L’électricité propre, l’atout canadien (à condition de le jouer!)

Cette publication a d’abord paru dans le Globe and Mail.

Alors que s’accélère l’abandon des combustibles fossiles à l’échelle mondiale, le Canada peut compter sur le Règlement sur l’électricité propre et le cadre Propulser le Canada dans l’avenir nouvellement annoncés pour réaliser cette transition tout en protégeant l’accessibilité et la fiabilité de son réseau électrique.

Déjà, les investissements cumulés des États-Unis et de l’Union européenne dans les industries propres pour s’assurer une place sur le nouvel échiquier commercial se chiffrent en billions. Heureusement, le Canada possède une carte maîtresse face à plusieurs de ses concurrents dans le domaine : une électricité propre. La situation actuelle laisse toutefois croire qu’il risque de la dilapider, ce que souhaite freiner le gouvernement fédéral.

Le nouveau Règlement sur l’électricité propre jouera un rôle essentiel dans la construction au Canada d’un réseau carboneutre d’ici 2035, un objectif commun à l’ensemble du Groupe des Sept. La question ne se limite pas à la production d’électricité : pour la première fois en juin dernier, la Régie de l’énergie du Canada a publié des scénarios carboneutres détaillés pour l’économie nationale. Elle arrive à la conclusion qu’un réseau électrique plus grand, plus propre et plus intelligent sera l’« épine dorsale » de tout avenir carboneutre. L’analyse a également démontré qu’il est possible, contrairement à l’opinion de certains, d’atteindre (voire de surpasser) l’objectif du gouvernement de décarboniser la production d’électricité d’ici 2035.

La bonne nouvelle, c’est que le Canada se lance dans la course avec une importante longueur d’avance. Son réseau est sans émission à 84 %, comparativement à seulement 40 % aux États-Unis. Cet écart signifie que l’empreinte carbone des produits fabriqués ici, de l’acier aux batteries en passant par l’aluminium, est déjà plus faible. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles des entreprises, dont la General Motors, choisissent d’y fabriquer les composantes des batteries de leurs véhicules électriques. C’est aussi ce qui explique le soutien sans équivoque de l’industrie canadienne de l’acier aux mesures fédérales visant à accroître l’offre d’électricité propre.

En outre, selon bon nombre d’études, les ménages paieront moins pour l’énergie en passant à l’électricité propre grâce à des technologies efficaces et économes comme les véhicules et les thermopompes électriques. Alimenter sa maison et son véhicule à l’électricité propre, c’est également se libérer de la volatilité des prix des combustibles fossiles découlant des actions de la Russie ou de l’Arabie saoudite.

Le nouveau cadre réglementaire sur l’électricité entre toutefois en vigueur à un moment où le Canada risque de perdre son avantage industriel propre. En effet, les besoins du réseau électrique du pays augmenteront considérablement (environ du double, en fait), à mesure que la population y branchera voitures, maisons et usines. Le Canada est donc à la croisée des chemins : sans directive claire, son réseau risque de devenir plus polluant, aux antipodes de la direction prise par ses partenaires commerciaux.

En effet, malgré les progrès accomplis dans le cadre de son nouveau plan énergétique, l’Ontario a tout de même récemment offert six nouveaux contrats d’approvisionnement en électricité au gaz naturel pour faire face à ses besoins croissants, surtout en raison de la fermeture de grandes centrales nucléaires. Quelques provinces ont aussi choisi de s’opposer aux ambitions de décarbonisation de l’électricité du gouvernement fédéral, l’Alberta en tête. La première ministre Danielle Smith est même allée jusqu’à mentionner son opposition au cadre réglementaire dans les derniers mots de son discours de victoire électorale.

Or il s’agit d’une chance pour le pays entier, et les provinces réfractaires sont souvent celles qui auraient le plus à gagner de ce nouvel investissement. L’Alberta a déjà empoché près de quatre milliards d’investissements en énergies renouvelables du secteur privé. Pendant ce temps, le Canada atlantique attire des propositions d’hydrogène propre venant de tous bords, tous côtés, voguant principalement sur des perspectives d’énergie éolienne en mer abondante.

L’électricité propre est peu coûteuse. L’Alberta et l’Ontario produisent maintenant de l’électricité éolienne à des coûts inférieurs à la production au gaz naturel. Toujours en Alberta, le solaire est déjà moins coûteux que le gaz, et l’écart devrait atteindre 16 % d’ici la fin de la décennie. Qui plus est, contrairement à la croyance populaire, de nombreux moyens permettent de compenser la variabilité des énergies renouvelables.

Bien que l’électricité propre en soit souvent la forme la moins coûteuse, des investissements seront nécessaires pour sevrer le réseau des combustibles fossiles. En guise de complément au nouveau cadre réglementaire, le gouvernement fédéral propose des mesures d’aide aux provinces et aux services publics, y compris un nouveau crédit d’impôt à l’investissement qui couvre entre 15 et 30 % des coûts d’investissements des projets d’électricité propre. Il met également à leur disposition de nouvelles sources de financement comme la Banque de l’infrastructure du Canada et de l’aide pour les nouveaux projets de production, de transport et de stockage d’électricité propre, notamment celui de la boucle de l’Atlantique.

C’est maintenant au tour des provinces de prendre l’initiative. Elles doivent décider si elles travaillent de concert pour rendre le Canada plus compétitif en effectuant les investissements et les modernisations nécessaires ou si elles s’opposent au courant mondial et dilapident la carte maîtresse du pays.

Construire une infrastructure d’électricité propre pour alimenter la prospérité du 21e siècle exigera beaucoup d’efforts. La question n’est pas de savoir si le Canada a le luxe de le faire, mais plutôt s’il a celui de rester les bras croisés.

Misons sur l’avantage électrique du Canada

Initialement publié par Options politiques

L’électricité est l’élément phare de la politique climatique canadienne. Si globalement, les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté au pays depuis 1990, celles du secteur de l’électricité ont chuté de plus du tiers, et ce, malgré la croissance démographique et économique. Cette tendance s’explique par un mélange de réglementation (ex. : abandon progressif du charbon en Ontario) et de resserrement des politiques de tarification du carbone.

En visant la carboneutralité du secteur d’ici 2035, le gouvernement fédéral veut aller plus loin. Mais comment peut-il y arriver alors que les difficultés rencontrées varient énormément d’une province à l’autre et que l’électricité relève d’une compétence provinciale?

Une option a récemment fait l’objet de discussions : celle d’une « norme d’électricité propre », qui fixerait la quantité d’émissions permises pour les producteurs d’électricité partout au pays. Voilà qui relèverait entièrement de la compétence fédérale en vertu de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement de 1999; c’est également le cas de la deuxième option, la tarification du carbone, en vertu d’une décision de la Cour suprême en 2021. Ensemble, ces deux leviers stratégiques donnent au gouvernement fédéral les outils nécessaires pour respecter ses engagements.

Mais comment ces deux options permettraient-elles au gouvernement fédéral d’atteindre les cibles de carboneutralité dans le secteur de l’électricité d’ici 2035? Selon nous, il faudrait avant tout resserrer son application de la tarification du carbone dans le secteur, et donner à la norme d’électricité propre un rôle de soutien. Voyons comment ces mesures se concrétiseraient.

Renforcer la politique de tarification du carbone

C’est sans doute dans le secteur de l’électricité que l’effet de la tarification du carbone est le plus manifeste. En effet, une augmentation du coût marginal de la production d’électricité polluante se traduit par un virage vers des modes de production plus propres dans l’ensemble des sources. Au Royaume-Uni, les données montrent que la mise en place d’un tarif minimal du carbone (visant spécifiquement le secteur de l’électricité et s’ajoutant aux mesures tarifaires de l’Union européenne) a grandement aidé le pays à délaisser rapidement le charbon. En Alberta, l’adoption de tarifs provinciaux semblables en 2018 a engendré un déclin marqué de production d’électricité à partir de cette source. La province prévoit d’ailleurs l’élimination complète du charbon d’ici 2023, soit bien avant la cible d’abandon progressif de 2030.

Or, l’exemple de l’Alberta montre aussi l’une des lacunes des politiques de décarbonisation actuelles : le charbon est en grande partie remplacé par le gaz naturel. Ce dernier génère certes une baisse d’émissions, mais c’est encore trop peu pour nous permettre d’atteindre nos objectifs de carboneutralité.

Reste à savoir si la tarification du carbone peut aller encore plus loin. Permettrait-elle au fédéral d’atteindre son objectif de carboneutralité d’ici 2035?

Pour commencer, il serait important d’en resserrer l’application dans le secteur de l’électricité. En vertu de la politique fédérale, les producteurs d’électricité du Canada sont admissibles au système de tarification fondé sur le rendement (STFR). Or, l’application actuelle du STFR à l’électricité révèle des défauts de conception qui minent l’efficacité du système. La raison de l’admissibilité du secteur au STFR n’est par ailleurs pas claire, l’électricité ne répondant pas au critère d’être un secteur touché par le commerce et rejetant de grandes quantités d’émissions (contrairement à celui de la sidérurgie ou de la cimenterie, par exemple). Il est vrai que l’approche actuelle aide à réduire les répercussions sur le prix de l’électricité, mais elle réduit également l’efficacité de la politique.

En cessant tout bonnement d’appliquer le STFR au secteur de l’électricité, le gouvernement fédéral rehausserait considérablement l’efficacité de sa politique de tarification du carbone. Ainsi, la différence entre les émissions des diverses sources d’énergie serait adéquatement reflétée, et on éliminerait les distorsions créées par l’approche actuelle.

Pour éviter une flambée des prix aux consommateurs et d’importants transferts interprovinciaux, les revenus perçus pourraient tout simplement rester dans les provinces (à l’instar de l’actuelle taxe carbone fédérale) et être reversés directement sur la facture du consommateur. De cette façon, ce dernier verrait la hausse de prix engendrée ultimement compensée par une réduction de sa facture. Cette solution correspond au modèle adopté en Californie, où les producteurs d’électricité paient une taxe carbone, et les distributeurs en redistribuent les revenus au consommateur.

En renonçant au STFR dans la filière électrique et en remettant les revenus de la tarification du carbone aux contribuables dans les provinces, on aurait pour effet 1) d’inciter davantage les producteurs à réduire leurs émissions et 2) de protéger les consommateurs et les entreprises contre une flambée des prix.

