En 2022, rendons les changements climatiques ennuyants

Il y a de ces drames que les gens adorent.

Prenons la très divertissante fin de saison de Succession, la série événement de la chaîne HBO. Je m’en suis délecté, tout comme des millions d’autres téléspectateurs.

Mais voyez-vous, le drame, c’est amusant à petites doses seulement. Un peu trop, et le moral en prend un coup, particulièrement lorsqu’on a l’impression de ne pas être en contrôle.

Au cours de la dernière année, nous avons souvent eu l’impression d’être les otages de tragédies réelles capables de rivaliser avec celles de nos téléséries favorites.

Les grands coupables sont bien sûr les choix déchirants que nous avons dû faire tout au long de la pandémie. Voilà un drame sans fin, accablant et impitoyable. Du jamais vu, au point que nous avons dû créer tout un vocabulaire pour décrire l’expérience.

Autre source inépuisable de drame : la menace existentielle posée par les changements climatiques. Quand je dis à quelqu’un que je travaille en environnement, la même question revient tout le temps, que ce soit dans un souper ou chez le barbier : « Est-ce qu’on est foutus? »

Les sondages d’opinion font état de cette anxiété généralisée. Près de 60 % des jeunes de la planète se disent très inquiets des changements climatiques, et près de la moitié affirment que ces inquiétudes perturbent leur vie quotidienne. Au Canada, cette « écoanxiété » est exacerbée par les feux incontrôlés et les inondations extrêmes connus cette année et par l’impression que les ravages causés par les changements climatiques ne feront qu’empirer.

Mais est-ce une fatalité? Sommes-nous condamnés à angoisser dans l’attente d’un avenir cauchemardesque et dystopique? En un mot : non.

Bien sûr, nous ne réglerons pas tous les problèmes du monde, mais il y a une chose que nous pouvons faire en 2022 pour apaiser les craintes de la population canadienne face aux changements climatiques : les rendre ennuyants. Car l’ennui va de pair avec la prévisibilité et le calme, deux choses dont nous avons bien besoin présentement.

On attribue souvent à Winston Churchill la citation suivante : « Cessons de nous inquiéter pour notre avenir et commençons à le planifier. » Voilà ce que le Canada peut faire cette année.

Notre pays s’est doté d’une loi fédérale sur les changements climatiques, la Loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité, qui oblige le gouvernement à déposer (d’ici la fin mars) son premier plan de réduction des émissions pour 2030. Selon le nouveau ministre de l’Environnement et du Changement climatique, Steven Guilbeault, ce plan doit comprendre des engagements sur les véhicules électriques et zéro émission, la réduction des émissions de méthane, le plafonnement et la réduction des émissions du secteur pétrolier et gazier et la transition vers un réseau électrique carboneutre.

Si le gouvernement tient parole, nous serons en bonne voie pour avoir un impact réel sur les émissions de carbone, une première dans l’histoire de notre pays.

Est-ce que cela dissipera instantanément l’angoisse généralisée quant au climat? Bien sûr que non. Mais savoir que nous avons un plan et que nous commençons à inverser la tendance des émissions de gaz à effet de serre : voilà qui changera les mentalités et le discours entourant le carbone au Canada.

D’autres pays à l’avant-garde des efforts de réduction du carbone nous montrent la voie à suivre. Pensons au Royaume-Uni, qui a diminué de moitié ses émissions depuis 1990. Chaque année y est rythmée par le même cycle : on applique le plan national de réduction du carbone, on évalue les progrès à la lumière de ce plan, on apporte les modifications qui s’imposent, puis on recommence. Ennuyant, prévisible… mais efficace.

Lorsque les politiques publiques donnent de bons résultats, elles cessent de faire l’objet de débats enflammés. Mon souhait pour 2022? Qu’on parle moins des changements climatiques, parce qu’on sera trop occupés à en faire plus.

Initialement publié par Maclean’s.

Entretien avec le nouveau président de l’Institut, Rick Smith

Rick Smith apporte 25 ans d’expérience à la tête d’organismes sans but lucratif, ayant passé les 8 dernières années à faire de l’Institut Broadbent l’un des plus importants groupes de réflexion sur les politiques au pays. Détenteur d’un doctorat en biologie, il a publié de nombreux ouvrages – notamment comme co-auteur de deux livres à succès sur les répercussions de la pollution sur la santé humaine – et a travaillé partout dans le pays et le monde avec un large éventail d’intervenants cherchant des solutions appuyées sur des faits à des enjeux environnementaux, sociaux et économiques. J’ai interviewé Rick au cours de sa première semaine à l’Institut pour savoir pourquoi il est enthousiasmé par ce nouveau rôle.

Qu’est-ce qui vous a amené à assumer ce nouveau rôle de dirigeant à l’Institut?

RS : L’urgence des changements climatiques n’est plus à nier. Les dix prochaines années seront décisives pour la réduction des émissions de carbone, et pour nous assurer que le Canada saura s’adapter aux répercussions des changements climatiques et que notre économie est préparée à la concurrence dans un monde sobre en carbone. Pour ce faire, nous avons besoin des meilleurs plans, orientés par les meilleures données probantes. Nous devons nous assurer que la population canadienne dans son ensemble participe à la discussion. C’est sur ce projet que je veux travailler maintenant.

D’après vous, quels sont les plus grands défis du Canada en matière de politiques climatiques?

RS : S’atteler véritablement à la tâche! Pendant des années, nous avons débattu du code de la route plutôt que d’entamer le voyage. La récente décision de la Cour suprême de maintenir la tarification du carbone, la nouvelle loi de responsabilisation climatique, le projet de loi C-12 et les virages importants qu’ont pris l’administration Biden et d’autres grands partenaires commerciaux ont établi un contexte et un cadre que peut suivre le Canada pour agir. Les changements climatiques ne sont pas qu’un impératif environnemental, mais aussi économique et social. Maintenant, plus rien ne nous empêche de commencer à nous attaquer aux enjeux et de saisir les occasions qui se présentent.

À quel point êtes-vous sûr que le Canada peut faire les progrès nécessaires pour atteindre la carboneutralité?

RS : J’en suis tout à fait certain. Le monde se dirige vers la carboneutralité; il n’y a aucune autre option. Et nous pouvons faire du Canada une figure de proue dans cette transition historique.

Sur une note plus personnelle, comment faites-vous pour rester optimiste et motivé dans votre travail sur des politiques climatiques?

RS : L’un des avantages de vieillir, c’est que j’ai vu des changements positifs survenir, souvent très vite. Par exemple, j’ai eu le privilège de participer pendant de nombreuses années à la discussion sur les produits chimiques toxiques. À compter du début des années 2000, la sensibilisation des scientifiques et des consommateurs a fini par entraîner le bannissement de produits chimiques comme le BPA de nombreux articles. Ainsi, certains objets – comme les jouets pour enfants – sont beaucoup plus sécuritaires aujourd’hui qu’il y a seulement quelques années. On sent maintenant le même genre d’élan de changement constructif en ce qui a trait au climat. C’est excitant!

Qu’est-ce qui changera dans le monde si l’Institut atteint ses objectifs?

RS : La population canadienne sera mieux informée, et nous serons tous unis dans nos efforts pour créer un monde sobre en carbone, un projet commun qui doit bénéficier à tout le monde.

La plus haute instance du Canada a entériné la tarification du carbone. Et maintenant?

Aujourd’hui, la Cour suprême du Canada a entériné la loi fédérale sur la tarification du carbone. Je vous épargne toutes les répercussions juridiques, mais j’analyserai l’incidence sur les politiques climatiques au pays. Voici deux changements découlant de cette décision, et un élément qui reste inchangé.

Changement no 1 : Grâce à une stabilité politique accrue, les chances que le Canada atteigne sa cible de 2030 sont bonnes

Comme je l’ai déjà dit, le plan climatique actuel du Canada est inouï, en ce sens qu’il a la rigueur nécessaire pour atteindre la cible de 2030. L’augmentation de la tarification du carbone à 170 $ par tonne d’ici 2030 est un élément crucial du plan. Par exemple, la modélisation par Navius Research suggère que cette tarification nous met sur la bonne voie pour concrétiser la réduction des émissions nécessaire durant la prochaine décennie.

Notre propre analyse des trajectoires du Canada vers la carboneutralité conduit à la même conclusion. L’atteinte de la cible de 2030 dépendra du déploiement rapide des « valeurs sûres » – soit des technologies et des pratiques éprouvées, déjà sur le marché. C’est ce que promet une tarification du carbone de plus en plus ambitieuse, qui encouragera les entreprises et les particuliers à adopter ces solutions pour éviter de payer cette taxe carbone.

