Examen du projet de Règlement sur l’électricité propre (partie 2)

Voir la partie 1.

En août 2023, le gouvernement du Canada a publié son projet de Règlement sur l’électricité propre (REP), dans lequel il expose les détails d’une nouvelle politique majeure appelée à jouer un rôle primordial dans la décarbonisation des réseaux électriques du pays grâce à l’avantage concurrentiel conféré par l’électricité propre. Les avis sont partagés sur la réussite de ce règlement à concilier une réduction considérable des émissions avec l’abordabilité et la fiabilité de la production électrique.

Dans le premier des deux volets de cette série, nous avons examiné certains aspects importants de la conception et les compromis qu’ils tentaient de faire. Dans ce second volet, nous plaçons le règlement dans un contexte élargi et passons en revue quelques-unes des autres politiques en matière d’électricité qui, une fois conjuguées, peuvent faire progresser le Canada vers la carboneutralité du réseau électrique d’ici 2035.

Ces dernières années ont vu des changements majeurs se produire politiquement dans le secteur de l’électricité, le gouvernement fédéral ayant décidé d’endosser un rôle de premier plan dans au moins deux domaines particuliers : la lutte contre la pollution par le carbone ainsi que le financement de la transformation des réseaux et du déploiement d’une électricité et d’une infrastructure plus propres.

Les interventions dans chacun de ces domaines se sont accompagnées de leurs propres politiques qui jouent un rôle crucial dans la réalisation de nos objectifs de carboneutralité, mais qui ont aussi des limites quant aux résultats qu’elles peuvent obtenir à elles seules.

Politiques en vigueur destinées à lutter contre la pollution climatique

Dans le secteur de l’électricité, la lutte contre la pollution climatique est prise en charge conjointement par le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux; ces dernières années, le premier a adopté plusieurs politiques importantes visant à lutter contre ces émissions. Il s’agit notamment des règlements destinés à limiter les émissions de gaz à effet de serre générées par les centrales au gaz naturel et au charbon, notamment par l’instauration d’un système de tarification du carbone à l’échelle de l’économie.

La tarification du carbone pour les activités industrielles, comme la production d’électricité, est actuellement régie par un système de tarification fondé sur le rendement (STFR). En théorie, un système de tarification du carbone dans le secteur devrait inciter les acteurs de l’électricité à déployer des technologies de production d’énergie carboneutres et les dissuader d’utiliser des technologies émettrices vu la majoration du coût de ce dernier type de production. 

En pratique cependant, bien que le prix du carbone encourage la réduction des émissions, l’efficacité de cette mesure est compromise par l’application du STFR au secteur de l’électricité. Le gouvernement fédéral y range ainsi la production électrique dans la même catégorie que les « industries exposées au commerce et intensives en émissions », qui comprend le ciment et l’acier. Cette catégorisation fait que les producteurs n’ont pas à supporter le prix total du carbone, et ce malgré l’absence de problème de compétitivité qui justifierait ce traitement.

Résultat : les producteurs n’ont à payer le prix du carbone que pour les émissions supérieures aux valeurs de référence fixées. Autrement dit, seule une partie des émissions totales du secteur est soumise au prix total du carbone.

À cause de ce problème de conception, le signal que le prix envoie est faible. En effet, on se trouve d’une part à réduire le prix total du carbone imposé aux centrales à combustible fossile, et d’autre part à amoindrir l’avantage conféré par la production carboneutre ou à faibles émissions. En substance, les centrales au gaz et au charbon bénéficient d’importantes subventions à la production sous forme d’émissions gratuites, un avantage par ailleurs refusé à la production carboneutre comme celles des énergies renouvelables.

S’il ne fait aucun doute que la tarification du carbone peut et doit jouer un rôle décisif dans la réduction des émissions du secteur, les choix de conception susmentionnés nuisent à l’efficacité de cette mesure. En outre, selon des recherches indépendantes, le gouvernement canadien ne peut pas compter uniquement sur le prix du carbone pour réaliser les réductions d’émissions nécessaires dans le secteur de l’électricité afin de mettre en place un réseau d’électricité carboneutre en 2035.

Comme cela a été souligné ailleurs, le REP allié à un prix du carbone revu pour l’électricité peut permettre d’atteindre les objectifs de carboneutralité fixés par le gouvernement pour 2035, mais seulement s’ils sont conçus pour envoyer les bons signaux.

Encourager les investissements propres

Il est un autre domaine stratégique où le gouvernement fédéral a agi : l’établissement de nouveaux mécanismes de financement pour soutenir le déploiement rapide des technologies propres. La décarbonisation de nos réseaux électriques et de notre économie passe obligatoirement par des investissements. Or, le rythme auquel il faut prendre des mesures et l’ampleur de ces dernières nous forcent à mettre en place des mécanismes qui ne se limitent pas à faire payer la facture aux propriétaires et aux entreprises.

Pour y remédier, le gouvernement fédéral a mis en place une série de nouveaux mécanismes de financement. Il s’agit notamment de la nouvelle orientation de la Banque de l’infrastructure du Canada et des nouvelles mesures annoncées dans le budget 2023, comme le crédit d’impôt à l’investissement (CII) et divers programmes de financement, notamment le Programme des énergies renouvelables intelligentes et de trajectoires d’électrification (ERITE).

Grâce à ces programmes de financement, la transition vers l’électricité propre sera éventuellement abordable pour la population canadienne. Et selon une étude menée par l’Institut climatique du Canada, le financement prévu dans le budget 2023 est particulièrement important pour les provinces dotées de réseaux à plus forte intensité d’émissions, comme l’Alberta, la Saskatchewan, la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick. Ces provinces pourront recevoir des subventions 33 % supérieures par gigawatt de capacité actuelle à celles qui sont octroyées aux provinces riches en ressources hydroélectriques.

Toutefois, ces programmes ne représentent que les investissements potentiels que propose le gouvernement fédéral. Afin de débloquer ces fonds fédéraux, les provinces doivent s’engager à construire des installations de production d’électricité non polluantes et les infrastructures afférentes (le ministère fédéral des Finances mène encore des consultations sur les conditions de financement – cliquer ici pour consulter les recommandations). 

Pour qu’un changement significatif se produise, les provinces n’auront pas d’autre choix que d’agir. Ainsi, bien que les incitatifs fédéraux soient essentiels, il ne s’agit là que d’une pièce du puzzle.

Comment parvenir à une consommation d’électricité carboneutre d’ici 2035

C’est dans cet écosystème de la politique de l’électricité que s’inscrit le projet de Règlement sur l’électricité propre. Pour que celui-ci soit efficace, il doit compléter les programmes existants en renforçant les signaux et les mesures incitatives, ou encore combler les lacunes de l’approche actuelle.

Comment réunir tous ces éléments pour mettre en place un réseau d’électricité carboneutre d’ici à 2035?

La réponse courte est qu’il faut faire plus.

Comme on le sait, le Règlement sur l’électricité propre n’a en aucun cas la prétention d’éliminer complètement les émissions du secteur de l’électricité. Compte tenu d’une norme d’émission non nulle (actuellement fixée à 3 éq. CO₂/GWh) et la possibilité pour les centrales à fossiles combustibles de générer des émissions au-delà de 2035 (grâce à des mesures comprenant une disposition sur la durée de vie prescrite et des exemptions pour les centrales électriques de pointe), le REP autorisera les réseaux à générer encore une certaine quantité d’émissions.

C’est un élément à la fois voulu et fondamental dans le REP. Ce serait une erreur que d’essayer de résoudre tous les problèmes auxquels nous sommes confrontés, ou de confier à la réglementation l’entière responsabilité de mettre en place un réseau carboneutre, parce que, ce faisant, on augmenterait les coûts et il serait difficile d’assurer la souplesse nécessaire au moyen de la réglementation.

Nous devons plutôt examiner l’ensemble des politiques actuelles et futures en matière d’électricité.

Le prix du carbone et les investissements fédéraux par l’intermédiaire de l’IIC seront des compléments essentiels de la réglementation et contribueront à former un ensemble cohérent de mesures qui permettront d’atteindre l’objectif, soit une consommation d’électricité carboneutre en 2035.

Il faudrait renforcer la tarification du carbone pour le secteur afin d’envoyer un signal clair qui découragera l’utilisation du gaz naturel sans dispositif d’atténuation, et ainsi veiller à ce que nous ne recourions à la flexibilité du REP que lorsque le recours au gaz naturel est vraiment nécessaire. Il s’agit de réformer la manière dont le STFR s’applique au secteur de l’électricité, pour que la production émettrice soit soumise à l’obligation de payer le prix total du carbone.

Le financement fédéral et le crédit d’impôt à l’investissement (IIC), une fois prêts, contribueront à réduire les coûts de la transition, de façon à ce que les contribuables n’aient pas à supporter l’intégralité de la facture du passage à une électricité plus propre. Cette mesure sera cruciale pour préserver l’abordabilité de l’énergie et accorder des incitatifs financiers aux provinces pour qu’elles construisent rapidement l’infrastructure nécessaire.

Au-delà de ces deux domaines d’action, une dernière politique est toutefois nécessaire : elle concerne la comptabilisation – et la compensation – des émissions résiduelles qui subsisteront, une fois les émissions réduites dans toute la mesure du possible par les règlements et autres politiques complémentaires.

Il est essentiel que le gouvernement fédéral prenne l’initiative de compenser les émissions résiduelles pour parvenir à des émissions nettes nulles dans le secteur de l’électricité d’ici 2035. Mais il faut également sauter sur cette occasion pour développer l’expertise et les capacités du Canada en matière de technologies à émissions négatives, qui seront essentielles dans d’autres domaines de la politique climatique. Il pourrait s’avérer être un important secteur de croissance propre pour le Canada. Nous en aurons plus long à dire sur la façon dont l’approvisionnement de ces émissions négatives compensatoires peut et doit fonctionner dans notre soumission officielle.