Et comme la politique fédérale servirait de point de référence pour vérifier l’équivalence entre les politiques provinciales, ce changement ferait en sorte que les politiques soient (ou deviennent) toutes aussi strictes d’une province à l’autre. Pourvu qu’on indique aux autorités de réglementation concernées de ne pas tenir compte des effets du rabais dans leurs décisions d’investissement dans les services publics, le rabais n’enlèverait rien à l’impératif global de réduction des émissions.

Même si l’on applique ces changements, une étape supplémentaire pourrait encore être nécessaire. La politique de tarification du carbone de l’Alberta, par exemple, contourne les écueils de l’approche fédérale. Pourtant, on construit actuellement dans cette province une centrale au gaz naturel toute neuve (il ne s’agit pas d’une ancienne centrale au charbon convertie) qui ne demeurera probablement pas concurrentielle quand la politique climatique sera resserrée pour atteindre les cibles fédérales.

Voilà qui soulève la question : pourquoi un producteur d’électricité, qu’il soit du secteur privé ou public, voudrait-il construire une centrale alimentée au gaz naturel à l’heure actuelle? La réponse tient en grande partie à l’incertitude qui plane quant à l’avenir des politiques sur le carbone. À preuve, le gouvernement du Canada a déclaré que les prix s’élèveraient à 170 $ la tonne d’ici 2030, mais celui de l’Alberta n’a que tout récemment établit ses orientations tarifaires, et seulement jusqu’à 2022; au-delà de cette date, rien n’est certain. Et même si la politique d’un prix du carbone fixé à 170 $ d’ici 2030 devenait la norme d’un océan à l’autre, les investisseurs et les services publics pourraient encore douter de sa durabilité sur la scène politique après 2030. Après tout, si les résultats de l’élection tenue il n’y a pas si longtemps avaient été autres, l’avenir de la tarification fédérale du carbone aurait probablement été fort différent.

Ainsi, une réduction de cette incertitude favoriserait la prise de décisions d’investissement cadrant mieux avec les politiques et les cibles d’émission établies. Parmi les principaux outils pour y parvenir figurent les instruments financiers, comme la Banque de l’infrastructure du Canada (BIC), qui garantissent les prix futurs du carbone. En effet, la BIC assumerait le risque que les prix du carbone soient inférieurs à 170 $ en 2030; les investisseurs auraient alors l’assurance de ne pas être touchés par un éventuel changement de cap. La certitude s’en trouverait améliorée même pour les autres investisseurs, qui verraient dans la simple existence de ces contrats une raison crédible pour les prochains gouvernements de maintenir l’orientation établie (pour éviter les pertes financières associées à un retour en arrière).

En bref, l’utilisation d’instruments financiers placerait judicieusement le risque stratégique là où il sera le mieux géré, auprès du gouvernement, laissant les entreprises investir en fonction de futurs prix du carbone « fixes » – ce qui renforcerait la tarification du carbone tout simplement en rendant son avenir plus certain.

Imposer une norme de rendement

Une tarification du carbone plus stricte conjuguée à une plus grande certitude quant aux prix futurs ferait une bonne partie du travail de l’élimination des émissions dans le secteur de l’électricité, mais ne garantirait pas à elle seule l’atteinte de la carboneutralité en 2035.

Une norme de rendement applicable au secteur de l’électricité (comme la norme d’électricité propre proposée, mais encore à définir) viendrait soutenir la politique de tarification renforcée en garantissant une production carboneutre d’ici 2035. Elle pourrait d’ailleurs contribuer à dissiper l’incertitude entourant les politiques, dans la mesure où les entreprises estiment qu’un règlement a moins de risques d’être révoqué qu’une politique de la tarification du carbone.

Cette norme de rendement pourrait être appliquée en deux temps.

Premièrement, elle fixerait un plafond d’intensité des émissions pour toutes les nouvelles installations de production. L’intensité maximale pourrait être inférieure à celle des centrales au gaz naturel inchangées (pour empêcher la construction de nouvelles installations du genre), mais permettre l’adoption de technologies quasi carboneutres, comme la captation du carbone et certaines solutions recourant à l’hydrogène. En établissant la limite ainsi, on éviterait au contribuable d’essuyer les coûts des nouvelles centrales au gaz naturel si elles venaient à être abandonnées.

Deuxièmement, la limite pourrait être abaissée au fil du temps, de sorte qu’en 2035, toutes les centrales, nouvelles et anciennes, doivent être carboneutres. Les installations assujetties pourraient se conformer en partie à l’aide d’émissions négatives (si elles le souhaitent), et les compensations carbone permises, de même que les protocoles d’approvisionnement et de validation associés, seraient clairement définies dans le règlement. Cette flexibilité des critères de conformité est essentielle. Sans elle, on risque d’assister à de brusques hausses tarifaires ou à des problèmes de fiabilité si les sources d’électricité propre non acheminable, ou encore la production « à la demande » et les autres mécanismes de flexibilité permettant de gérer la variabilité des sources renouvelables n’étaient pas assez avancés en 2035 pour remplacer de façon rentable la relativement petite proportion de production au gaz naturel demeurée économiquement viable malgré une hausse des prix du carbone. Cette flexibilité permettrait le recours aux énergies fossiles – avec modération, dans le respect des limites de volume fixées pour contenir les émissions, lesquelles seraient entièrement compensées – quand les autres sources se feraient rares.

Ce type de norme de rendement simple encadrant l’intensité des émissions des centrales canadiennes pourrait servir de modèle pour la norme d’électricité propre promise par le gouvernement fédéral. Elle soutiendrait la tarification du carbone renforcée en assurant la carboneutralité de l’électricité d’ici 2035, tout en laissant aux incitatifs commerciaux de cette tarification un rôle de premier plan dans la réduction rentable des émissions. Et en offrant de la flexibilité, elle garantirait l’atteinte de la cible de 2035 sans compromettre la fiabilité du réseau électrique.

Faire bon usage des outils à notre disposition

Le gouvernement fédéral a déjà placé la tarification du carbone au cœur de sa stratégie de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Ainsi, au lieu d’élaborer une norme d’électricité propre complexe dont les effets recouperaient en bonne partie ceux du resserrement de la politique de tarification, il devrait renforcer son application de cette politique dans le secteur. Une norme d’électricité propre optimale, quant à elle, servirait de complément à la tarification du carbone, et non de substitut.

Bien sûr, ce ne sont pas là les seuls rôles du gouvernement fédéral en matière d’électricité. Celui-ci doit notamment améliorer l’intégration entre les provinces par la coordination et l’élargissement du réseau de transport. Pour une analyse poussée des leviers stratégiques fédéraux et provinciaux à actionner pour atteindre la carboneutralité des réseaux électriques, lisez le rapport que publiera sous peu l’Institut climatique du Canada.

« Vous avez le cancer » : voilà qui donne un caractère très personnel au lien entre pollution et santé

Initialement publié par The Globe and Mail

De 2021, comme beaucoup de Canadiens, je retiendrai notamment l’image des résidents de Lytton, en Colombie-Britannique, remplissant leurs voitures pour fuir leur village dévoré par les flammes. Pendant les trois terribles jours précédant le feu, cette petite communauté au bord du fleuve Fraser avait enregistré des températures records pour le Canada. Les scientifiques ont confirmé depuis que cette vague de chaleur aurait été « pratiquement impossible » sans les changements climatiques.

Des cyclones en Indonésie aux inondations mortelles en Allemagne, en passant par des ouragans dévastateurs aux États-Unis et des dômes de chaleur et rivières atmosphériques en Colombie-Britannique, la pollution par le carbone et les conditions climatiques extrêmes qu’elle cause multiplient considérablement les épreuves comme celle qu’ont traversée l’été dernier les gens de Lytton.

Bien que désastreux, ces incidents ne datent malheureusement pas d’hier. La pollution et ses ravages jalonnent l’histoire humaine. Dans la région antique de Sumer, l’irrigation excessive a entraîné la pollution du sol par le sel, ce qui serait, selon les archéologues, à l’origine du déclin de cette civilisation. Les eaux usées ont causé des éclosions mortelles de fièvre typhoïde et de choléra. Des produits chimiques comme le D.D.T. ont tué des animaux sauvages et menacé la santé humaine avant d’être interdits. Et la pollution atmosphérique mondiale est encore responsable de millions de décès prématurés chaque année.

Cela fait plus de vingt ans que je fais des recherches et que j’écris sur le lien entre la pollution et la santé humaine. J’ai lancé des campagnes pour évacuer des substances chimiques cancérogènes et hormonoperturbantes des biberons et des jouets. J’ai même mené des expériences sur moi-même pour donner vie à ces histoires et les rapprocher du quotidien. Tout récemment, j’ai étudié l’ampleur de l’absorption des microplastiques – et de tous leurs vilains ingrédients chimiques – dans le corps humain. Je dirige actuellement la plus grande organisation canadienne consacrée aux politiques et à la recherche sur les changements climatiques, pour contribuer à lutter contre ce qui est sans doute le plus grave problème de pollution de la planète.

De tout ce travail, j’ai pu conclure que c’est seulement lorsque les effets de la pollution les touchent de près que les gens éprouvent une réelle inquiétude et réclament des mesures gouvernementales. Quand les parents ont constaté que les biberons qu’ils utilisaient tous les jours pour nourrir leurs poupons vulnérables contenaient du BPA, ils sont passés aux actes et ont obtenu du gouvernement fédéral, pourtant lent à la détente, que ce produit soit classé comme une toxine pour protéger la santé des Canadiens.

À présent que les phénomènes météorologiques extrêmes découlant des changements climatiques frappent régulièrement les communautés, la population exige des mesures pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Et n’en doutez pas : quand la population se fâche, les choses évoluent; on l’a vu même pour des intérêts solidement ancrés. Pour ne prendre qu’un exemple, une fois le lien entre le talc et le cancer de l’ovaire bien établi, le géant Johnson & Johnson a été forcé de retirer du marché son emblématique poudre pour bébés.

Mais comme toujours, l’expérience directe ou personnelle est souvent la plus révélatrice. Même si je connais bien les conséquences de la pollution et que j’en ai souvent parlé, je suis très gêné d’avouer que je ne les comprenais pas vraiment avant de recevoir mon diagnostic, il y a quelques mois.