La validation par la Cour suprême du filet de sécurité fédéral de la tarification du carbone vient renforcer la certitude que la tarification des émissions de carbone suivra réellement la trajectoire prévue vers 2030. Qui dit certitude accrue, dit puissant incitatif à investir maintenant dans les solutions qui rapporteront par des émissions réduites, et donc par des coûts en carbone réduits, dans 10 ans. Or, si l’incertitude juridique est derrière nous, l’incertitude politique persiste.

La tarification agressive, et assurée, du carbone ne s’arrête pas à la cible de 2030, elle sert de base pour atteindre la carboneutralité d’ici 2050. D’abord, nos trajectoires vers la carboneutralité montrent que les changements apportés à l’économie canadienne dans les 10 prochaines années mèneront à d’autres changements plus profonds d’ici 2050. Mais pour atteindre la carboneutralité et maintenir la prospérité économique, il faut explorer les nouveaux « paris risqués ». La tarification certaine du carbone est bénéfique ici aussi : les prix élevés attendus peuvent stimuler l’innovation en encourageant les investissements dans des solutions novatrices de réduction des émissions qui seront profitables dans l’avenir, peut-être de façon inattendue.

Changement no 2 : C’est au tour des provinces et des territoires d’adopter la tarification du carbone

Ces dernières années, il y a eu nombre de débats sur la tarification du carbone au sein de la fédération. C’est normal: le bras de fer sur les politiques climatiques n’est qu’un autre chapitre de l’histoire de la compétence partagée dans la politique canadienne.

La nouvelle décision de la Cour suprême a apporté la clarification nécessaire pour aller de l’avant. Ainsi, pour les provinces et territoires qui n’ont pas adopté une tarification du carbone assez stricte, le gouvernement fédéral peut effectivement imposer un filet de sécurité. Mais la décision leur donne tout de même une grande marge de manœuvre.

Maintenant que la bataille juridique est achevée, les provinces et les territoires ont accès à toutes sortes de mesures incitatives. On peut s’attendre à ce qu’ils conçoivent leur propre système de tarification du carbone et, surtout, décident eux-mêmes comment redistribuer les revenus aux entreprises et aux populations de la province. Les gouvernements provinciaux et territoriaux peuvent adapter les options de recyclage des recettes selon leurs priorités.

Ce qui ne change pas : Il y a encore du chemin à faire

La décision de la Cour suprême fera de la tarification du carbone un élément déterminant dans l’atteinte de la cible de 2030 et après. Mais les défenseurs des politiques climatiques ne doivent pas pour autant s’asseoir sur leurs lauriers.

Premièrement, pour être efficace, le plan fédéral doit être mis en œuvre tel qu’énoncé. Les gestes valent mieux que des paroles : le gouvernement fédéral doit appliquer le plan – ainsi que la hausse de la taxe carbone et des remboursements – qu’il a proposé. Le nouveau groupe consultatif pour la carboneutralité indépendant et le projet de loi sur la responsabilité peuvent augmenter les chances que les prochains gouvernements mèneront à bien la tarification du carbone et d’autres politiques.

Deuxièmement, les gouvernements doivent moduler les choix de conception critiques de leur système de tarification du carbone pour assurer son efficacité. À mesure que les prix augmenteront, ces choix seront de plus en plus importants pour les résultats globaux des politiques. Dans certains cas, le système existant peut être amélioré; l’Institut prépare d’ailleurs une nouvelle analyse qui orientera la marche à suivre.

Troisièmement, la tarification du carbone n’est pas le seul levier politique nécessaire pour faire avancer les « valeurs sûres » et les « paris risqués ». Les trajectoires envisagées vers 2030 et vers la carboneutralité d’ici 2050 demandent d’autres mesures et politiques complémentaires à la tarification du carbone. Par exemple, il faudra créer de nouvelles infrastructures pour transporter l’hydrogène, l’électricité, le CO2 ou une combinaison de ceux-ci. Il pourrait être judicieux de bonifier l’aide gouvernementale pour un éventail de paris risqués potentiels qui aideraient non seulement à réduire les émissions de gaz à effet de serre, mais aussi à favoriser la croissance économique future.

Au-delà de la tarification du carbone

La tarification du carbone a monopolisé le débat sur les politiques au Canada ces dernières années. Et ce n’est pas une mauvaise chose en soi : j’ai l’impression que le pays en entier a eu des conversations difficiles sur les politiques climatiques, et qu’au bout du compte, nous avons convenu d’une politique à la fois rentable et efficace pour réduire les émissions. Maintenant que l’un des principaux arguments contre une tarification nationale du carbone a été écarté, c’est le moment de reprendre notre souffle et de tirer le maximum de cette tarification afin d’atteindre la carboneutralité.


 [CT1]Link to SCC decision

Aujourd’hui, la Cour suprême du Canada a entériné la loi fédérale sur la tarification du carbone. Je vous épargne toutes les répercussions juridiques, mais j’analyserai l’incidence sur les politiques climatiques au pays. Voici deux changements découlant de cette décision, et un élément qui reste inchangé.

Changement no 1 : Grâce à une stabilité politique accrue, les chances que le Canada atteigne sa cible de 2030 sont bonnes

Comme je l’ai déjà dit, le plan climatique actuel du Canada est inouï, en ce sens qu’il a la rigueur nécessaire pour atteindre la cible de 2030. L’augmentation de la tarification du carbone à 170 $ par tonne d’ici 2030 est un élément crucial du plan. Par exemple, la modélisation par Navius Research suggère que cette tarification nous met sur la bonne voie pour concrétiser la réduction des émissions nécessaire durant la prochaine décennie.

Notre propre analyse des trajectoires du Canada vers la carboneutralité conduit à la même conclusion. L’atteinte de la cible de 2030 dépendra du déploiement rapide des « valeurs sûres » – soit des technologies et des pratiques éprouvées, déjà sur le marché. C’est ce que promet une tarification du carbone de plus en plus ambitieuse, qui encouragera les entreprises et les particuliers à adopter ces solutions pour éviter de payer cette taxe carbone.

En validant le filet de sécurité fédéral de la tarification du carbone, la Cour suprême a renforcé la certitude que la tarification des émissions de carbone suivra réellement la trajectoire prévue vers 2030. Qui dit certitude accrue, dit puissant incitatif à investir maintenant dans les solutions qui rapporteront par des émissions réduites, et donc par des coûts en carbone réduits, dans 10 ans. Or, si l’incertitude juridique est derrière nous, l’incertitude politique persiste.

La tarification agressive, et assurée, du carbone ne s’arrête pas à la cible de 2030, elle sert de base pour atteindre la carboneutralité d’ici 2050. D’abord, nos trajectoires vers la carboneutralité montrent que les changements apportés à l’économie canadienne dans les 10 prochaines années mèneront à d’autres changements plus profonds d’ici 2050. Mais pour atteindre la carboneutralité et maintenir la prospérité économique, il faut explorer les nouveaux « paris risqués ». La tarification certaine du carbone est bénéfique ici aussi : les prix élevés attendus peuvent stimuler l’innovation en encourageant les investissements dans des solutions novatrices de réduction des émissions qui seront profitables dans l’avenir, peut-être de façon inattendue.

Changement no 2 : C’est au tour des provinces et des territoires d’adopter la tarification du carbone

Ces dernières années, il y a eu nombre de débats sur la tarification du carbone au sein de la fédération. C’est normal : le bras de fer sur les politiques climatiques n’est qu’un autre chapitre de l’histoire de la compétence partagée dans la politique canadienne.

La nouvelle décision de la Cour suprême a apporté la clarification nécessaire pour aller de l’avant. Ainsi, le gouvernement fédéral peut effectivement imposer un filet de sécurité aux provinces et aux territoires qui n’ont pas adopté une tarification du carbone assez stricte. Mais la décision leur donne tout de même une grande marge de manœuvre.

Maintenant que la bataille juridique est achevée, les provinces et les territoires ont accès à toutes sortes de mesures incitatives. On peut s’attendre à ce qu’ils conçoivent leur propre système de tarification du carbone et, surtout, décident eux-mêmes comment redistribuer les revenus aux entreprises et aux populations de la province. Les gouvernements provinciaux et territoriaux peuvent adapter les options de recyclage des recettes selon leurs priorités.

Ce qui ne change pas : Il y a encore du chemin à faire

La décision de la Cour suprême fera de la tarification du carbone un déterminant dans l’atteinte de la cible de 2030 et après. Mais les défenseurs des politiques climatiques ne doivent pas pour autant s’asseoir sur leurs lauriers.