Prochaines étapes pour le REP

À l’heure actuelle, le gouvernement tient une consultation sur la conception du Règlement sur l’électricité propre. Énergie propre Canada et l’Institut climatique du Canada se pencheront à la fois sur des détails précis du règlement, ainsi que sur le contexte politique élargi que nous avons décrit ici.

On présentera plus de précisions sur les réformes nécessaires au STFR et sur la façon dont le gouvernement peut traiter les émissions résiduelles, une fois les émissions réduites dans toute la mesure du possible par le REP et les autres politiques.

Compétitivité économique dans la transition énergétique mondiale

L’Institut climatique du Canada a récemment témoigné devant le Comité permanent des ressources naturelles de la Chambre des communes. Celui-ci travaille actuellement à évaluer la compétitivité du pays dans le contexte de la transition mondiale vers l’énergie propre, sujet des travaux de l’Institut climatique, qui s’intéresse aux risques et aux possibilités dans l’accélération de cette transition.

La présentation au Comité a couvert quatre constats stratégiques de la recherche de l’Institut climatique du Canada qui, ensemble, dessinent une feuille de route pour assurer la compétitivité économique et la résilience du pays dans un monde carboneutre.

1. Une transition trop lente vers la carboneutralité constitue un plus grand risque qu’une transition trop rapide.

Plus de 70 pays se sont déjà engagés à atteindre la carboneutralité d’ici le milieu du siècle, pays qui représentent plus de 90 % de l’activité économique mondiale, 80 % de la demande mondiale de pétrole et 75 % de la demande mondiale de gaz fossiles.

Sur les marchés financiers, les engagements carboneutres des investissements internationaux couvrent plus de 61 billions de dollars de capital. Parallèlement, la demande de technologies porteuses de la transition – particulièrement les panneaux solaires, les thermopompes, les éoliennes et les batteries – est en croissance rapide, et les prix, en chute libre.

Ces tendances changent la donne pour la compétitivité à long terme du Canada : l’accélération de la transition sera un tournant décisif au pays, et une transition trop lente comporte plus de risque pour la compétitivité qu’une transition trop rapide.

2. L’Inflation Reduction Act des États-Unis est un accélérateur majeur pour la transition, le Canada n’a pas besoin de copier son voisin pour se démarquer dans une économie mondiale sobre en carbone.

L’Inflation Reduction Act et les investissements qu’elle prévoit propulsent la transition énergétique mondiale à grande vitesse, donnant le ton aux investissements et à la compétitivité sur la scène internationale. Cependant, le Canada n’a pas la capacité de s’inspirer directement d’une loi d’une telle magnitude.

Il dispose néanmoins d’un grand éventail d’outils stratégiques, dont les crédits d’impôt à l’investissement ciblés annoncés cette année et des mesures pour maintenir et resserrer ses politiques réglementaires et tarifaires.

Notamment, le cadre de tarification du carbone du Canada améliore les perspectives économiques des projets sobres en carbone et agit comme puissant incitatif à l’investissement. Il offre aussi une solution rentable à un coût fiscal moindre.

Cela dit, pour que les entreprises et investisseurs accélèrent la cadence des projets porteurs de la transition, ils ont besoin d’une certitude que la tarification du carbone continuera d’augmenter et que les crédits de carbone conserveront leur valeur. Les contrats sur différence appliqués au carbone, qui peuvent offrir cette certitude, doivent devenir une priorité pour le gouvernement fédéral.

Toujours dans la même optique, les gouvernements pourraient aussi appuyer la création d’une taxonomie des investissements climatiques, qui établirait un vocabulaire commun pour les investissements dans la transition énergétique mondiale. Seuls quelques pays du G20 n’ont pas encore de taxonomie, dont le Canada. Or, le cadre proposé par le Conseil d’action en matière de finance durable et l’Institut climatique du Canada lui permettrait de rattraper son retard, voire de se hisser en tête.

3. L’électricité propre est un énorme atout pour la compétitivité mondiale du Canada.

La disponibilité d’électricité propre abordable influence désormais les décisions des entreprises au moment de choisir les sites de nouveaux projets. Le Canada a évidemment une longueur d’avance, 80 % de sa production électrique étant carboneutre.

Mais les réseaux électriques du pays devront suivre la demande, qui pourrait doubler ou tripler d’ici 2050.

L’ampleur du travail requis implique une mobilisation sans précédent. L’adoption du Règlement sur l’électricité propre du gouvernement fédéral est essentielle pour créer des réseaux plus gros, plus propres et plus intelligents, et l’investissement proposé de 25 milliards de dollars dans les crédits d’impôt à l’investissement fédéraux encouragerait le secteur privé à miser sur cet objectif.

Les provinces et territoires devront aussi jouer un rôle plus actif dans l’accélération des projets d’électricité propre pour que le Canada conserve cet avantage déterminant dans une économie carboneutre. Et le gouvernement fédéral a le pouvoir de susciter leur mobilisation.

Cela permettrait de réduire les coûts totaux de l’énergie pour les Canadiens dans la transition, en encourageant l’abandon des combustibles fossiles polluants, dont les cours sont imprévisibles, au profit de technologies plus rentables comme les thermopompes et les véhicules électriques.

4. Le secteur pétrogazier du Canada rencontre des difficultés uniques dans la transition énergétique mondiale, mais les politiques publiques ont le pouvoir de réduire les risques qui le guettent.

La diminution à long terme de la demande de combustibles fossiles présente un défi double au Canada.

D’abord, le secteur devra réduire ses émissions pour rester concurrentiel dans un marché qui favorisera les barils sobres en carbone. Les producteurs pétrogaziers du pays enregistrent une des plus fortes intensités en carbone au monde et leurs émissions continuent de croître, éloignant le Canada de ses cibles de réduction. Afin de rectifier le tir, les entreprises pétrogazières devront faire des investissements à grande échelle pour respecter leurs propres engagements climatiques.

Ensuite, à l’inverse, la demande mondiale décroissante de combustibles fossiles nuit à la viabilité économique à long terme du secteur – et donc à sa capacité de faire les investissements nécessaires pour réduire les émissions en amont. Ces tendances mondiales augmenteront ainsi les risques pour la main-d’œuvre, la population et les gouvernements du Canada.

Cela dit, avec les bonnes politiques, le gouvernement fédéral pourrait encourager la compétitivité du secteur pétrogazier à long terme comme à moyen terme :

Assurer la prospérité du Canada dans une économie de l’énergie propre

Le Canada a fait d’immenses progrès sur plusieurs plans dans la lutte contre les changements climatiques, travaillant à concrétiser des politiques capitales. Le défi maintenant (et potentiellement le plus difficile) sera de mettre les touches finales à ces politiques essentielles, et de le faire sans tarder.

Les investisseurs et les entreprises attendent des politiques bancables pour miser sur l’économie sobre en carbone à grande échelle. Le Règlement sur l’électricité propre, les crédits d’impôt à l’investissement, le plafond sur les émissions pétrogazières et la taxonomie des investissements climatiques sont tout autant de politiques qui devront être mises en place rapidement pour que l’économie du Canada demeure compétitive malgré les changements structuraux profonds qui s’opèrent sur les marchés mondiaux. Des politiques climatiques solides et ambitieuses : voilà ce qu’il faut pour un Canada compétitif et prospère.

Les exemptions à la tarification du carbone : une fausse bonne idée pour maintenir l’énergie abordable

Face à la hausse des prix de l’énergie et aux préoccupations légitimes quant à l’abordabilité, le gouvernement fédéral se voit pressé d’accorder des exemptions à son système de tarification du carbone, principalement pour le chauffage des foyers ruraux du Canada atlantique.

L’abordabilité des biens essentiels comme l’énergie, au cœur des préoccupations, se doit d’être préservée, mais les dérogations à la tarification au carbone ne sont pas la bonne façon d’y arriver. De meilleures solutions s’offrent à nous : des approches temporaires et ciblées pouvant fournir du soutien là où c’est nécessaire, sans toutefois nuire aux incitatifs de réduction des émissions.

Il est essentiel de garder les prix énergétiques bas et le système de tarification du carbone cherche à régler ce problème, mais des mesures supplémentaires pourraient être nécessaires. Grâce au filet de sécurité fédéral, la majorité des revenus générés par la tarification du carbone est remise aux ménages sous la forme de remboursements trimestriels. Le montant est plus élevé en zone rurale. Ainsi, la plupart des ménages – surtout ceux à faible revenu – reçoivent plus qu’ils ne dépensent en carbone. Contrairement à l’opinion populaire, cette façon de faire ne vient pas miner l’efficacité du système : les ménages qui prennent des mesures pour réduire leurs émissions n’ont pas à payer pour le carbone et reçoivent un remboursement.

La tarification du carbone est le meilleur outil dont le Canada dispose pour réduire les émissions de gaz à effet de serre à l’origine des changements climatiques. Les entreprises et les ménages de partout au pays disposent ainsi d’un incitatif puissant pour faire la transition vers des carburants propres et utiliser l’énergie plus efficacement, évitant ainsi de payer pour le carbone. Les données le démontrent : la tarification du carbone fonctionne. Mais c’est surtout vrai lorsqu’elle est appliquée uniformément à toutes les régions et à tous les secteurs de l’économie.

La tarification du carbone permet de réduire les émissions en envoyant des signaux à long terme aux commerces et ménages. Les prévisions quant aux prix du carbone sont importantes pour les familles qui considèrent investir dans des thermopompes permettant d’économiser sur l’énergie pour de nombreuses années, pour les entreprises qui planifient leur croissance et leur concurrentialité futures et pour les innovateurs qui créent de nouvelles technologies pour réduire les émissions à faible coût, puisqu’elles créent des marchés pour ce genre de produit.