Comme près de 200 000 autres Canadiens en 2021, j’ai reçu un appel de mon médecin me disant que j’avais le cancer. Comme c’est un cancer de la thyroïde qui croît lentement et que je n’ai aucun symptôme, la nouvelle m’a chaviré.

Sans surprise, mes premières pensées ont été sombres. Je me suis immédiatement inquiété de mon assurance vie et de la capacité de ma femme à payer le prêt hypothécaire s’il devait m’arriver quelque chose. Et comme il est malaisé de lancer dans une conversation amicale « Ah et en passant, j’ai le cancer », il est difficile d’en parler. Les formulations utilisées pour discuter de la maladie dissimulent souvent la grande détresse des patients et de leurs familles. Pour ma part, je suis relativement chanceux : mon type de cancer thyroïdien se traite assez facilement par des interventions chirurgicales, et si le risque de rechute est élevé, le taux de mortalité est plutôt faible.

Après un tel diagnostic, on se demande vite « Pourquoi moi? ». Le cancer de la thyroïde fait partie de ceux liés aux polluants hormonoperturbants de l’environnement. C’est d’ailleurs ce que révèle une publication récente : en plus des facteurs génétiques et du mode de vie, les deux tiers des cancers sont d’une quelconque façon liés à l’environnement. Un des chercheurs estime que la prévalence du cancer de la thyroïde pourrait être associée aux produits ignifuges, fréquemment ajoutés aux appareils électroniques et aux meubles recouverts – des produits que j’ai trouvés dans mon propre corps durant mes recherches.

En voilà une situation perverse, dont nous sommes responsables! Des millions de personnes partout dans le monde souffrent de maladies causées ou aggravées, à tout le moins, par des polluants créés à l’origine pour tenter d’améliorer la qualité de vie. Rita Banach, ancienne présidente de Cancer de la thyroïde Canada avec qui j’ai collaboré au fil des ans pour éradiquer les ingrédients cancérogènes des produits cosmétiques, résume les frustrations d’une grande partie de la population :

« Il y a tellement de substances chimiques intégrées aux produits de consommation ou rejetées dans l’environnement; et les questions de sécurité ne viennent qu’ensuite, après que nous y ayons tous été exposés. Cela doit cesser. Nous devons renverser la vapeur. »

Le réel enjeu de ce combat perpétuel contre la pollution n’est pas la survie de la race humaine. Contrairement au film allégorique sur les changements climatiques Déni cosmique, qui se termine sur un déluge de feu, la réalité sera moins apocalyptique. Mais combien de morts faudra-t-il avant que nous n’apprenions de nos erreurs?

Pour certains polluants, comme les produits hormonoperturbants liés à des cancers particuliers, les facteurs biologiques personnels contribuent à la susceptibilité. Par exemple, il est à présent établi que certains gènes héréditaires augmentent le risque de cancer du sein. Tom Zoeller, spécialiste du système endocrinien et de la thyroïde et professeur émérite de l’Université du Massachusetts, m’a dit : « Je ne crois pas du tout que le cancer se développe de façon aléatoire. Prenons par exemple les fumeurs. Seuls 11 % d’entre eux contractent un cancer du poumon. Est-ce par hasard? Absolument pas. C’est à cause d’une prédisposition génétique. » Bien que les facteurs génétiques intervenant dans le cancer de la thyroïde soient mal compris, je suppose qu’il faut conclure que ma glande est plus fragile que celle de la majorité des gens.

Il est un peu plus facile de prédire qui seront les victimes de la pollution qui engendre les changements climatiques. Les personnes vulnérables de la société – personnes âgées, à faible revenu, racisées ou autochtones – sont beaucoup plus susceptibles de pâtir des conditions climatiques extrêmes. Une bonne partie des 595 personnes décédées en raison de la vague de chaleur de l’été dernier en Colombie-Britannique étaient d’ailleurs âgées.

Je dois subir une autre opération à la fin janvier; j’ai bon espoir que tout se passe bien. Mais ce qui est vraiment nécessaire pour améliorer la sécurité à long terme – la mienne, celle de ma famille et celle de tous les Canadiens –, c’est un leadership politique fort en 2022. Le Parti libéral fédéral s’est récemment fait réélire en proposant une plateforme qui est probablement la plus complète en matière de lutte contre la pollution de toute l’histoire du pays. On y trouve la promesse d’interdire certains types de plastiques à usage unique, de moderniser la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, de limiter les polluants toxiques, de couper comme jamais auparavant la pollution par le carbone et d’investir dans l’adaptation aux changements climatiques.

Seul, aucun de nous ne pourra échapper aux effets mortels de la pollution. C’est uniquement en travaillant tous ensemble que nous parviendrons à nous protéger, ainsi que nos descendants, contre une aggravation de cette souffrance inutile.

L’océan : la solution invisible aux changements climatiques

L’Institut a demandé à Douglas Wallace, titulaire d’une chaire de recherche du Canada et de la Chaire d’excellence en recherche du Canada sur la science et la technologie des océans de l’Université Dalhousie, d’expliquer le rôle que l’océan pourrait jouer dans l’équation de la carboneutralité au pays.

Dans son rapport Vers un Canada carboneutre, qui porte sur les trajectoires nationales qui permettraient l’atteinte de l’objectif de zéro émission nette, l’Institut suggère un vaste éventail de solutions : des valeurs sûres, comme l’électricité propre, et des « paris risqués », notamment des moyens naturels, dont la contribution n’est pas assurée. Bien que ces moyens naturels n’éliminent pas la nécessité de réduire considérablement les émissions dues aux combustibles fossiles, l’optimisation des puits de carbone naturels pourrait s’avérer essentielle si les réductions demeurent insuffisantes. L’un de ces moyens naturels est (littéralement) une solution : l’eau des océans. S’il n’a reçu que très peu d’attention jusqu’ici, cela doit changer immédiatement.

L’océan est de loin le plus vaste réservoir de carbone lié à l’atmosphère (figure 1). Dans les 270 dernières années, seul l’océan a limité efficacement l’accumulation de dioxyde de carbone (CO2) issu de la combustion de combustibles fossiles dans l’atmosphère (figure 2). En comparaison, la taille du réservoir de carbone sur la terre ferme est restée plutôt stable malgré les changements radicaux dans l’utilisation des terres. Durant le dernier million d’années, c’est le stockage de carbone inorganique dans les profondeurs océaniques qui aurait été à l’origine des importantes réductions de CO2 atmosphérique lors des périodes glaciaires.

Malgré l’importance de cette étendue d’eau, l’une des définitions courantes de « solution climatique naturelle » se limite aux forêts, aux milieux humides, aux prairies et aux terres agricoles. Sans parler du rapport Vers un Canada carboneutre, qui contient une cinquante d’occurrences du mot « terre »et ne mentionne l’océan que deux fois.

igure 1 : Ampleur relative des réservoirs de carbone mondiaux qui font des échanges atmosphériques sur une échelle d’un millénaire ou moins. (La part des mangroves et des herbiers marins n’est pas assez grande pour être visible sur le graphique.)
Figure 2 : Flux de carbone mobilisés par l’être humain depuis 1750, tous réservoirs confondus (comprenant un petit déséquilibre budgétaire).

Un processus naturel, mais pas biologique

Le puits de carbone de l’océan (sa capacité à réduire les changements climatiques en retirant du CO2 de l’atmosphère) diffère fondamentalement des puits terrestres et côtiers, en partie parce que son processus de captation est de nature chimique plutôt que biologique : le CO2 se dissout dans l’eau et réagit à celle-ci et aux substances alcalines qu’elle contient (p. ex. ions carbonates provenant de roches carbonatées). Ces réactions s’opèrent partout dans l’océan et sont abiotiques, c’est-à-dire indépendantes des organismes. Elles se sont produites tout au long de l’histoire de la Terre et sont entièrement « naturelles ».

Il peut donc paraître étonnant que la plupart des discussions entourant l’élimination du CO2 par l’océan portent sur des processus biotiques, soit l’amélioration de la captation du carbone par les organismes photosynthétiques, comme sur la terre ferme. La première idée en ce sens est la fertilisation des océans par le fer, à laquelle se sont ajoutées des méthodes moins controversées de carbone bleu, notamment l’amélioration de la croissance des algues marines, des herbiers marins et des mangroves en zones côtières. Le carbone bleu est en quelque sorte l’équivalent ou le prolongement marin des solutions terrestres. On a également proposé une version aquatique de la bioénergie avec captage et stockage du carbone (ABECCS) intégrant la culture des algues.

Les limites du carbone bleu

Si l’on se concentre sur l’élimination du carbone par photosynthèse, on risque d’oublier la raison première de l’efficacité du puits de carbone océanique : les propriétés chimiques de l’eau marine. Cela pourrait également soulever des questions éthiques et de sécurité.

Le carbone bleu ne contribuera pas de manière significative à l’atténuation des changements climatiques à l’échelle mondiale; à trop en faire la promotion, on risque même de distraire ou de tromper les décideurs, les politiciens et le public.

L’un des problèmes majeurs du carbone bleu est la quantité de carbone extrêmement restreinte que l’on peut séquestrer dans les milieux côtiers en raison de la très petite taille des réservoirs (figure 1). Même les estimations les plus optimistes du potentiel de séquestration n’excèdent pas 3 % des émissions annuelles mondiales dues aux combustibles fossiles, et la séquestration d’une telle quantité nécessiterait une restauration massive des milieux humides partout dans le monde, ce qui, à son tour, aurait une incidence sur l’utilisation des terres et les moyens de subsistance dans les pays en développement et soulèverait des questions sur le rôle des pays du Sud dans l’atténuation de problèmes causés en grande partie par les pays du Nord et, comme pour l’élimination du CO2 par des méthodes terrestres, sur le partage équitable des coûts et des avantages. Même s’il avait plus d’avantages pour les écosystèmes et la biodiversité, le carbone bleu ne contribuera pas de manière significative à l’atténuation des changements climatiques à l’échelle mondiale; à trop en faire la promotion, on risque même de distraire ou de tromper les décideurs, les politiciens et le public, qui pourraient favoriser des méthodes qui partent d’une bonne intention, mais s’avèrent inefficaces.

