Aux États-Unis, l’Inflation Reduction Act prévoit un crédit d’impôt pour les véhicules électriques dont les matières sont importées des partenaires commerciaux (comme le Canada), mais cette disposition tirera à sa fin en 2032. Pour se prévaloir de cette occasion d’approvisionner le marché de l’automobile américain, le pays doit accélérer le développement de sa production.

Malheureusement, il y a un problème : c’est difficile de bâtir quelque chose au Canada.

Ce qui nous empêche d’avancer

Les évaluations d’impact et la délivrance de permis sont des goulots d’étranglement majeurs pour le développement de projets au Canada. 

Le gouvernement estime qu’il faut environ 12 à 15 ans en moyenne pour construire une nouvelle mine au Canada. Construire une installation pour traiter les minerais et produire les matières actives des batteries pourrait prendre 7 ans

Les causes de cette lenteur sont nombreuses. L’obligation de suivre des procédures multiples, et souvent répétitives, d’évaluation d’impact et d’octroi de permis auprès de plusieurs ordres de gouvernement fait souvent obstacle. Tout comme la capacité limitée des autorités de réglementation et des organismes d’évaluation à traiter le volume des demandes – un problème qui risque de s’aggraver avec la multiplication des projets de croissance propre à venir.

De plus, le potentiel d’intervention politique dans les processus d’évaluation réglementaire génère un climat d’incertitude, qui repousse les investisseurs et affaiblit l’attrait des banques pour les projets de croissance propre. L’incertitude provient aussi du défi actuel pour la réglementation canadienne d’encadrer les évaluations de projet (la Loi sur l’évaluation d’impact, auparavant le projet de loi C-69) et de l’opposition tenace de nombreux secteurs, provinces et partis politiques à laquelle elle se heurte.

Une réglementation intelligente, et non une déréglementation

Collectivement, ces frictions entourant l’évaluation de projet pourraient empêcher le Canada de se démarquer à l’échelle mondiale dans l’approvisionnement des matières et des technologies nécessaires pour propulser la transition énergétique.

Pourtant, l’impératif de rectifier la lenteur exaspérante des évaluations de projet et de la délivrance de permis ne peut servir d’excuse pour abolir des règlements en bloc. Les gouvernements canadiens ont une responsabilité socioéconomique envers la population et les collectivités d’un océan à l’autre, ainsi qu’un devoir légal et moral envers les peuples autochtones et l’environnement. De plus, des normes réglementaires et des dossiers sur les enjeux ESG rigoureux s’avèrent de plus en plus nécessaires pour attirer les investissements économiques. Obtenir l’aval de la population avant de lancer un projet est désormais incontournable. 

Il faut trouver le juste milieu : résoudre les lenteurs administratives, sans entraîner de répercussions environnementales et socioéconomiques considérables, ni porter atteinte à la souveraineté et aux droits des peuples autochtones. Entendons-nous : les projets de croissance propre ne devraient aller de l’avant qu’avec leur consentement et leur partenariat, et générer des bénéfices nets pour les communautés et les écosystèmes locaux.

De plus – ce ne sont pas toutes les propositions de projet qui devraient aboutir. Dans certains cas, un projet peut entraîner trop de conséquences et neutraliser les bienfaits qu’il pourrait apporter. Il arrive également qu’un projet qui doit avoir lieu sur le territoire d’une communauté autochtone souveraine ne gagne pas l’appui de celle-ci, auquel cas on doit mettre fin au projet.

La Loi sur l’évaluation d’impact participe de l’avancement de la consultation et de la collaboration significatives avec les peuples autochtones tout en créant davantage de balises pour protéger l’environnement naturel. Mais cela ne veut pas dire que la mise en application de la loi ne peut être améliorée pour trouver le juste milieu. Il est essentiel de prendre cette direction pour lancer des projets de croissance propre à un rythme qui permettrait au Canada de bien se positionner sur l’échiquier mondial de l’économie propre.

« Mener de grands projets »

De toute évidence, les gouvernements et les décideurs ont ces compromis complexes à l’esprit, un domaine de recherche que l’équipe de croissance propre de l’Institut climatique a commencé à explorer.

Au-delà des divers crédits d’impôt incitatifs et politiques pour susciter l’investissement dans l’économie propre, le budget 2023 promet aussi un « plan concret visant à accroître l’efficacité des processus d’évaluation des répercussions environnementales et d’autorisation pour les grands projets », qui sera présenté avant la fin de l’année.

L’atténuation des frictions réglementaires est le prochain grand défi des gouvernements canadiens.

Les projets de croissance propre doivent s’accélérer, c’est indéniable. Mais pour ce faire, il faut rationaliser les processus d’évaluation et d’autorisation dans tous les ordres de gouvernement, y compris les gouvernements autochtones, tout en assurant la transparence et la prévisibilité. L’objectif final est d’être en mesure de décider efficacement si un projet peut aller de l’avant d’une manière qui équilibre les coûts et les profits. Le défi est de taille, mais c’est la réussite de la transition énergétique du Canada qui en dépend.

Vers une meilleure infrastructure d’investissement

On promet des investissements dans le développement durable en moins de temps qu’il n’en faut pour dépenser l’argent investi. Dans les grands marchés, 35 billions de dollars américains, soit 36 % des actifs gérés, sont investis dans une optique de développement durable, mais les investisseurs se retrouvent à devoir jouer du coude en raison du peu projets rentables. L’infrastructure de finance durable, qui décrit les « règles du jeu » encadrant les mouvements de ces capitaux, a du mal à tenir le rythme devant l’afflux d’investissements. En réponse à cette situation, les gouvernements procèdent actuellement à une mise à niveau de l’infrastructure financière. Pour ce faire, l’une des principales stratégies consiste à uniformiser l’information et à diversifier les instruments. À l’heure où le Canada accélère le financement du développement durable, il devrait tirer des leçons des investissements novateurs effectués dans ce cadre.

Les capitaux durables ne peuvent circuler plus vite que l’information sur la durabilité d’un projet. Sans information cohérente et universelle, il est à la fois long et coûteux pour les investisseurs de trouver de bons placements durables et d’éviter ceux dont les allégations environnementales sont exagérées. À ce jour, une étude de six agences de notation financières révèle que celles-ci ont collectivement utilisé 709 indicateurs différents dans 64 catégories pour noter la performance en matière de durabilité. Les centres financiers du monde entier ont toujours considéré le manque d’informations de qualité normalisées comme l’enjeu prioritaire en matière de finance durable et, après l’écoblanchiment, il s’agit de la principale préoccupation des investisseurs canadiens dans le développement durable.

Les États mettent actuellement en place des infrastructures pour que les investisseurs disposent des mêmes informations et puissent ainsi tirer les mêmes conclusions. Au moins 25 pays ont adopté ou envisagent d’adopter des taxonomies en finance durable, qui contiennent des grilles de critères à respecter pour qu’un projet soit considéré comme un placement durable.

Plus importantes de toutes, la taxonomie de l’Union européenne établit des pratiques exemplaires qui définissent « finance verte » comme une forme de finance durable dans laquelle les mouvements de capitaux concourent à l’objectif environnemental de l’Union européenne. Elle définit également une autre forme de finance durable, dite « de transition », pour les projets qui ne disposent pas encore de solutions de remplacement sobres en carbone viables, mais qui contribuent tout de même à limiter l’augmentation de la température à 1,5 °C. Toutefois, les membres de l’Union européenne ont eu du mal à s’entendre sur une définition rigoureuse de la finance de transition. Cette situation compromet les investissements dans les secteurs économiques fortement émetteurs aujourd’hui, mais dont le potentiel de réduction des émissions est immense, comme les installations de l’industrie lourde ayant une longue durée de vie.

Au Canada, le Conseil d’action en matière de finance durable du gouvernement fédéral a récemment publié un rapport sur la feuille de route de la taxonomie, qui présente les grandes lignes d’une taxonomie de la finance durable. Le rapport comporte notamment un cadre pour définir la finance de transition, une étape charnière pour le Canada, où les secteurs à fortes émissions représentent une part importante de l’économie et de la main-d’œuvre.

Dans une optique de normalisation, les pays se donnent également des infrastructures communes de mutualisation de l’information. Le principal mécanisme de diffusion de l’information auprès des investisseurs consiste à obliger les entreprises à publier leurs données sur la durabilité. À ce chapitre, l’Union européenne fait encore une fois figure de pionnière avec sa Directive en ce qui concerne la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises, qui oblige la plupart des entreprises à divulguer, à compter de 2025 (pour l’exercice financier 2024), les risques internes et les répercussions externes sur ce plan. L’Union européenne obligera également les grandes entreprises à déclarer si leurs activités cadre avec sa taxonomie – à compter de 2023 pour les entreprises non financières et de 2024 pour les sociétés financières. Ce sursis laissera à ces dernières le temps de se familiariser avec les données de leurs clients.