En résumé, plus la certitude entourant les politiques sur les coûts du carbone et son avenir est grande, plus efficace sera la tarification pour encourager les investissements sobres en carbone à long terme nécessaires pour réduire les émissions.

Ce serait un manque de vision que d’accorder des exemptions qui ne feraient que neutraliser tous les avantages de l’initiative.

En accordant un passe-droit aux combustibles des bâtiments, par exemple, on éliminerait tout incitatif à réduire les émissions dans ce secteur, pourtant source importante et croissante d’émissions partout au pays. De telles exemptions compliqueraient donc l’atteinte des cibles climatiques du Canada.

En effet, il serait ainsi plus coûteux d’atteindre nos cibles. En étant moins proactifs pour réduire les émissions des bâtiments, par exemple, nous serions forcés d’être plus stricts par rapport aux émissions des autres secteurs et régions.

Pour finir, des dérogations créeraient un dangereux précédent d’ingérence dans les systèmes de tarification lorsque les conditions du marché deviennent difficiles, ce qui rendrait les coûts du carbone moins prévisibles. Si le gouvernement ajustait le prix du carbone à chaque perturbation économique, le pays ne ferait pas beaucoup de progrès en matière de carboneutralité.

Le problème des changements climatiques ne s’estompe pas; il empire. Notre meilleure réponse stratégique se doit donc d’être immuable.

Cela ne veut pas dire que les gouvernements ne devraient pas tenir compte de l’abordabilité; ils doivent le faire. Mais il existe de meilleures politiques que les exemptions, qui amèneraient un soulagement de courte durée, mais causeraient du tort à long terme.

Au lieu d’exempter certains types de carburants ou d’activités, les gouvernements pourraient réduire les coûts pour les ménages en créant des remises spéciales (comme le remboursement pour l’épicerie du budget 2023). Ces remises pourraient être clairement temporaires, conçues pour répondre aux problèmes causés par l’inflation et la hausse des coûts de l’énergie, ou encore viser directement les ménages à faible revenu plus vulnérables. Cette approche, abordable sur le plan fiscal, ne nuirait pas aux incitatifs de réduction des émissions établis qu’apporte la tarification du carbone.

La population canadienne ressent plus que jamais les coûts des changements climatiquesy compris au Canada atlantique –, il est donc d’autant plus urgent d’accélérer la transition vers l’énergie propre.

Il convient de féliciter le gouvernement fédéral d’avoir le courage d’instaurer de bonnes politiques climatiques ambitieuses.

Mais il devrait aussi avoir le courage de garder le cap. La dilution de la tarification du carbone par des exemptions entraînerait le pire scénario : politiques affaiblies et plus coûteuses, et incertitude pour les entreprises et investisseurs.

Changements climatiques: été chaud, automne chaud, débat enflammé

Cet article a précédemment été publié dans le National Observer.

Alors que les Canadiens se rassemblaient pour l’Action de grâce cette année, la chaleur extrême de l’été et du début d’automne était encore dans les esprits.

Cette chaleur inédite a fait fondre les derniers vestiges du scepticisme climatique en révélant les coûts réels de la situation.

Bien que la classe dirigeante joue encore et toujours à la patate chaude avec les politiques climatiques, la question au Canada n’est plus de s’entendre sur la gravité du problème, mais bien sur la façon de l’aborder.

Contrairement aux années précédentes, où les phénomènes météorologiques extrêmes étaient tragiques, mais sporadiques et localisés, l’été 2023 a été marqué d’horreurs incessantes et généralisées qui ont fait les manchettes des mois durant.

Inondations extrêmes et feux incontrôlés se sont alternés, se chevauchant même par endroits, et comme la fumée n’a que faire des frontières, les différents incendies ont causé des désagréments dans d’autres pays à des centaines de kilomètres. D’Est en Ouest et du Nord au Sud, aux quatre coins du grand pays complexe qu’est le Canada, les gens ont subi les conséquences sans précédent de la chaleur extrême, des inondations et des feux.

On notera que la couverture médiatique de ces catastrophes établit régulièrement un lien direct avec les changements climatiques, chose qu’on ne voyait que rarement voilà quelques années. Ainsi, en 2023, la causalité ne fait aucun doute pour le public.

Selon les calculs des spécialistes scientifiques de World Weather Attribution, les changements climatiques auraient fait plus que doubler la probabilité de conditions extrêmes propices aux feux incontrôlés dans l’est du Canada : « Au Québec, les changements climatiques ont accru d’environ 50 % la gravité cumulative de la saison des feux 2023 à la fin de juillet; des saisons d’une telle gravité sont désormais au moins sept fois plus probables. »

Bien que les économistes sonnent depuis longtemps l’alarme sur la montée des coûts de la météo extrême, cet été, les projections sont devenues réalité – et ce directement chez nous. Par exemple, le gouvernement de la Colombie-Britannique estime avoir jusqu’ici dépensé 770 millions de dollars en efforts de lutte contre les incendies cette année, beaucoup plus que toute autre année. Et si l’on y ajoutait la facture sanitaire de la fumée des feux incontrôlés, on se retrouverait avec un total bien plus élevé : pour une seule semaine de juin en Ontario, ces coûts ont été estimés à plus d’un milliard de dollars. À l’échelle municipale, Halifax a dû débourser environ 20 millions de dollars en frais de nettoyage après une année d’ouragans, d’incendies et d’inondations.

Mais dans ce qui pourrait bien être l’exemple le plus extrême des coûts gargantuesques à venir, on voit depuis cet été les compagnies d’assurance du monde entier signaler que les changements climatiques rendent de plus en plus de propriétés inassurables.

State Farm, la plus grande compagnie d’assurance habitation en Californie, a d’ailleurs annoncé qu’elle n’accepterait plus de nouveaux clients, entreprises comme particuliers, pour ses produits d’assurance de dommages.

Le groupe représentant les assureurs canadiens a pour sa part averti que « les tarifs pourraient monter en flèche, et les Canadiens pourraient voir leurs souscriptions refusées dans les zones où les phénomènes météorologiques extrêmes sont courants. »

En Australie, le coût d’une assurance habitation a augmenté de 28 % dans la dernière année selon l’Actuaries Institute, qui poursuit : « Si l’on en croit la science, les pressions sur l’abordabilité de l’assurance habitation risquent de continuer à s’aggraver avec les changements climatiques. »

Les propriétaires commencent à en ressentir les effets; au Royaume-Uni, plus de la moitié se sont dits inquiets des effets du climat sur les tarifs d’assurance.

Les événements de l’été suffiront-ils à convaincre tout le monde de la gravité de la situation? Bien sûr que non.

Mais un nombre record de personnes ont vu de leurs propres yeux les effets des changements climatiques, ce qui a déjà profondément transformé le discours public sur les coûts et les avantages des politiques climatiques.

D’après la pyramide des besoins de Maslow – une théorie de la motivation des comportements humains –, les facteurs comme la santé et la sécurité physiques sont de bien plus puissants motivateurs que les appréhensions intellectuelles.

Cet été, pour bien des gens, le climat est monté dans la pyramide de Maslow.

Sept personnes sur dix au Canada attribuent la récente vague de feux incontrôlés aux changements climatiques. Encore plus concret, quatre personnes sur cinq (83 %) disent que la fumée a eu des conséquences sur leur été, dont la moitié (44 %) graves ou fort perturbatrices.

S’il n’y a pas plus canadien que de parler de météo, ce sujet de conversation s’est imprégné cet été et cet automne d’une angoisse qui ne s’estompera pas de sitôt.

Il reste deux étés avant la prochaine élection fédérale garantie, et les attentes sont on ne peut plus claires : les Canadiens s’inquiètent des changements climatiques et attendent du gouvernement qu’il agisse pour les protéger. Les inquiétudes ne feront que s’amplifier.

Aux décideurs d’agir.

La lutte contre les changements climatiques commence par la réconciliation avec les peuples autochtones et le territoire

La Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, c’est le moment de réfléchir à ce qu’il faut faire pour favoriser la réconciliation au Canada. Elle peut aussi grandement nous inspirer quant à la manière dont les autorités canadiennes et autochtones peuvent allier leurs forces pour créer des politiques visant à régler la crise climatique tout en réconciliant le Canada avec les peuples autochtones et le territoire et en rééquilibrant les pouvoirs. Essentiellement, de bonnes politiques climatiques (c.‑à‑d. qui réduisent les émissions de gaz à effet de serre et aident les communautés à s’adapter aux changements climatiques) devraient reposer sur de saines relations entre les humains et la nature, y compris les autres êtres vivants.

Instaurée le 30 septembre 2021, la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, ou Journée du chandail orange, rend hommage aux membres des Premières Nations, aux Inuits et aux Métis qui ont survécu aux pensionnats ainsi qu’aux enfants disparus. Pendant plus d’une centaine d’années, des enfants autochtones ont été arrachés de force à leur territoire, communauté, famille et culture pour être placés dans des établissements exploités par le gouvernement du Canada et les Églises catholiques romaines, méthodistes et anglicanes, le tout en vertu d’une politique du gouvernement fédéral et des autorités religieuses qui, comme le pape François l’a récemment admis, instaurait l’équivalent d’un génocide. À l’apogée de ce régime, on comptait 139 pensionnats autochtones en activité. Dans ces établissements, il y avait peu de visites des familles, voire aucune, les frères et sœurs étaient souvent séparés, et il était strictement interdit de parler des langues autochtones. Ce n’est qu’en 1996 que la dernière école du genre a fermé ses portes, et nombreuses sont les communautés qui subissent encore les contrecoups à long terme du régime sur leur langue, culture et bien-être, surtout que la découverte de sépultures anonymes continue de faire les manchettes.