Premièrement, pour être efficace, le plan fédéral doit être mis en œuvre tel qu’énoncé. Les gestes valent mieux que des paroles : le gouvernement fédéral doit appliquer le plan – ainsi que la hausse de la taxe carbone et des remboursements – qu’il a proposé. Le nouveau groupe consultatif pour la carboneutralité indépendant et le projet de loi sur la responsabilité peuvent augmenter les chances que les prochains gouvernements mèneront à bien la tarification du carbone et d’autres politiques.

Deuxièmement, les gouvernements doivent moduler les choix de conception critiques de leur système de tarification du carbone pour assurer son efficacité. À mesure que les prix augmenteront, ces choix seront de plus en plus importants pour les résultats globaux des politiques. Dans certains cas, le système existant peut être amélioré; l’Institut prépare d’ailleurs une nouvelle analyse qui orientera la marche à suivre.

Troisièmement, la tarification du carbone n’est pas le seul levier politique nécessaire pour faire avancer les « valeurs sûres » et les « paris risqués ». Les trajectoires envisagées vers 2030 et vers la carboneutralité d’ici 2050 demandent d’autres mesures et politiques complémentaires à la tarification du carbone. Par exemple, il faudra créer de nouvelles infrastructures pour transporter l’hydrogène, l’électricité, le CO2 ou une combinaison de ceux-ci. Il pourrait être judicieux de bonifier l’aide gouvernementale pour un éventail de paris risqués potentiels qui aideraient non seulement à réduire les émissions de gaz à effet de serre, mais aussi à favoriser la croissance économique future.

Au-delà de la tarification du carbone

La tarification du carbone a monopolisé le débat sur les politiques au Canada ces dernières années. Et ce n’est pas une mauvaise chose en soi : j’ai l’impression que le pays en entier a eu des conversations difficiles sur les politiques climatiques, et qu’au bout du compte, nous avons convenu d’une politique à la fois rentable et efficace pour réduire les émissions. Maintenant que l’un des principaux arguments contre l’uniformisation nationale de la tarification du carbone a été écarté, c’est le moment de reprendre notre souffle et de tirer le maximum de cette tarification afin d’atteindre la carboneutralité.

Vos questions, nos réponses : Foire aux questions sur l’avenir carboneutre du Canada

Depuis la publication du rapport Vers un Canada carboneutre : s’inscrire dans la transition globale le mois dernier, nous avons reçu des questions très pertinentes de nos collègues chercheurs et d’autres intervenants avec qui nous avons eu l’occasion d’entrer en contact. Bien que chacune des conversations et des correspondances ait ouvert des pistes de réflexion différentes, certaines questions revenaient sans cesse. Nous y répondrons ici. Nous vous invitons à continuer de nous transmettre vos questions afin que la discussion se poursuive. 

  1. Quels sont les points importants à retenir du rapport?

D’abord et avant tout, que la carboneutralité est atteignable. Notre analyse nous a permis de trouver plus de 60 trajectoires possibles permettant au Canada d’atteindre son objectif de zéro émission nette de gaz à effet de serre d’ici 2050.

Pour atteindre cet objectif, deux types de solutions sont cependant nécessaires : les valeurs sûres et les paris risqués. Les valeurs sûres sont des solutions sans risque qui sont déjà disponibles commercialement, dont les mesures d’efficacité énergétique, les véhicules électriques et les thermopompes. Les paris risqués, à l’opposé, sont des solutions qui reposent sur des technologies dont le développement n’est encore qu’à ses débuts, qui risquent d’être difficiles à mettre en pratique à grande échelle, ou peut ne pas être en mesure de concurrencer des solutions moins coûteuses, même lorsqu’elles s’avéreront viables sur le plan technique.

Nous croyons qu’au cours de la prochaine décennie nous devrons diriger nos efforts vers les valeurs sûres, tout en soutenant le développement des paris risqués afin qu’ils soient disponibles lorsque nous en aurons besoin pour réduire encore davantage les émissions. Il est trop tôt pour savoir lesquelles seront les plus efficaces, mais la modélisation montre que devrons fort probablement recourir à quelques paris risqués pour réussir à atteindre la carboneutralité d’ici 2050.

  1. Pourquoi les solutions naturelles sont-elles des paris risqués?

Les solutions naturelles, aussi nommées « utilisation du sol » dans notre analyse, englobent une multitude de méthodes d’absorption du CO2, notamment :

  • les pratiques d’aménagement forestier, par exemple l’amélioration des pratiques de conservation ou la plantation d’arbres;
  • les pratiques agricoles, comme les semis directs ou la plantation d’arbres sur des terres agricoles;
  • la gestion des écosystèmes, par la protection ou la restauration des prairies, des milieux humides et des écosystèmes côtiers.

Ces solutions répondent à la définition des « paris risqués » pour diverses raisons. Premièrement, la pérennité de la réduction des émissions engendrées par ces solutions soulève des préoccupations. Le carbone stocké dans la nature n’y demeure pas forcément pour toujours; par exemple, le carbone séquestré dans une forêt peut être libéré en raison d’un feu incontrôlé, d’une sécheresse, d’une espèce envahissante, de l’exploitation forestière ou du développement urbain. En d’autres termes, la séquestration des émissions par des solutions naturelles peut être inversée.

De plus, les solutions naturelles peuvent être difficiles à appliquer à grande échelle en raison du fait que l’étendue des terres requises (pour le boisement, par exemple) pourrait entrer en conflit avec d’autres priorités d’utilisation du sol (comme la production alimentaire) et pourrait avoir des répercussions négatives sur les écosystèmes voisins. Et plus important encore, pour être déployées à grande échelle, ces solutions devraient également respecter les droits inhérents, constitutionnels et issus de traités des peuples autochtones, puisqu’elles seraient souvent déployées sur leurs terres traditionnelles.

  1. Quelle est la place de l’énergie nucléaire? Qu’en est-il des petits réacteurs modulaires?

Réponse courte : dans le cadre de notre analyse, nous n’avons pas spécifiquement évalué le rôle du nucléaire. Nous avons plutôt examiné le rôle de l’électricité propre dans son ensemble, dont peut faire partie le nucléaire, ainsi que l’énergie d’origine hydroélectrique, éolienne, solaire ou géothermique, celle qui provient des biocarburants et du gaz naturel, combinée au captage, à l’utilisation et au stockage du carbone (CUSC). Dans l’ensemble, l’utilisation de l’électricité propre augmente dans toutes les trajectoires vers la carboneutralité que nous avons étudiées, et elle est considérée comme une valeur sûre.

Quant aux petits réacteurs modulaires (PRM), leurs technologies n’en sont encore qu’à leurs débuts et ne sont pas encore commercialisées (sauf dans la marine, où elles servent surtout à alimenter les sous-marins). Pour cette raison, le modèle n’est pas en mesure d’inclure les PRM dans l’analyse. Même si les PRM ne sont pas pris en compte, ils seraient considérés comme des paris risqués en vertu de notre modèle puisqu’ils peuvent changer la donne pour les sources stables d’énergie propre et pour le chauffage et l’alimentation des industries. Bien que, encore une fois, ceci ne repose pas uniquement sur la viabilité technologique des PRM, mais également sur leur capacité à faire concurrence aux autres solutions.

  1. Pourquoi votre rapport n’accorde-t-il pas un rôle plus important à l’hydrogène au Canada? Pourquoi l’hydrogène est-il un « pari risqué »?

Notre analyse démontre que d’ici 2050, l’hydrogène pourrait fournir de 3 % à 10 % de la demande en énergie finale au Canada (entre 294 et 628 pétajoules). D’autres études, comme celle du Projet Trottier pour l’avenir énergétique de 2016, ont elles aussi révélé que l’hydrogène n’est pas appelé à occuper une grande place dans le bouquet énergétique, mais qu’il jouera un rôle important en regard de certaines applications (comme le transport des marchandises lourdes). Toutefois, nous reconnaissons que notre analyse de modélisation ne rend pas entièrement compte de certaines trajectoires à forte demande en hydrogène que certains entrevoient pour le Canada. Par exemple, le modèle prévoit l’intégration d’hydrogène dans les gazoducs (au taux de base de 2 % d’hydrogène en volume et au taux maximal de 20 %), mais il ne prévoit pas la construction d’hydrogénoducs conçus à cette fin.