À ce jour, la première modélisation des risques climatiques de la Banque centrale européenne révèle que les banques peinent à réunir des modèles solides, à prendre en compte les risques physiques et les risques d’atteinte à leur réputation et à obtenir des données sur les émissions de portée 3 ainsi que sur la performance énergétique. Le Canada a récemment fait un grand pas en avant avec la publication par le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) de la ligne directrice sur la gestion des risques climatiques, même si l’obligation de déclaration ne concerne que les sociétés financières. En comparaison, le règlement de l’Union européenne sur la publication d’informations s’applique à des pans bien plus larges de l’économie : depuis son entrée vigueur, le nombre d’entreprises tenues de publier leurs données est passé de 11 700 à 49 000. Le Canada pourrait normaliser les outils d’évaluation des risques et obliger tous les secteurs de l’économie à divulguer leurs informations, en incitant le Conseil canadien des normes d’information sur la durabilité à se mettre en phase avec les obligations de déclaration du BSIF et en instaurant une réglementation plus stricte concernant la publication d’informations sur la performance énergétique.

Grâce à des informations normalisées, il est possible de bâtir une infrastructure de nouveaux instruments financiers capables de faire évoluer la finance durable. Au niveau mondial, le secteur à qui profite le plus la finance durable est celui de l’énergie, les obligations vertes constituant un instrument financier de premier plan. Cette situation s’explique naturellement par la transparence des placements dans la production d’énergie propre – intrinsèquement durables – et par les cadres bien établis régissant les obligations vertes. Cependant, elle contribue à mettre en concurrence les investisseurs, qui financent les mêmes projets de production d’énergie propre en amont en achetant massivement des obligations vertes, ce qui engendre une sous-utilisation des capitaux. Résultat : un manque criant d’investissements dans les projets en aval qui utilisent de l’énergie propre. Ainsi, des études attirent l’attention sur le fait que la croissance de la production d’énergie propre ne parvient pas à remplacer les combustibles fossiles et ne fait qu’augmenter la consommation d’énergie au lieu de la transformer. On observe les mêmes tendances financières au Canada, où, jusqu’à présent, la majorité des investissements durables vont à des projets de production d’énergie propre, principalement sous forme d’obligations vertes. Néanmoins, les gouvernements commencent à mettre en place, pour tout un éventail de nouveaux instruments, qui peuvent utiliser des informations standardisées qui pourraient contribuer à financer de nouveaux projets tout en assurant la durabilité.

Les pays se retrouvent devant l’impératif de concevoir des infrastructures financières à même de mieux répartir les investissements durables entre les différents secteurs de l’économie. Traditionnellement, la règle voulait que l’on qualifie un investissement de durable lorsqu’il finançait un projet ayant un objectif environnemental. On ne jugeait pas nécessaire d’établir un lien explicite entre le niveau de financement et les résultats, car on supposait qu’un projet correctement mis en œuvre générerait forcément des retombées positives sur le plan environnemental. Cette hypothèse se vérifiait lorsque les investissements servaient à financer uniquement des projets qui amélioraient indéniablement la durabilité, comme les projets de production d’énergie solaire photovoltaïque. En revanche, pour les projets dont les retombées ne sont pas garanties, même s’ils respectent les pratiques exemplaires en vigueur (technologies émergentes comme la captation du carbone, rénovations énergétiques qui pourraient accroître la pollution, les projets traditionnellement verts qui finissent par sous-performer de façon constante), les instruments comme les obligations vertes ne sont pas outillées pour gérer l’incertitude.

C’est ce qui explique la notoriété croissante d’un nouvel instrument appelé « finance liée au développement durable » : quasiment inexistantes en 2016, les émissions de ce type de produits ont rapidement pris de l’ampleur, passant de 35 millions de dollars américains en 2018 à 500 millions de dollars américains en 2021. Contrairement aux obligations vertes, la finance liée au développement durable suit une nouvelle règle selon laquelle les niveaux d’investissement peuvent changer en fonction des résultats mesurés en matière de développement durable (ex. : réduction des émissions). Elle tend à s’imposer dans les secteurs à fortes émissions, ce qui offre un nouveau potentiel d’impact, mais elle pourrait également fournir le mécanisme de responsabilisation nécessaire aux investissements traditionnellement verts. À ce jour, la finance liée au développement durable reste très peu encadrée par les gouvernements. En 2020, Singapour a lancé le premier programme destiné à subventionner les coûts initiaux de cette nouvelle infrastructure financière, et en 2022, le Chili et l’Uruguay sont devenus les deux seuls États à encadrer les obligations liées au développement durable, et à en émettre. Le Canada pourrait profiter de cette occasion pour élaborer des procédures et des cadres adaptés à cette nouvelle forme de financement, comparables à la toute première infrastructure conçue par la Banque européenne d’investissement et la Banque mondiale pour les obligations vertes.

Pendant ce temps, les pays progressent dans la mise en place d’infrastructures financières permettant d’approfondir les investissements dans les projets. Alors qu’un projet seul peut difficilement atteindre un rendement financier suffisant ou assez stable pour attirer l’attention des gros investisseurs, un regroupement de plusieurs petits projets peut constituer une occasion de placement attrayante. Le Canada pourrait ainsi créer une infrastructure de regroupement en envisageant le financement de projets durables à une échelle plus industrielle et collective. Par exemple, la taxonomie de l’Union européenne a assoupli les critères proposés en matière d’efficacité énergétique des bâtiments. Alors qu’auparavant seuls les meilleurs bâtiments étaient admissibles, désormais, 15 % des bâtiments les plus performants satisfont aux critères, ce qui permet au marché des obligations vertes groupées de se maintenir. Les organismes de financement canadiens pourraient également permettre le regroupement de leurs actifs financiers en instruments financiers négociables. Le gouvernement des États-Unis a ainsi émis près de 100 milliards américains de titres adossés à des créances hypothécaires sous forme d’obligations vertes groupées, et les organismes de financement des collectivités locales finlandaises et les programmes de financement immobilier américains ont accordé des prêts verts sous forme d’obligations vertes groupées.

Améliorer l’infrastructure financière durable ne suffit pas à attirer les investissements. Il faut d’abord augmenter les dépenses publiques, dans le but idéalement de corriger les défaillances du marché, puis encourager l’innovation dans la gestion de projets. À l’instar des infrastructures physiques réelles, l’infrastructure financière durable est déterminante pour assurer la rentabilité des investissements dans le climat, et il serait plus prudent d’investir dans cette infrastructure avant qu’elle ne commence à se fissurer.

Aux grand maux, les grands remèdes

Cet article d’opinion a été publié à l’origine dans le Toronto Star.

On ne se mentira pas : la Terre est dans une mauvaise passe. Il est impossible d’ignorer les effets des changements climatiques qui, chaque année, semblent s’aggraver. Déployer des efforts soutenus à l’échelle mondiale pour réduire les émissions n’est pas une mince tâche.

Mais en dépit de ce pessimisme planétaire, j’ai bon espoir. Pourquoi?

La tâche n’est pas insurmontable.

Ce qui me donne énormément d’espoir est que, plutôt que de se laisser abattre par l’ampleur des problèmes, la collectivité mondiale a souvent — pas toujours, mais souvent — sérieusement intensifié l’ampleur des solutions.

Face à l’aggravation de la perte de biodiversité, 190 nations ont récemment convenu de protéger 30 % de la surface de la Terre d’ici 2030. Il s’agit d’une solution de taille et d’une remontée fulgurante de l’ambition. Après tout, il n’y a pas si longtemps, on estimait qu’un pourcentage de 12 % suffirait. Cet engagement international de protection de « 30 % des terres et des eaux d’ici 2030 » s’inscrit désormais dans les stratégies nationales et infranationales du monde entier.

Compte tenu de la crise climatique qui s’aggrave, l’engagement mondial de réduire à zéro les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050 est un autre exemple d’un concept audacieux qui s’est rapidement implanté. En 2019, le Royaume-Uni est devenu le premier pays à s’engager juridiquement en faveur de la carboneutralité (son objectif précédent était une réduction de 80 % des émissions d’ici 2050) et ce concept a depuis lors fait boule de neige. À ce jour, plus de 70 pays qui produisent 76 % des émissions mondiales et représentent 90 % du PIB mondial se sont officiellement engagés en faveur de la carboneutralité d’ici 2050. Le concept se répand à tous les échelons de gouvernement et à toutes les couches de la société, partout dans le monde.