L’élimination du CO2 par la photosynthèse et la croissance de la biomasse présente d’autres difficultés. Par exemple, la fertilisation par le fer, axée sur l’amélioration de la photosynthèse, a finalement été jugée risquée et peu efficace. De manière générale, la conversion améliorée du CO2 inorganique en carbone organique (biomasse) peut avoir des conséquences imprévues. Par exemple, la croissance de la biomasse nécessite des éléments nutritifs habituellement rares dans l’océan. Puisque l’élimination du CO2 risque de priver d’autres écosystèmes fragiles d’éléments nutritifs essentiels, il faut étudier attentivement les sources de tels éléments et les besoins en la matière.

Il faudrait séquestrer le carbone organique supplémentaire issu du carbone bleu loin de l’atmosphère, par enfouissement de sédiments, séquestration dans les profondeurs océaniques ou une autre forme de préservation du carbone, sans quoi il sera simplement rejeté et retournera rapidement dans l’atmosphère sous forme de CO2. S’il était séquestré dans les profondeurs océaniques, son rejet contribuerait à l’acidification et à la désoxygénation des océans. Il est donc impératif de tenir compte de ce risque de conséquences imprévues dans les efforts de réduction du CO2 atmosphérique au moyen du biote océanique.

La séquestration abiotique dans l’océan est permanente et utilise des processus qui ont su extraire du CO2 de l’atmosphère de manière efficace à l’échelle des temps géologiques.

Les processus chimiques et abiotiques : une solution possible

L’élimination abiotique du CO2 a beaucoup plus de potentiel que le carbone bleu. C’est pourquoi les chercheurs et les investisseurs du secteur privé canadien s’intéressent maintenant aux méthodes axées sur la capacité chimique de l’eau de mer et des roches du fond océanique de réagir avec le CO2 ou de le « neutraliser ». L’une d’entre elles consiste à ajouter des substances alcalines telles que des carbonates ou, plus probablement, des ions d’hydroxyle à la surface de l’eau de mer afin que celle-ci absorbe davantage de CO2 atmosphérique. Il est également possible d’utiliser la capacité naturelle des minéraux de la croûte océanique de produire une réaction d’altération chimique à leur contact avec le CO2. À l’inverse du stockage dans les forêts, qui peut être réduit à néant en cas d’incendie ou de maladie, la séquestration abiotique dans l’océan est permanente et utilise des processus efficaces pour extraire du CO2 de l’atmosphère à l’échelle des temps géologiques. Les réactions ne nécessitant aucune intervention directe d’organismes, elles ont le potentiel d’être efficaces et d’avoir une faible incidence sur les écosystèmes marins, mais cela reste à voir.

Les solutions abiotiques, des solutions restauratrices?

L’océan a absorbé tellement de CO2 produit par la combustion de combustible fossile (jusqu’à 40 %) que les propriétés chimiques de l’eau de mer ont changé. Ce changement découle du déversement incontrôlé, non réglementé et déséquilibré à l’échelle mondiale d’un déchet industriel : le CO2. L’acidification de l’océan qui en résulte est de plus en plus préoccupante pour la santé des écosystèmes marins.

Ces changements chimiques ont également réduit l’efficacité de l’océan en tant que puits de carbone, ce qui met en évidence une autre différence majeure entre terre et océan : si sur terre, l’augmentation du CO2 atmosphérique entraîne la hausse de l’absorption de carbone en raison de la fertilisation des plantes par le CO2, dans l’océan, c’est l’inverse qui se produit. En effet, l’augmentation du CO2 dans les océans a réduit la capacité chimique de l’eau de mer de surface à absorber des émissions en continu de 40 % depuis 1750.

À la lumière de ceci, pourrait-on considérer que l’ajout de substances alcalines à l’eau de mer afin de réduire les effets du déversement de CO2 dans l’océan aurait un effet restaurateur sur les écosystèmes et le puits de carbone océaniques? Dans un sens, ce processus pourrait être comparable à l’ajout de substances alcalines aux forêts et aux bassins hydrographiques pour restaurer les sols, les lacs et les cours d’eau affectés par les pluies acides. La quantité de substances alcalines nécessaires pour ramener l’océan à son état chimique préindustriel originel est colossale, mais certaines études fondées sur des modèles suggèrent qu’il pourrait être possible de stabiliser le pH de l’océan et de prévenir toute acidification subséquente à une échelle régionale, par exemple pour protéger les bassins marginaux, les baies, les fjords ou les aires marines protégées sensibles.

Éthiques, pratiques et sûres, les solutions axées sur l’océan?

Sur le plan éthique, l’élimination abiotique du CO2 dans l’océan présente des avantages par rapport à la séquestration terrestre. La concurrence pour les terres productives, la justice distributive et le partage des coûts et des avantages représentent des problèmes importants des méthodes terrestres. Comme mentionné précédemment, l’utilisation de puits de carbone bleu à l’échelle mondiale entraînerait des problèmes similaires. Les méthodes axées sur l’eau de l’océan ou les roches présentes sur le fond océanique soulèvent moins de problèmes d’ordre éthique, tant que les répercussions sur les écosystèmes marins sont minimes. Comme ces méthodes ne nécessitent pas le déplacement des activités qui se déroulent déjà dans l’océan, il serait possible de les mettre en œuvre de manière équitable. Toutefois, elles ne sont pas à l’abri du dilemme moral double que présente le fait de miser sur un pari risqué au détriment des valeurs sûres et le risque de présomption concernant la mise en œuvre à grande échelle. Ces risques moraux sont communs à toutes les solutions climatiques naturelles.

La mise au point de méthodes d’élimination du CO2 dans l’océan est désormais limitée par le manque d’appui politique, de recherches et de visibilité. Cependant, l’intérêt du secteur privé augmente rapidement – plus rapidement, semble-t-il, que la connaissance cette possibilité au sein du milieu de la politique et de la recherche. Au Canada, plusieurs initiatives du secteur privé sont en cours en l’absence d’activités ou d’un plan de recherche nationaux, par exemple l’augmentation de l’alcalinité de l’océan dans le Canada atlantique, la culture de laminaires sur la côte Ouest et la séquestration sous le fond océanique dans le nord-est du Pacifique.

Jusqu’ici, la plupart des recherches sur l’élimination du CO2 dans l’océan sont demeurées théoriques et ont été réalisées avec des modèles de système terrestre. Elles n’ont pas évalué de technologie en particulier, ni l’efficacité ou les répercussions des solutions, mais cela pourrait changer grâce à l’intérêt grandissant au sein des secteurs privé et non gouvernemental. Les méthodes axées sur l’océan semblent être le résultat de projets d’innovation technologique plutôt que de politiques ou de recherches gouvernementales.

Peu de recherches ont porté sur les répercussions, à l’exception de celles sur les répercussions de la fertilisation de l’océan par le fer. Bien qu’il soit tentant de croire que les méthodes abiotiques, qui ne nécessitent aucune manipulation directe d’organismes, atténueront les répercussions sur les écosystèmes, le fait est que les connaissances à ce sujet sont presque inexistantes. À cette absence de connaissances s’ajoute la croyance populaire que l’altération des propriétés chimiques de l’eau n’a rien de naturel. Les avancées technologiques devront combler ce manque de connaissances et corriger cette croyance au moyen d’un programme de recherche indépendant et intensif. Ce besoin de recherches rend encore plus urgente la nécessité d’accroître la visibilité des solutions axées sur l’océan auprès des décideurs.

Pour un puits océanique visible, vérifiable et gouvernable

Il est peu probable que l’on puisse exploiter délibérément le potentiel d’élimination du CO2 de l’océan sans résoudre les problèmes liés à la vérification, à l’évaluation des répercussions et à la gouvernance du puits océanique. L’évaluation et la vérification sont complexes en raison de la fluidité de l’océan, laquelle fait en sorte que le carbone séquestré ne reste pas en un même endroit, où l’on peut facilement le mesurer et en évaluer les répercussions. Il faudra donc employer de nouvelles méthodes de mesure et de modélisation. Il est également probable que l’on doive réviser certaines lois nationales, par exemple la Loi sur les pêches du Canada, qui n’attribue pas de rôle à l’océan dans l’atténuation des changements climatiques et ne reconnaît pas les avantages de l’ajout de substances à l’océan.

Le Canada est exceptionnellement bien placé pour entamer une démarche scientifique équilibrée afin de trouver des solutions climatiques naturelles axées non seulement sur les terres, mais aussi sur l’océan.

Comme l’océan présente les mêmes caractéristiques où que l’on soit sur Terre, les solutions qui y font appel, contrairement aux solutions terrestres, nous donnent l’occasion de partager équitablement les bienfaits de l’élimination du CO2 entre les nations. Il faudra cependant établir de nouveaux cadres de gouvernance. On a d’ailleurs établi des cadres stratégiques financiers et de gestion internationaux pour d’autres ressources océaniques qui transcendent les frontières, comme les minéraux, et les pêcheries en eaux internationales font actuellement l’objet de négociations. Les ressources servant au puits de carbone de l’océan méritent la même attention, et ce, immédiatement.

Étant donné leur potentiel et l’urgence de l’atteinte de la carboneutralité, les innovateurs technologiques commencent à se pencher sur les solutions océaniques. Si l’on veut en réaliser le plein potentiel, il faut également qu’elles entrent dans la mire des décideurs.

Le Canada, qui possède de vastes forêts, terres agricoles et zones de pergélisol ainsi que le plus long littoral au monde, est exceptionnellement bien placé pour entamer une démarche scientifique équilibrée afin de trouver des solutions climatiques naturelles axées non seulement sur les terres, mais aussi sur l’océan. Pour ce faire, il sera impératif d’étudier le potentiel de l’océan en faisant dès le début des recherches sur la gouvernance, la vérification des puits et l’évaluation des répercussions afin de permettre l’évaluation et la mise en œuvre des avancées technologiques rapides de façon rigoureuse, sûre et efficace.

Grondement à l’horizon : trois mesures que doivent prendre les gouvernements pour protéger les propriétaires et les locataires des enjeux d’assurance

Quand les eaux se seront retirées et que tout le monde sera en sûreté, les propriétaires de la Colombie-Britannique se tourneront vers leurs assureurs pour couvrir les dommages. Dans une telle crise, l’industrie de l’assurance est essentielle au rétablissement, garantissant aux propriétaires stabilité financière et tranquillité d’esprit quant à ce qui est souvent leur plus gros actif. Mais voilà que les catastrophes climatiques se font de plus en plus fréquentes et graves – la Colombie-Britannique en est déjà victime –, et exercent une pression toujours plus forte sur le marché de l’assurance du Canada au détriment des propriétaires du pays.