Toutefois, les legs du colonialisme au Canada, et par conséquent les efforts de réconciliation, dépassent largement le cadre des cours d’école mises en place par le gouvernement. Les politiques ayant aggravé les torts causés par les pensionnats demeurent en grande partie bien ancrées dans la législation canadienne d’aujourd’hui. La Loi sur les Indiens, rédigée en 1876 et toujours en vigueur, a joué un rôle dans l’interdiction de pratiques culturelles, les déplacements forcés et l’adoption d’autres mesures visant à dépouiller les peuples autochtones de leurs terres.

Environ le tiers du libellé de la Loi sur les Indiens traite des ressources territoriales et de l’environnement. L’imposition de pratiques occidentales de gestion des ressources pour remplacer les pratiques traditionnelles d’intendance des terres au cours du dernier siècle et demi a fait perdurer le mot d’ordre du gouvernement du Canada dans les années 1870, à savoir qu’il fallait dépouiller les peuples autochtones de leurs terres et les assimiler pour exploiter les ressources.

En cette année où les feux incontrôlés ont été pires que jamais, et où les populations autochtones tout particulièrement ont été déplacées en grand nombre, il est de plus en plus reconnu que les politiques de suppression des feux font partie du problème, et d’aucuns s’en remettent au savoir autochtone pour trouver un moyen de protéger la population, les collectivités et les écosystèmes contre les effets des changements climatiques, comme en font foi des initiatives de brûlage dirigé et de réseaux de surveillance chapeautées par des Autochtones.

Le leadership et les pratiques autochtones se taillent également une place dans d’autres domaines stratégiques liés au climat, comme l’électricité propre, la préparation de projets majeurs, le militantisme pour le climat et le leadership économique. En revanche, malgré la revitalisation du savoir autochtone, il reste encore bien du pain sur la planche avant qu’une réconciliation concrète et un partage des pouvoirs s’opèrent dans l’espace politique en ce qui concerne le climat.

Historiquement, on observe un manque constant d’inclusion des peuples autochtones dans les instances politiques où les décisions environnementales sont prises, et il faut que cela cesse. L’intégration de la vision du monde, de l’expertise et du savoir autochtones dans les politiques climatiques viendra non seulement faciliter la démarche de réconciliation, mais également consolider notre relation avec le territoire et les autres êtres vivants qui dépendent de celui-ci en favorisant l’équilibre, le respect et la réciprocité des relations.

Les administrations occidentales manifestent une volonté de procéder différemment à l’avenir. Dans le Plan de réduction des émissions pour 2030, publié en juillet 2022, le gouvernement du Canada s’est engagé à adopter des politiques climatiques chapeautées par des Autochtones, qui serviront de pierre angulaire dans la transition vers la carboneutralité. Une réconciliation concrète, toutefois, ne peut s’opérer en se contentant d’ajouter une touche autochtone aux politiques climatiques actuellement en vigueur. Pour assurer une véritable réconciliation à ce chapitre, il faudra mobiliser les peuples autochtones et les gardiens du savoir en tant que dirigeants et détenteurs de droits ayant plein pouvoir sur leurs systèmes de connaissance, au lieu de les traiter comme des parties intéressées qu’il suffit de consulter. Si les connaissances et enseignements autochtones sont mieux respectés et compris, et que les peuples autochtones sont davantage représentés dans les processus décisionnels, ces derniers pourront avoir l’assurance que les protocoles seront suivis, et que leur savoir et leur sagesse ne seront pas employés à mauvais escient.

En cette journée commémorative, nous souhaitons tourner nos cœurs et esprits vers la guérison en songeant à la transformation nécessaire pour rétablir les relations entre nous et avec le territoire. Pour ce faire, nous pouvons donner corps aux propos de Christina Hoicka, Alicia Campney et Katarina Savic : « La réconciliation, c’est une restructuration et une transformation véritables des relations entre les Autochtones et les colonisateurs. » C’est là une invitation à voir à ce que les peuples autochtones, en plus de siéger aux instances où sont prises les décisions sur les politiques climatiques, soient ceux qui mettent la table.

Une transition du secteur de l’énergie vers la carboneutralité équitable pour tous

Cet article a précédemment été publié dans le Edmonton Journal.

Cette semaine, des échanges dans le cadre de la semaine sur le climat à New York et au Congrès mondial du pétrole à Calgary ont donné lieu à des conclusions vastement différentes, avec très peu de chevauchements.

Explication potentielle : il y a plus d’une manière de mesurer un résultat optimal. En fait, d’un point de vue pragmatique, le moyen le plus efficace d’inciter le secteur pétrogazier à réduire ses émissions est de concevoir des politiques visant de multiples objectifs au moyen de multiples approches. Un ensemble de politiques bien pensé peut être plus puissant que la somme de ses parties.

Commençons par les objectifs des politiques climatiques.

Il est vrai que le niveau d’émissions dans le secteur pose problème. Alors que dans la plupart des secteurs de l’économie canadienne, la pollution climatique générée diminue depuis le sommet atteint en 2005, les émissions pétrolières et gazières demeurent trop élevées. De plus en plus, ce secteur complique l’atteinte des objectifs d’émissions au Canada.

Par ailleurs, les coûts ne sont pas à négliger. Le secteur pétrogazier constitue une part importante de l’économie canadienne – autour de 5 % du PIB –, et il a fait gonfler les salaires des travailleurs des provinces productrices. Il génère aussi des revenus importants, sous forme d’impôt sur le revenu et de redevances sur l’exploitation des ressources, pour les gouvernements provinciaux. C’est pourquoi les politiques d’élimination rapide de la production pétrolière et gazière ne sont pas une solution à envisager au Canada : on arriverait sans doute à réduire les émissions, mais le prix serait prohibitif.

Cela dit, des politiques climatiques réfléchies devraient tenir compte de la capacité régionale d’attirer et de maintenir des investissements dans un contexte d’un virage mondial vers la carboneutralité et du déclin inévitable de la demande en combustibles fossiles qui l’accompagnera. Même selon le scénario de la Régie de l’énergie du Canada où le reste du monde connaît une transition plus lente vers la carboneutralité, la production pétrolière au Canada baisserait de 22 % d’ici 2050 et la production gazière, de 37 % (par rapport aux chiffres de 2022). Mais à long terme, en employant les bons signaux politiques, le secteur pétrogazier pourrait bien opérer une transition vers la production de biens et services pour de nouveaux marchés, possiblement au-delà des combustibles, qui ne disparaîtront pas dans une économie mondiale carboneutre.

Enfin, des politiques réfléchies devraient inclure une répartition équitable des coûts et de la réduction des émissions entre les diverses régions canadiennes, une proposition qui pourrait prêter à controverse. Il y a deux côtés à la médaille. Des provinces comme l’Alberta et la Saskatchewan considèrent comme injuste le fait de cibler directement le secteur pétrogazier, par exemple par l’imposition d’un plafond sur les émissions de pétrole et de gaz. Cela dit, sans politiques ciblées, on s’attend à ce que ces émissions continuent de croître, vu le coût élevé des mesures de réduction dans ce secteur. Dans une telle situation, pour atteindre les cibles fixées, les autres secteurs et les autres régions devraient réduire leurs émissions encore davantage et assumer une plus grande partie de la tâche, en se débrouillant essentiellement avec une plus petite portion des émissions permises au Canada.

Dans ce contexte, comment arriver à un compromis? Dans un nouveau document de travail, nous proposons quatre politiques qui permettront au secteur pétrogazier de demeurer compétitif dans le contexte d’un Canada et d’un monde carboneutres.

Le resserrement graduel des règlements sur les émissions de méthane peut favoriser les réductions d’émissions à faible coût, ce qui correspondrait au tiers des réductions nécessaires pour que le secteur soit en mesure d’atteindre les cibles pour 2030. Cette mesure garantirait également que des sources futures de croissance, comme la production d’hydrogène, soient réellement compatibles avec l’objectif de carboneutralité.

L’établissement d’un plafond d’émissions pour la production pétrolière et gazière est une mesure capitale pour faire en sorte que le Canada atteigne ses cibles climatiques en 2030 et en 2050. Le plafond garantit que d’autres politiques, comme les mesures gouvernementales de réduction des émissions dans le secteur, ne viendront pas nuire à l’atteinte des objectifs d’émissions en rendant intouchables des projets à forte intensité d’émissions. Par ailleurs, dans les secteurs et les régions où il s’applique, le plafond contribue à la progression du Canada vers la carboneutralité.

Un appui financier bien pensé à des technologies comme la captation du carbone peut aider le secteur pétrolier et gazier à remplir ses obligations en respectant le plafond imposé, ce qui répond aux préoccupations quant à l’équité devant une tarification de carbone plus élevée. Cet appui peut également augmenter la valeur des fonds publics même devant un déclin international de la demande en pétrole et en gaz, en finançant une infrastructure de captation du carbone utilisable par d’autres secteurs (tout en tirant profit des investissements privés du secteur pétrogazier).

Enfin, une taxonomie de la transition appuyée par le gouvernement peut aider le secteur pétrogazier à trouver des capitaux privés compatibles avec la transition pour financer de nouveaux investissements respectant à la fois le plafond d’émissions et la réglementation sur le méthane afin de favoriser une compétitivité sobre en carbone, mais aussi une transition rentable vers la carboneutralité.

Ces quatre politiques se complètent et contribuent à ce que le secteur pétrogazier s’inscrive dans la transition du Canada vers l’énergie propre, favorisant la croissance économique et la compétitivité du pays à long terme. Cet ensemble de politiques serait équitable pour les provinces qui produisent des combustibles fossiles, le gouvernement fédéral, l’industrie et le reste du Canada.