Plusieurs raisons font de l’hydrogène un pari risqué. Tant les coûts de production et de distribution de l’hydrogène que ceux de l’utilisation des technologies finales (comme les piles à combustible) devraient nécessairement connaître une baisse et concurrencer d’autres solutions (comme l’électricité, les biocarburants ou les CUSC avancés). De plus, son déploiement à grande échelle exigerait des infrastructures nouvelles ou améliorées, dont la construction de pipelines pour transporter l’hydrogène et la modernisation des réseaux et des technologies fonctionnant au gaz pour qu’ils puissent recueillir un mélange comportant davantage d’hydrogène.

  1. Pourquoi l’électricité ne joue-t-elle pas un plus grand rôle dans la transition vers la carboneutralité?

Notre analyse indique que l’électricité joue un rôle de plus en plus important dans toutes les trajectoires carboneutres possibles. D’ici 2050, l’électricité pourrait fournir entre 28 % et 55 % de la demande en énergie finale et jouer un rôle majeur dans la décarbonation de plusieurs secteurs, tels que le transport des personnes, peu importe la trajectoire empruntée par le Canada. D’autres études menées au Canada (dont Pathways to Deep Decarbonization in Canada et Perspectives énergétiques canadiennes 2018) ont identifié des rôles semblables pour l’électricité.

Cependant, comme pour l’hydrogène, notre modèle comporte des limites, ce qui signifie que le plein potentiel de l’électricité pourrait être encore plus important que dans nos prédictions. Ces limites sont dues entre autres à l’impossibilité de simuler la transmission entre les provinces, le potentiel de stockage, ainsi que la tarification au compteur horaire – un outil essentiel pour équilibrer la demande dans un système énergétique fortement électrifié.

  1. Quelles sont les trajectoires vers la carboneutralité les plus probables ou les plus souhaitables?

Dans le rapport, nous examinons la faisabilité relative de plusieurs trajectoires et les obstacles à surmonter pour chacune d’elles. Toutefois, nous n’avons évalué ni leur probabilité ni leur désirabilité. La probabilité est difficile à prévoir avec précision en plus d’être très subjective. La manière dont s’effectuera la transition repose en grande partie sur des éléments incertains qui échappent au contrôle du Canada, comme la rapidité de la lutte contre les changements climatiques et l’évolution technologique. Cela ne signifie pas, cependant, que nous croyons que toutes les trajectoires sont également probables; certaines rencontrent plus d’obstacles que d’autres, et certaines donnent lieu à plus d’incertitude.

La désirabilité, quant à elle, représente un problème beaucoup plus épineux, qui exige qu’on soupèse les différentes priorités et qu’on fasse des compromis.

Il est important que des discussions approfondies sur la probabilité et la désirabilité des trajectoires vers la carboneutralité se tiennent au Canada. Nous prévoyons utiliser ce rapport comme point de départ et comme document de référence appuyé par des faits dans le cadre de ces discussions.

  1. Quelles seront les répercussions régionales de la transition énergétique?

Nous sommes conscients que la transition du Canada vers la carboneutralité aura des répercussions majeures partout au pays, et qu’elles pourraient se manifester de façon très différente selon les régions. Bien que nous ne l’ayons pas abordé en profondeur dans ce rapport, c’est un sujet que nous avons l’intention d’examiner au cours des prochaines semaines et des prochains mois.

Restez à l’affût : nous continuerons d’analyser ce que signifie la carboneutralité pour le Canada. 

Une transition vers la carboneutralité sous le signe de la diversification : les paris sont de mise

L’incertitude est paralysante. Elle l’est d’autant plus lorsque l’enjeu est de taille. Demandez à cinq personnes comment le Canada devrait atteindre la carboneutralité d’ici 2050 : vous pourriez bien obtenir six réponses. C’est que les idées ne manquent pas : électrification, captation et stockage du carbone, captation atmosphérique directe, petits réacteurs nucléaires modulaires… Toutes ces idées – et bien d’autres encore – pourraient faire partie de la solution. Rien pour mettre fin à l’incertitude et au débat entourant l’importance relative de chaque option.

Mais voilà : lever l’incertitude, ce n’est pas choisir entre deux extrêmes. Nous en savons déjà plus qu’assez pour entamer notre parcours vers la carboneutralité avec confiance. Nous connaissons les principales forces et les principaux facteurs qui influenceront la transition carboneutre du Canada, les premières étapes de la transition… Nous en savons assez pour faire quelques judicieux paris qui seront payants à long terme. Enfin, nous savons que la transition passera par une collaboration entre les gouvernements, les secteurs privé et public, et la population.

Pour atteindre la carboneutralité d’ici 2050, il faudra recourir à un éventail de « valeurs sûres » d’ici 2030. Peu importe comment la situation évolue, ces technologies déjà commercialisées contribueront largement à la transition carboneutre du pays. Elles comprennent notamment l’efficacité énergétique des bâtiments, toute forme d’électricité propre, les thermopompes, les véhicules électriques et certaines formes de captation et de stockage du carbone. Selon une nouvelle analyse de l’Institut climatique du Canada, bien implantées, ces solutions pourraient entraîner au moins les deux tiers des réductions d’émissions nécessaires pour atteindre la cible de 2030 du Canada.

Toutefois, pour éliminer complètement les émissions du Canada d’ici 2050 de façon rentable, il faudra graduellement miser sur les paris risqués – et avoir le courage de les tenter. Parmi ces technologies, certaines sont encore émergentes; leur déploiement pourrait être compromis par des obstacles majeurs et leur utilité repose parfois sur une combinaison précise de circonstances. Les paris risqués comprennent notamment la pile à combustible à hydrogène, les prochaines générations de biocarburants, les petits réacteurs nucléaires modulaires, et les solutions techniques à émissions négatives qui retirent le dioxyde de carbone de l’atmosphère. Il est encore trop tôt pour dire avec certitude le rôle de ces technologies ou leur importance; il nous faudra donc multiplier les paris risqués pour mettre toutes les chances de notre côté.

Pour parvenir à la carboneutralité, les gouvernements canadiens devront adopter des politiques différentes visant à stimuler à la fois les valeurs sûres et le potentiel des paris risqués. Et pour qu’elles rapportent en 2030 et en 2050, il faut les mettre en œuvre dès maintenant. 

Pour l’adoption et le déploiement à grande échelle des valeurs sûres, nous avons besoin de mesures incitatives claires. Le nouveau plan climatique du gouvernement fédéral basé sur l’augmentation progressive de la tarification du carbone et le resserrement graduel des règlements flexibles est un pas dans la bonne direction, une pierre d’assise pour les autres gouvernements. Les États du monde entier investissent massivement et mettent en œuvre des politiques visant à encourager les investissements privés dans des infrastructures de réduction des émissions. Pour atteindre ses objectifs climatiques, le Canada devra en prendre bonne note et s’en inspirer.

Le développement et le progrès des paris risqués passent par des politiques et des investissements visant à garantir qu’ils seront prêts au moment opportun. Le soutien, par la réglementation et autrement, à des projets pilotes, ainsi que des incitatifs fiscaux lors des premières étapes de commercialisation favorisent la mobilisation de capitaux privés.

Il n’y a pas à choisir entre les deux types de politiques; il faut adopter une approche équilibrée. L’excès de prudence a son prix; des politiques qui ne tablent que sur les valeurs sûres ne feront que rendre la transition plus difficile ou plus coûteuse. En misant tout sur les paris risqués, nous risquons de nous priver des gains des valeurs sûres. Mais il y a également des risques à écarter complètement d’autres solutions. Il faut adopter une approche équilibrée et il ne sert à rien de faire cavalier seul. S’il y a une leçon à tirer de la COVID-19, c’est bien l’importance des partenariats public-privé.

Voici le véritable constat : si le Canada peut s’accommoder de l’inévitable incertitude à venir, il n’a pas besoin d’un consensus sur les modalités exactes de la carboneutralité. Il s’agit surtout d’adopter des politiques et de réaliser des investissements visant à couvrir un éventail de possibilités dans la transition carboneutre. En fait, nous-mêmes, les auteures de cette lettre ouverte, ne sommes pas toujours d’accord sur le pari risqué à prendre ou la trajectoire vers la carboneutralité la plus probable ou la plus souhaitable. Nous nous entendons toutefois sur un point : il nous faut des politiques climatiques décisives et sans équivoque, et des investissements privés et publics qui mettront le Canada sur la voie du succès dans un monde carboneutre, quel qu’il soit.

Après tout, c’est un enjeu d’une ampleur sans précédent.

Note : Une première version de ce blog a fait l’objet d’un article d’opinion dans The Hill Times le 1er mars 2021.