D’un océan à l’autre, les coûts liés aux événements météorologiques extrêmes et aux catastrophes climatiques comme les inondations et les feux incontrôlés grimpent rapidement, entraînant de plus grandes indemnités d’assurance. Pour compenser, les assureurs limitent les types de dommages qu’ils couvrent ou augmentent leurs tarifs, condamnant de nombreux souscripteurs à une assurance lacunaire ou à une prime faramineuse. Ce billet de blogue vise à explorer les options dont disposent les gouvernements pour protéger les résidents de cette grande menace.

De plus en plus de catastrophes, de plus en plus de coûts

Au Canada, les catastrophes climatiques se font plus fréquentes et surtout plus coûteuses. Comme l’indique le rapport La pointe de l’iceberg, le coût moyen d’une catastrophe a augmenté de 1 250 % depuis les années 1970.

Si tous les coûts ne peuvent être entièrement attribués aux changements climatiques, ces derniers accélèrent déjà les phénomènes météorologiques extrêmes dans le monde entier et exacerbent les risques presque partout, y compris au Canada.

En plus, les coûts de ces phénomènes ne feront qu’augmenter. Par exemple, le récent rapport Submergés : les coûts des changements climatiques pour l’infrastructure au Canada de l’Institut climatique du Canada révèle qu’au pays, les coûts annuels des dommages matériels causés par les inondations pourraient tripler, voir quadrupler d’ici le milieu du siècle pour atteindre plus de 5,5 milliards de dollars. En Colombie-Britannique, les coûts pourraient s’élever à plus de 820 millions de dollars par an sur ce même horizon.

À quel moment le risque devient-il trop grand?

Le risque des catastrophes météorologiques devient trop grand pour les assureurs, qui doivent parfois payer des indemnités excédant les primes perçues. Pour se protéger, de nombreuses sociétés d’assurances augmentent les primes d’assurance habitation, si bien que la prime moyenne a connu une hausse de 140 % en Alberta et de 64 % en Ontario depuis 2011. Dans les zones où les risques climatiques sont particulièrement importants ou incertains, il arrive que des assureurs cessent complètement de couvrir les propriétaires, réduisant la concurrence et les options et entraînant une inflation des prix.

Souvent considérés comme une assurance de dernier recourt, les gouvernements fédéral et provinciaux observent aussi un décuplement des coûts de l’aide financière servant à couvrir les pertes non assurées après une catastrophe climatique. Depuis 2015, le gouvernement fédéral et certains gouvernements provinciaux ont modifié leurs programmes d’aide pour réduire le montant des indemnités accordées après une catastrophe. Devant la destruction sans précédent en Colombie-Britannique, le gouvernement de la province a été forcé d’intervenir pour couvrir les propriétés non assurables.

Dans l’état actuel des choses, de plus en plus de propriétaires se retrouveront sans assurance ni filet de sécurité quand ils en auront le plus besoin. Ceux qui pourront se payer des primes plus élevées auront moins de fonds à investir dans l’adaptation, tandis que les autres risquent de se trouver sans protection ni soutien financier pour reconstruire après une inondation, un feu incontrôlé ou une autre catastrophe. En Colombie-Britannique, un peu moins de la moitié des souscripteurs disposent d’une couverture en cas d’inondation, et cinq pour cent des propriétaires courent un risque trop élevé pour être admissibles à une telle couverture. De plus, il arrive que des familles ne puissent pas renouveler leur prêt hypothécaire parce qu’elles ne parviennent pas à trouver d’assurance habitation.

Les locataires n’y échappent pas non plus, car ils n’ont aucun contrôle sur ce qui advient de leur domicile. Ils pourraient se voir forcés de vivre dans des conditions dangereuses pendant des semaines, des mois, voire des années si leurs propriétaires ne disposent pas d’une assurance suffisante pour réparer les dommages des événements météorologiques extrêmes. Ces risques sont exacerbés par la dette des ménages, qui atteint des sommets sans précédent et augmente la vulnérabilité des résidents aux chocs financiers soudains. Tout compte fait, il est évident que l’industrie de l’assurance ne pourra résoudre ce problème croissant par elle-même; les gouvernements doivent intervenir pour empêcher la tempête de devenir un ouragan.

Résilience à long terme et risques à court terme

Le manque de préparation du marché canadien de l’assurance habitation aux changements climatiques se fait déjà sentir, et les catastrophes ne deviendront que plus fréquentes, plus graves et moins prévisibles. Les problèmes cités pourraient encore s’aggraver. Voici trois mesures stratégiques majeures que les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux pourraient prendre ensemble pour protéger les propriétaires du Canada :

  1. Accélérer les investissements dans l’adaptation là où les besoins sont les plus grands pour réduire les risques climatiques. Cette mesure est cruciale non seulement pour maintenir l’accessibilité de l’assurance privée, mais aussi pour protéger toutes les infrastructures dont nous dépendons. En Colombie-Britannique, par exemple, on pourrait investir massivement dans l’amélioration des digues des basses-terres continentales, dont 96 % sont jugées trop basses. Par ailleurs, les municipalités n’ont pas les moyens financiers de faire les travaux d’adaptation à l’échelle nécessaire ni même d’entretenir les mécanismes de protection existants; elles ont besoin de l’aide des autres ordres de gouvernement.
  • Décourager les investissements immobiliers risqués en exigeant la communication des risques climatiques physiques lors de transactions immobilières et par les investisseurs institutionnels. En Colombie-Britannique comme ailleurs, les cartes des zones inondables en libre accès sont obsolètes. De même, les renseignements sur les feux incontrôlés et la fonte du pergélisol sont limités ou carrément inexistants. Le gouvernement fédéral doit donner l’exemple et mettre à la disposition du public les données sur les risques climatiques dont il a besoin pour faire des choix importants, comme l’emplacement d’une future maison.
  • Créer des filets de sécurité pour maintenir l’accès des propriétaires les plus vulnérables à une couverture en cas de phénomène météorologique extrême, et œuvrer à réduire au minimum les risques du réchauffement climatique. Il pourrait toutefois être délicat de protéger les résidents sans créer de risque subjectif. Le programme national d’assurance contre les inondations des États-Unis illustre les écueils à éviter. Pour les gouvernements, il ne suffira pas de protéger les propriétaires des risques d’inondation; il faudra aussi aider les ménages se retrouvant en difficulté financière à cause de la dépréciation des propriétés, qui surviendra à mesure que les marchés immobiliers s’ajusteront aux nouvelles réalités climatiques rendant certaines régions particulièrement vulnérables.

Censées garantir la tranquillité d’esprit quand les temps sont durs, les polices d’assurance sont essentielles à la stabilité économique des ménages. Cependant, cette stabilité est gravement menacée par notre climat de plus en plus chaud et instable.

Les inondations catastrophiques observées en Colombie-Britannique sont un avant-goût de ce qui attend le Canada. Les gouvernements doivent investir dès aujourd’hui pour réduire les risques climatiques et assurer la pérennité des polices d’assurance comme mécanisme de rétablissement des inévitables répercussions climatiques.

Pas de prospérité au Canada sans investissements dans les changements climatiques

Pendant des années, l’action climatique a été freinée par une fausse dichotomie opposant économie et environnement, dans un combat entre deux adversaires irréconciliables. Verts contre financiers. Le portefeuille des Canadiens ou la sauvegarde de la planète.

Cette semaine, cette conception a volé en éclats. Il n’est plus question d’économie ou d’environnement, mais plutôt d’action climatique garante de prospérité ou d’inaction destructrice pour l’économie.

Les inondations et les coulées de boues qui touchent la Colombie-Britannique sont en passe de devenir la plus grande catastrophe climatique de l’année au Canada. Des entreprises se sont vues forcées de fermer : avec la rupture abrupte de leur chaîne d’approvisionnement, elles peinent à garder la tête hors de l’eau, au propre comme au figuré.

Une attaque terroriste visant de multiples points de notre réseau ferroviaire et routier n’aurait pas été plus destructrice pour l’économie de la Colombie-Britannique que la « rivière atmosphérique » engendrée par un climat de plus en plus instable. Au port de Vancouver, la circulation ferroviaire est bloquée et les pertes sont évaluées à plus de 300 millions de dollars par jour jusqu’au rétablissement du service.

Les inondations, feux incontrôlés et dômes de chaleur qu’a connus la province en 2021 ne peuvent plus être considérés comme anormaux ou exceptionnels. Avec le réchauffement climatique, ces phénomènes deviendront inévitables. Et comme le souligne Submergés, notre récent rapport, nous devons être prêts à intervenir d’urgence à grande échelle – comme nous le serions pour toute autre menace à notre sécurité nationale et économique.

Déjà, le climat et ses répercussions plombent notre économie et entravent notre croissance. Depuis 2010, le coût des événements catastrophiques attribuables au climat représente environ 5 à 6 % de la croissance annuelle du PIB canadien, une hausse par rapport à la moyenne de 1 % enregistrée au cours des décennies précédentes. Les pertes d’emploi causées par les inondations de 2013 au sud de l’Alberta ont coûté plus de 5 milliards de dollars à la province; pour la Colombie-Britannique, la facture s’annonce plus salée encore.

Les changements climatiques ont peut-être remporté cette manche, mais la partie n’est pas finie.

Nous devons nous préparer à ce qui s’en vient, et qui dit préparation, dit meilleure information. Quels sont nos points faibles, c’est-à-dire les régions, les populations et les infrastructures les plus vulnérables aux risques catastrophiques? Souvent, nous n’en savons rien, car au Canada l’information sur les risques climatiques, souvent inaccessible, est au mieux désuète. Par exemple, la dernière mise à jour des cartes britanno-colombiennes des zones inondables jouxtant les rivières Nicola et Coldwater autour de la ville évacuée de Merritt datait de 1989, soit de 32 ans. En moyenne, les cartes gouvernementales des zones inondables datent de 20 ans, et ne tiennent pas compte adéquatement des changements climatiques. Ce manque de données est encore plus considérable pour les menaces alimentées par le climat comme les feux incontrôlés. Le manque d’information et de transparence concernant les risques climatiques constitue un obstacle à notre préparation. Ils ne signent pas notre défaite.

