Un monde d’incertitude : l’avenir du pays dépend de nos choix climatiques

Crédit photo : Johannes Ko

Les Canadiens ont la réputation d’être prudents. Politesse, compromis, juste milieu… Ils n’aiment pas trop faire des vagues, préférant tenir droite la barre du gouvernail.

Malheureusement, dans la lutte contre les changements climatiques, notre nature n’est pas notre meilleure arme.

Nous savons que notre climat se réchauffe, et ce, deux fois plus vite qu’ailleurs selon la moyenne mondiale. Dans le Nord canadien, c’est même trois fois plus vite. Les phénomènes météorologiques extrêmes sont de plus en plus fréquents. Parallèlement, la planète s’unit pour abandonner les combustibles fossiles, ce qui modifie le paysage des investissements et la demande d’une façon qui touche considérablement l’économie canadienne.

Mais pour chaque tendance, on observe de l’incertitude : on ne connaît pas la gravité de ce qui nous attend, ni la vitesse à laquelle la transition économique mondiale s’effectuera.

Et la prudence canadienne a poussé certains acteurs à dire qu’il vaut mieux attendre un peu et laisser les autres pays tester leurs technologies et politiques d’abord, le temps de recueillir plus d’information sur les effets des changements climatiques et de la transition mondiale avant de prendre des mesures préparatoires décisives.

Mais c’est une stratégie risquée : l’incertitude, additionnée à des risques élevés, commande d’en faire plus – pas moins.

Un avenir climatique peu reluisant

D’après les scientifiques, il faut atteindre la cible de zéro émission nette d’ici 2050 si nous voulons maintenir le réchauffement de la planète sous les 2 degrés Celcius et éviter de graves problèmes climatiques. À l’heure actuelle, le monde s’est déjà réchauffé de 1 degré par rapport à l’ère préindustrielle; et si rien n’est fait, les dernières prévisions estiment qu’il se réchauffera de 3 degrés en moyenne d’ici la fin du siècle. Avec la multiplication des émissions mondiales d’année en année, il deviendra difficile de renverser la situation.

Nous savons déjà qu’un réchauffement de 3 degrés entraînerait de graves problèmes climatiques, mais il faut aussi reconnaître que la situation pourrait s’avérer encore pire que prévu. En effet, les points de bascule qui accélèrent le réchauffement et font monter le niveau de la mer seront peut-être atteints plus tôt que nous le pensons. Et qui dit réchauffement océanique, incendies de forêt et fonte du pergélisol dit multiplication des émissions de gaz à effet de serre. De surcroît, l’effondrement des calottes glaciaires pourrait faire monter le niveau de la mer et se traduire par une fonte des glaces marines plus rapide que prévu. Dans un monde décloisonné, ces répercussions pourraient créer une réaction en chaîne qui intensifierait les changements climatiques.

Une transformation économique à nos portes?

Il n’est pas trop tard, mais le défi est de taille. Plus de 60 pays, dont le Canada, se sont déjà engagés à atteindre la cible de zéro émission nette d’ici 2050. Le coût de l’énergie renouvelable et des batteries qui font rouler les véhicules électriques baisse plus vite que prévu. Chaque année, de nouvelles technologies propres au potentiel révolutionnaire voient le jour. Les villes et les États américains prennent des décisions audacieuses pour réduire les émissions, malgré l’inaction du gouvernement fédéral. À l’échelle mondiale, la Chine est devenue le premier investisseur dans l’énergie renouvelable; et en 2017, elle était à l’origine de près de la moitié de l’investissement mondial en la matière, de l’ordre de 280 milliards de dollars américains.

Chose certaine, la concertation mondiale à ce chapitre bénéficiera à nos enfants et petits-enfants, mais la vitesse et l’ampleur de la transformation économique nécessaire à l’atteinte des cibles climatiques mondiales pourraient anéantir les entreprises trop lentes à s’ajuster. En revanche, la transition vers une économie sobre en carbone apporte son lot de débouchés pour les mieux préparés.

L’Agence internationale de l’énergie dresse un portrait probable de l’énorme transformation énergétique mondiale qui nous attend. Dans son scénario de développement durable (graphique du milieu, ci-dessous), le déclin de la demande pour le charbon, le pétrole et le gaz surviennent beaucoup plus tôt que dans les scénarios où seules les politiques actuellement en place sont prises en compte. Résultat : une réduction marquée des émissions de gaz à effet de serre.

La demande d’énergie primaire mondiale et les émissions de CO2 qui en découlent – trois scénarios

Source : World Energy Outlook 2019 de l’Agence internationale de l’énergie

Que nous réserve l’avenir?

L’avenir est incertain. Mais qu’en est-il pour le Canada exactement? Faut-il se préparer au pire et s’adapter aux changements climatiques? Ou miser sur la préparation à une rapide transformation économique mondiale? La réponse : il faut faire les deux.