Et ça pourrait bien être un passeport vers une politique climatique crédible et viable pour le secteur pétrogazier canadien.

Examen du projet de Règlement sur l’électricité propre (partie 1)

Voir la partie 2.

Le 10 août, le gouvernement du Canada a lancé son projet tant attendu de Règlement sur l’électricité propre, qui nous donne la première vue d’ensemble de la nouvelle politique, notamment un meilleur aperçu du contexte dans lequel cette politique s’inscrit, de sa conception et de ce qu’elle implique. Le présent article est le premier d’une série de deux articles qui présentent le règlement. Il en approfondit les principales dispositions, explore les compromis que le règlement cherche à faire pour parvenir à un équilibre et expose la façon dont la transition de notre réseau vers la production d’électricité carboneutre se fera d’ici 2035. La deuxième partie traitera des politiques connexes avec lesquelles le doit composer le Règlement sur l’électricité propre et la façon dont le Canada peut s’attaquer aux émissions du secteur de l’électricité qui resteront après 2035.

Il est permis d’affirmer, sans se tromper, que ce projet de règlement est d’une importance capitale. Il représente une étape significative dans l’engagement du gouvernement à rendre son réseau d’électricité carboneutre d’ici 2035, engagement primordial pour l’atteinte des cibles de réduction des émissions de notre pays et l’accélération de sa transition énergétique vers une économie carboneutre d’ici 2050.

Ce règlement s’inscrit dans un ensemble élargi de politiques fédérales déjà en place ou mises en œuvre actuellement pour soutenir le déploiement de l’électricité propre, dont les nombreuses mesures annoncées dans le budget de 2023, s’inspirant toutes de la vision de l’électricité globale, également publiée en août.

Le Règlement sur l’électricité propre arrive à un moment charnière. En raison de la multiplication des feux incontrôlés, des inondations et autres effets pervers de la pollution climatique dans le monde, il est plus que jamais urgent de procéder rapidement à la décarbonisation de nos économies. D’après de nombreuses études, que ce soit celles de l’Agence internationale de l’énergie ou de la Régie de l’Énergie du Canada, la transition vers une économie carboneutre d’ici 2050, pour être rentable, passe par la mise en place d’un réseau d’électricité propre. D’autres pays — dont les États-Unis et le reste du G7 — en sont conscients et ils se sont eux-aussi engagés à mettre en place un réseau carboneutre d’ici 2035. Bref, l’électricité propre est la pierre angulaire de la transition énergétique. Pour avoir des voitures, des industries et des maisons qui ne polluent pas, on a besoin d’électricité propre.

Les débats sur ces questions doivent s’articuler autour de faits, et non d’assertions inexactes sur le règlement et ses répercussions. Passons donc en revue certains aspects du projet actuel de Règlement sur l’électricité propre.

Fonctionnement du projet de Règlement sur l’électricité propre

Le règlement s’articule autour de la création d’une norme sur les émissions presque nulles, qui s’applique à la production d’électricité, à partir de combustibles fossiles et plusieurs flexibilités de conformité importantes, qui, prises ensemble, autoriseraient encore une certaine quantité d’émissions après 2035. C’est dire essentiellement que, bien que le Règlement sur l’électricité propre joue un rôle déterminant en propulsant le réseau national vers la carboneutralité d’ici 2035, il ne suffit pas à lui seul.

En vertu du projet de règlement, le secteur de l’électricité en 2035 aura le droit de libérer, en petite quantité, des émissions résiduelles, qu’il faudra réduire ou compenser au moyen d’autres politiques et mesures pour que le Canada atteigne son objectif de carboneutralité du réseau électrique. Au nombre de ces mesures additionnelles, mentionnons une combinaison de promesses et de menaces : le renforcement de la tarification du carbone par l’ajout d’autres incitatifs à réduire les émissions, des subventions servant à développer de nouvelles sources de production d’électricité, sans émissions, et éventuellement d’autres mesures visant à compenser le reste des émissions (dont il sera question dans le deuxième article de cette série).

La probabilité qu’il reste des émissions en 2035 une fois la norme appliquée est un choix délibéré visant à assurer la fiabilité du réseau. Le règlement n’impose également pas de technologie en particulier, ce qui laisse aux provinces la possibilité de choisir celles qui leur conviennent pour la planification et la mise en place de leur système en réponse au règlement, parce que ce sont ces gouvernements qui sont responsables en dernier ressort de la conception et de l’exploitation des réseaux électriques. L’approche permet de concilier deux impératifs, la réduction des émissions et la fiabilité alliée à la rentabilité, tout en respectant les compétences provinciales.

Approfondir les détails

Comme il en a été question plus haut, le projet de règlement comprend une série de mesures qui aideront à réduire les émissions tout en laissant de la latitude qui favorisera la fiabilité et la rentabilité des réseaux. Comme nous en sommes à la dernière étape de la réglementation, il sera primordial de trouver un juste équilibre pour ces mesures. Approfondissons maintenant quelques-unes des mesures les plus efficaces qui sont présentées, en les resituant dans le contexte et faisant une évaluation préliminaire de leurs conséquences.

Norme de rendement

Le premier élément, peut-être le plus fondamental, de ce nouveau règlement, c’est la norme de rendement qu’il établit pour les générateurs d’électricité. D’ici 2035, les centrales qui généreront, au moyen de combustibles fossiles, 25 mégawatts au plus d’électricité et qui acheminent plus d’électricité vers le réseau qu’elles n’en importent, ne devront pas émettre plus de 30 tonnes d’équivalents dioxyde de carbone par gigawattheure (éq. CO₂/GWh) en moyenne pendant une année civile.

En optant pour un seuil d’émission supérieur à zéro, le gouvernement cherche à concilier la nécessité d’adopter ce règlement sans imposer de technologie (en optimisant l’éventail de technologies auxquelles les provinces peuvent recourir pour respecter les normes) avec le besoin de réduire, de façon significative, les émissions. À première vue, une norme de 30 tonnes d’éq. CO₂/GWh semble atteindre cet équilibre. Selon le degré de sévérité dans ce projet, il faudrait environ un taux de captation du carbone de 90 % à 95 % pour les installations alimentées avec des combustibles fossiles. Les tentatives pour imposer une norme plus sévère pourraient avoir des répercussions importantes sur les coûts, et une incidence mineure sur les émissions. De plus, la technologie de captage et stockage du CO₂ (CSC) arrivera difficilement à dépasser le taux de captation proposé.

Conscient qu’il faudra du temps avant de régler le problème posé par l’application de la technologie de CSC dans les installations alimentées au gaz, le gouvernement présente également une disposition qui autorise une installation équipée d’un système de CSC, à émettre des quantités légèrement supérieures d’émissions un peu plus longtemps, après 2035[1]. Le gouvernement a conçu cette mesure en vue de réduire l’incertitude liée à la première génération de cette technologie, mais a déclaré que d’ici 2040, elle sera probablement parvenue suffisamment à maturité pour permettre une élimination progressive de cette exception.

La prudence s’impose : il ne faut pas miser trop sur une technologie de CSC qui n’a pas encore été mise à l’essai pour parvenir à notre objectif de réduction des émissions. Toutefois, cette technologie aura certainement un rôle à jouer. Il est donc logique d’intégrer dans le règlement une exonération qui diminuera le risque que comporte le déploiement de cette technologie, et garantira que les exploitants de réseau pourront continuer à générer de l’électricité à partir de ces installations pendant la période d’ajustement.

En résumé, la norme de rendement représente un incitatif à générer de l’électricité à émissions nulles ou à utiliser du gaz fossile générant très peu d’émissions d’ici 2035, tout en laissant de la place au développement de la technologie de CSC. Ainsi, les provinces peuvent continuer à recourir au gaz fossile lorsque nécessaire, mais de façon à en réduire de manière significative les émissions.

Disposition de fin de vie réglementaire : ancien groupe et nouveau groupe

Il est important de souligner que la norme de rendement proposée ne s’applique pas immédiatement à toutes les centrales en même temps. Le règlement distingue plutôt différentes catégories, qui ont différents échéanciers pour se conformer à la norme, souvent déterminés en fonction de leur « date de mise en service » (la date à laquelle la centrale est entrée en activité). Le plus grand écart est celui entre les « nouveaux groupes » et les « anciens groupes ».

« Nouveaux groupes »

Tout groupe mis en service après le 1er janvier 2025 devra se conformer à la norme de rendement d’ici le 1er janvier 2035[2]. Compte tenu du fait qu’une centrale au gaz fossile est active pendant au moins 40 ans, cette exigence garantira aux services publics et aux promoteurs de projets au moment de la planification que toute centrale au gaz fossile mise en activité après le 1er janvier 2025 devra aussi utiliser des technologies de CSC ou être prête à le faire d’ici 2035. Les « nouveaux » groupes au gaz fossile, selon le projet de règlement, pourront donc seulement exercer leurs activités pendant dix ans (ou moins) avant d’avoir à se conformer à la norme de rendement.

Il ne fait aucun doute que les gaz fossiles continueront de contribuer au réseau électrique après 2035, mais leur production doit être réduite dans la mesure du possible, et les services publics et les promoteurs de projet doivent voir les gaz fossiles sans dispositif d’atténuation comme un dernier recours. Il est donc essentiel de déterminer si le règlement en fait assez pour décourager la construction de centrales au gaz fossile sans dispositif d’atténuation, et pour encourager l’essor de nouvelles sources propres. Autrement, la construction de centrales au gaz fossile (mises en service après le 1er janvier 2025), qui n’auraient pas besoin d’utiliser de technologies de CSC avant 2035, pourrait nous éloigner de la cible de réduction d’émissions et inciter les prochains gouvernements pour qu’ils assouplissent le règlement.