L’objectif de carboneutralité d’ici 2050 comporte bien des éléments, dont beaucoup sont impressionnants en soi. Par exemple, un nombre croissant de pays, dont le Canada, s’engagent à mettre en place un système énergétique carboneutre. C’est en accélérant la transition énergétique grâce à une électricité à faibles émissions que de nombreux pays, dont le Canada, s’attaquent à ce problème particulier. Ici au Canada, la décarbonation de l’électricité fait baisser les niveaux d’émissions, comme le démontrent les données récentes du gouvernement fédéral.

Parmi les autres annonces récentes concernant l’environnement présentant un degré d’ambition qui était jusqu’à présent inimaginable, mentionnons l’investissement le plus important jamais consenti le mois dernier pour l’assainissement des Grands Lacs et, bien sûr, l’effort le plus important déployé à ce jour par les États-Unis pour limiter le réchauffement planétaire, à savoir l’importante loi sur la réduction de l’inflation (Inflation Reduction Act). Des dépenses de 391 milliards de dollars américains consacrées à l’énergie et au changement climatique? Voilà une solution de taille.

Bien sûr, le chemin est semé d’embûches — comme l’Europe qui a fait marche arrière en refusant de remanier son règlement sur les substances chimiques toxiques — et bien d’autres problèmes importants qui n’ont toujours pas de solution correspondante. Un exemple de problème à la recherche d’une solution est le danger croissant de la pollution par les plastiques, que des preuves scientifiques récentes désignent désormais comme un danger pour la santé humaine. Au mois de mai, les nations du monde entier se réuniront à Paris pour le deuxième cycle de négociations en vue d’un nouveau traité mondial destiné à résoudre la crise de la pollution par les plastiques. L’enjeu est important et rien n’est encore joué.

Il y a encore beaucoup à faire pour passer de la parole aux actes. Qu’il s’agisse du « 30 % d’ici 2030 » ou de la « carboneutralité d’ici 2050 », la tâche est lourde pour transformer les engagements en politiques et ensuite obtenir des résultats. Mais dans la résolution de tout problème d’envergure, le premier pas consiste à avoir le courage d’y associer une solution de plus grande envergure encore.

Et c’est précisément ce que fait le monde. Cela donne raison d’espérer et d’éprouver un certain optimisme pour le Jour de la Terre et pour l’avenir.

Le dernier rapport sur la tarification du carbone du DPB présente de grosses lacunes

La dernière analyse publiée par le directeur parlementaire du budget (DPB) pour quantifier les retombées économiques de la tarification du carbone présente des lacunes importantes qui mènent à des conclusions erronées.

Avant de nous pencher sur ces lacunes, voyons les points forts de l’analyse : le DPB confirme que, dans la plupart des provinces, 80 % des ménages seront gagnants; les remises associées à l’incitatif à agir pour le climat, en abaissant les coûts, assurent l’équité de la tarification du carbone pour les Canadiennes et Canadiens à revenu moindre. Elles encouragent aussi les contribuables à économiser encore plus en réduisant leurs émissions pour éviter la tarification du carbone. Les « coûts fiscaux » associés sont (toujours) justifiés. Par ailleurs, ce constat correspond à des analyses précédentes.

Mais le DPB se trompe lorsqu’il évalue les coûts économiques dans leur ensemble : il passe outre les retombées économiques de la tarification du carbone et le coût de l’inaction climatique en regard de la stabilisation du climat et de la concurrence dans une économie mondiale en pleine course vers la carboneutralité. Ce sont pourtant de grands facteurs essentiels à une bonne analyse coûts-avantages de la tarification du carbone.

Dans les faits, les dommages climatiques coûtent déjà environ 720 $ par année à chaque contribuable canadien, un fardeau qui augmentera avec les répercussions climatiques pour atteindre environ 2 000 $ par année d’ici 2050. Le Canada doit faire sa part pour endiguer les émissions; c’est le fondement même de la tarification du carbone. Ces coûts sont également un poids pour l’ensemble de l’économie : au total, ils entraîneront une perte de PIB de 25 milliards de dollars en 2025, soit la moitié de la croissance annuelle.

Pourtant, le BDP néglige les objectifs climatiques du Canada. Il aurait pu tenir compte des répercussions climatiques évitées, effet bénéfique de la réduction des émissions, ou encore chiffrer la tarification du carbone relativement à d’autres politiques; après tout, le principal avantage de cette tarification est de réduire les émissions au plus faible coût. Toutefois, il a plutôt choisi de comparer les coûts à ceux d’un scénario où le Canada ignorerait tout simplement le problème climatique, sans aucune conséquence. Or de toute évidence, ce scénario est complètement fictif.

Par ailleurs, 92 % du PIB mondial vient de pays qui visent la carboneutralité. Les États-Unis, par leur loi sur la réduction de l’inflation, consacrent près de 370 milliards de dollars américains à la croissance propre, et l’Union européenne emboîte le pas en misant sur son pacte vert. Combinée aux mesures de croissance propre du dernier budget fédéral, la tarification du carbone canadienne est un avantage comparatif qui attirera des investissements dans des projets sobres en carbone.

La modélisation du DPB omet cependant de prendre la pleine mesure de ces avantages. Fondée sur une économie dépassée, elle écarte complètement la façon dont les marchés mondiaux changent – peu importe ce que fait le Canada – pour aller vers une croissance sobre en carbone. Si le Canada ne réduit pas ses émissions, il ne pourra plus soutenir la concurrence. Il pourrait même voir ses exportations pénalisées directement à cause des ajustements carbone aux frontières.

Bref, le DPB peut et doit faire mieux. Il ne doit pas se limiter aux coûts et avantages qui font son affaire ni faire l’impasse sur les grands impératifs économiques qui motivent les politiques climatiques. C’est particulièrement vrai en cette ère où certains s’empressent de minimiser les faits sur la tarification du carbone et de répandre des demi-vérités.

Budget 2023 : un équilibre entre les politiques et les programmes et des paiements pour soutenir la croissance propre

Le budget fédéral 2023 contient diverses mesures pour injecter des fonds publics dans les projets de croissance propre dans le but d’attirer des capitaux privés. En tout, le budget alloue 70 G$ pour soutenir des investissements majeurs dans l’électricité propre et la croissance verte.

Il est peut-être difficile de comprendre l’arrimage de ces mesures en parcourant la liste, mais un diagramme du budget 2023 résume bien la stratégie canadienne (voir figure 1).

Figure 1 : Pyramide des politiques du budget 2023 incitant le secteur privé à investir dans la croissance propre

Cette pyramide montre la stratégie et les principaux outils du budget 2023. En bas se trouve la tarification de la pollution et le cadre de réglementation. Dessus, les crédits d'impôt à l'invstissement et le financement stratégique. En haut se trouve les programmes ciblés.
Source : https://www.budget.canada.ca/2023/pdf/budget-2023-fr.pdf, p. 86

Examinons ce diagramme de plus près pour mieux comprendre son incidence sur l’économie propre du Canada – et ce qui donne à ces politiques leur grande importance.

La tarification du carbone demeure l’assise solide sur laquelle repose la croissance propre du Canada

Au bas de la pyramide, on retrouve la tarification de la pollution à l’échelle de toute l’économie et des cadres de réglementation flexibles et réfléchis – la fondation sur laquelle s’appuient toutes les autres politiques, qui lui sont complémentaires. Le budget 2023 confirme les intentions du gouvernement en ce qui concerne les contrats sur différence appliqués au carbone. Sorte de polices d’assurance pour les investisseurs, ces contrats leur offrent une garantie sur les prix du carbone et les protègent contre les éventuels revirements politiques. Ils procureront la stabilité nécessaire à l’investissement privé dans l’économie propre. À la base de la pyramide se trouve aussi le Règlement sur les combustibles propres, un instrument souple qui s’appuie sur le marché pour créer de vastes incitatifs.

Considérée dans son ensemble, la fondation de la stratégie canadienne est ce qui la différencie de celle des États-Unis et de son Inflation Reduction Act. L’approche canadienne se sert de leviers politiques pour faire le gros du travail, en dissuadant les grands pollueurs plutôt qu’en misant uniquement sur le déploiement à l’échelle de l’économie de subventions ou « carottes ». Non seulement ces incitatifs sont moins coûteux, mais ils permettent aussi au Canada de distribuer ses carottes plus astucieusement.