La nécessité d’investir massivement dans les infrastructures résilientes au climat n’est plus à démontrer : nous n’avons qu’à regarder les autoroutes et chemins de fer engloutis par les eaux en Colombie-Britannique. La crise actuelle nous montre que de tels investissements seraient le moyen le plus efficace de protéger les services dont dépendent la population, les entreprises et l’économie. Le Canada a déjà un déficit d’infrastructures; les gouvernements, les services publics, les entreprises et les propriétaires ont du mal à entretenir celles qu’ils possèdent. Nous devons nous assurer de combler ce déficit avec une infrastructure carboneutre tournée vers l’avenir et conçue pour le climat d’aujourd’hui et de demain.

Dans un contexte où beaucoup de demandes à court terme semblent urgentes, il est difficile pour les municipalités, les provinces et le gouvernement fédéral de mettre de l’argent dans la modernisation des infrastructures pour contrer les risques à long terme. Mais une infrastructure adaptée au futur, c’est un bon investissement. Une nouvelle infrastructure dure de très nombreuses années, et il est beaucoup moins cher de construire maintenant pour un avenir carboneutre plus chaud que de construire pour un passé révolu.

Si les inondations catastrophiques de la Colombie-Britannique ont provoqué une prise de conscience dans la province, rappelons-nous que les perturbations liées au climat nuisaient déjà régulièrement à la productivité, à la mobilité, au commerce, aux communications et à l’approvisionnement en eau et en nourriture, phénomène qui se répercute sur la croissance économique et la santé et le bien-être de la population du Canada. Nous vivons dans un pays qui se réchauffe deux fois plus rapidement que la moyenne mondiale. Il est temps de composer avec cette réalité.


Cet éditorial est d’abord paru dans Maclean’s le 22 novembre 2021.

Le Canada a besoin d’une approche pangouvernementale en matière de changements climatiques. Mais comment y arriver?

Les répercussions climatiques et l’accélération de la lutte mondiale contre les changements climatiques sont une menace pour la prospérité d’aujourd’hui et de demain au Canada. Pensons aux feux incontrôlés dévastateurs et aux inondations catastrophiques en Colombie-Britannique cette année et à la transformation en profondeur des marchés financiers mondiaux entraînée par l’objectif de carboneutralité d’ici 2050 que se sont fixés des pays représentant plus de 90 % du PIB mondial. Pour atteindre ses cibles de réduction des émissions et accélérer la transition vers un avenir carboneutre florissant, le Canada a besoin d’une approche pangouvernementale capable de mobiliser tous les secteurs de la société.

Une telle approche demande un travail transversal entre les ministères et organismes afin de mettre en œuvre une intervention coordonnée pour faire face aux enjeux ou aux défis complexes. Bien entendu, faire bouger rapidement l’entièreté de l’appareil étatique pour contrer une menace est plus facile à dire qu’à faire. Voici donc quelques points importants et recommandations visant à orienter l’instauration de mesures de lutte pangouvernementale contre les changements climatiques au fédéral.

Pourquoi une approche pangouvernementale?

Les politiques climatiques, qui relevaient depuis longtemps d’Environnement et Changement climatique Canada (ECCC), sont maintenant de plus en plus, et de manière nécessaire, du ressort de différents ministères – l’agriculture, les transports, les ressources naturelles, en passant par l’innovation, les relations Couronne-Autochtone et les infrastructures.

Or si le programme climatique du gouvernement intègre de plus en plus de ministères, ces derniers continuent pour la plupart de travailler en vase clos. Résultat : des politiques inefficaces et parfois contradictoires entre les ministères, voire dans un même ministère. Les ministères et les organismes ont besoin d’une orientation mieux définie et d’un soutien accru pour concourir à l’atteinte d’objectifs climatiques communs.

En d’autres mots, ils ont besoin d’une approche pangouvernementale en matière de changements climatiques.

Un combat qui ne date pas d’hier

L’approche pangouvernementale n’est pas une nouveauté. Pendant la Seconde Guerre mondiale, le Canada a formé des comités et des cabinets de guerre responsables des interventions d’urgence continues et coordonnées au gouvernement, qui ont réussi à rallier l’entièreté de la société et de l’économie à un nouvel objectif. Et plus récemment, les gouvernements d’ici et d’ailleurs ont appliqué une telle approche à la crise climatique.

Pendant le mandat de Gordon Campbell comme premier ministre de la Colombie-Britannique (2001 à 2011), le Secrétariat de l’action climatique, une structure pangouvernementale, a permis à la province d’adopter des cibles et des politiques plus ambitieuses, même si son influence s’est amenuisée avec les gouvernements subséquents. Depuis 2019, le Royaume-Uni fait de plus en plus de place aux structures et processus pangouvernementaux, comme ses deux nouveaux comités du Cabinet sur le climat – l’un sur la stratégie en matière d’action climatique et l’autre sur la mise en œuvre de l’action climatique. Aux États-Unis, l’administration Biden entend utiliser de telles approches pour favoriser une action intergouvernementale. Le président a appliqué des décrets instaurant des changements aux procédures comme celui sur la crise climatique au pays et à l’étranger, et a créé des structures, notamment le nouveau groupe de travail national sur le climat.

Au Canada, le gouvernement fédéral a déjà mis en place quelques structures pangouvernementales pour promouvoir les politiques climatiques, dont un comité du Cabinet chargé de l’économie et de l’environnement et un secrétariat sur les changements climatiques au sein du Bureau du Conseil privé. Il a aussi mis en place des organismes consultatifs indépendants et externes qui apportent une expertise sur les politiques climatiques à toutes les branches du gouvernement, comme notre Institut, l’Institut canadien climatique du Canada, et plus récemment, le Groupe consultatif pour la carboneutralité.

Le gouvernement fédéral a également mis en œuvre des changements de processus, y compris l’utilisation de lettres de mandat pour indiquer les priorités et les attentes en matière de climat dans l’ensemble des ministères, ainsi que l’annonce de ses intentions d’appliquer un objectif climatique à la prise de décision du gouvernement. Plus récemment, la décision de Justin Trudeau de mettre l’ancien ministre de l’Environnement Jonathan Wilkinson à la tête de Ressources naturelles Canada (RNCan) envoie le signal clair que l’expérience en matière de climat n’est pas pertinente qu’au ministère de l’Environnement.

Ce qu’il nous faut maintenant

Si le gouvernement fédéral ne part pas de zéro, il va sans dire qu’il faut en faire davantage pour intégrer les questions climatiques aux décisions gouvernementales. Plusieurs discussions avant la cérémonie d’assermentation du nouveau cabinet fédéral portaient justement sur ce sujet, y compris la possible fusion d’ECCC et de RNCan en un super ministère du climat, ou la réattribution des dossiers liés au climat à ECCC. Mais aucune de ces idées ne s’est concrétisée.

De plus, comme nous l’avons mentionné, les politiques climatiques concernent de nombreux ministères. Ainsi, la fusion de deux ministères ou le transfert de l’ensemble des responsabilités à un seul ne s’inscrirait pas dans une approche pangouvernementale. Alors, que pourrait faire le gouvernement fédéral pour créer des responsabilités véritablement communes à tous les mandats au sein de l’État?

Le gouvernement fédéral – plus précisément, le Cabinet du Premier ministre – pourrait former un comité du Cabinet entièrement consacré aux enjeux climatiques. Il pourrait créer de petits groupes de travail et comités de réflexion au sein des divers ministères sur des enjeux ou secteurs spécifiques, comme la croissance propre. Il pourrait donner plus de ressources et de latitude au secrétariat sur les changements climatiques du Bureau du Conseil privé pour lui donner davantage de pouvoir et de capacité, afin d’intégrer les décisions sur les changements climatiques avec une approche descendante. Et il pourrait œuvrer à l’application d’une optique climatique – qui intégrerait des questions d’adaptation climatique et d’atténuation des changements climatiques à l’ensemble des décisions gouvernementales – et l’étendre aux objectifs de croissance propre.

Or l’expérience ici et à l’étranger nous montre qu’en pratique, la mise en œuvre d’une approche pangouvernementale ne se fait pas en criant ciseau. Les détails comptent – et pas qu’un peu. Voici des mesures qui favoriseraient notre réussite :

  1. Le succès repose d’abord et avant tout sur un leadership exécutif continu, qui fixe des priorités ministérielles et encourage la coordination entre les ministères. Il revient au premier ministre de créer des structures et processus pangouvernementaux et de donner l’exemple.
  2. Deuxièmement, si le leadership exécutif a son importance, les approches pangouvernementales nécessitent également l’adhésion des personnes de tous les niveaux (du côté politique comme de la fonction publique) pour une mise en œuvre dans l’ensemble des ministères. Donner des postes clés à des personnes très impliquées en matière de climat est une façon de s’assurer que les priorités cruciales se frayent un chemin jusqu’aux décisions gouvernementales.
  3. Troisièmement, les structures et processus pangouvernementaux doivent se voir confier les ressources et responsabilités suffisantes. Sans financement ou mandats adéquats, ces approches ne parviendront pas à provoquer de changement.
  4. Quatrièmement, la transparence et la responsabilisation ont la même importance, car elles permettent au public de savoir si le gouvernement remplit son engagement de prioriser le climat dans l’ensemble des ministères. Si l’entière transparence des activités gouvernementales est peu probable (et peu réaliste), les organismes consultatifs externes peuvent favoriser la responsabilisation en produisant régulièrement des rapports sur les progrès et en fournissant des recommandations interministérielles accessibles au public.

Pour arriver à une approche pangouvernementale, le seul fait d’ajouter le climat à la liste des tâches de chaque ministère ne suffit pas. Il existe un risque véritable que sans un leadership suffisant, des mandats clairs, une coordination accrue, des ressources adéquates et une meilleure responsabilisation, une approche pangouvernementale engendre plutôt des politiques climatiques inefficaces.

Et comme la conférence climatique de Glasgow (COP26) l’a montré, les gouvernements doivent passer rapidement de la parole aux actes. Ce qu’il faut retenir : la mise en œuvre de politiques à l’échelle et à la vitesse nécessaires pour que le Canada remplisse ses engagements nécessite une meilleure collaboration et coordination de l’ensemble de ses ministères, avec une vision claire du gouvernement. Sans les bases solides d’une réelle approche pangouvernementale, les ambitions climatiques du Canada risquent d’être déçues.