Les « anciens groupes » et la fin de vie réglementaire

Les groupes existants, définis comme étant les centrales mises en service avant le 1er janvier 2025, n’auront pas forcément à se conformer à la norme de rendement d’ici 2035, mais devront plutôt s’aligner avec la date la plus tardive entre le 1er janvier 2035 ou la date de « fin de vie réglementaire » du groupe, soit 20 ans après la date de sa mise en service.

Ainsi, une centrale qui serait entrée en activité avant 2015 devrait se conformer à la norme de rendement dès 2035, mais une autre, mise en service en 2024, serait seulement soumise à la norme à partir de 2044.

Voilà un important compromis. D’un côté, la création d’une phase d’abandon progressif pour les centrales au gaz fossile « existantes » offre certains avantages considérables. Tout d’abord, cette approche allonge sur une plus longue période les coûts et répercussions possibles sur le réseau engendrés par un retrait ou une mise à niveau d’un groupe. Cela favorise une transition ordonnée, en laissant du temps pour planifier la résolution des répercussions sur le réseau et pour profiter des baisses de prix prévues des technologies de rechange émergentes, comme le stockage par batterie et la géothermie améliorée. Ensuite, il peut être plus coûteux de rénover les centrales existantes dans le but d’y intégrer une technologie de CSC, puisque ces centrales n’avaient pas été conçues dans cette optique. Une planification réfléchie et un échéancier plus long sont donc nécessaires pour la rénovation des centrales ou l’approvisionnement en nouvelles ressources pour les remplacer. Dans les deux cas, une période transitoire peut être justifiée.

De l’autre côté, une période transitoire trop longue risque de compromettre le but entier de ce règlement, en décourageant la transition vers des sources d’énergie propre et en retardant ainsi l’atteinte de la cible de réduction des émissions. En effet, les modèles du gouvernement ont souligné qu’en laissant les « groupes existants » exercer leurs activités pendant 25 ou 30 ans, les coûts augmenteraient alors que la réduction d’émissions serait moindre.

En bref, bien qu’une disposition concernant la fin de vie réglementaire offre une flexibilité compréhensible pour permettre aux provinces de veiller à une transition ordonnée et rentable, les répercussions d’un délai de grâce de 20 ans devraient être analysées attentivement et un prolongement au-delà du délai actuel de 20 ans ne devrait pas être envisagé.

Exception pour la flexibilité des gaz fossiles

Une autre exception importante permet aux centrales de gaz fossiles de transgresser la norme de rendement pendant de courtes périodes au courant d’une année. En particulier, le Règlement sur l’électricité propre propose de laisser les centrales de gaz fossiles émettre jusqu’à 150 kilotonnes de CO2 par année et d’exercer leurs activités pour un maximum de 450 heures/an, soit l’équivalent d’une centrale qui fonctionne pendant 5 % des heures totales de l’année, à 100 % de sa puissance.

En pratique, cette exception vise à tailler un rôle pour les centrales de gaz fossiles de pointe, soit les centrales d’électricité mobilisable servant de source de secours et pouvant être mise en service rapidement durant les périodes de forte demande ou pour compenser l’intermittence de la production d’énergie renouvelable.

Cette disposition suscitera de longs débats.

D’un côté, il sera plus complexe d’atteindre un réseau électrique carboneutre d’ici 2035 avec une norme de rendement qui ne vise pas la carboneutralité et qui, en plus, comprend des exceptions comme celles-ci, et permet la poursuite de l’utilisation de gaz fossiles sans dispositif d’atténuation,

De l’autre côté, l’argument selon lequel le maintien d’un système limité d’énergie en réserve — même sous la forme de gaz fossile sans dispositif d’atténuation — pour favoriser la transition vers un système propre se justifie. Compte tenu de la taille et du coût du déploiement d’énergie propre nécessaire pour répondre aux besoins annuels en moyenne du système, une petite quantité de production à forte émission grandement déployable (qui peut être déployée et arrêtée rapidement) contribue à la fiabilité et à l’abordabilité de la transition de nos réseaux électriques vers des sources carboneutres. Ces émissions seraient tout de même sujettes au prix du carbone, ce qui encouragerait davantage l’utilisation de ces ressources en cas de nécessité seulement.

En outre, il convient de signaler que les différentes régions du Canada ne sont pas toutes confrontées aux mêmes défis et n’ont pas le même point de départ. Par exemple, l’Alberta, la Saskatchewan et une partie des Maritimes ont encore beaucoup recours aux combustibles fossiles pour leur électricité. En plus de leur transition plus radicale, ces régions peuvent faire face à des températures plus froides, donc nécessiter plus d’énergie pour le chauffage en hiver. Alors que le prix des technologies propres — y compris le stockage d’énergie — devient rapidement compétitif, il est justifié de recourir à une exception qui permet à un système d’appoint alimenté aux gaz fossiles de jouer un rôle limité pendant la construction et l’intégration adéquate de ces ressources.

L’un des points principaux du débat est le suivant : la limite de 450 heures est-elle adéquate pour répondre aux besoins du système? Le premier enjeu consiste à savoir si ce taux d’utilisation suffit à assurer la fiabilité du système et s’il s’agit d’une bonne façon de pondérer la réduction des émissions par rapport aux coûts. Selon la modélisation du gouvernement, un taux d’utilisation de 8 à 10 % se traduit par une diminution des coûts marginaux allant entre 1 et 3 %, mais une augmentation de 4 à 15 % des émissions. Le deuxième enjeu consiste à savoir si les activités durant cette période offrent des incitatifs financiers adéquats pour que chaque région maintienne sa production de gaz. Compte tenu des grandes différences entre les provinces, y compris dans la structure du marché, la température et la part actuelle d’électricité à l’énergie fossile, les calculs seront différents.

Par exemple, en Alberta, où une exception pour les centrales de pointe pourrait jouer un rôle capital, la combinaison marché de l’énergie libéralisé, absence de marché de puissance consacré et limite de 1 000 $ par mégawattheure pourrait faire en sorte que 450 heures d’activités ne constituent pas un incitatif suffisant pour maintenir une centrale de pointe. Il est important de se demander si l’enjeu concerne surtout la conception du marché provincial ou la conception réglementaire fédérale, mais il ne fait aucun doute que les politiques doivent favoriser l’atteinte des cibles de réduction d’émissions sans miner la fiabilité ou l’abordabilité du réseau.

Couvrir toutes les centrales, y compris celles de cogénération

Une autre décision stratégique importante qui sera chaudement débattue est l’inclusion des centrales de cogénération, soit les centrales utilisées pour générer de la chaleur et de l’électricité en même temps. Le nouveau règlement imposerait la norme de rendement à toute installation avec des exportations nettes vers le réseau électrique (plus d’électricité fournie au réseau qu’utilisée) sur une période d’un an.

La cogénération est utilisée dans plusieurs secteurs au Canada, mais surtout dans celui du pétrole et du gaz. Bien que cette partie de la politique puisse avoir des répercussions sur certaines installations et certains secteurs, l’inclusion du minimum de 25 mégawatts pour la couverture d’une installation par le règlement, ainsi que l’exigence selon laquelle une installation doit être un exportateur net d’électricité vers le réseau sur une période d’un an, limitera probablement l’inclusion involontaire de cogénération provenant principalement d’un secteur autre que celui de l’électricité.

Son inclusion dans le Règlement sur l’électricité propre est cependant particulièrement remarquable d’un point de vue des émissions. Environ 28 % de l’électricité en Alberta provient de la cogénération, ce qui représente environ 19 mégatonnes des émissions de gaz à effet de serre de la province. Le fait d’omettre l’inclusion de la cogénération risquerait de créer une brèche encourageant le déploiement de centrales de cogénération sans dispositif d’atténuation qui ne seraient pas assujetties au nouveau règlement. Le règlement final devra définir clairement le type d’installation de cogénération couvert par le règlement au pays et les effets que cette inclusion ou cette exclusion pourrait avoir sur les autres secteurs.

Au-delà du Règlement sur l’électricité propre

Afin de bien comprendre le fonctionnement du Règlement sur l’électricité propre — et les effets potentiels qu’il aura — il est primordial que les implications de celui-ci et les autres choix de conception particuliers soient bien compris. Notre soumission approfondie au processus de consultation du gouvernement donnera de plus amples détails concernant ces compromis, ce que nous considérons comme le bon équilibre et les endroits où des ajustements pourraient être nécessaires.

Cependant, il est impossible de tenir pleinement compte de l’utilité du Règlement sur l’électricité propre sans traiter également des autres politiques qui devront être appliquées en parallèle pour accélérer la transition du Canada vers l’énergie propre. En particulier, nous devons considérer comment la tarification du carbone sera appliquée au secteur de l’électricité et comment les émissions résiduelles seront traitées. Nous approfondissons ces deux sujets dans la deuxième partie de cette série d’articles. 


[1] Conformément au projet de règlement, et aussi longtemps que l’installation fonctionne en émettant des quantités inférieures à 30 tonnes d’éq. CO₂/GWh pendant deux périodes d’au moins 12 heures en continu et qu’il s’écoule un délai de 4 mois entre ces deux périodes, l’installation aurait le droit de fonctionner à un taux d’émissions maximum de 40 tonnes d’éq. CO₂/GWh d’électricité générée, soit 7 ans après la mise en service ou au 31 décembre 2039, selon ce qui se produira le plus tôt.

[2] La mise en œuvre immédiate de la norme de rendement le 1er janvier 2035 s’applique également aux centrales au charbon ou au coke de pétrole, ou à toute centrale ayant augmenté sa production d’électricité de 10 % ou depuis son premier enregistrement en vertu du nouveau règlement.