Les crédits d’impôt à l’investissement favorisent la fabrication et l’adoption de technologies propres

En plus de la tarification du carbone, le budget 2023 présente des crédits d’impôt à l’investissement substantiels et donne davantage de précisions sur des programmes déjà annoncés. Parmi toutes ces nouvelles mesures incitatives, l’étendue des technologies et des activités admissibles est frappante : électricité propre (dont la production, le stockage et le transport), hydrogène vert, adoption et fabrication de technologies propres (y compris l’extraction, le traitement et le recyclage des principaux minéraux critiques) ainsi que captation, utilisation et stockage du carbone. Bien que cette ampleur risque d’être perçue comme de l’éparpillement, elle peut aussi être considérée comme un effort du gouvernement pour établir une structure incitative large qui laisse les forces du marché la compléter – plutôt que choisir une poignée de « gagnants ».

Deux autres aspects des crédits d’impôt à l’investissement dans la croissance propre retiennent notre attention. D’abord, une grande importance a été accordée à l’électricité – un ingrédient essentiel à la compétitivité du Canada dans un avenir sobre en carbone. L’abondance et l’abordabilité de l’énergie propre sont ce qui rend le pays attrayant pour les investisseurs du monde entier. Ensuite, le budget 2023 s’inspire de la loi américaine sur la réduction de l’inflation de manière positive, en ce sens qu’il assortit les crédits d’impôt offerts aux entreprises à des critères liés aux conditions offertes à leurs employés comme un salaire décent, des avantages sociaux et le recrutement d’apprentis.

Les interactions entre les crédits d’impôt et la tarification du carbone génèrent des risques qu’il vaut la peine d’examiner minutieusement. Les réductions d’émissions issues des projets soutenus par les crédits d’impôt à l’investissement pourraient submerger les marchés provinciaux des crédits assujettis à des systèmes de tarification fondés sur le rendement et entraîner un effondrement des prix, affaiblissant l’efficacité de la tarification du carbone. Il s’agit d’une source majeure de préoccupation qui nécessitera une attention particulière à l’évaluation de la tarification du carbone de 2027, au moment où certains de ces projets seront peut-être déjà en activité. Un recours possible serait d’empêcher les réductions des projets qui ont bénéficié de crédits d’impôt à l’investissement de générer des crédits de carbone. Nous nous pencherons sur ces interactions dans quelque temps.

Les mécanismes de partage des risques propulseront des projets stratégiquement importants

À l’étage suivant, le budget 2023 présente la Banque de l’infrastructure du Canada et le Fonds de croissance du Canada comme véhicules pour l’investissement public ciblée dans d’importants projets de croissance propre. Les deux organisations ont une structure semblable à celle d’une « banque verte », qui stimule l’investissement privé en donnant accès à des capitaux à des conditions plus favorables que celles de banques commerciales. Cette approche vise à partager les risques avec des investisseurs privés plutôt que de distribuer des subventions directes, ce qui est plus rentable et moins risqué pour la population canadienne.

Le budget 2023 apporte aussi des précisions sur la gouvernance du nouveau Fonds de croissance du Canada. L’Office d’investissement des régimes de pensions du secteur public, une société d’État, administrera les actifs du Fonds. Cette disposition institutionnelle promet un équilibre sain entre l’indépendance politique des décisions d’investissement et l’expertise financière, et une solide responsabilisation quant à l’exécution du mandat du Fonds. Mais d’importantes questions restent encore sans réponse. Par exemple, quels sont les mécanismes de responsabilisation à mettre en place? Et comment le Fonds compte-t-il définir ses critères d’investissement? Son mandat est de générer des retombées pour la société, et pas seulement pour les investisseurs; il s’agit d’un changement de perspective pour les investisseurs de l’Office.

De plus, le budget a annoncé que la Banque de l’infrastructure du Canada allouera des prêts aux communautés autochtones pour l’achat de participations en capitaux dans les projets d’infrastructure dans lesquels la Banque investit. Faciliter l’accès à la propriété de projets de croissance propre aux Autochtones est un élément capital de la réconciliation économique.

Au sommet de la pyramide : les programmes ciblés

Pour couronner le tout, le budget 2023 revigore les programmes gouvernementaux existants qui portent précisément sur des aspects de la transition du Canada vers la sobriété en carbone, notamment le Fonds stratégique pour l’innovation et le Programme des énergies renouvelables intelligentes et de trajectoires d’électrification. Ces fonds visent à stimuler la croissance des secteurs où le pays dispose d’avantages concurrentiels comme l’électricité renouvelable et les combustibles propres.

C’est une base solide qui fait la stabilité d’une pyramide

En somme, la pyramide des politiques de mobilisation de capitaux privés dans la croissance propre offre un équilibre fructueux entre la consolidation du prix du carbone dans l’ensemble de l’économie canadienne par l’entremise de contrats sur différence et l’introduction de nouvelles politiques plus ciblées pour soutenir des secteurs stratégiquement importants. Le gouvernement fédéral avait plusieurs enjeux à équilibrer dans ce budget : d’une part, il devait miser sur le soutien aux technologies et aux activités les plus prometteuses et « choisir des gagnants », et, d’autre part, injecter suffisamment de fonds publics pour apporter un changement et éviter de subventionner des projets qui progresseraient avec moins d’aide ou aucune aide de l’État.

En ce qui concerne l’avenir, le budget 2023 envisage aussi le prochain grand défi de la croissance propre du Canada : les premières pelletées de terre. Il faut construire l’infrastructure et les chaînes d’approvisionnement nécessaires à la transformation de l’économie. Il est aussi nécessaire d’accélérer les processus d’approbation réglementaire et la délivrance des permis sans compromettre les progrès sur la réconciliation et les droits autochtones, et le développement durable.

Il reste fort à faire pour maintenir la compétitivité du Canada dans un monde sobre en carbone, mais dans le budget de cette semaine, le gouvernement fédéral a construit une solide fondation.

Qu’est-ce qu’un contrat sur différence?

Dans le monde des férus de politiques climatiques – et particulièrement à l’approche du budget fédéral 2023 – on parle beaucoup de contrats sur différence appliqués au carbone. Et à juste titre : ces contrats peuvent stimuler les investissements dans les projets de croissance propre, et ce, à plus faible coût pour les gouvernements que les subventions directes.

Mais voilà : il y a une panoplie de versions de contrats sur différence sur la table. Laissez-moi dresser le portrait de trois d’entre elles, qui ont chacune leurs avantages et leurs inconvénients. En effet, chacune vise un problème différent.

Version 1 : contrats sur différence appliqués au prix de référence fédéral du carbone

Il s’agit de la forme la plus simple de contrats, et de l’élément central d’une proposition formulée par Blake Shaffer et moi en 2021. Il est conçu pour prévenir le risque du « trait de plume », c’est-à-dire le risque qu’un futur gouvernement tire un trait sur la tarification du carbone, en ne la faisant pas passer à 170 $ par tonne d’ici 2030 comme prévu.

Les prévisions sur le cours du carbone sont très utiles pour déterminer la viabilité économique de divers projets sobres en carbone – qu’ils ciblent la captation et le stockage du CO₂, l’hydrogène vert ou l’électricité propre. Mais le risque que les futurs gouvernements fassent marche arrière affaiblit la certitude politique – et rend ainsi l’investissement dans les projets de croissance propre moins attrayant.

Mais revenons aux contrats sur différence appliqués au carbone. L’idée générale est qu’un organisme gouvernemental indépendant conclut des ententes avec des projets de réduction des émissions (nous avons d’abord proposé la Banque de l’infrastructure du Canada; l’Énoncé économique de l’automne de 2022 a suggéré le Fonds de croissance du Canada). Si le prix du carbone en 2030 n’atteint pas la marque de 170 $ par tonne comme prévu, le gouvernement versera une indemnité au promoteur.

Grosso modo, le contrat procure une assurance contre les revirements politiques : il permet aux projets de progresser, comme si le prix du carbone était garanti. Et le gouvernement fédéral est bien placé pour prendre ce risque puisqu’il contrôle les facteurs qui le déterminent; c’est à lui que revient la décision de rectifier ou non la trajectoire de prix.

Notons que les contrats sur différence ne devraient pas être réservés aux projets d’envergure. Les institutions financières ou les investisseurs pourraient facilement regrouper un ensemble de petits projets connexes – disons des thermopompes pour les bâtiments et des parcs de voitures électriques – et combiner ces investissements sobres en carbone pour les rendre admissibles collectivement à un contrat sur différence. C’est un point important, étant donné que le risque lié aux politiques sur la tarification du carbone est probablement plus important pour les petits émetteurs que pour les grands émetteurs, qui bénéficient de la tarification fondée sur le rendement.