Martha Hall Findlay est chef du développement durable à Suncor Énergie, la plus grande société énergétique intégrée au Canada. Kathy Bardswick est présidente de l’Institut climatique du Canada. Le nouveau rapport de l’Institut intitulé Vers un Canada carboneutre : s’inscrire dans la transition globale se trouve sur institutclimatique.ca.

L’incertitude plane quant à l’avenir du secteur pétrolier au Canada. Voici pourquoi.

L’incertitude entourant l’avenir du pétrole et du gaz s’accentue, notamment avec l’annulation de Keystone XL par le président Biden et la pression qu’exerce BlackRock sur les entreprises pour qu’elles clarifient leur plan carboneutre. Dans le parcours du Canada (parallèlement à celui de grandes économies mondiales comme les États-Unis et la Chine) vers la carboneutralité, quelle évolution se dessine pour la production pétrolière au pays? Notre dernier rapport, Vers un Canada carboneutre : s’inscrire dans la transition globale, donne quelques pistes de solutions.

L’avenir de la production pétrolière dans un monde carboneutre

Notre analyse de plus de 60 scénarios carboneutres au Canada fait ressortir trois possibilités pour la production pétrolière du pays (voir figure 1) : 1) baisse marquée de la production au fil du temps; 2) stabilité (voire croissance) de la production à long terme; 3) stabilité ou croissance de la production à moyen terme, suivie d’une chute rapide.

La trajectoire qu’empruntera le Canada dépend d’une multitude de facteurs. Certains seront influencés par des choix de politiques internes, mais les forces motrices principales échappent au contrôle du Canada; et aussi à celui de l’Alberta et de la Saskatchewan, d’ailleurs.

Figure 1 : Production pétrolière au Canada en fonction des prix (faibles et élevés) du pétrole à l’échelle mondiale selon les trajectoires vers la carboneutralité

Première trajectoire (vert) : chute de production avec le temps

Le prix mondial du pétrole est l’un des principaux facteurs qui influencent l’avenir carboneutre du Canada. Si la transition carboneutre du pays se produit en même temps qu’une accélération de la lutte contre les changements climatiques à l’échelle mondiale, la demande – et le prix – du pétrole pourrait chuter drastiquement. Dans nos scénarios où le pétrole est abordable, le prix du baril à l’échelle mondiale descend à 38 $ US en 2030 et encore un peu plus en 2050, à 36 $ US (basé sur Avenir énergétique du Canada en 2018 – Offre et demande énergétiques à l’horizon 2040). Selon nos projections, dans ces conditions, la production pétrolière canadienne diminuerait graduellement au cours des 30 prochaines années.

Même les facteurs influencés par les entreprises et les choix politiques du Canada ne changeraient pas la donne. Et un sabrage dans les émissions de la production tirée des sables bitumineux au Canada n’aurait pas d’incidence considérable sur cette issue non plus. Si de nombreuses installations d’extraction des sables bitumineux – étant donné leur faible coût marginal de production – pourraient poursuivre leurs activités encore plusieurs années, on verrait tout de même à une baisse marquée des nouveaux investissements.

Deuxième trajectoire (rouge) : stabilité (voire croissance) de la production à long terme

Par ailleurs, selon notre analyse, la production pétrolière pourrait demeurer stable ou même augmenter dans la trajectoire vers la carboneutralité, mais seulement si quatre conditions bien précises sont remplies (voir figure 2).

  • Premièrement, il faudrait que les prix mondiaux du pétrole augmentent et demeurent élevés (nos scénarios de prix élevés utilisent comme valeur de référence une augmentation du baril à 63 $ US d’ici 2030 et à 87 $ US d’ici 2050). Cette situation ne se concrétiserait qu’en présence d’une faible action politique climatique mondiale ou d’une adoption répandue internationalement des technologies à émissions négatives (point abordé ci-dessous).
  • Deuxièmement, il faudrait que les entreprises pétrolières et leurs bailleurs de fonds s’attendent à ce que les prix du pétrole restent élevés pour justifier leur investissement dans le maintien ou l’accroissement de la capacité de production.
  • Troisièmement, pour demeurer compétitives, les entreprises pétrolières devraient investir des sommes considérables dans la réduction des émissions de leurs activités.
  • Quatrièmement, il faudrait que les technologies à émissions négatives à l’étape de démonstration (ex. : captation atmosphérique directe et formes avancées de captation, d’utilisation et de stockage du carbone) s’avèrent rentables et reproductibles, et soient déployées à grande échelle au Canada. Au développement encore incertain de ces technologies s’ajoutent des obstacles non négligeables à leur déploiement massif (notamment, la construction d’infrastructures sans précédent, la mise en place d’un système mondial de comptabilisation et d’échange de droits des gaz à effet de serre, l’accès à un financement suffisant et l’atténuation des réticences de la population).

Compte tenu de ces conditions non négociables, miser sur cet avenir comporte des risques. Que faire si ces technologies aux multiples incertitudes, qui n’en sont qu’au stade de démonstration, ne se montrent finalement pas viables? Voilà qui nous amène à la troisième trajectoire.

Figure 2 : Production pétrolière et gazière au Canada

Troisième trajectoire (bleu) : stabilité ou croissance de la production à moyen terme, suivie d’une chute rapide

Si le cours du pétrole demeure élevé, la demande pour des produits du pétrole au Canada pourrait se poursuivre à moyen terme. Mais sans une commercialisation réussie et un déploiement massif des technologies à émissions négatives, notre analyse indique que la production entamerait une chute rapide dans les 10 à 20 prochaines années, peu importe les prix.

Si nous continuons de miser sur un avenir où la production de pétrole est élevée, nous risquons d’immobiliser industries, infrastructures et technologies polluantes (tout en nous privant de solutions propres). Ces choix se traduiraient par des « actifs délaissés », car la rentabilité d’importants investissements s’éroderait. Ce scénario risque également de compromettre une diversification nécessaire dans des régions où les économies sont étroitement liées à la production pétrolière. La vulnérabilité du secteur pétrolier canadien à des forces hors de notre contrôle met en évidence l’importance de regarder vers l’avenir et d’offrir du soutien aux communautés et aux travailleurs afin qu’ils ne soient pas laissés pour compte.

Parier sur un avenir incertain

Notre analyse mène à la conclusion que l’avenir de la production pétrolière au Canada est précaire (les perspectives pour la production de gaz naturel au pays sont comparables). S’il est possible, à long terme, d’atteindre la carboneutralité au pays avec un secteur pétrolier florissant, une gestion du risque reposant sur cette prémisse se révélerait difficile étant donné les facteurs déterminants qui échappent au contrôle du Canada.

D’un côté, il est tentant de voir les technologies à émissions négatives (notamment la captation atmosphérique directe) comme une solution magique. Sans compter que les grandes avancées technologiques auraient des avantages significatifs, autant pour les régions pétrolières et gazières du pays que pour les efforts mondiaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Mais d’un autre côté, si nous minimisons les dangers de miser sur une production pétrolière maintenue à long terme, nous exposons les travailleurs et les communautés qui dépendent de ce secteur à un risque accru de perturbations économiques et de pertes d’emploi. Il sera également plus difficile d’atteindre nos cibles climatiques si tous nos espoirs reposent sur une percée technologique à venir.

Mais il existe des façons de composer avec le risque et l’incertitude. La transition carboneutre ouvre de nouveaux débouchés pour ces régions : croissance de la demande en hydrogène, en biocarburants, en électricité propre, ou même développement de solutions à émissions négatives. Beaucoup de ces secteurs ont besoin des ressources, des infrastructures et des compétences de ces régions productrices de pétrole. Les possibilités sont là : il ne nous reste maintenant qu’à les saisir pour que travailleurs, communautés et entreprises trouvent la voie de la prospérité dans un monde en évolution.

Tempête de neige au Texas : un avertissement lancé aux Canadiens

Une tempête de neige record a provoqué des pannes de courant généralisées dans le sud des États-Unis. Au Texas, État le plus touché, des millions de personnes sont toujours privées d’électricité plusieurs jours après la catastrophe et les tarifs d’électricité ont connu une flambée, atteignant 100 fois leur valeur habituelle. L’exploitant du réseau a déclenché des pannes électriques tournantes, privant ainsi ses clients d’électricité pour éviter l’effondrement de l’entièreté du réseau.

Si la crise du Texas a été provoquée par une tempête qui n’aurait rien d’extraordinaire pour nous, il ne faut pas se leurrer : cette situation doit servir d’avertissement au Canada.