Devant l’incertitude et les risques élevés, les investisseurs essaient de se protéger en répartissant leurs investissements de façon à limiter les pertes, mais sans tenir compte du résultat. Et dans une situation d’incertitude à queue large, où de nombreux risques peu probables pourraient coûter très cher, les économistes disent qu’il faut agir aujourd’hui pour être protégés demain.

Le Canada gagnerait à apprendre de ces stratégies : c’est en agissant dès maintenant que nous serons prêts pour les futurs grands changements climatiques, mais aussi pour la transition mondiale vers la sobriété en carbone.

La certitude ne vaut pas l’attente

Par prudence, on peut être tentés de dire qu’il vaut mieux attendre de voir ce qui se passe avant d’agir, qu’il ne sert à rien pour le Canada de réduire ses émissions tant que les États-Unis ou la Chine ne le font pas. D’autres diront qu’il est inutile d’investir dans l’adaptation aux changements climatiques sans avoir d’abord pris toutes les mesures nécessaires pour réduire nos émissions.

Mais dans les faits, ce seraient là des stratégies très risquées pour le Canada. Nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre : notre pays se réchauffe à une vitesse folle, et notre petite économie dépend du commerce tout en étant perméable aux chocs économiques mondiaux et aux variations du cours des produits de base et de la demande mondiale. Si nous attendons, il sera trop tard.

Il faut se libérer du statu quo. Si nous continuons de faire des investissements à long terme qui ne tiennent pas compte des changements climatiques et de la transformation économique mondiale, nous risquons de nous retrouver devant des actifs délaissés et des solutions coûteuses, sans compter que nous pourrions rater des occasions de créer de l’emploi pour les Canadiens. Après tout, un nouveau secteur ne se bâtit pas du jour au lendemain.

Dans toutes les sphères de leur vie ou presque, les Canadiens ont un penchant pour la prudence, ce qui leur a bien servi. Mais lorsqu’il est question des changements climatiques, l’attitude passive est en fait – et cela peut paraître contre-intuitif – la plus risquée. L’heure est au changement. Et pour que notre population s’épanouisse d’un bout à l’autre du pays, en dépit de la tempête à l’horizon, il faudra faire des choix réfléchis. Sinon, quelqu’un d’autre les fera pour nous.

Prospérer à l’ère des changements climatiques

Crédit photo : Lambert Rellosa

Les changements climatiques, et la façon dont le monde s’y adapte, sont d’importants moteurs de changement économique. D’un côté, le climat changeant engendre de nouvelles sources de risque commercial. De l’autre, les comportements d’investissement et la demande des consommateurs convergent vers des produits et des services sobres en carbone.

Pour l’économie du Canada – et, par extension, pour les travailleurs canadiens –, les changements climatiques amènent leur lot de risques et d’occasions. Les entreprises qui savent anticiper et s’adapter réussissent mieux que les autres, mais celles qui se complaisent ou ne parviennent pas à évoluer risquent d’être désavantagées. Si nous voulons un avenir prospère, nous devons cesser de croire que l’enjeu des changements climatiques porte uniquement sur l’environnement et reconnaître qu’il comporte un volet économique majeur.

Tenir compte du risque climatique

Certains changements climatiques sont déjà irréversibles. C’est inévitable, les Canadiens devront affronter un lot croissant de risques et de coûts engendrés par la hausse du niveau des océans, les maladies transmises par les insectes, la fonte du pergélisol, la sécheresse, les vagues de chaleur, les inondations et des feux incontrôlés de plus en plus graves et de plus en plus fréquents.

Le Canada est aussi vulnérable que le reste du monde aux retombées des changements climatiques, lesquelles pourraient perturber ses chaînes d’approvisionnement, provoquer la volatilité des prix des marchandises et entraîner des pertes financières se répercutant sur l’économie mondiale. Par exemple, les inondations de 2011 en Thaïlande ont forcé les usines de montage de voitures du Canada à réduire de moitié leur production à cause d’un manque de pièces provenant des fabricants thaïlandais. Malgré tout, seulement le tiers des entreprises publiques canadiennes divulguent les risques commerciaux relatifs aux changements climatiques, et à peine plus de la moitié des propriétaires d’infrastructures publiques en tiennent compte dans leurs décisions.

Quelles que soient les décisions des gouvernements canadiens, la demande mondiale en combustibles fossiles va s’estomper, atteindre un plafond, puis, un jour ou l’autre, se raréfier. La variable inconnue, c’est la vitesse à laquelle ces changements vont se produire. Bien des entreprises et des investisseurs canadiens croient que ce sera lent, ce qui a amené la Banque du Canada à émettre des craintes au sujet du prix des actifs, qui ne prend pas en compte le risque lié aux émissions. En effet, si les changements s’opèrent plus vite que prévu, des pertes majeures s’ensuivraient, ce qui pourrait déstabiliser le système financier canadien.