Ce type de contrat tire profit de la force du nombre. La tarification du carbone est en effet plus efficace lorsqu’on le rend accessible au plus grand nombre de projets et qu’on signe le plus de contrats possible. Il est même très possible que le gouvernement fédéral n’ait rien à débourser – si le prix du carbone en 2030 est bel et bien de 170 $ par tonne. Il pourrait même en sortir gagnant : certaines sociétés pourraient bien être prêtes à payer pour cette assurance. Il pourrait fixer un « prix d’exercice » (c.-à-d., le prix à partir duquel les gouvernements sont tenus de payer la note) à 150 $ par tonne par exemple. Si le prix du carbone s’avère plus élevé que le prix d’exercice, les contrats pourraient prévoir que la facture revient alors au promoteur du projet.

Version 2 : contrats sur différence appliqués au prix des crédits sur les marchés provinciaux et territoriaux du carbone

La tarification du carbone aide les projets de réduction des émissions à prendre leur envol – tel un projet de captation du carbone, pour reprendre cet exemple – en partie en raison des crédits sur les réductions des émissions qu’elle permet de générer, qui ont une valeur monétaire. Si la tarification du carbone venait à être abolie, ces crédits perdraient toute valeur.

Mais ces crédits pourraient bien valoir moins que 170 $ par tonne en 2030 pour d’autres raisons. Les systèmes de « tarification du carbone fondée sur la production » destinés aux grands émetteurs industriels du pays ont tendance à être excessivement généreux. De nombreux systèmes de tarification du carbone ont permis aux sociétés de générer trop facilement des crédits supplémentaires. Par conséquent, il y a un risque réel d’engorgement des marchés. Ainsi, les crédits se vendent à un prix bien inférieur à 170 $. C’est un problème pour les entreprises, les projets et les investisseurs, qui misent sur la valeur des émissions non générées.

Les contrats sur différence appliqués au carbone pourraient aussi apporter une solution à ce problème, moyennant toutefois différents compromis. Les prix d’exercice pourraient être basés sur le prix des crédits plutôt que sur le prix de référence du carbone. Essentiellement, ils offriraient une garantie contre les risques des marchés du crédit de carbone, plutôt que de se concentrer sur l’incertitude politique.

Dans cette version, les enjeux – aussi bien les avantages que les inconvénients – sont plus importants.

Une plus grande certitude sur les valeurs des crédits serait plus efficace pour attirer les investissements dans les projets sobres en carbone. Pour les projets de sobriété en carbone et de carboneutralité, notamment, le prix des crédits pourrait avoir une plus grande incidence sur les liquidités des projets de croissance propre que le prix de référence du carbone, étant donné le volume de crédits potentiellement achetés et vendus, particulièrement face à l’accélération de la transition énergétique.

Mais là encore, il faut que le gouvernement assume une plus grande part de risque. Une plus grande responsabilité éventuelle (remboursements potentiels) du gouvernement ou d’organismes subventionnaires indépendants ne serait pas nécessairement une mauvaise chose : elle pourrait stabiliser la tarification du carbone.

Mais la probabilité que le gouvernement doive payer dépend du resserrement du système de tarification fondé sur le rendement dans les provinces et les territoires, soit l’augmentation de la demande en crédits et la diminution de l’offre. Le gouvernement fédéral a une certaine influence en la matière : il définit des critères d’un système provincial ou territorial acceptable (ou non acceptable, auquel cas le système fédéral s’impose).

À l’inverse, les contrats sur différence fédéraux sur le prix des crédits pourraient inciter les provinces à affaiblir leur système de tarification du carbone, plutôt qu’à le renforcer. Résultat : des coûts de carbone plus faibles et davantage d’argent du fédéral injecté dans les projets provinciaux. Si ces incitatifs compliquent le resserrement de la tarification du carbone industriel, les contrats sur différence appliqués aux prix des crédits se présentent davantage comme une subvention directe que comme un partage des risques.

Ces considérations viennent complexifier ce type de contrat. Clean Prosperity et l’Accélérateur de transition soutiennent toutefois que les bienfaits supplantent les risques. De plus, les CEC sur les crédits pourraient aussi être assortis de conditions, comme des exigences de transparence sur les prix du marché des crédits. Il n’en demeure pas moins que les inconvénients de ce type de CEC nécessiteront un programme vaste et soigneusement réfléchi.

Version 3 : contrats sur différence appliqués au prix d’autres produits (et non sur les émissions de dioxyde de carbone)

Ce n’est peut-être pas que l’incertitude politique qui empêche l’avancement d’un projet. Certains projets pourraient ne pas être encore rentables à un prix du carbone de 170 $ par tonne, mais auraient d’autres avantages pour la société qui justifient un investissement public : ils peuvent stimuler l’innovation ou se prévaloir de la prime du premier entrant dans les marchés mondiaux.

Les contrats sur différence peuvent aussi jouer un rôle dans l’élimination des obstacles à l’investissement – mais ils peuvent ne pas être appliqués au carbone. À la place, les contrats appliqués sur les prix d’exercice fondés sur les prix des produits peuvent surmonter le risque lié à la demande future en produits durables, comme l’électricité propre, l’acier sobre en carbone, le ciment ou l’hydrogène.

Les contrats sur différence du Royaume-Uni, par exemple, fixent un prix minimum pour l’électricité propre, éliminant le risque lié à un éventuel déclin de la demande. L’Alberta a adopté une approche semblable. Les deux politiques procurent des garanties fondées sur les prix de l’électricité, et utilisent des « enchères inversées » pour laisser les forces du marché déterminer le prix d’exercice nécessaire pour lever le risque lié à l’investissement dans l’électricité.

Par l’entremise du nouveau Fonds de croissance du Canada, le gouvernement fédéral pourrait aussi instaurer ces types de contrats sur différence, mais dans les secteurs du ciment ou de l’acier, étant donné que l’électricité est de compétence provinciale. Il est toutefois mieux de les envisager étroitement selon chaque projet : les détails des ententes qui ont une valeur tant pour les projets que pour la société varieront d’un projet à l’autre et nécessiteront une approche sur mesure. De plus, dans certains cas, ce type de contrat pourrait bien procurer un soutien public qui vaut plus que 170 $ par tonne d’émission de gaz à effet de serre (c.-à-d., les versions 1 et 2). Les projets pionniers qui présentent une innovation et une bonification des connaissances sont susceptibles de mériter ce soutien supplémentaire et l’atténuation des risques.

De multiples outils pour de multiples problèmes

Au bout du compte, la transition vers la carboneutralité demandera une importante mobilisation de fonds privés pour la conception de projets de croissance propre. Les contrats sur différence sont un instrument extrêmement utile pour les gouvernements qui souhaitent attirer de tels capitaux. Ils partagent les risques plutôt que de les faire porter par l’État, en recueillant des fonds privés et en réduisant le fardeau fiscal pour les gouvernements.

Mais en examinant l’exploitation des contrats sur différence par le gouvernement fédéral dans son budget 2023, il faut tenir compte des différents types de contrats séparément. Ils peuvent et doivent être administrés de manière distincte, en fonction de leurs forces et de leurs faiblesses.

Le budget 2023 est un plan judicieux pour maintenir la compétitivité du Canada

Le budget fédéral 2023 prévoit un soutien significatif pour l’accélération d’une croissance faible en carbone et au déploiement d’un approvisionnement en énergie propre à travers le pays – soulignant la nouvelle réalité où l’action climatique est synonyme de politique économique.

Il s’agit en fait du plus important budget de l’histoire récente en termes d’accélération de croissance propre au Canada. Les principales économies du monde ont compris qu’investir dans les énergies propres est un gage de compétitivité future, et le budget fédéral 2023 prend les mesures nécessaires pour s’assurer que le Canada ne sera pas dernier du peloton dans la course mondiale vers la carboneutralité.

Il s’agit d’une réponse judicieuse et stratégique à l’Inflation Reduction Act des États-Unis. Ancré sur les bases des atouts politiques existants du Canada, notamment la tarification du carbone et la réglementation sur les combustibles propres, le budget fédéral fournit un soutien ciblé permettant d’attirer les capitaux privés nécessaires au développement de nouvelles sources de croissance propre. Plus spécifiquement, les nouveaux investissements par l’entremise de crédit d’impôts à l’investissement (dont le coût est estimé à 17 milliards de dollars sur cinq ans) ainsi qu’une attention particulière au Fonds de Croissance du Canada et à la Banque de l’Infrastructure du Canada aideront à mobiliser des investissements additionnels dans de projets de croissance propre à travers le pays. Des projets comme la production d’électricité propre, l’hydrogène, les véhicules électriques et les batteries.