Une crise aux effets en cascade

Les pannes majeures provoquées par une forte tempête de neige ont eu un double revers pour la demande et l’approvisionnement. D’un côté, le froid a fait bondir la demande en électricité pour le chauffage. De l’autre, des pannes de centrales à la grandeur de l’État ont perturbé l’approvisionnement en électricité.

Non seulement les coupures de courant ont privé des millions de foyers de chauffage et d’éclairage, mais elles ont déclenché une série de conséquences révélant l’ampleur des services essentiels dépendant de cette ressource : retard de vaccination contre la COVID-19 causé par l’absence de réfrigération et les mauvaises conditions routières, manque d’eau potable dans certaines régions en raison des répercussions sur la distribution et le traitement de l’eau et avis d’ébullition émis partout dans l’État… Même la chaîne d’approvisionnement alimentaire a été touchée, avec des pertes de lait non transformé se chiffrant en millions de dollars.

Le Canada : différent du Texas, mais tout aussi vulnérable

Bien sûr, nous ne sommes pas le Texas. Alors que son réseau est isolé du reste du pays, ceux du sud du Canada sont bien connectés aux grands réseaux nord-américains. L’électricité du Texas provient majoritairement des combustibles fossiles (gaz naturel et charbon), avec une proportion modeste mais croissante d’éolien et de solaire. Au Canada, le bouquet énergétique varie d’une région à l’autre, mais c’est généralement l’hydroélectricité, avec ses forces et ses faiblesses, qui domine.

Mais ne nous berçons pas d’illusions : ce n’est pas parce que nous pouvons braver le froid que la situation du Texas ne nous concerne pas. Les Texans ont été déconcertés par le froid canadien, mais que ferions-nous si une vague de chaleur et de sécheresse à la texane s’abattait au Canada? En fait, l’Institut travaille à la rédaction d’un rapport montrant qu’au Canada, les températures estivales extrêmes, en plus d’affecter les infrastructures qui fournissent l’électricité, feraient augmenter la demande de courant en période de pointe… ça vous rappelle quelque chose?

Avec les changements climatiques, la fréquence de divers types d’événements à longue traîne (faible probabilité, forte incidence) ne fera qu’augmenter. Le Canada a vécu son lot d’événements de la sorte : tempêtes de verglas dans l’est, feu incontrôlé dans l’ouest, inondations partout entre les deux… Les risques climatiques varient d’une région à l’autre – précipitations extrêmes, changements dans la disponibilité de l’eau, vagues de chaleur plus fréquentes –, mais chacun pourrait avoir des répercussions sur le réseau d’électricité du Canada.

La consolidation des infrastructures n’est qu’une partie de la solution

Les événements du Texas nous montrent la nécessité de consolider les infrastructures pour qu’elles résistent à des conditions extrêmes (pour éviter un gel des puits de gaz et des éoliennes, par exemple). Or, de telles modifications ciblées ne sont qu’une partie de la solution. Comme nous ne savons ni où ni quand une catastrophe frappera, c’est le système au complet qu’il faut renforcer, notamment en permettant la défaillance de certaines parties pour mieux rebondir. 

  • Consolider le réseau : En situation de crise, une interconnexion solide peut servir de bouée de sauvetage; c’est d’ailleurs son absence qui s’est révélée le talon d’Achille du Texas. Nos réseaux provinciaux sont reliés au système du continent, même si les provinces frontalières sont généralement mieux connectées aux États du sud qu’aux provinces voisines. Par ailleurs, la construction d’installations de stockage est aussi une façon de s’assurer d’avoir des réserves de secours en cas de besoin.
  • Repenser la conception du réseau d’électricité : Pour éviter de mettre tous nos œufs dans le même panier, il faut soutenir la décentralisation du réseau d’électricité basée sur la diversification des sources. Ainsi, même si une centrale ou un type d’énergie flanche, le système tiendra le coup. Cela vaut également pour les communautés qui ne sont pas desservies par un réseau. Par exemple, la Première Nation de Gull Bay dans le nord de l’Ontario a installé un miniréseau solaire pour accroître son autonomie énergétique et réduire sa dépendance au diesel. 

Il importe également de vérifier si la structure du marché intègre les bonnes mesures incitatives pour renforcer la résilience. Que ce soit par un modèle (plus) déréglementé en Alberta et en Ontario, ou un modèle vertical comme dans plusieurs autres provinces, dans un monde idéal, le marché doit favoriser la résilience des autorités réglementaires, des installations et des consommateurs, ou du moins ne pas leur mettre de bâtons dans les roues.

  • Ne pas oublier la demande : Il est facile de rejeter la responsabilité des pannes sur les défaillances des centrales et des lignes de transport. Cependant, les gains d’efficacité résidentielle et industrielle – meilleure isolation, électroménagers plus efficaces – se traduisent par une baisse de la demande, et, dans l’absolu, préviennent les perturbations. Une réponse en temps réel de la demande pourrait donc encourager la conservation ou le déplacement de la charge en cas de rareté d’approvisionnement, mais nécessiterait un plus grand déploiement d’infrastructures de réseau intelligent et une refonte de la structure du marché dans plusieurs réseaux d’électricité au Canada.
  • Respect des objectifs de carboneutralité : La modernisation du réseau vieillissant du Canada doit intégrer la résilience en parallèle avec la poursuite d’autres objectifs, notamment la décarbonisation. Heureusement, plusieurs mesures énumérées dans cet article peuvent aider à atteindre les deux. Par exemple, une meilleure interconnexion et un stockage plus important permettraient l’intégration d’une plus grande proportion de solaire et d’éolien, tandis qu’un réseau intelligent et l’efficacité énergétique favoriseraient une utilisation efficace des ressources énergétiques. Bien entendu, il faudra tenir compte de l’abordabilité et de l’acceptabilité sociale. S’il n’existe pas de solution magique, il existe tout de même des solutions gagnantes pour tous.

Une construction d’infrastructures tournée vers l’avenir, et non vers le passé

Les événements du Texas ont montré que les graves conséquences d’événements météorologiques exceptionnels – et l’absence de planification – peuvent plonger des millions de personnes dans une obscurité glaciale. Selon les études scientifiques, les changements climatiques donneront lieu à encore davantage de ces événements à longue traîne. Comme point de départ, il faut une planification de l’électricité tournée vers l’avenir, et non vers le passé. La décarbonisation du réseau doit intégrer un renforcement de la résilience.

Restez à l’affût du rapport expliquant l’effet des changements climatiques sur les infrastructures, y compris la demande et la distribution d’électricité au Canada.

La carboneutralité est compatible avec la croissance économique… À condition de bien s’y prendre!

L’Institut a publié le 8 février un nouveau rapport, Vers un Canada carboneutre, explorant les trajectoires qui permettraient au Canada d’atteindre la carboneutralité d’ici 2050. Cet article se penche sur les effets de la carboneutralité sur la croissance économique et montre que cette croissance est tout à fait compatible avec un avenir carboneutre. Nous y présentons également nos observations sur les principaux défis des trajectoires carboneutres et les solutions qui s’offrent à nous.

Une économie canadienne florissante, tous scénarios de carboneutralité confondus

Pour mesurer la croissance économique, on utilise habituellement le produit intérieur brut (PIB), qui représente la valeur des biens et services produits par un pays dans une année donnée. Le PIB est loin de rendre compte de tous les aspects du bien-être économique, mais son utilisation, surtout en combinaison avec d’autres indicateurs, demeure révélatrice. La croissance économique n’est pas qu’une simple abstraction : pour la population, elle se traduit par des emplois et des revenus.

Nous avons analysé plus de 60 trajectoires vers la carboneutralité, et dans chacune d’entre elles, le PIB de 2050 est nettement supérieur à celui d’aujourd’hui. Comme l’illustre la figure ci-dessous, la croissance économique n’est pas freinée par la recherche de la carboneutralité. Le revenu des Canadiens devrait même augmenter.

Figure 1 : Évolution projetée du PIB au Canada dans plus de 60 scénarios de carboneutralité

La figure montre la fourchette de la croissance projetée du PIB (réel) de 2020 à 2050, pour tous les scénarios. Comme on peut le voir, l’écart des prévisions se creuse avec le temps. Ce n’est pas tellement surprenant : s’il n’est pas facile de prévoir la croissance économique sur deux ans, il est encore plus difficile de le faire sur 30 ans.