Les gouvernements peuvent aider les marchés à mieux tenir compte des risques climatiques. Par exemple, le Groupe d’experts en financement durable, nommé par le gouvernement fédéral, a demandé à des spécialistes du secteur financier de formuler des recommandations pour l’adaptation de la finance durable aux objectifs environnementaux et économiques du Canada. Les gouvernements peuvent également exiger la divulgation des renseignements financiers ou des simulations de crise à l’échelle des projets. Ils peuvent aussi encourager les entreprises au moyen de politiques comme la tarification du carbone, qui incite à l’investissement dans la réduction des émissions. De telles politiques stimulent des innovations et des gains d’efficience qui, à long terme, amènent une réduction du risque lié aux émissions. Elles peuvent aussi pousser les entreprises à diversifier leur gamme de produits et leurs chaînes d’approvisionnement.

Saisir les occasions

Pour se distinguer en ces temps changeants, il ne suffit pas de limiter les risques, car il y a toujours deux côtés à une médaille : à elles seules, les possibilités d’investissement dans les secteurs émergents représentent environ 23 billions de dollars américains.

Le Canada est d’ailleurs bien placé pour profiter des occasions liées à un monde sobre en carbone. Le secteur canadien de la technologie propre, en pleine croissance, représentait déjà près de 282 000 emplois en 2017 (chiffre semblable à celui du secteur de l’agriculture). De plus, les secteurs des ressources naturelles bénéficieraient certainement d’une hausse de la demande de métaux et minéraux entrant dans la fabrication de véhicules électriques et d’un intérêt grandissant pour les bioproduits.

Les possibilités sont vastes et vont bien au-delà de « l’écotechnologie » conventionnelle. Et si les sociétés pétrolières pouvaient tirer profit des sables bitumineux sans avoir à brûler les résidus de bitume, par exemple? Une étude propose de nouvelles utilisations du bitume qui pourraient représenter une valeur commerciale de 218 milliards $ US d’ici 2030. De plus, il serait possible d’extraire des sables de l’hydrogène, qui ne produit pas d’émissions. Cependant, ce type d’innovation est rarement admissible au financement des marchés des obligations vertes, alors il serait peut-être temps de créer une nouvelle classe « d’obligations de transition  » comportant des critères clairs allant dans le sens des objectifs à long terme du Canada en matière de changements climatiques et d’environnement.

Le réchauffement climatique peut aussi amener des occasions nouvelles. Par exemple, les récoltes canadiennes pourraient servir à pallier une pénurie dans d’autres pays. De plus, les problèmes d’approvisionnement en eau font déjà monter la demande pour ce qui est de l’efficience, du recyclage et du dessalement de l’eau – domaines où le Canada a justement une expertise qui pourrait profiter aux autres pays. Enfin, les fabricants de matériaux de construction résistants au feu pourraient eux aussi répondre à une demande accrue dans les zones vulnérables aux feux; ils contribueraient ainsi à protéger les communautés vulnérables.

Pour aider les entreprises à saisir ces nouvelles occasions, les gouvernements peuvent élaborer des politiques destinées à stimuler la demande nationale et imposer l’adoption de certaines technologies. Ils peuvent également offrir un soutien financier aux étapes cruciales de l’innovation, proposer des lignes directrices pour de nouveaux produits financiers, lever des restrictions ou autres obstacles, et investir dans des infrastructures propices à tous ces changements.

Faire des choix éclairés

Les décisions que prendront les gouvernements et les entreprises au cours des dix prochaines années définiront la concurrence de l’économie canadienne pour les générations à venir. Nous ne pouvons plus nous permettre d’aborder séparément les politiques climatiques et économiques, et les gouvernements prennent d’immenses risques en le faisant.

Les Canadiens doivent rester optimistes quant aux possibilités économiques du pays dans un avenir influencé par les changements climatiques. Mais il ne faut pas non plus sous-estimer l’ampleur du travail à faire. Tout en étendant le champ des politiques climatiques, nous devrons intensifier les mesures visant à encourager une économie durable et sobre en carbone. Notre prospérité à long terme en dépend.

Voir grand : Les meilleures solutions climatiques font dans l’intégration

Difficile de trouver un défi plus imposant et plus complexe que celui de réussir la transition vers une économie sobre en carbone en cette ère de changements climatiques effrénés.

En effet, l’enjeu est de taille : les changements climatiques nuisent à notre santé et aux lieux que nous adorons, tandis que l’abandon progressif des combustibles fossiles promet d’ébranler nos vies et nos modes de subsistance. Pour bien s’adapter, il faudra transformer notre façon de concevoir l’infrastructure, d’utiliser nos réseaux énergétiques, de gérer nos transports et de bâtir nos communautés.