Les crédits d’impôt à l’investissement vont permettre d’orienter les investissements vers de nouvelles sources de croissance économique et de compétitivité. Par exemple, un crédit remboursable de 30 % soutiendra l’investissement dans de nouveaux équipements utilisés pour fabriquer ou traiter des technologies propres et extraire, traiter ou recycler des minéraux critiques. De plus, des crédits d’impôt de 15 à 40 % soutiendront la production d’hydrogène propre et sa conversion en ammoniac pour en faciliter le transport.

En confiant à l’Office d’investissement des régimes de pensions du secteur public (Investissements PSP) la gestion des actifs du Fonds de Croissance du Canada, le budget assure que le Fonds sera en mesure de mobiliser rapidement des capitaux privés. Point important à noter, le budget souligne l’importance de la transparence et de la reddition de compte pour assurer des investissements conformes au mandat du Fonds de croissance.

Par ailleurs, le budget clarifie le rôle de la Banque de l’Infrastructure du Canada pour en faire “le principal outil de financement du gouvernement pour soutenir les projets de production, de transport et de stockage d’électricité propre”. En s’appuyant sur les ressources existantes, il prévoit un soutien d’au moins 10 milliards de dollars pour l’énergie propre et de 10 milliards de dollars supplémentaires des infrastructures de croissance propre. Soulignons que le budget indique également que la Banque de l’Infrastructure du Canada accordera des prêts pour aider les communautés autochtones à acquérir des participations dans les projets dans lesquels la Banque investit, une approche conforme à nos recommandations.

Un autre outil politique important est passé de la marge à la norme dans ce budget. Les contrats carbone sur différence tirent parti du plus grand avantage du Canada – la tarification du carbone – pour aider à attirer des investissements dans des projets de croissance propre à un coût moindre que par des subventions directes. Nous soutenons fermement cette approche. Charger le Fonds de Croissance du Canada de fournir de tels contrats sur mesure pour les grands projets – qu’ils soient liés aux prix du carbone ou à des produits de base tels que l’hydrogène – permettra de faire avancer plus rapidement certains projets à court terme. En menant des consultations sur des contrats sur différence plus larges, il peut renforcer la certitude quant aux prix futurs du carbone, consolidant ainsi l’efficacité de la tarification du carbone à long terme.

L’électricité propre est l’un des piliers de la trajectoire du Canada vers la carboneutralité et de sa compétitivité future – un fait qui ressort très clairement de ce budget.  Ce budget prend des mesures importantes pour construire des réseaux électriques plus grands, plus propres et plus intelligents d’un océan à l’autre, en tirant parti des ressources existantes par l’entremise du Fonds de Croissance du Canada et de la Banque de l’Infrastructure du Canada, et en offrant de nouveaux crédits d’impôt à l’investissement pour le secteur de l’électricité, d’une valeur de 6,3 milliards de dollars au cours des cinq prochaines années et de 25,7 milliards de dollars au cours de la prochaine décennie. En rattachant ces crédits d’impôt (dont certains sont accessibles aux sociétés d’État et aux services publics) aux engagements pris par les provinces en faveur d’une électricité carboneutre et abordable, le budget créera également des incitatifs pour que les provinces et les territoires prennent des mesures essentielles en matière d’électricité propre. Ces changements appuieront la transition du Canada vers la carboneutralité et rendront l’énergie plus abordable et plus fiable pour les Canadiens à long terme.

Enfin, le budget prévoit un certain soutien pour renforcer la résilience face aux catastrophes liées au climat. Il consacre 15 millions de dollars à Sécurité publique Canada pour créer un portail accessible au public fournissant des informations sur leur vulnérabilité aux inondations, 48 millions de dollars pour identifier les zones inondables à haut risque et mettre en œuvre la modernisation du programme d’Accords d’aide financière en cas de catastrophe, et 31,7 millions de dollars pour mettre en place un programme d’assurance contre les inondations pour les Canadiens qui n’ont pas accès à l’assurance.

Grâce à ces engagements, le budget 2023 investit dans les bonnes priorités pour lutter contre le changement climatique et construire une économie plus forte, plus propre et plus compétitive.

Les priorités environnementales à surveiller dans le budget 2023

Lorsque le président Biden s’adressera au Parlement cette semaine, l’encre du prochain budget fédéral sera à peine sèche.

La visite présidentielle tombe à point; en effet, la réponse du Canada à l’Inflation Reduction Act (loi sur la réduction de l’inflation) des États-Unis devrait occuper une place importante dans le budget 2023.

Mais la façon dont Ottawa peut jeter les bases d’une économie compétitive et florissante n’est pas la seule priorité que nous surveillons dans ce budget : le gouvernement doit également garder le cap sur les objectifs de lutte contre les changements climatiques et de réduction de la pollution du Canada, et donner suite à ses intentions de déployer des mesures ciblées visant à rendre la vie plus abordable.

Avec des politiques judicieuses, il pourrait réaliser ces trois objectifs d’un coup. Comment? Examinons les deux plus grandes priorités stratégiques en environnement auxquelles ce budget peut s’attaquer : les investissements propres et l’électricité propre.

Priorité no 1 : Attirer des investissements et stimuler la concurrence propre

Si l’ampleur des investissements américains dans les solutions climatiques est bienvenue, elle risque également d’engendrer une fuite des capitaux et des projets de croissance propre chez notre voisin du Sud. Pour se monter à la hauteur, le Canada doit déployer une réponse bien de chez nous. Dans cet ordre d’idées, nous avons formulé sept recommandations pour tirer profit des investissements publics visant à contribuer à la compétitivité du Canada dans la transition énergétique mondiale.

Nous attendons notamment des précisions dans le budget 2023 sur les incitatifs du Fonds de croissance du Canada au secteur privé pour l’investissement dans de nouveaux projets d’énergie propre. Que ce soit par l’électricité propre, l’hydrogène ou le captage et le stockage du CO₂, les projets de croissance propre apportent de nouvelles sources de croissance économique. Ils peuvent procurer un nouvel avantage au Canada dans les marchés mondiaux qui se disputent un bassin croissant de capitaux verts et de transition.

Mais la façon dont le budget favorisera la croissance propre importe – surtout lorsqu’il est question du coût de la vie. La simple reproduction de l’Inflation Reduction Act au Canada constituerait une proposition coûteuse, que les contribuables paieraient aujourd’hui et demain, et qui risquerait d’alimenter l’inflation. Heureusement, le Canada a un atout dans sa manche que les États-Unis n’ont pas dans la course à la croissance propre : la tarification du carbone.

Fixer un prix pour la pollution incite fortement les entreprises à investir; l’État peut et devrait intervenir de manière plus ciblée pour soutenir les projets et les entreprises. Par exemple, privilégier les contrats carbone pour différence plutôt que les subventions directes générerait une stabilité politique pour les investisseurs privés – le risque étant partagé plutôt que porté par l’État – qui pourrait les inciter à investir dans les projets de croissance propre.

Priorité no 2 : Un réseau électrique plus grand, plus propre et plus intelligent

Le budget 2023 est aussi l’occasion d’investir dans le pilier d’une trajectoire vers un avenir sobre en carbone, concurrentiel et abordable pour le Canada : un réseau électrique plus grand, plus propre et plus intelligent.

Bien faite, la transition des combustibles fossiles vers l’électricité propre peut occasionner une baisse de tarifs d’électricité pour les consommateurs  à long terme. Une électricité propre, abondante et abordable est également un incontournable pour attirer de nouveaux investissements privés. Mais cela ne va pas sans un développement considérable de l’électricité propre – dont les coûts ne font que baisser – et de l’infrastructure qui s’y rattache. Et pour y arriver, il faudra que les gouvernements provinciaux, territoriaux et fédéral rament dans le même sens.

Le budget 2023 devrait catalyser cette transition. Les crédits d’impôt à l’investissement fédéraux (dont il a été question dans l’Énoncé économique de l’automne) seront déterminants pour la mobilisation des investissements en électricité – surtout s’ils sont appliqués largement à tous les types de production propre et si les services publics en bénéficient. L’élargissement des programmes existants, en particulier le soutien pour relier les réseaux provinciaux, serait également utile. Ces mesures font porter une partie du fardeau économique des consommateurs aux contribuables, un facteur d’abordabilité et d’équité pour les tarifs d’électricité.