Pour en apprendre davantage sur les possibilités qui s’offrent au Canada pour mettre en place une approche pangouvernementale en matière de changements climatiques, lisez notre nouvelle étude de cas : Le tout est plus grand que la somme de ses parties.

La COP26 m’a convaincu : cette fois, c’est différent!

Glasgow, Écosse. – Vu la complexité des enjeux, c’est sans surprise que la conférence climatique des Nations Unies à Glasgow, la COP26, suscite des réactions multiples et diverses.

Voici la mienne : je suis agréablement surpris de son succès!

Quelle que soit la question de politique publique, le plus important, c’est l’élan qui la porte. C’est ce qui la propulse en tête des priorités, fait naître chez les gens et les décideurs un espoir de progrès et rassemble les intérêts divergents autour d’un processus de changement.

Après une semaine d’annonces sur différentes questions, de l’élimination progressive du charbon à la multiplication des promesses de carboneutralité au privé, en passant par l’ajout de zones protégées, les initiatives de lutte contre les changements climatiques ont décidément le vent dans les voiles.

Mais ce qui caractérise cette COP, c’est qu’elle donne lieu à des plans concrets. Au cours de la dernière semaine, des feuilles de route bien réelles ont vu le jour, traçant le chemin qu’emprunteront les nations pour atteindre les objectifs fixés il y a déjà longtemps.

Ces plans réservent désormais une place centrale à d’importants domaines visés par les politiques auparavant oubliés dans le débat sur la lutte contre les changements climatiques.

Par exemple, on a annoncé cette semaine que l’Union européenne et les États-Unis avaient conclu un accord de coopération pour « réaliser la décarbonisation des industries de l’acier et de l’aluminium à l’échelle mondiale », notamment par l’application de tarifs douaniers spécifiques – ce qui fait désormais de la politique sur les changements climatiques une politique commerciale.

On a également fait l’annonce d’un partenariat de plusieurs milliards de dollars entre les États-Unis, le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne et l’Union européenne pour aider financièrement l’Afrique du Sud à accélérer l’élimination de ses centrales au charbon – ce qui fait désormais de la politique sur les changements climatiques une politique d’aide étrangère.

C’est sans compter qu’une nouvelle coalition internationale, composée des plus grandes entreprises de la finance dans le monde, a amassé 130 billions de dollars américains (oui, billion!) en investissements privés pour contribuer à l’atteinte des cibles de carboneutralité d’ici 2050 – ce qui fait désormais de la politique sur les changements climatiques une politique économique.

À la suite de ces nouvelles initiatives détaillées, l’Agence internationale de l’énergie a rapidement pu calculer cette semaine que, si tous les nouveaux engagements sont concrétisés, nous pourrions limiter le réchauffement à 1,8 °C, une première sous les 2 °C et une progression vers la cible convenue de 1,5 °C.

Le « si » revêt ici une importance capitale, car peu importe les accords passés à Glasgow, les pays ne peuvent contribuer à la lutte que par leur propre législation; c’est donc la prochaine étape à franchir une fois la COP26 terminée à la fin de la semaine.

À Glasgow, le Canada a fait figure de force positive, lançant de nombreuses initiatives utiles et concluant maints partenariats importants. Chez nous, tout est en place pour un progrès rapide. Ce chapitre que nous entamons, celui de la planification et de la concrétisation des efforts de réduction des émissions de carbone, pourrait s’avérer le plus intensif de l’histoire du pays. Le gouvernement que nous avons réélu a un plan détaillé de lutte contre les changements climatiques, et ses nouveaux ministres ont l’expérience et la volonté pour faire avancer le dossier. Nous avons d’ailleurs une loi fédérale sur la carboneutralité relativement nouvelle obligeant le gouvernement fédéral à présenter son premier plan national de réduction des émissions de carbone pour 2030 d’ici la fin de décembre 2021. Cette loi définit clairement ce que doit contenir le plan :

« […] la cible d’émissions de gaz à effet de serre pour l’année à laquelle le plan se rapporte, une description des principales mesures de réduction des émissions que le gouvernement du Canada entend prendre pour atteindre sa cible d’émissions de gaz à effet de serre, une description de toute stratégie sectorielle pertinente, et une description des stratégies de réduction des émissions pour les activités du gouvernement fédéral. »

Après une semaine à Glasgow, une chose est pour moi plus claire que jamais : la transition vers la sobriété en carbone gagne en importance et en vitesse. Terminé l’époque où, après un soubresaut d’activités à la conférence de l’ONU, tout le monde rentrait chez soi et plus personne ou presque n’en entendait parler. Maintenant que la communauté des affaires a clairement établi qu’elle devait s’attaquer aux changements climatiques pour continuer de prospérer, on voit du progrès partout, quel que soit le contexte politique ou le parti au pouvoir.

La COP26 nous a donné la preuve indéniable que la réduction des émissions de carbone est désormais un impératif politique et économique – et il était temps!

Initialement publié par Corporate Knights

L’analyse coûts-avantages : est-ce le bon outil?

Qui n’aime pas la simplicité lorsque vient le temps de faire des choix difficiles? L’analyse coûts-avantages sert depuis longtemps de boule magique pour les décisions politiques des gouvernements. Si les coûts dépassent les avantages, la politique proposée doit être mise au rancart; si les avantages dépassent les coûts, elle obtient normalement le feu vert.

Or, lorsqu’il est question de politiques climatiques, l’analyse coûts-avantages induit les décideurs en erreur. En effet, généralement, elle surestime les coûts et sous-estime les effets bénéfiques, et convient mieux aux changements progressifs qu’à la transformation systémique requise pour lutter contre les changements climatiques.

Le temps est venu pour les gouvernements de revoir les outils qu’ils utilisent pour prendre des décisions sur les politiques climatiques. Les enjeux ne pourraient être plus importants : si on fait les mauvais choix aujourd’hui, les conséquences économiques et sociales n’en seront que pires demain, particulièrement au vu des changements majeurs qui guettent le marché mondial.

Quatre raisons pour lesquelles l’analyse coûts-avantages ne convient pas aux changements transformateurs

Lorsqu’il est question d’évaluer des choix politiques bien précis dans la lutte contre les changements climatiques, l’analyse coûts-avantages rate la cible pour quatre raisons :

  1. On considère les dépenses des entreprises comme des coûts et non des investissements. L’analyse coûts-avantages traditionnelle ne tient pas compte des avantages compétitifs qui découlent des mesures que prennent les entreprises pour s’adapter aux politiques. Elle classe tous les coûts comme des « pertes », puis les compare aux retombées positives, mais bon nombre des dépenses que font aujourd’hui les entreprises sont susceptibles d’être payantes demain, alors que s’accélère la transition vers la sobriété en carbone partout dans le monde. Les dépenses qui généreront des profits devraient donc être perçues comme des investissements. Il est crucial d’accroître les investissements du secteur privé dans la réduction des émissions et l’offre de nouveaux produits porteurs de la transition pour renforcer la résilience de l’économie canadienne dans un contexte de changement planétaire.
  2. On fait fi des entreprises qui pourraient profiter de ces politiques. L’analyse coûts-avantages vise habituellement les grandes entreprises bien établies qui devront composer avec les coûts, plutôt que les jeunes entreprises qui pourraient observer une hausse de la demande pour leurs produits ou services. Le Canada compte plus de 500 entreprises qui pourraient profiter de l’intensification de l’action climatique. Il est donc essentiel de soutenir la croissance des entreprises et des secteurs qui sont bien placés pour saisir les occasions du marché dans le cadre de la transition mondiale vers la sobriété en carbone, de sorte à améliorer la compétitivité à long terme du pays.
  3. On ne tient pas compte des retombées sociales de l’adoption des technologies. Les politiques qui favorisent l’adoption de technologies contribuent aussi à faire baisser les coûts, puisqu’elles font augmenter les taux d’apprentissage et les économies d’échelle. Cela crée une spirale de retombées positives (ou un « vortex vert ») qui accroît encore plus l’adoption des technologies et facilite l’atteinte d’objectifs climatiques ambitieux. Les politiques qui entraîneront un jour une diminution des coûts – et qui, par conséquent, encouragent les avancées mondiales dans la réduction des émissions – ont des retombées sociales allant au-delà des réductions d’émissions réalisées.
  4. On ignore les retombées certaines des politiques. La réglementation est souvent perçue purement comme un frein à la croissance économique et un fardeau pour les entreprises. Pourtant, en matière de politiques climatiques, quand les choses sont claires pour les entreprises quant à l’ampleur et au moment de la transition du marché, cela peut débloquer des investissements privés. Les orientations politiques claires peuvent être synonymes de retombées économiques.

Prenons par exemple l’engagement du gouvernement fédéral à faire en sorte que d’ici 2035 tous les véhicules passagers vendus soient zéro émission. S’il se fondait sur une analyse coûts-avantages traditionnelle pour évaluer les politiques appuyant l’atteinte de cet objectif, le gouvernement pourrait conclure qu’il serait préférable de privilégier des changements graduels et lents pour l’économie, comme une telle approche se traduirait par des coûts moindres pour les fabricants automobiles. En réalité, cette décision pourrait ralentir la croissance économique et la création d’emplois plus tard.

Lorsque nous avons soumis divers fabricants automobiles à des simulations de crise selon différents scénarios de transition mondiale vers la sobriété en carbone pour notre rapport Ça passe ou ça casse : Transformer l’économie canadienne pour un monde sobre en carbone, les avantages compétitifs d’investissements précoces dans les véhicules électriques se sont avérés évidents. L’image ci-dessous montre que les constructeurs automobiles qui investissent dans ces véhicules verront leur rentabilité augmenter jusqu’en 2050, tandis que les autres enregistreront une diminution substantielle de leurs profits. Lorsqu’elles sont bien pensées, les politiques qui entraînent une hausse des dépenses dans la fabrication de véhicules électriques peuvent accroître la compétitivité.

Les compagnies les moins préparées et celles les plus préparées représentent chacune 10 % de l’échantillon.

Bon nombre d’entreprises seront aussi confrontées à des risques et des occasions découlant des politiques qui pourraient échapper à une analyse coûts-avantages trop restrictive. Les chaînes d’approvisionnement et les ateliers de réparation devront s’adapter, et de nouvelles entreprises de gestion des réseaux de recharge et de recyclage de batteries devront voir le jour. Le Canada compte également plusieurs entreprises qui pourraient tirer leur épingle du jeu, comme AddÉnergie, un fournisseur de logiciels de recharge pour véhicules électriques, Li-Cycle, une entreprise qui recycle les batteries de véhicules électriques, et diverses sociétés minières qui œuvrent dans le secteur des minéraux pour batteries tels le lithium et le cuivre. Une hausse de la demande en véhicules électriques pourrait aussi attirer davantage de fabricants de batteries.