Pourtant, nous nous attardons trop souvent à une seule partie du problème ou de la solution, parce que c’est plus facile. Quant aux connaissances et aux données – la base même de toute bonne politique –, elles sont souvent dispersées entre les différentes disciplines. Cette façon de faire produit des solutions incomplètes.

Le temps est venu de voir plus grand, de se doter d’une stratégie d’élaboration des politiques climatiques intégrée. Cette stratégie doit tenir compte des causes et effets des changements climatiques tout en faisant en sorte que la vie demeure abordable, que les risques pour la santé soient réduits et que les communautés, l’infrastructure et l’économie canadiennes soient prêtes à affronter ce que l’avenir nous réserve.

La transformation suprême

Pensons, un instant, à la complexité et à l’envergure des défis qui nous guettent.

Pour éviter d’autres changements climatiques coûteux et potentiellement catastrophiques, il faut réduire en toute urgence les émissions mondiales de gaz à effet de serre. Pour les pays riches comme le Canada, on parle d’une transition vers la cible de zéro émission nette d’ici 2050.

Mais la réduction des émissions n’est qu’une partie de la solution. La transition vers une économie sobre en carbone aura une incidence considérable sur les travailleurs canadiens, et plus particulièrement sur le type et le nombre d’emplois offerts. Les industries les plus intensives en émissions pourraient se retrouver devant de gros défis pendant que les industries moins polluantes seraient en pleine effervescence. Les nouveautés du côté des technologies et des systèmes énergétiques moduleraient aussi la manière dont les entreprises investissent et dont les administrations locales conçoivent et construisent leurs systèmes de transport.

Parallèlement, les conséquences physiques des changements climatiques mettent en péril notre santé et notre bien-être. Même si nous parvenons à réduire les émissions mondiales, il est attendu que les phénomènes météorologiques extrêmes continueront d’être plus fréquents et plus dévastateurs.

L’intégration, un impératif

Quoique redoutables, les défis qui nous attendent ne sont pas insurmontables. Dans bien des cas, le Canada dispose déjà des outils qu’il lui faut pour réussir. D’ailleurs, tous les ordres de gouvernement ont déjà pris certaines mesures. Et des centaines, peut-être même des milliers de Canadiens travaillent sans relâche à la recherche et aux politiques climatiques.

On ne part pas de zéro (loin de là!), mais on peut certainement faire mieux.

Vu l’envergure et la complexité de l’enjeu, la recherche climatique est souvent fragmentée et cloisonnée – et c’est bien malgré elle. Chaque discipline utilise ses propres méthodes et son propre jargon sans prendre l’habitude de communiquer avec les autres. Dans certains cas, d’importants liens entre économistes, scientifiques, ingénieurs, fonctionnaires et spécialistes des sciences sociales demeurent inexploités ou, pire encore, sont inexistants. Dans d’autres cas, les belles avancées politiques sont mal communiquées aux autres gouvernements.

La stratégie de recherche climatique actuelle a amené bien des réussites. Mais il est temps d’aller plus loin, parce que la création et l’innovation sont à leur comble lorsque travaillent ensemble des gens de tous horizons et de toutes opinions.

De la parole aux actes

L’intégration… plus facile à dire qu’à faire. Il s’agit de mettre au premier plan l’engagement, le dialogue et la communication. Il s’agit aussi de voir les problèmes et les solutions d’un œil complètement nouveau, de reconnaître les zones d’ombre et de corriger le tir pour encourager encore plus d’audace et d’inclusivité.

L’intégration, c’est le fondement même de l’Institut climatique du Canada. Les changements climatiques, nous les étudions selon une approche vaste et systématique, et cela nous permet de reconnaître qu’ils touchent presque chaque facette de la vie des Canadiens et que leurs répercussions sont complexes et dynamiques. Nous travaillons aussi à rétablir, à l’échelle du pays, les liens entre penseurs, idées et solutions. Notre but est de faire naître des conversations difficiles, mais essentielles.

En matière de changements climatiques, l’intégration de la recherche et de l’élaboration de politiques n’est pas une mince affaire. Mais c’est un passage obligé si nous voulons offrir à la population canadienne un avenir sobre en carbone et synonyme de résilience et de prospérité.

D’ici à zéro: Le Canada compte atteindre la cible de zéro émission nette d’ici 2050. Et ensuite?