Le budget pourrait également marquer le début d’un véritable électro-fédéralisme, où le gouvernement fédéral fournit des fonds supplémentaires importants aux provinces pour investir de manière descendante dans leurs réseaux électriques. En assortissant ce financement de certaines conditions essentielles (obliger les autorités de réglementation et les services publics des provinces à atteindre des objectifs climatiques, mandater des évaluations de trajectoires indépendantes et élaborer des plans énergétiques complets), le gouvernement fédéral pourrait stimuler le développement nécessaire des réseaux électriques provinciaux – sans pour autant empiéter sur la compétence provinciale en matière d’électricité.

À surveiller dans le budget 2023

Le budget 2023 représente une occasion réelle et tangible de réaliser d’importants objectifs – à la fois pour l’économie tout entière et pour le portefeuille des ménages canadiens – tout en rapprochant le pays de ses cibles climatiques pour 2030 et 2050.

Dans cette optique, voici les éléments que nous allons surveiller :

  1. Des lignes directrices précises, pour que le Fonds de croissance du Canada mobilise des investissements dans les projets de croissance propre, et le fasse rapidement.
  2. Une stratégie de financement publique qui utilise les contrats carbone pour différence afin de mettre à profit la tarification du carbone du Canada en soutien aux projets de croissance propre.
  3. Des incitatifs clairs sous forme de crédits d’impôt à l’investissement pour le secteur de l’électricité et d’autres mesures, comme le financement des connexions réseau interprovinciales.
  4. Un engagement à poursuivre, en partenariat avec les provinces, une approche d’électro-fédéralisme conçue pour entraîner les améliorations nécessaires du réseau électrique canadien. 

Si le budget 2023 vise juste sur ces priorités, il constituera un grand pas vers l’avant – pour le climat, pour la compétitivité et pour une vie plus abordable.

Selon une nouvelle analyse, la plupart des ménages canadiens réaliseront des économies grâce à l’électrification

Cet article a précédemment été publié dans Corporate Knights.

Les changements climatiques et l’abordabilité sont intimement liés; en effet, chaque année, les répercussions des changements climatiques coûtent déjà 720 $ en moyenne à la population canadienne en raison des réparations après une inondation ou un feu incontrôlé, par exemple. En outre, le prix est appelé à doubler ou tripler d’ici 2050.

La réduction des émissions peut contribuer à atténuer ces effets et les coûts afférents. L’Institut climatique du Canada a exploré en profondeur les voies qui s’offrent au Canada pour atteindre la carboneutralité, et nul doute que la volte-face des combustibles fossiles à l’électricité propre est l’une des pierres angulaires de la vision d’un Canada carboneutre et une nécessité pour la concurrentialité du pays.

Notre dernière analyse révèle également un autre avantage de taille : cette transition permettra de diminuer la part du revenu des Canadiens consacrée à l’énergie.

Plus précisément, nos calculs les plus récents montrent qu’en moyenne, les coûts énergétiques diminueront d’environ 12 % d’ici 2050 (la cible du Canada pour l’atteinte de la carboneutralité), même en tenant compte des investissements nécessaires à l’installation d’équipement résidentiel et à l’expansion des réseaux. Et ce pourcentage ne tient même pas compte des politiques existantes visant à alléger le fardeau financier des ménages pour la transition (par exemple, les incitatifs pour les véhicules électriques, les subventions pour les rénovations résidentielles et les remises de la tarification du carbone). Bien que ce résultat puisse en surprendre plus d’un, deux Canadiens sur trois y croient déjà, selon un sondage récent.

Ce graphique montre que les dépenses globales des ménages dans la transition vers la carboneutralité diminueront de 12% entre 2020 et 2050.

Pensez à l’argent que vous dépensez chaque année pour faire le plein de votre véhicule. En moyenne, les Canadiennes et Canadiens qui parcourent 15 000 km par année dépenseront 2 000 $ en essence (sans compter la récente hausse des prix du pétrole), alors qu’il leur en coûterait 350 $ par année pour un véhicule électrique. Les moteurs électriques sont deux fois plus efficaces que les moteurs à combustion pour convertir leur source d’énergie en énergie cinétique. Ainsi, même si les tarifs d’électricité moyens augmentent en raison de l’expansion des réseaux pour répondre à la demande, le coût total de propriété et d’utilisation d’un véhicule électrique demeure tout de même plus économique. D’ailleurs, les consommateurs commencent à s’en rendre compte : environ 10 % des véhicules vendus au Canada l’an dernier étaient électriques. Bien que ceux-ci soient toujours plus chers à l’achat, le coût des batteries a chuté de plus de 90 % depuis 2010. Et plus la part de marché de ces véhicules augmentera, plus les économies d’échelle et l’expérience feront baisser leur coût. Selon certaines sources, il pourrait y avoir parité des prix d’ici cinq ans, sans subventions.  

Dans le même ordre d’idées, les thermopompes (qui servent à la fois à chauffer et à climatiser et sont généralement trois fois plus efficaces que les plinthes électriques et les chaudières au gaz) offrent aux consommateurs un retour sur l’investissement; cependant, il sera important de continuer à couvrir une partie des coûts de l’équipement pour les rendre accessibles, même si les coûts sont à la baisse. Les occasions de financement, par exemple des prêts à faible taux d’intérêt, peuvent permettre aux ménages d’absorber les coûts d’achat et d’obtenir plus rapidement un retour sur leur investissement (ces subventions existent déjà, mais elles sont parfois trop complexes).

L’abordabilité n’est pas qu’une question de prix moyens : c’est aussi une question de stabilité. Les prix des combustibles fossiles sont beaucoup plus volatils, comme l’ont démontré les flambées record des prix de l’essence et du gaz découlant de la guerre en Ukraine. Pour les ménages, les hausses de prix entraînent des problèmes de liquidité; une volte-face vers les véhicules et le chauffage électriques peut éviter aux Canadiennes et Canadiens de se retrouver devant des choix budgétaires soudains et difficiles en raison de la conjoncture mondiale.

Les données le confirment : de nombreuses études américaines montrent que les prix de l’électricité sont plus stables et prévisibles que ceux de l’essence et du gaz pour la consommation intérieure, et ce, même avant la crise en Ukraine. De plus, selon l’Agence internationale de l’énergie, une trajectoire vers la carboneutralité permet non seulement de réduire les factures énergétiques de ménages, mais également de protéger ceux-ci des flambées des coûts énergétiques à l’échelle planétaire, réduisant les coûts de 40 % en de telles périodes par rapport au statu quo.

Bien sûr, l’électrification généralisée présente son propre lot de défis. Les ménages à faible revenu et les locataires, en particulier, risquent de ne pas pouvoir tirer leur épingle du jeu. Par exemple, bien que ce soient les locataires qui paient la facture d’énergie, ce sont les propriétaires qui choisissent les systèmes de chauffage. Les ménages à faible revenu seront probablement parmi les derniers à délaisser les combustibles fossiles; ainsi, le coût du maintien des systèmes à l’énergie fossile leur incomberait de manière disproportionnée. Des politiques réfléchies permettront à l’ensemble de la population canadienne de profiter de tous les avantages de l’électrification.

Bien exécutée, la transition énergétique ne sera pas seulement bénéfique pour l’environnement ou l’économie, mais elle sera également avantageuse financièrement.

Le secteur public n’a pas besoin de subventionner davantage les sables bitumineux canadiens pour concurrencer les États-Unis

L’Inflation Reduction Act des États-Unis (loi sur la réduction de l’inflation) suscite des inquiétudes quant à la concurrentialité du secteur pétrolier en amont dans la transition énergétique vers la sobriété en carbone. Selon l’industrie, les nouveaux incitatifs américains attireront les capitaux dans les technologies de captation, d’utilisation et de stockage du carbone (CUSC) au sud de la frontière.

Or, une nouvelle analyse montre que lorsqu’on tient compte de l’ensemble des incitatifs gouvernementaux en place en ce qui concerne la CUSC dans ce secteur, les carottes canadiennes sont bien assez sucrées.

Le Canada est-il en concurrence avec les États-Unis pour les capitaux en CUSC?

Pour atteindre son objectif de carboneutralité, le Canada doit réduire rapidement ses émissions  provenant de la production pétrolière en amont. Plusieurs technologies différentes contribueront à cette transformation, mais le secteur privé et les gouvernements croient que la CUSC a énormément de potentiel.