Comment éviter de créer des incitatifs pour les provinces et les territoires qui affaiblissent le système de tarification fondé sur le rendement plutôt que de le renforcer

Dans les deux premiers articles de la série, nous avons démontré comment les contrats sur différence appliqués au carbone (CCfD) servent à réduire les incertitudes dans les prix des crédits de carbone et les raisons pour lesquelles un système de CCfD fondés sur les achats directs effectués par le gouvernement fédéral représente la meilleure option.

Nous concluons la série par un article traitant d’un défi particulier lié au fonctionnement des CCfD fondés sur les prix des crédits dans la perspective du fédéralisme. Si un CCfD fondé sur les prix des crédits est mal exécuté, il y a un risque que la tarification du carbone fasse monter les tensions entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux ou territoriaux.

Le défi : l’aléa moral pour les provinces et les territoires

Les CCfD fédéraux fondés sur les prix des crédits, exécutés par les gouvernements provinciaux ou territoriaux, risquent d’inciter ces provinces à assouplir leur système de tarification du carbone plutôt que de le resserrer. En effet, ces gouvernements pourraient être tentés de procéder de la sorte. Cela réduirait les coûts du carbone pour les sociétés à forte intensité d’émissions (en diminuant l’incitation à se décarboniser). Mais cette situation contribuerait également à délier les cordons de la bourse du fédéral vers les provinces, qui se verraient accorder des CCfD fondés sur les prix des crédits pour financer leurs projets sobres en carbone.

Cet équilibre contribue à entretenir les désaccords entre le gouvernement fédéral et les provinces sur la politique climatique. Oui, si les provinces assouplissent leur système d’une façon qui contrevient aux normes d’équivalences, le gouvernement fédéral peut décréter le remplacement du système provincial par son pendant fédéral. Mais le gouvernement fédéral souhaitera probablement le faire seulement en dernier recours.

Deux autres ajustements dans la conception de la politique peuvent s’avérer utiles. Nous remarquons d’importantes concessions dans les deux cas.

Diminution du prix d’exercice

Il est possible de structurer les contrats fondés sur les ventes de crédit de façon à ce que se constituent des groupes locaux qui appuieront fortement une tarification fondée sur le rendement sur les marchés dynamiques des crédits de carbone. Il peut s’avérer utile, notamment, de fixer un prix d’exercice (le prix du carbone établi dans les contrats, auquel les gouvernements se sont engagés à acheter le crédit) inférieur au prix de référence du carbone (170 $ la tonne en 2030).

Si le prix d’exercice pour un CCfD fondé sur les ventes de crédits se chiffrait, par exemple, à 150 $ la tonne en 2030, les détenteurs de crédits pourraient préférer ne pas donner suite au CCfD, et choisir plutôt de vendre ces crédits à un prix légèrement inférieur à 170 $ la tonne (le prix de référence prévu). Plus l’écart entre le prix de référence et le prix d’exercice est grand, plus forte est l’incitation, pour les participants au marché, à dépasser le prix d’exercice – et à faire de la représentation auprès des gouvernements provinciaux (voire d’un gouvernement fédéral futur) pour continuer de resserrer le système de tarification. Mais dans ce genre de politique, il faudra tenir compte également du fait que des prix bas apportent moins de certitude sur le plan économique et que certains projets n’iront pas de l’avant.

Incitatifs pour des CCfD fédéraux-provinciaux

Appliquer des CCfD fédéraux à des systèmes provinciaux ou territoriaux provoque une rupture fondamentale; le gouvernement fédéral se retrouve dans une situation où il accepte de prendre un risque qui repose en grande partie des décisions stratégiques prises par les provinces ou les territoires. Des prix d’exercice réduits sont une piste de solution, mais le gouvernement fédéral souhaitera peut-être aller plus loin en instaurant des CCfD fédéraux-provinciaux pour régler ce problème. Si les provinces et les territoires acceptaient également de prendre le risque des dépenses fiscales advenant la saturation des marchés des crédits, rien ne les inciterait à affaiblir leur système de tarification du carbone.

De par leur conception, les politiques fédérales pourraient devenir un incitatif à la participation des provinces et territoires. L’admissibilité aux CCfD fédéraux pourrait ainsi être conditionnelle au paiement d’une partie des montants prévus. Par exemple, le gouvernement fédéral pourrait obliger les provinces et les territoires à assumer 10 % des remboursements à débourser.

La concession qui est faite ici réside dans le fait que l’admissibilité conditionnelle pourrait ralentir le déploiement du programme, voire se solder par l’abandon du CCfD dans les grandes provinces, comme l’Alberta, d’où proviennent 55 % des émissions industrielles et où se déroulent beaucoup de projets de décarbonisation de grande envergure.

La clé, c’est la transparence

Les CCfD fondés sur les prix des crédits ont énormément de potentiel. Cependant, ces contrats sont également complexes : ils obligent les participants ainsi que les gouvernements fédéral et provinciaux à faire des choix compliqués tout en tenant compte de toutes sortes de dynamiques (règles sur la sévérité, volume des contrats signés dans une compétence donnée, offre prévue de crédits et crédits carbone, et ainsi de suite). Toute cette complexité exige de faire preuve de transparence. Le gouvernement fédéral, notamment, en sa qualité d’artisan principal du programme, doit insister sur l’importance de publier l’information sur les valeurs des crédits périodiquement pour chaque programme de tarification et de s’assurer que les détails des CCfD sont accessibles au public.

Plus de certitudes et moins de risques (pour les émetteurs et le gouvernement)

La conception des CCfD fondés sur les prix des crédits a son lot de défis et de risques. Mais, dans notre série d’articles, nous avons fait valoir que des politiques bien conçues peuvent atténuer les risques les plus importants. De plus, selon nous, il faut adopter les CCfD, malgré leurs imperfections. Sans eux, les systèmes de tarification du carbone industriels ne seraient pas des incitatifs à réduire les émissions ni à investir dans des projets sobres en carbone destinés à accélérer la transition vers l’énergie propre au Canada.

Les certitudes apportées aux prix des crédits par les contrats sur différence appliqués au carbone – sans faire sauter la banque

Le présent article est le deuxième d’une série de billets sur les contrats sur différence appliqués au carbone (CCfD) et les prix des crédits. Dans l’article précédent, nous avons expliqué, en guise d’introduction, non seulement le concept de CCfD fondé sur le prix de référence du carbone, mais aussi celui de CCfD fondé sur les prix des crédits, une mesure qui apporterait plus de certitude aux prix du carbone dans le système de tarification fondé sur le rendement au Canada.

Ici, nous traiterons du fonctionnement d’un CCfD fondé sur les prix des crédits pour proposer une structure qui, selon nous, aura plus d’impact sur les émissions et pourrait s’assortir d’avantages financiers : le gouvernement fédéral devrait structurer les CCfD de façon à acheter des crédits sous condition – au lieu d’en garantir simplement la valeur – afin de s’attaquer au déséquilibre profond entre l’offre et la demande de crédits de carbone, plutôt que de se contenter de mettre un pansement sur le problème.

Le fonctionnement optimal des CCfD fondés sur les prix des crédits n’est pas celui que vous pensez

Voici comment un CCfD articulé autour d’un achat direct de crédits fonctionnerait. Les entreprises qui signent un CCfD avec le gouvernement auraient la possibilité de lui vendre un crédit de carbone à un prix fixé. Cette option en garantit la valeur, mais elle entraîne une hausse de celle des autres crédits sur le marché, provoquée par la possibilité, pour le gouvernement, de retirer de la circulation le crédit qu’il achète, et ce faisant, de s’attaquer à la cause fondamentale, en l’occurrence, l’offre excédentaire de crédits. Cette approche diffère de l’autre option considérée, dans laquelle le gouvernement recourt à des CCfD comme compléments de la valeur des crédits, en en garantissant la valeur.

L’articulation des CCfD autour de la vente de crédits découle en fait logiquement des approches en vigueur au Canada et ailleurs dans le monde. Cette structure s’apparente à celle des contrats sur différence employés en Alberta, au Royaume-Uni et en Allemagne, qui fixent le prix en fonction du transfert d’un élément d’actif – dans le cas qui nous occupe, un crédit au lieu d’une unité d’hydrogène ou d’électricité propre. Cette structure ressemble également à la façon dont les systèmes de plafonnement et d’échange relevant de certains territoires, comme l’Union européenne ou la Californie, ont recours à des mécanismes de stabilisation des marchés pour fixer le prix des crédits d’émission en en accélérant ou en en ralentissant la vente.

Le principal avantage : des retombées sur les investissements et les réductions d’émissions plus intéressantes

Le principal avantage des achats directs, c’est que, toute chose étant égale par ailleurs, cette mesure occasionnera des réductions d’émissions plus importantes que les autres solutions. En effet, non seulement les achats directs garantissent la valeur des crédits pour les sociétés qui signent un CCfD, mais ils en augmentent aussi la valeur pour l’ensemble du marché en raison du retrait des crédits achetés par le gouvernement fédéral. En revanche, un CCfD complémentaire ne viendrait en aide qu’aux sociétés qui sont titulaires d’un CCfD; comme l’offre de crédit ne change pas, le risque de se retrouver avec des prix bas persisterait (en fait, il y a lieu de faire valoir que les CCfD complémentaires augmentent les probabilités que les prix des crédits demeurent bas quand on favorise l’augmentation de l’offre de crédits).