Crédit photo : Bright Autumn Color

Le Canada a fait son entrée dans un club exclusif lorsque son gouvernement fédéral a promis de réduire les émissions de gaz à effet de serre jusqu’à atteindre la cible « zéro émission nette » d’ici 2050. Quoique modeste, ce club regroupe de plus en plus de pays, d’États, de provinces et de villes. Et sa promesse ne semble pas vide non plus. En effet, Environnement et Changement climatique a reçu le mandat de diriger « les efforts déployés à l’échelle du gouvernement pour élaborer un plan visant à assurer un avenir prospère et zéro émission nette d’ici 2050 pour le Canada ».

Mais avant de remplir sa promesse, le Canada doit d’abord définir ce que représente au juste, pour lui, le fait d’atteindre la cible zéro émission nette. Pour l’instant, c’est une idée noble mais abstraite, qui signifie peut-être même des choses différentes pour les uns et les autres. Plus de recherches et de données ne feront pas de tort.

Zéro comme dans plus rien du tout?

Pour atteindre la cible zéro émission nette, il faudra réduire nos émissions de beaucoup. Il faudra arrêter d’utiliser les combustibles fossiles pour la production d’énergie, et donc trouver des solutions de rechange moins polluantes, comme l’électricité renouvelable et les combustibles à émissions faibles ou non existantes. Un autre facteur important sera l’amélioration de l’efficacité énergétique et de la flexibilité, qui se traduira par un meilleur stockage de l’énergie.

Pour atteindre la cible, il n’est pas nécessaire d’éliminer toutes les émissions partout, mais seulement d’éliminer la « portion nette » qui est relâchée dans l’atmosphère (sur une période donnée). C’est pourquoi il est possible pour le Canada d’y arriver d’ici 2050 même sans une décarbonisation complète. Sur une période donnée, donc, il faudra compenser les émissions au moyen de technologies nouvelles qui captent, stockent et utilisent le carbone à l’aide de techniques traditionnelles, comme la sylviculture, ou en réduisant les émissions relâchées à l’étranger lorsqu’il est possible de les vérifier. Plus on coupe dans les émissions à la source, moins on a besoin de les compenser pour atteindre la cible zéro émission nette.

Zéro n’a jamais paru si gros

Les avantages que promet un virage zéro émission nette d’ici quelques décennies sont énormes. Il sera possible d’éviter les répercussions extrêmes du scénario d’émissions élevées, comme la hausse du niveau des océans, les graves sécheresses, les inondations et les ouragans, et d’assurer la santé et la sécurité de millions, voire même de milliards, de personnes, notamment les plus pauvres et les plus vulnérables. Moins de gens seront contraints d’abandonner leur maison et de fuir leur pays, et moins d’argent ira à fortifier les immeubles résidentiels et commerciaux pour qu’ils résistent aux phénomènes météorologiques extrêmes.

Même si ce n’est pas toujours flagrant, la transition mondiale vers une économie sobre en carbone a bel et bien été entamée. Plus de 60 pays se sont engagés à atteindre la cible zéro émission nette d’ici les trente prochaines années, donnant ainsi suite à l’Accord de Paris, conclu en 2015 par divers pays et visant zéro émission nette d’ici la deuxième moitié du siècle. S’il est vrai que certains gros pollueurs, comme les États-Unis, tardent encore à s’engager, plusieurs États américains, comme la Californie et New York, de même que certaines grandes villes américaines, prennent les devants.

Moins de temps, plus de travail

Zéro émission nette d’ici 2050, c’est l’objectif climatique le plus ambitieux jamais établi par le gouvernement canadien. Cette cible fondée sur des données scientifiques concrètes illustre la volonté du pays de se poser en chef de file sur la scène internationale.

Toutefois, impossible d’ignorer le fait que le Canada n’est pas un as des cibles. Il n’a pas su atteindre celles de Rio, de Kyoto ou de Copenhague et est encore bien loin – à tous les ordres de gouvernement – d’atteindre celle de la réduction des émissions pour 2030. Notre passé n’est pas garant de notre avenir, mais il ne faut pas l’oublier pour autant.

En comparaison de toutes celles d’avant, la cible de zéro émission nette d’ici 2050 sera la plus difficile à atteindre. C’est que la portée et l’envergure de la transition à faire, tout comme la vitesse d’exécution nécessaire, sont sans précédent. Après tout, le Canada est l’une des économies les plus intensives en émissions. Il faudra donc transformer de fond en comble le système énergétique et décarboner la plupart des secteurs… et le Canada n’a que 30 ans pour le faire. Ce n’est probablement pas impossible, mais la barre est haute. Et avec chaque année passée à traîner de la patte, cette barre continue de monter.

Comme le gouvernement fédéral ne réussira pas tout seul, il sera essentiel de combler tous les fossés entre les différents ordres de gouvernement. Or, mis à part en Nouvelle-Écosse, plusieurs législatures provinciales ont une position défavorable à l’égard de la cible de zéro émission nette. Étant donné qu’une bonne partie des émissions au Canada relèvent d’une compétence provinciale ou municipale, la clé, c’est la collaboration.