Mais il faudra une vague d’investissements pour que la CUSC gagne du terrain dans ce secteur. C’est pourquoi les gouvernements nord-américains sont intervenus : pour aider à mobiliser les capitaux privés et à lancer des projets.

Le Canada disposait déjà de mesures incitatives pour le déploiement des technologies de CUSC avant d’en annoncer de nouvelles. Mais l’industrie en réclame davantage, craignant que celles de l’Inflation Reduction Act entraînent une fuite des capitaux chez nos voisins du sud, ce qui rendra le respect de ses engagements environnementaux plus difficile et coûteux.

Notre analyse montre cependant que ces affirmations sont non fondées.

La CUSC dans le secteur des sables bitumineux canadiens n’a pas besoin de plus de carottes

Lorsque l’on additionne tous les règlements et les incitatifs offerts par les gouvernements canadiens pour la CUSC dans le secteur pétrolier en amont (voir figure ci-dessous), on obtient une somme plus importante que celle offerte aux États-Unis.

Notre analyse porte sur les plus grandes régions productrices de pétrole de chaque pays, soit l’Alberta et le Texas. Au Texas, les mesures incitatives prennent surtout la forme d’un crédit d’impôt, le 45Q, qui offre environ 115 dollars canadiens aux projets américains pour chaque tonne de carbone que ceux-ci arrivent à séquestrer. Cette mesure, en place depuis 2008, a été étendue et bonifiée par l’Inflation Reduction Act.

Ce graphique montre la valeur estimée du soutien financier pour la CUSC dans la production pétrolière en amont aux États-Unis et en Alberta. 
Même en partant d’hypothèses prudentes, ces incitatifs s’élèveraient à au moins 135 dollars canadiens la tonne; dans un scénario très optimiste, les incitatifs canadiens pourraient atteindre jusqu’à 275 dollars la tonne, soit plus du double de ce qui est offert aux États-Unis.

En Alberta, où se trouve la grande majorité des projets de CUSC annoncés au Canada, les crédits offerts par le règlement TIER (sur l’innovation technologique et la réduction des émissions), combinés aux mesures incitatives du crédit d’impôt à l’investissement et du Règlement sur les combustibles propres annoncés par le gouvernement fédéral, surpasseront le crédit 45Q en 2030. Même en partant d’hypothèses prudentes, ces incitatifs s’élèveraient à au moins 135 dollars canadiens la tonne; dans un scénario très optimiste, les incitatifs canadiens pourraient atteindre jusqu’à 275 dollars la tonne, soit plus du double de ce qui est offert aux États-Unis.

Bien qu’une certaine incertitude subsiste quant au montant exact de l’aide financière du secteur public canadien, qui n’est d’ailleurs pas négligeable à l’heure où les entreprises s’apprêtent à investir de manière importante, les gouvernements disposent déjà de divers leviers pour améliorer la situation. En ce qui concerne la valeur des crédits du TIER et les revenus générés par la captation et le stockage des émissions de carbone, ils peuvent resserrer le marché afin de prévenir une surproduction. Ils peuvent aussi verrouiller le prix du carbone à l’aide de contrats sur différence pour assurer la stabilité de la tarification dans le temps. Les outils pour faire face à l’incertitude sont déjà disponibles.

Les sables bitumineux canadiens ne sont pas en concurrence directe avec les producteurs américains pour l’obtention de capitaux

La concurrence transfrontalière pour les capitaux est également limitée par les différents profils de ressources et d’émissions dans les deux pays. Aux États-Unis, environ 75 % des émissions des installations terrestres proviennent de l’évacuation, du torchage et d’émissions fugitives de méthane (contre 12 % pour les sables bitumineux canadiens). De plus, comme la production pétrolière en amont y est moins centralisée qu’au Canada, il y a moins de grandes sources d’émissions. Ainsi, le moyen le plus économique de réduire les émissions en amont aux États-Unis est de se concentrer sur le méthane, et non de recourir aux technologies de CUSC.

Le portrait est différent au Canada, où les arguments en faveur du déploiement de ces technologies sont plus nombreux. Les sables bitumineux représentent environ 65 % de la production pétrolière au Canada, et une grande partie de leurs émissions proviennent d’un petit nombre de sources concentrées, comme la combustion de gaz naturel pour des projets in situ ou la production d’hydrogène pour les usines de valorisation du bitume.

La figure ci-dessous montre les projets de CUSC annoncés pour les deux pays (en date de septembre 2022); on y voit que les producteurs pétroliers en amont au Canada misent bien plus sur la CUSC que les producteurs américains. Sur les 110 projets de captation annoncés aux États-Unis, aucun n’est associé à la production pétrolière terrestre en amont, alors que sur les 24 projets annoncés pour la seule province de l’Alberta, 14 sont dans des installations d’extraction des sables bitumineux.

Ce graphique montre le nombre de projets de captation annoncés aux États-Unis et en Alberta, par sous-secteur et en date d'octobre 2022. 
on y voit que les producteurs pétroliers en amont au Canada misent bien plus sur la CUSC que les producteurs américains. Sur les 110 projets de captation annoncés aux États-Unis, aucun n’est associé à la production pétrolière terrestre en amont, alors que sur les 24 projets annoncés pour la seule province de l’Alberta, 14 sont dans des installations d’extraction des sables bitumineux.

La concurrentialité économique, bien au-delà des subventions à la CUSC

Ces résultats s’inscrivent dans un débat plus large à savoir comment le Canada pourra « se mesurer » au Inflation Reduction Act. Bien que la concurrence transfrontalière est une priorité pour l’industrie canadienne, il faut savoir que les subventions pour la CUSC entraînent un coût de renonciation.

Chaque dollar public investi dans les technologies de CUSC du secteur pétrogazier en amont est potentiellement un dollar de moins investi dans d’autres grandes priorités, comme l’énergie renouvelable, les batteries et le stockage, et les combustibles propres.

Les gouvernements doivent donc trouver un juste équilibre entre tout un éventail de priorités d’investissements concurrentes.

Les gouvernements provinciaux et fédéral devraient également prendre garde à ne pas subventionner à l’excès la CUSC dans le secteur pétrogazier. En effet, l’ajout de nouvelles mesures (en plus de celles déjà annoncées) risquerait d’augmenter les freins à la décarbonisation et le nombre d’actifs délaissés. Bien sûr, les mesures incitatives permettent de mobiliser des capitaux privés pour réduire les émissions du secteur, mais les outils réglementaires, comme la tarification du carbone et le plafonnement des émissions du secteur, sont tout aussi utiles.

Les responsables des politiques ne devraient donc pas se demander si les mesures de soutien canadiennes rivalisent ou non avec celles des États-Unis, mais plutôt si le train de mesures de soutien pour la CUSC est pertinent compte tenu de la situation particulière du secteur pétrolier en amont au pays.

Les investissements en CUSC au Canada font concurrence à ceux des États-Unis

À l’heure où les États-Unis (et d’autres partenaires commerciaux) renforcent leurs politiques visant à attirer et à mobiliser des investissements privés, il est essentiel de maintenir l’avantage concurrentiel du Canada. Toutefois, dans le secteur pétrolier en amont au Canada, les comparaisons entre les mesures incitatives des deux pays ne tiennent pas compte de leurs différences importantes en matière de politiques et de trajectoires de décarbonisation.

Au Canada, les politiques climatiques pour favoriser la CUSC se superposent, alors qu’aux États-Unis, il s’agit presque exclusivement de subventions. Bien que les politiques en lien avec le crédit d’impôt à l’investissement en CUSC et les contrats sur différence restent à peaufiner, il semble, selon notre nouvelle analyse, que le train de mesures canadiennes (un mélange de règlements et de subventions) pour la CUSC dans le secteur pétrogazier en amont surclassera ce qui est offert chez nos voisins du sud. À l’avenir, les gouvernements devraient œuvrer à optimiser ces politiques afin de réduire l’incertitude associée aux revenus générés par la captation et la séquestration des émissions, d’autant plus que les détails en seront précisés dans le budget fédéral plus tard ce mois-ci.

Dans certaines installations, il ne serait pas logique d’un point de vue financier ou logistique de mettre en place des technologies de CUSC (c’est d’ailleurs l’un des sujets sur lesquels l’Institut climatique du Canada se penchera dans des recherches ultérieures). Toutefois, lorsque leur mise en place tombe sous le sens, notre analyse montre qu’en ce qui concerne la CUSC, le secteur des sables bitumineux n’a pas besoin de soutien supplémentaire des gouvernements canadiens.