Les décisions prises uniquement à la lumière d’analyses coûts-avantages pourraient affaiblir la compétitivité et se traduire par des occasions manquées, ce qui entraînerait un bilan économique décevant.

Même de petits ajustements peuvent tout changer

L’une des choses qu’il est relativement simple à faire à court terme pour combler les lacunes de l’analyse coûts-avantages, c’est d’y inclure certains des avantages dont elle ne tient pas compte. Comme ce fut le cas au départ avec l’intégration des valeurs associées au coût social du carbone, il faudra procéder par essais et erreurs pour trouver la bonne méthode. Les estimations des avantages pourraient être établies au moyen d’une analyse similaire au rapport Ça passe ou ça casse de l’Institut, lequel modélise la rentabilité des entreprises d’après différents scénarios de transition mondiale et analysent les secteurs qui seront possiblement porteurs de cette transition. Les gouvernements pourraient également se servir de modèles économiques semblables aux projections 2021 de Clean Energy Canada et de Navius Research sur la hausse du PIB en énergies propres associée au plan climatique fédéral.

À long terme, les gouvernements peuvent et devraient laisser tomber l’analyse coûts-avantages pour les politiques climatiques et transformatrices. Une étude de 2021 réalisée par Mercure et coll. suggère d’ailleurs de recourir plutôt à une analyse des risques et des possibilités, laquelle diffère de l’analyse coûts-avantages à plusieurs égards :

  • Elle évalue un ensemble de politiques visant à apporter des changements transformateurs systémiques, plutôt qu’une seule politique visant à effectuer un changement progressif.
  • Elle évalue tout un éventail d’occasions et de risques qualitatifs et quantitatifs selon divers scénarios plausibles plutôt que de produire un seul indicateur.
  • Elle tient compte de la spirale de retombées positives entre les différents facteurs, comme le coût des technologies vieillissantes.
  • Elle présente aux décideurs des constats qui s’accompagnent de fourchettes d’incertitude et de seuils de confiance.

L’analyse des risques et des possibilités n’est pas magique et ne donne pas de réponses toutes faites, mais favorise un dialogue et un débat plus réfléchis au sujet du bouquet de politiques qui produira les meilleurs résultats climatiques, économiques et sociaux.

L’analyse coûts-avantages : petit morceau d’un grand casse-tête

Ce n’est pas sans raison que l’analyse coûts-avantages a été conçue pour des changements progressifs : c’est parce que c’est ce que les gouvernements – et souvent la société – préfèrent. Les gens sont naturellement portés vers le statu quo et sont moins à l’aise avec les grands changements qui balaient tout sur leur passage.

Le problème, c’est que les changements progressifs ne sont plus une option. Le Canada ne sortira pas vainqueur de la lutte contre les changements climatiques et n’arrivera pas à conserver une économie prospère sans changements transformateurs. Le monde qui nous entoure évolue rapidement, et si on ne prévoit pas les nouvelles réalités du marché et qu’on ne s’y adapte pas, on sera laissé pour compte.

Les possibilités sont immenses, dont celle d’un avenir beaucoup plus inclusif et prospère. Mais cela ne se fera pas tout seul : il faut agir, investir, planifier, s’organiser, innover et faire preuve d’une audace qui sera difficile à accepter pour certains.

Le premier pas? Changer la façon dont les décisions sont prises pour tenir compte de la portée et de l’ampleur des problèmes qui se posent et des solutions qu’il nous faut.

Initialement publié par Options Politiques.

Transformation économique du Canada : il est temps de passer à la vitesse grand V

Les gouvernements du Canada comptent sur une croissance économique forte pour réduire le fardeau de la dette, qui s’est alourdi pendant la pandémie. Cette croissance dépend cependant de l’adaptation des entreprises du pays aux réalités du marché en évolution rapide.

À court terme, la relance économique du Canada paraît prometteuse vu la reprise des activités commerciales.

À plus long terme, toutefois, l’économie canadienne devra affronter des turbulences qui ne sont pas prises en compte dans les prévisions gouvernementales. Les problèmes en vue dépassent le ralentissement de la croissance de la population active et un faible gain en productivité. Parmi les oubliés des prévisions du redressement fiscal, impossible de passer outre la possibilité de catastrophes naturelles plus fréquentes et coûteuses, et les effets de l’énorme transformation économique mondiale découlant des mesures visant à parer aux pires répercussions des changements climatiques.

L’accélération de l’action climatique internationale, la sensibilisation des investisseurs aux risques du climat et le rythme soutenu du progrès technologique se combinent d’une manière qui modifiera les échanges commerciaux et perturbera les marchés. Le Canada a le choix : mener, suivre ou rester à la traîne.

Il est à présent certain que la demande mondiale de charbon, de pétrole et de voitures à essence sera beaucoup plus faible à l’avenir, peu importe la volatilité actuelle des prix. Plus de 60 pays (et ce nombre croît encore) ont annoncé qu’ils visaient la carboneutralité d’ici le milieu du siècle. Ces pays représentent plus de 70 % du PIB mondial, plus de 70 % de la demande de pétrole mondiale et plus de 55 % de la demande de gaz naturel.

Même s’ils ne parviennent pas à atteindre leur cible, les mesures qu’ils prendront auront de profondes répercussions sur les marchés mondiaux. En outre, des répercussions encore plus importantes que celles dues aux politiques gouvernementales pourraient survenir lorsque le coût des technologies propres passera sous celui de leurs pendants polluants. C’est déjà le cas pour les énergies solaire et éolienne, et presque le cas pour les véhicules électriques. En effet, le coût en capital des projets à fortes émissions s’accroît en raison des décisions prises par les investisseurs et les assureurs pour réduire leurs risques climatiques.

Si le Canada peut profiter des nouveaux débouchés mondiaux offerts par ces transformations des marchés, il est cependant plus vulnérable à celles-ci que d’autres pays aux économies à intensité carbonique comparable. Près de 70 % des marchandises qu’il exporte proviennent de secteurs susceptibles d’être perturbés, secteurs qui emploient plus de 800 000 personnes au pays.

Il est impératif que les entreprises et les gouvernements du Canada prennent les choses en main et préparent l’économie et la main-d’œuvre nationales pour l’avenir. Toutes les entreprises, dans tous les secteurs, et tous les gouvernements doivent prendre part à ce travail sans précédent pour transformer l’économie canadienne et assurer la prospérité future. Il faut reconnaître que d’importants progrès ont récemment été faits en ce sens, mais ils sont loin d’être suffisants.

Lisa Raitt et Anne McLellan, anciennes ministres de cabinets conservateur et libéral, respectivement, et coprésidentes de la Coalition pour un avenir meilleur, nouveau collectif dirigé par des entreprises, ont réclamé « un plan ciblé pour renforcer la croissance économique, favoriser l’innovation, encourager l’investissement et accélérer la transition vers un avenir vert ». Leur demande est justifiée, et la préparation du Canada à la transition mondiale vers la sobriété en carbone devrait être au sommet des priorités.

Selon les conclusions d’un récent rapport de l’Institut climatique du Canada, les entreprises et gouvernements du Canada doivent agir sur quatre grands fronts.

Premièrement, la préparation de l’économie canadienne implique plus que la réduction des émissions. Il est bien sûr essentiel que les secteurs de l’industrie lourde (fer, acier, produits chimiques, ciment, etc.) réduisent leurs émissions, mais les secteurs qui connaîtront une baisse de la demande mondiale devront carrément changer de branche d’activité. À mesure que le marché mondial du charbon, du pétrole et du gaz rétrécira, seuls les fournisseurs aux coûts et aux émissions les plus faibles seront concurrentiels. De nombreuses sociétés pétrolières et gazières constateront que leur survie à long terme dépend de leur entrée sur des marchés en croissance, comme ceux de l’hydrogène propre, des biocarburants d’aviation et de l’énergie renouvelable.

Deuxièmement, le Canada a besoin de nouveaux secteurs et de nouvelles entreprises pour profiter davantage des aspects positifs de la transition. Par chance, il compte des centaines d’entreprises dans des marchés qui connaîtront une croissance importante à l’échelle mondiale. Le problème, c’est que beaucoup d’entre elles ont de la difficulté à attirer les investissements nécessaires pour étendre leurs activités, ou se font rafler par des acheteurs étrangers avant de se tailler une place au Canada.

Troisièmement, la réussite passera par une modification des flux de financement traditionnels. En dépit des risques imminents et des formidables possibilités, le financement de la transition s’avère jusqu’à présent limité. Les investisseurs sont découragés par l’incertitude entourant les politiques, les marchés et les technologies ainsi que par les coûts initiaux élevés et les longs délais de récupération. Il y a aussi trop peu d’information sur les marchés, ce qui rend difficile de distinguer les gagnants des perdants de la transition.

Enfin, les gouvernements devraient favoriser les investissements privés à grande échelle par des interventions politiques réfléchies, ciblées et efficaces. Les politiques climatiques telles que la tarification et la réglementation peuvent encourager la préparation à la transition et créer de la demande pour de nouveaux produits et de nouvelles technologies compatibles à la transformation des marchés. Les investissements publics peuvent réduire les risques pour les investisseurs et inciter ces derniers, l’industrie et les entrepreneurs à collaborer. Des règles plus claires quant aux rapports et aux produits financiers liés au climat peuvent contribuer à diriger les fonds aux bons endroits. Ces approches stratégiques doivent être communiquées en détail dès que possible pour réduire les incertitudes quant au milieu des affaires de l’avenir.

Le monde est en pleine métamorphose : à l’heure actuelle, une transition trop lente comporte plus de risques pour la compétitivité qu’une transition trop rapide. La prochaine génération compte sur nous pour bien faire les choses.

Don Drummond est économiste à l’Université Queen’s, chercheur en résidence à l’Institut C.D. Howe et membre du comité d’experts de l’Institut climatique du Canada. Rachel Samson est la directrice, Croissance propre de l’Institut climatique du Canada.

Initialement publié par The Globe And Mail.