Premiers pas sur un long chemin

Des données et des analyses plus exhaustives nous aideraient à tous les égards. Pour l’instant, nous restons dans le brouillard face à la transition vers le zéro émission nette, et même face aux mesures que le Canada devra prendre pour relever le défi d’ici 2050. Mais les données et les analyses peuvent nous aider à cerner les secteurs et les communautés aux prises avec les plus gros défis, de même qu’à définir des politiques qui permettraient de les surmonter.

Par ailleurs, les données et analyses peuvent nous aider à établir une vision commune des objectifs du pays. Si l’information est plus abondante et de meilleure qualité, elle peut rendre l’abstrait plus clair et plus précis. Concrètement, elle justifierait l’urgence de couper dans les émissions.

Appuyé par la science, le Canada a fait ses premiers pas sur un chemin long et ambitieux. Le gros du travail est commencé, mais nous n’avons pas de temps à perdre. Il faut définir et vite ce que représente, pour le pays, le fait d’atteindre la cible zéro nette, et déterminer comment y arriver.

Faisons pencher la balance : les multiples bienfaits de l’adaptation sociale


L’idée que la préparation aux changements climatiques passe uniquement par les grands projets d’infrastructure, comme la construction de digues, est malheureusement trop répandue. Les solutions d’ingénierie à elles seules ne suffiront pas. Pour augmenter la résilience climatique d’un bout à l’autre du pays, l’amélioration des infrastructures doit s’accompagner d’investissements dans les communautés, le logement et la santé. La bonne nouvelle, c’est que ces investissements peuvent s’avérer fort profitables pour nos collectivités – et pas seulement quand il y a le feu sur la rue principale.

Les risques climatiques influencés par les facteurs économiques et sociaux

Je vais vous donner un exemple très concret. Ces deux dernières années, j’ai vécu à Whitehorse, au Yukon. Je travaillais sur la préparation aux situations d’urgence et participais à des mesures de secours, à titre d’analyste de politiques et de bénévole respectivement. Dans ces deux rôles, j’ai appris que les feux de forêt sont des incidents climatiques à faibles probabilités, mais dont les conséquences sont graves et préoccupent bien des familles de Whitehorse.

Exemple notable, un incendie se déclarant au sud de la ville pourrait remonter la vallée fluviale pour frapper de plein fouet la capitale de 25 000 habitants. Tel était le scénario de l’exercice annuel de l’opération Nanook l’été dernier. Dans le pire des cas, une grande route d’accès du Yukon serait entravée par les flammes, l’aéroport de Whitehorse suspendrait ses activités en raison de la fumée, et un bouchon de circulation sur la seule voie de sortie restante ralentirait dangereusement l’évacuation.

Si tous les résidents de Whitehorse sont vulnérables, d’une façon ou d’une autre, dans ce scénario effrayant, les risques varient selon la situation. Les habitations situées à l’extérieur de la ville, à l’ombre de la dense forêt boréale, sont les plus susceptibles d’être la proie directe des flammes. Les personnes qui n’ont pas de voiture, qui ont un horaire de travail non flexible ou qui sont nouvellement arrivées au Yukon pourraient prendre plus de temps que les autres à réagir ou ne pas être en mesure d’évacuer rapidement les lieux. Celles qui ont des problèmes de santé chroniques seraient les plus sensibles à la fumée. Et celles qui n’ont pas de domicile fixe seraient en grave danger si les autorités donnaient l’ordre de se mettre à l’abri sur place.

Après le passage du brasier, les personnes qui ne disposent pas d’un bon réseau social et familial dans le territoire pourraient peiner à obtenir le soutien moral et physique dont elles ont besoin. Et quand le long et pénible processus de rétablissement débuterait, les familles n’ayant pas d’économies substantielles risqueraient d’être éprouvées en attendant leurs prestations d’assurance. Pour les autres, les primes d’assurance pourraient s’élever au point où ils n’auraient plus les moyens de vivre dans leur maison de toujours.

La résilience des collectivités à promouvoir

Une collectivité aura du mal à devenir résiliente aux changements climatiques de demain si tous ses membres ne sont pas prospères aujourd’hui. La difficulté ne consiste pas seulement à réduire l’exposition aux dangers, mais aussi à faire en sorte que tous les ménages – en particulier les plus vulnérables – puissent supporter le stress qui vient avec les bouleversements climatiques.

En fait, tout indique que de nombreuses adaptations sociales offrent un meilleur rendement du capital investi que la construction d’infrastructures. Dans un rapport récent, la Commission mondiale sur l’adaptation soulignait que les systèmes d’alerte précoce, la préservation des services écosystémiques et l’adaptation des pratiques agricoles peuvent rapporter jusqu’à 8 $ par dollar investi.