La meilleure façon d’aborder la responsabilité éventuelle

La garantie du prix de tous les crédits des systèmes de tarification fondés sur le rendement au Canada au moyen de CCfD est assortie d’un risque d’avoir à engager des dépenses fiscales considérables. Plus précisément, cette responsabilité à l’égard du gouvernement fédéral n’est ni plus ni moins qu’un risque – et dépend des décisions stratégiques à venir, du ressort du gouvernement fédéral, notamment les changements apportés aux seuils du système de tarification fondé sur le rendement en 2027 et après, les critères qui s’appliquent aux crédits et d’autres politiques qui peuvent interagir avec ces systèmes et se répercuter sur les marchés des crédits.

Le gouvernement fédéral dispose d’outils pour éviter d’avoir à payer quoi que ce soit. Cependant, les dépenses fiscales totales pour le gouvernement fédéral dans un scénario de ralentissement visant à garantir la valeur de tous les crédits en fonction du prix de référence du carbone (170 $ la tonne en 2030) seraient élevées, et il y a donc lieu d’en tenir compte. Dans la présente section, nous faisons valoir que si le gouvernement fédéral cherche à limiter le risque de ralentissement, les achats directs sont la voie royale. (Il convient de souligner que, quel que soit le mode de fonctionnement du CCfD fondé sur les prix des crédits, les probabilités que le marché soit saturé sont beaucoup plus faibles, et que seul un marché saturé entraînerait un paiement.)

D’autres solutions possibles ont été avancées pour diminuer les coûts du ralentissement, non sans heurts : une diminution des incitatifs à l’investissement ou encore des réductions d’émissions seraient à prévoir. Par exemple, les CCfD fondés sur les crédits ne pourraient garantir que la valeur des crédits jusqu’à concurrence d’une valeur nettement inférieure à 170 $ la tonne. Ou encore ils pourraient s’appliquer seulement à un sous-ensemble (20 %) de crédits sur le marché.

Cependant, ces deux options ne parviennent pas à optimiser la stabilité stratégique de la tarification du carbone et donc, ne parviennent pas non plus à régler le problème qu’elles visent à solutionner. Dans la première approche, les projets auxquels il faut appliquer une tarification du carbone plus élevée (certitude) n’iraient pas de l’avant. Dans la seconde, le nombre de projets d’où le risque serait éliminé diminuerait essentiellement, ce qui créerait une stratification des prix du carbone prévus dans l’ensemble de l’économie.

Grâce aux achats directs, on évite de tomber dans ces deux pièges. En effet, même si ces achats sont offerts à un nombre limité d’émetteurs, ils demeurent avantageux pour l’ensemble du marché en réduisant l’offre.

Les achats directs comportent un autre avantage par rapport à l’approche par complément : le gouvernement fédéral pourrait toujours récupérer une partie des coûts engagés en vendant des crédits sur le marché dans les années ultérieures (éventuellement à profit) advenant un resserrement du marché et si l’offre excédentaire ne pose plus de problème.

Moins de risques, plus de réductions d’émissions

Conclusion? La mobilisation des investissements passe par une plus grande certitude sur les prix des crédits. Les sociétés ont besoin d’être rassurées aujourd’hui (et non dans quatre ans). Les CCfD qui complètent la valeur des crédits coûteront plus cher que les achats de crédit au gouvernement et réussiront moins bien à réduire les émissions ou à stimuler les investissements, ou les deux.

Prochaine étape : la façon dont les CCfD fondés sur les crédits encourageront la concertation entre les provinces, les territoires et le gouvernement fédéral.

L’incertitude entourant la valeur des crédits de carbone, un problème stratégique qui appelle une solution

Dans l’industrie comme dans les organismes environnementaux, les passionnés de politiques climatiques au Canada aiment bien le concept de contrats sur différence appliqués au carbone (CCfD), qui sont perçus comme un moyen d’éliminer le risque lié aux investissements verts – du moins en principe. C’est que ces contrats peuvent augmenter l’efficacité de la tarification du carbone. Grâce à eux, le Canada pourrait soutenir la concurrence des États-Unis sans être pénalisé par l’’Inflation Reduction Act. Dans une vision des incitatifs bien américaine, ils peuvent permettre aux gouvernements d’économiser. Cependant, les opinions sur la façon exacte de les mettre en place demeurent partagées.

À l’heure actuelle, le gouvernement fédéral étudie la façon d’utiliser les CCfD afin d’apporter de la certitude quant aux prix des crédits dans les systèmes de tarification du carbone fondés sur le rendement. C’est ce que nous appellerons CCfD fondés sur les prix des crédits. Ceux-ci représentent un enjeu plus compliqué que ceux basés sur le prix de référence du carbone, que nous appellerons CCfD fondés sur le prix de référence du carbone. (Remarque : Les trois auteurs soutiennent encore les deux formules et espèrent que le gouvernement fédéral se servira des deux. En effet, la première est un complément – et non un substitut – à la seconde.)

Les CCfD fondés sur les prix des crédits confèrent de nombreux avantages, compte tenu de l’importance des prix des crédits de type finançable pour la mobilisation de capitaux. Mais ils viennent également avec des risques majeurs. Dans la présente série d’articles, nous traitons de ces risques en proposant des solutions concrètes pour le gouvernement fédéral.

  • Le premier article porte sur le fonctionnement des CCfD fondés sur les prix des crédits.
  • Le deuxième préconise un fonctionnement particulier pour les CCfD fondés sur les prix des crédits, que nous appelons achat direct.
  • Le troisième aborde un défi clé pour les CCfD fondés sur les prix des crédits : la façon, pour ces contrats, de donner aux provinces des incitatifs visant à renforcer, plutôt qu’à affaiblir, leurs systèmes de tarification du carbone pour les industries dans l’avenir.

D’abord, rappelons rapidement l’idée qui sous-tend les CCfD : faire en sorte que le gouvernement réduise le risque associé aux investissements sobres en carbone face à l’incertitude des prix du carbone dans l’avenir. Ces contrats pourraient être utiles pour la réduction des risques sur deux plans qui nuisent aux investissements dans les projets de croissance propre.

En premier lieu, les CCfD transfèrent le risque des changements à venir dans les politiques, de l’industrie (où ce genre de risque empêche les investissements) au gouvernement (qui le contrôle). Si le prix de référence du carbone est effectivement fixé à 170 $ la tonne en 2030, comme prévu, les CCfD ne coûteront rien au gouvernement. Dans le cas contraire, celui-ci sera tenu de verser aux entreprises qui effectuent des investissements dans des projets sobres en carbone une indemnité calculée en fonction de l’hypothèse de prix élevé. Ainsi, les projets de croissance propre pourront attirer plus facilement les investissements.

Les CCfD seraient également un instrument efficace, capable de s’attaquer à un autre risque connexe. Pour les grands émetteurs concernés par la tarification du carbone fondée sur la production, les marchés des crédits de carbone négociables sont fort probablement saturés. Même son de cloche du côté des investissements dans les projets de croissance propre. Par exemple, selon la modélisation des projets de captage et de stockage du CO₂, les recettes générées par la vente de crédits carbone doivent être suffisantes pour que les projets en question concurrencent les incitatifs aux États-Unis. Cependant, c’est vrai uniquement si les crédits sont assez rares pour que les prix avoisinent le prix de référence. Pour assurer la concurrentialité d’une série d’autres projets de croissance propre, il faut également que les prix des crédits suivent cette augmentation.

Le resserrement des systèmes de tarification fondés sur le rendement – ou l’obligation, pour les provinces et les territoires, de le faire par l’ajustement de la norme minimale – pourrait en théorie résorber ce deuxième problème, mais il y a un certain nombre de difficultés pratiques. D’abord, compte tenu des règles en vigueur, il est impossible pour le gouvernement fédéral d’obliger les provinces et les territoires à resserrer leurs systèmes d’ici 2027. Les systèmes en vigueur sont gelés jusqu’à cette date. Entre-temps, l’incertitude persistera, ce qui compromettra les investissements. Ensuite, d’autres changements apportés aux politiques, comme la disponibilité des crédits, la mise en œuvre d’autres politiques (crédits d’impôt à l’investissement pour le captage et le stockage du CO₂), risquent d’exacerber le déséquilibre entre l’offre et la demande de crédits. Ce déséquilibre dépréciera la valeur prévue des prix des crédits dans l’avenir – et diminuera l’efficacité de la tarification du carbone fondée sur le rendement. Enfin, les sociétés et les investisseurs se soumettraient au risque que le resserrement prévu ne se produise jamais, en particulier parce que le volet économique des projets s’articule autour d’un horizon à plus long terme que l’échéancier quinquennal utilisé par le gouvernement.

Les CCfD fondés sur les prix des crédits pourraient sécuriser les prix des crédits à venir en garantissant aux entreprises une valeur minimale. Dans la mesure où le gouvernement fédéral veille à ce que les marchés des crédits ne soient pas saturés – par le resserrement actuel des seuils du système de tarification fondé sur le rendement, l’utilisation prudente des crédits et l’attention portée aux interactions entre les politiques au moment de la mise en œuvre de nouvelles politiques –, il ne lui en coûtera rien de rassurer les entreprises.

En somme, les contrats sur différence appliqués au carbone représentent une excellente solution pour s’attaquer au risque que surviennent des changements majeurs dans une politique à venir. Mais bien ficelés, ils pourraient également être une solution au risque que des systèmes de tarification du carbone pour les émetteurs industriels ne fonctionnent pas de manière optimale. Dans un cas comme dans l’autre, les CCfD peuvent éliminer le risque que comportent les investissements que le Canada doit faire pour atteindre ses cibles en matière d’émissions et soutenir la concurrence dans une nouvelle économie sobre en carbone.

Comme toujours, il faut quand même porter attention à certains détails importants pour optimiser les retombées et atténuer les grands risques. Les deux prochains articles traitent de ces questions.