Soulignons que ces chiffres sous-estiment le potentiel de croissance à venir, car ils excluent une multitude d’avantages découlant de la transition carboneutre (réduction des dépenses en santé grâce à la purification de l’air et moins de congestion routière). De plus, notre modèle laisse de côté le potentiel de nouveaux secteurs émergents qui fabriqueraient des produits encore inexistants (mais qui pourraient devenir des facteurs importants d’ici 2050); il y a 30 ans, personne n’aurait pu imaginer l’économie numérique d’aujourd’hui. Pourtant, de nouvelles études plus représentatives de l’étendue des avantages de l’action climatique montrent que des transitions ambitieuses vers la sobriété carbone peuvent réduire encore le coût pour le PIB et favoriser une croissance encore plus substantielle de celui-ci.

La dernière étape, et non la moindre

Dans la figure précédente, un point en particulier fait exception dans cette tendance de croissance économique. À l’extrémité inférieure de la fourchette de prévisions, quelques scénarios prévoient plutôt un recul du PIB de 2045 à 2050. En d’autres mots, une contraction de l’économie du Canada serait à prévoir dans la dernière ligne droite de quelques-unes des trajectoires vers la carboneutralité. Ces scénarios pessimistes nous servent quelques mises en garde intéressantes et nous donnent des pistes utiles qui aideront le Canada à éviter cet écueil.

Le possible fléchissement de la courbe en 2045 souligne la complexité particulière que posera l’élimination des quelques dernières mégatonnes d’émissions de l’économie du Canada. D’ici 2045, les options de réduction d’émissions peu coûteuses auront été épuisées; il ne nous restera que les plus chères.

Sans la découverte de technologies qui viendront changer la donne, ces réductions seront particulièrement coûteuses. Les scénarios impliquant un recul marqué du PIB de 2045 à 2050 ont en commun une hypothèse importante : tous supposent que la plupart des paris risqués (solutions basées sur des technologies qui ne sont pas encore commercialement viables) ne s’avèrent pas rentables ou reproductibles à grande échelle. Un important facteur de ces scénarios pessimistes? L’absence de solutions à émissions négatives, utilisées pour éliminer le dioxyde de carbone et le stocker de manière permanente par des technologies comme la captation atmosphérique directe et la séquestration du carbone. L’absence d’autres paris risqués (biocarburants de deuxième génération, réseaux d’hydrogène) ne fait que complexifier encore la tâche.

Mais quelles sont les probabilités d’un tel dénouement? Dans le rapport, nous prenons soin de faire remarquer qu’il serait périlleux de mettre tous nos œufs dans le panier des paris risqués et d’ignorer les valeurs sûres. À l’opposé, il serait exagérément pessimiste de supposer la non-disponibilité de la plupart des paris risqués. Par exemple, même si elles ne sont pas reproductibles à grande échelle, les solutions à émissions négatives pourraient très bien servir ponctuellement à éviter les réductions d’émissions les plus coûteuses dans la trajectoire vers la carboneutralité.

En outre, les choix politiques du Canada peuvent favoriser la viabilité des paris risqués. Ils stimulent l’innovation de toutes sortes de façons, qu’on pense simplement par exemple aux investissements publics ou à la tarification du carbone. L’incidence sur le PIB dont il est question ici ne fait que mettre encore davantage en lumière les avantages de recourir aux paris risqués, surtout dans la dernière ligne droite de notre transition carboneutre.

Protéger nos arrières dans un contexte de transition mondiale

Notre analyse montre clairement que l’économie carboneutre du Canada sera plus vigoureuse que celle d’aujourd’hui. Les Canadiens y gagneront. Et si l’on tient compte des autres avantages de la transition – réduction des dépenses énergétiques, air purifié, meilleure santé, atténuation des effets des changements climatiques – ces gains sont encore plus évidents.

Il ne faut cependant pas croire que la prospérité d’une société carboneutre est assurée : il faudra des efforts considérables et concertés. Si certaines forces motrices de la trajectoire vers la carboneutralité nous échappent, plusieurs autres sont à notre portée. Et c’est par une gestion prudente du risque économique de la transition que nous jetterons les bases d’une croissance économique – doublée d’une réduction des émissions – jusqu’en 2050 et au-delà.

Qu’est-ce que la « neutralité » dans la carboneutralité

La semaine prochaine, l’Institut publiera Vers un Canada carboneutre : s’inscrire dans la transition globale, le tout premier rapport exhaustif examinant plus de 60 trajectoires possibles pour le Canada vers son objectif de carboneutralité d’ici 2050.  

L’une des principales conclusions de ces recherches : sur le chemin de la carboneutralité, le mot d’ordre, c’est de prendre des mesures concrètes malgré l’incertitude. Et la plus grande source d’incertitude – et de désaccord – est sans doute à quel point le Canada peut et doit insister sur la « neutralité » dans sa quête de carboneutralité.

L’équation de carboneutralité

En termes simples, un Canada carboneutre signifie que toutes les émissions de gaz à effet de serre restantes (émissions « brutes ») doivent être compensées par des efforts visant à éliminer le dioxyde de carbone de l’atmosphère et à le capturer de manière permanente (émissions dites « négatives »). En termes comptables, la carboneutralité correspond aux émissions brutes moins les émissions négatives.

Il y a trois grandes façons d’arriver à des émissions négatives. Chacune pourrait contribuer à l’objectif de carboneutralité du Canada, mais chacune amène aussi son lot de défis.

Option 1 : Séquestration naturelle

Les « solutions tirées de la nature » peuvent extraire le dioxyde de carbone de l’atmosphère. En théorie, des actions telles que la plantation d’arbres, la modification des pratiques agricoles ou la protection des terres humides peuvent exploiter la capacité de la nature à agir comme un puits net pour les émissions de gaz à effet de serre. Les contributions de sources naturelles à la production (p. ex., feux de forêt) comme à l’élimination des émissions figurent dans l’inventaire du Canada sous forme d’ajustement concernant l’affectation des terres et de changement d’affectation des terres (ATCATF).

Augmenter la capacité de la nature à stocker le dioxyde de carbone peut avoir de multiples bienfaits autres que de freiner les changements climatiques, par exemple, améliorer la résilience aux inondations et soutenir la biodiversité. La séquestration naturelle soulève néanmoins des questions délicates. Dans quelle mesure peut-on prévoir de manière crédible la séquestration des émissions à long terme? La séquestration est-elle vraiment permanente? Selon les particularités de la plantation, les arbres peuvent parfois être des sources de dioxyde de carbone plutôt que des puits, et les arbres plantés aujourd’hui peuvent brûler ou être récoltés demain.

Option 2 : Élimination artificielle de carbone

Les approches technologiques à l’élimination du carbone sont une autre possibilité. L’entreprise Carbon Engineering, de Squamish en Colombie-Britannique, conçoit de nouvelles technologies de captage direct dans l’air (CDA) pour éliminer le dioxyde de carbone de l’atmosphère et le transformer en carburant ou le séquestrer de manière permanente en utilisant la technique de captage, d’utilisation et de stockage du carbone (CUSC). La bioénergie avec captage et stockage du carbone (BECSC) peut avoir un bilan carbone négatif sur l’ensemble du cycle de vie en combinant la séquestration naturelle et la séquestration géologique.

Le Canada pourrait même avoir un avantage comparatif dans ce genre d’approche. L’industrie albertaine a une grande expérience des procédés de récupération améliorée du pétrole, qui s’apparentent à la séquestration géologique des émissions. Et l’Ouest canadien dispose d’une capacité de stockage géologique considérable, voire inégalée.

Cela dit, l’élimination artificielle du carbone se heurte également à des obstacles importants, notamment en ce qui concerne les coûts et l’adaptabilité. Pour l’instant, le captage direct dans l’air reste très coûteux; il faudrait réaliser des avancées technologiques importantes pour le déployer à grande échelle. Parallèlement, l’expansion des technologies carboneutres de captage direct dans l’air nécessiterait une construction massive d’infrastructures, autant des installations de captage en soi que des réseaux de pipelines pour transporter le dioxyde de carbone jusqu’aux sites de stockage géologique.

Option 3 : Système international d’échange de crédits

Enfin, l’Accord de Paris ouvre également la porte aux résultats d’atténuation transférés à l’échelle internationale (ITMO), principe selon lequel les pays peuvent choisir de transférer des « crédits » de réduction d’émissions à un autre pays. Si un pays est en voie de dépasser son objectif de l’Accord de Paris, les émetteurs canadiens peuvent lui acheter des crédits pour compenser leurs propres émissions. Cette flexibilité peut être avantageuse pour les deux parties et réduire les coûts totaux.