Le gouvernement du Yukon a d’ailleurs fait appel à bon nombre de ces solutions financièrement avantageuses dans la stratégie sur les changements climatiques qu’il a récemment publiée. Outre le renforcement des initiatives Préventifeu et le placement sélectif de coupe-feux, le territoire recommande l’ajout de stations météorologiques qui aideront aux prévisions et aux avertissements précoces. Il propose aussi des réformes en matière d’assurance qui pourraient alléger à court terme les coûts pour les propriétaires d’habitation et mieux protéger les titulaires de police en cas de sinistre. Les investissements en services de santé, allant de la télémédecine à la surveillance médicale, peuvent également contribuer au bien-être des Yukonais, que leur région soit balayée par les flammes ou non.

Entre autres politiques d’adaptation climatique qui génèrent, déjà aujourd’hui, de doubles retombées dans les collectivités, mentionnons :

  • la densification urbaine et les changements d’affectation des terres qui rendent le logement plus abordable, réduisent les émissions de gaz à effet de serre et limitent le développement dans les zones à risque;
  • les lois qui restreignent la capacité des assureurs de résilier trop subitement les polices et limitent les hausses de prime post-catastrophe;
  • les politiques favorisant la diversification économique et la stabilité professionnelle, qui peuvent prémunir les collectivités contre les conséquences économiques d’une catastrophe et les aider à prospérer.

Des bienfaits multiples

Il est facile de tomber dans le piège en ne s’intéressant qu’aux coûts d’une politique. Mais il est tout aussi important de considérer l’ensemble des avantages qui en découlent. L’adaptation sociale peut accroître la résilience des collectivités et stimuler l’activité économique locale, par exemple en réduisant l’itinérance et l’insécurité alimentaire et en favorisant la santé des écosystèmes. Voilà une solution économique qui mérite notre attention, et pour plus d’une raison.
Crédit photo : Jay Hsu

Trois moyens ingénieux pour le Canada d’influencer l’action climatique mondiale

À quel point le Canada est-il en mesure d’atténuer le risque climatique en agissant pour la prévention du réchauffement planétaire et des perturbations qui nous guettent? Et surtout, quel poids ont nos actions nationales si les autres grands pollueurs n’agissent pas de leur côté?

Réponse courte : plus que vous ne le pensez. Oui, le Canada n’est qu’un pays parmi d’autres au chapitre des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Et oui, nos émissions comptent, aussi modestes soient-elles. Mais les décisions que nous prenons ont le potentiel d’influencer bien plus que le 1,6 % des émissions mondiales que nous produisons.

Les changements climatiques sont une question, particulièrement épineuse, d’action collective. Autrement dit, il serait avantageux pour tout le monde que l’ensemble des pays adoptent des mesures sérieuses pour décarboniser véritablement la planète. Cependant, aucun pays n’ose trop se distancer des autres. Cette logique n’est pas absurde – sachant que l’action collective comporte son lot de défis –, mais elle n’est pas irréfutable non plus.

Voici trois moyens pour le Canada d’influencer l’action mondiale contre les changements climatiques tout en faisant valoir ses propres intérêts.

1. Promouvoir la technologie propre ailleurs

Le Canada peut aider à réduire la pollution mondiale en développant des innovations technologiques dont les avantages s’étendraient au-delà de ses frontières. Voici un scénario possible :

  • Une politique climatique canadienne intelligente stimule l’innovation propre en initiant des ingénieurs, entrepreneurs et investisseurs brillants à de nouvelles technologies ou méthodes de réduction des émissions à faible coût qui seront profitables dans les années à venir. En encourageant les entreprises et les ménages canadiens à adopter des technologies et des procédés de réduction de la pollution, la politique nationale crée une demande pour des innovations sobres en carbone.
  • La demande croissante du marché, l’intensification de la production et la férocité de la concurrence favorisent ensemble un développement des apprentissages et une réduction encore accrue des coûts, et toute cette innovation est bénéfique pour les objectifs de réduction des émissions au Canada.
  • Par ailleurs, cette innovation peut rendre la réduction d’émissions plus facile et moins chère ailleurs, c’est-à-dire qu’il y a accélération de l’action climatique mondiale (ce qui amplifie celle du Canada). En parallèle, de nouvelles possibilités économiques peuvent donc s’ouvrir pour les innovateurs canadiens dans les marchés internationaux.

Prenons l’exemple de l’énergie éolienne et solaire. L’Allemagne était autrefois le marché le plus dynamique grâce à ses politiques de tarif de rachat garanti pour l’énergie renouvelable. La Chine a ensuite pris la tête quand son gouvernement a investi une somme importante dans l’électricité renouvelable afin de réduire la pollution de l’air.

La demande excédentaire, stimulée par ces deux pays (et d’autres), a entraîné une augmentation de la production, et donc de la concurrence, ce qui a aidé à réduire les coûts généraux de la production d’énergie renouvelable dans un délai relativement court. Il y a vingt ans, l’électricité éolienne et l’énergie solaire étaient des options coûteuses pour réduire la pollution, mais aujourd’hui, elles entrent en concurrence directe avec les combustibles fossiles pour ce qui est des prix.

L’accroissement de la production nationale d’énergie renouvelable semble aussi avoir donné lieu à de nouvelles occasions d’affaires à l’international. En 2017, six des dix fabricants principaux d’éoliennes étaient allemands ou chinois. Aujourd’hui, c’est plus de 70 % des fabricants de panneaux solaires  qui sont chinois. Si ces résultats à eux seuls ne prouvent pas qu’il existe un lien de cause à effet entre les politiques nationales et les parts du marché international d’un pays, ils corroborent toutefois l’hypothèse d’une corrélation.

2. Faire rayonner les politiques climatiques

Tant au Canada qu’ailleurs, il n’est pas facile de choisir et de concevoir une politique climatique avisée. Il faut faire des compromis, considérer l’économie, l’emploi, le budget, les coûts pour les contribuables, et les conséquences d’une insuffisance des mesures.

Mais quand on réussit à surmonter tous ces obstacles – et quand les politiques réussissent véritablement  – il y a des répercussions au-delà de nos frontières. Si les gouvernements canadiens réussissent à élaborer des politiques efficaces tout en répondant à ces préoccupations, le monde entier voudra connaître les détails. C’est ainsi qu’une politique réussie au Canada peut stimuler l’action climatique à l’étranger.

Par exemple, les mesures d’abandon graduel de l’électricité au charbon ont considérablement réduit les émissions au Canada (et amélioré la qualité de l’air), mais elles ont aussi fait écho ailleurs dans le monde. En 2017, le Canada a usé de son leadership pour s’unir au Royaume-Uni et fonder l’Alliance : Énergiser au-delà du charbon. L’Alliance encourage les autres pays à mettre en place des politiques semblables. À ce jour, 30 pays et plus de 50 gouvernements infranationaux, entreprises et autres organisations se sont joints à la coalition.

3. Influencer les politiques climatiques à l’étranger

Le Canada emploie aussi des moyens plus directs pour influencer les politiques climatiques d’autres pays.

Les « clubs climat» qu’on voit apparaître en sont un. Ces petites coalitions de pays mutuellement profitables aux différentes nations, dont le Canada, facilitent la coordination des politiques en matière de climat et d’innovation ainsi que la concertation des institutions.

En d’autres termes, les clubs climat sont des plateformes potentielles pour promouvoir les technologies propres. David Victor, professeur à l’Université de Californie, note: « La force des clubs réside dans la capacité des petits groupes à développer et à mettre en place des solutions aux problèmes complexes, et aussi dans la popularisation de ces solutions. »

Les clubs climat encouragent aussi le rayonnement des politiques climatiques. Par exemple, Emil Dimantchev, chercheur au MIT, explique dans un article comment ces politiques ont évolué dans l’Union européenne. Malgré son utilisation massive d’électricité à base de charbon, la Pologne était prête à mettre un prix sur les émissions de carbone, puisque c’était une condition pour faire partie de l’UE. C’est donc par des incitatifs économiques que l’UE a pu propager des politiques climatiques de taille.

L’ajustement carbone aux frontières a une influence encore plus directe. Il consiste à imposer des frais sur les émissions de gaz à effet de serre générées par les produits importés d’autres pays. Ce système de tarification pourrait être un facteur de motivation important pour les partenaires commerciaux du Canada, qui adopteraient alors des politiques climatiques contraignantes afin d’éviter les taxes sur leurs produits polluants. Vu la taille de son marché et la complexité de la politique, il serait difficile pour le Canada d’imposer unilatéralement l’ajustement carbone aux frontières, mais si l’UE et les États-Unis se mettent de la partie, la politique climatique canadienne pourrait pencher dans la balance de la réduction mondiale de la pollution. Du même coup, l’ajustement carbone aux frontières pourrait aplanir la concurrence en matière de financement international et de parts du marché.

Le Canada, le carbone, et le monde

Oui, seule une action mondiale contre les émissions de carbone pourra nous éviter une catastrophe climatique. Mais le Canada a le pouvoir d’influencer les politiques à l’étranger. Si nous pouvons élaborer et mettre en place une politique climatique avisée, nous pourrons réduire la pollution chez nous, stimuler l’action mondiale et être prêts pour les occasions qu’entraînera l’évolution de l’économie mondiale.