Mais ce scénario n’est pas tout rose. Le cadre institutionnel des ITMO n’est pas encore achevé, bien que les négociations internationales se poursuivent. C’est sans compter que la demande de crédits pourrait rapidement dépasser l’offre; plusieurs pays pourraient alors s’arracher les quelques rarissimes crédits. Et le problème ne fera que s’aggraver avec le temps, car tous les pays se dirigent vers la carboneutralité simultanément. À mesure que les ambitions mondiales augmenteront (comme la science du climat le suggère, pour éviter les pires effets des changements climatiques), de moins en moins de crédits seront en vente.

Avantages nets

Comme en fait état notre rapport à venir, les émissions négatives peuvent clairement jouer un rôle dans l’atteinte de la carboneutralité au pays. À ce stade, le Canada devrait envisager toutes les options pour parvenir à son objectif de manière rentable.

Mais la question demeure quant à l’importance optimale et réaliste qu’on devrait accorder aux émissions négatives. Ces dernières peuvent presque assurément aider à faire de la carboneutralité une réalité en compensant les émissions les plus difficiles à réduire de notre système énergétique. Il est aussi possible, mais toutefois incertain, qu’elles puissent être exploitables à plus grande échelle. D’un autre côté, les options crédibles en matière d’émissions négatives pourraient finir par être coûteuses et se faire rares. À long terme, il faudrait donc viser plus que la carboneutralité et faire plus que compenser la production continue d’émissions pour stabiliser notre climat.

La conclusion? Le potentiel des technologies à émissions négatives ne signifie pas que nous devons mettre tous nos œufs dans le même panier et négliger l’importance de politiques rigoureuses. L’incertitude est inévitable sur la voie de la carboneutralité, et les décideurs des secteurs publics et privés doivent s’y attaquer de front.

Restez à l’affût : d’autres analyses et données détaillées s’en viennent sur le parcours canadien vers la carboneutralité et la création de politiques pour gérer l’incertitude.

La responsabilisation climatique à l’œuvre

Aux quatre coins du globe, les cadres de responsabilisation climatique aident les gouvernements à garder le cap dans l’atteinte de leurs cibles climatiques. Le Canada a d’ailleurs su s’inspirer des lois sur le climat de pays comme le Royaume-Uni et la Nouvelle-Zélande pour s’en servir comme cadres de référence en la matière.

Le mois dernier, la Colombie-Britannique a publié son premier rapport de responsabilisation climatique. Ce dernier est une exigence fondamentale selon la loi sur le climat de la province. Il comprend d’ailleurs d’importants détails concernant la progression de la province dans l’atteinte de ces cibles climatiques. Puisque le gouvernement fédéral prévoit adopter son propre cadre de responsabilisation climatique par l’entremise du projet de loi C-12, l’approche de la Colombie-Britannique peut offrir des enseignements précieux.

Même si elle n’est pas parfaite, cette approche démontre que, lorsqu’il est question d’élaboration de cadres de responsabilisation climatique efficaces, mieux vaut en faire plus que pas assez.

Contenu du rapport

Le rapport de responsabilisation climatique démontre que la Colombie-Britannique n’est pas en voie d’atteindre son objectif : réduire les émissions de 40 % par rapport à 2007 d’ici 2030. Si les tendances se maintiennent, les mesures prises actuellement par la province devraient réduire les émissions de 22 % à 29 % par rapport à 2007.

Même si la Colombie-Britannique est loin d’être la première région du Canada à ne pas atteindre ses cibles climatiques, la publication de son rapport démontre que la loi a tout de même les effets escomptés.

L’obligation officielle et légale d’assurer une surveillance et une production de rapports transparentes permet au public de mieux comprendre et évaluer le progrès du gouvernement dans l’atteinte de ses cibles climatiques, ce qui, au final, permet aussi d’accroître la responsabilisation. Cette obligation donne aussi l’occasion aux gouvernements de démontrer au public que leurs mesures sont efficaces et conformes à leurs engagements.

Dans le contexte de la Colombie-Britannique, la publication de rapports annuels multiplie les occasions de prendre des mesures correctives.

Même si le rapport n’indique pas ce que la province compte faire pour réduire l’écart, le gouvernement s’est engagé à publier d’ici la fin de l’année un plan d’action qui tiendra compte des conseils de son organe consultatif indépendant. Il ne s’agit pas d’une simple promesse en l’air, mais bien d’une obligation légale, puisque c’est l’une des principales fonctions des lois sur la responsabilisation climatique.

Leçons pour la responsabilisation climatique fédérale

L’exemple de la Colombie-Britannique offre des enseignements de grande valeur pour le reste du Canada. Bien entendu, ce type de loi n’est pas infaillible et il ne permet pas de corriger le tir en un claquement de doigts. Toutefois, la transparence et la responsabilisation rendues possibles par de telles lois – surtout grâce à leurs obligations redditionnelles – sont inestimables. Comme observé au Royaume-Uni, on ne peut rétablir la situation qu’en ayant conscience de l’écart entre la réalité et l’objectif visé.

En novembre 2020, le gouvernement fédéral a proposé un projet de loi pour instaurer un cadre de responsabilisation climatique fédéral appuyé par des cibles à court et à long terme établies par la loi, un organe consultatif indépendant et un processus de production de rapports sur le progrès.

Toutefois, tel que présenté aujourd’hui, ce projet de loi n’est pas suffisant, et ce, pour plusieurs raisons. De fait, il met en place des cibles à court terme par tranches de cinq ans uniquement (au lieu de 10 à 15 ans d’avance), réduisant ainsi la certitude et la prévisibilité qui entourent les étapes à venir. Il définit d’ailleurs les cibles intermédiaires par des cibles de réduction des émissions plutôt que de miser sur les budgets carbone. Ces derniers seraient préférables puisqu’ils limitent le total des émissions pouvant être rejetées dans l’atmosphère pendant une période donnée, ce qui représente plus justement la contribution d’une région à l’atténuation des changements climatiques que les émissions rejetées dans l’atmosphère en une année. Par ailleurs, ce projet de loi accorde relativement peu de pouvoir à son organe consultatif indépendant.

Mais surtout, sa structure de surveillance et de production de rapports n’est pas suffisante. Alors que les lois de la Colombie-Britannique exigent la production d’un rapport annuel (par le gouvernement lui-même et non par un organe indépendant, comme dans d’autres régions), l’équivalent fédéral n’exige qu’une seule production de rapport (par le gouvernement et le Commissaire à l’environnement et au développement durable) par période cible de cinq ans. Même si un organe consultatif indépendant sera mandaté pour produire un rapport annuel décrivant ses conseils au gouvernement fédéral, cette exigence est un piètre substitut de la surveillance et de la production de rapports annuelles.

Autrement dit, ce sera plus difficile pour le gouvernement fédéral de corriger le tir s’il ne prend le pouls de la situation qu’aux cinq ans. De plus, l’approche de production de rapport suggérée n’est pas compatible avec les pratiques exemplaires internationales. Pour que la loi de responsabilisation climatique fédérale proposée soit un outil efficace pour maintenir le Canada sur la bonne voie, cette partie du projet de loi devra être repensée.

Responsabilisation climatique : plus, c’est mieux 

Outre les détails techniques concernant la production de rapports sur le progrès, l’expérience de la Colombie-Britannique a aussi mis en lumière la façon dont les cadres de responsabilisation climatique des provinces et territoires peuvent s’appliquer parallèlement à un équivalent fédéral. Dans une fédération décentralisée, un cadre de responsabilisation climatique fédéral est fondamentalement limité dans ce qu’il peut légalement imposer aux provinces et territoires. Par ailleurs, comme l’Institut l’a déjà fait valoir, les provinces et territoires devraient être encouragés à instaurer leurs propres cadres de responsabilisation, comme l’ont déjà fait la Colombie-Britannique et le Manitoba. Le fait que plusieurs gouvernements aient leurs cibles établies et leurs propres politiques en ce sens peut favoriser la collaboration entre tous les acteurs dans l’atteinte de cibles climatiques particulièrement ardues. Cela peut aussi aider à faire ressortir les tensions et les incohérences entre les plans et les cibles, à jeter les bases des discussions (souvent épineuses) concernant les étapes à entreprendre et améliorer la collaboration et la coordination à travers tout le pays.

Parfois, moins, c’est mieux. Mais dans le cas des cadres de responsabilisation climatique, vaut mieux plus que pas assez : plus de production de rapports sur le progrès, plus d’occasions de corriger le tir et plus de décisions éclairées des gouvernements pour prendre les mesures nécessaires afin de contrer les changements climatiques.